L’Évangile est-il une bonne nouvelle pour les homosexuels ? Tel était le sujet débattu lors de l’Assemblée Générale du Réseau FEF le
25 janvier 2014.
Ce hors-série de Réseau FEF infos présente l’ensemble des interventions faites ce jour-là.
Le ton oral des conférences a été conservé pour rapporter le plus fidèlement possible le contenu des conférences.
25 JANVIER 2014 IBN NOGENT-SUR-MARNE1
Compte-rendu de la table ronde ayant succédé à la conférence d’Alain NISUS et animée par Jacques NUSSBAUMER (JN). Les participants à cette table ronde étaient :
Alain NISUS (AN) professeur de théologie systématique à la faculté de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine,
Florent VARAK (FV) pasteur de l’UEEF à Villeurbanne-Cusset,
Philip MOORE (PM) pasteur de l’AEEBLF à Lagny-sur-Marne,
Patrice ALCINDOR (PA) pasteur de F-M à Vendôme et président de France-Mission.
JN : Une réaction à vif suite à l’exposé d’Alain Nisus ?
PA – J’ai été frappé par la force des affirmations bibliques qui tranchent avec le discours ambiant et aussi par la force de la proclamation de la grâce. Cet équilibre est notre problématique : rester avec cette tension et ne pas savoir comment bien la négocier.
PM – J’ai été impressionné par la référence à la fois la création et à l’eschatologie et le rappel d’une citation d’Olivier O’Donovan dans « La résurrection et l’expérience morale » qui parle de l’éthique du point de vue de la résurrection de Jésus Christ. En ressuscitant, Jésus a pris un corps, soulignant l’importance de l’ordre créationnel de Dieu, mais c’est un corps nouveau, un corps qui porte encore les stigmates de la croix mais qui pointe vers l’avenir, vers l’eschatologie, vers l’avenir glorieux que Dieu prépare pour nous. L’eschatologie est porteuse de sens dans notre débat : la résurrection de Jésus nous encourage à parler dans ce sens-là de l’homosexualité.
FV– Dans Romains 1, l’homosexualité est définie par rapport à d’autres péchés. À la racine de la non-reconnaissance de l’autorité de Dieu, Dieu livre des hommes à certains penchants et il est trois fois répété « Dieu les livrés » avec trois listes de péchés différents qui se recoupent, dont l’homosexualité. La stigmatisation de l’homosexualité vis à vis de non-chrétiens est donc à modérer dans nos paroles. Dieu livre différemment, dans différents domaines les hommes et les femmes qui rejettent son autorité, et l’homosexualité est l’un de ces domaines.
JN – Depuis une vingtaine d’années, l’approche de l’homosexualité et des personnes homosexuelles a-t-elle véritablement changé dans nos Églises et dans quelle mesure ?
FV – Je le crois et je l’espère. Des témoignages anciens relatent le vécu extrêmement douloureux de la manière dont des homosexuels ont été accueillis quand ils ont osé parler de leur péché. Mais maintenant, la prévalence de cette réalité, le grand nombre de jeunes qui viennent parler de leurs luttes, donne plus de compassion, de compréhension pour pouvoir à la fois leur dire très clairement les choses et en même temps leur donner un espoir. Personnellement, c’est par le contact et les échanges avec ces personnes que j’ai évolué. L’homosexualité, n’est qu’un péché parmi d’autres, que nous n’avons pas raison de dénoncer avec plus de virulence que d’autres. Les homosexuels sont des pécheurs que la grâce peut toucher comme tout être humain. Le langage évolue dans la pastorale, pas l’éthique.
PA – Oui, le langage a changé à travers les relations. C’est à travers elles qu’on réalise encore plus cette tension dont je parlais tout à l’heure, à la fois nos convictions éthiques restent fortes mais la fréquentation de personnes ayant cette orientation homosexuelle, avec qui on tisse des liens d’amitié, fait qu’on est un peu mal à l’aise avec nos propres convictions. On voit quand même dans les Églises une évolution dans le discours, mais qui tient plus à cette pratique quotidienne qu’à un changement ou une réflexion qui amènerait à penser autrement. Notre défi, c’est de pouvoir penser, de mener une réflexion suite aux nécessités et contraintes de cette pratique.
JN – Faudrait-il plus parler de cela dans nos Églises, pour que les gens soient plus à l’aise, comment est-ce qu’on peut aider ces frères et ces soeurs qui luttent dans ce domaine ?
PM – La personne qui m’a le plus marqué dans ma vie chrétienne, celle sans laquelle je ne serais pas devenu pasteur, qui a été mon pasteur, mon mentor, s’appelle Vaughan Roberts. Il est bien connu dans les milieux anglo-saxons, c’est un pasteur au ministère remarquable, béni par Dieu. Eh bien ! Ce remarquable ami m’a avoué récemment qu’il luttait depuis le début de son adolescence avec son orientation homosexuelle. Pourtant c’est lui que le Seigneur a utilisé pour me faire avancer plus que n’importe qui d’autre dans la vie chrétienne. En l’apprenant je l’ai donc admiré davantage pour cela. Mais à force de contenir son problème, de s’isoler, de ne pas pouvoir en parler autour de lui, il trouvait la pression de plus en plus insupportable. Il y a deux ans, il a réuni un groupe d’amis très fidèles auxquels il s’est ouvert : « Vous êtes au courant de ma situation, je trouve insupportable de rester seul dans mon coin à lutter avec cela, j’ai besoin d’en parler avec des chrétiens, de parler de ce que je suis, de ce que je vis, de chercher auprès de vous prière et soutien ».
Oui, il faut en parler !
JN – Mais comment en parler ? Sans exposer nos frères et sœurs à des jugements hâtifs ?
FV – Un, ne pas se moquer, ni user de raccourcis terribles pour dénoncer ce péché, ni avoir de réactions méprisantes. Deux, être un peu transparent, dire certaines de nos luttes personnelles, mettre en confiance, en disant qu’on peut être à la fois juste et pécheur, dire qu’on est en chemin vers…créer un climat qui va permettre aux gens d’oser parler, donc de sortir de l’isolement, de faire baisser la pression et d’aider à en sortir. Et trois, prêcher sur cette question, sur les questions de la sexualité, car la Bible en parle beaucoup, ne pas sauter les passages, ne pas passer trop vite sur ces questions mais les décrire comme des réalités avec lesquelles il faut composer avec notre nature humaine.
JN – Quelle espérance peut-on donner aux personnes d’orientation homosexuelle dans cette vie, peut-on présenter comme quelque chose de vraiment épanouissant l’idée de renoncer à sa sexualité ?
AN– Les chrétiens évangéliques enseignent, et cela est sans doute aussi choquant pour les non-chrétiens, aux personnes célibataires hétérosexuelles non mariées à vivre dans la continence, dans la chasteté. L’effort qu’on demande aux personnes d’orientation homosexuelle n’est pas tellement différent. En répondant : « La pulsion sexuelle est trop forte », on dessert la cause homosexuelle. En disant : « On est responsable, on peut lutter, on peut résister, l’Esprit saint donne les forces de résister », on affirme qu’il y a ce combat à mener avec la grâce de Dieu qui donne les forces renouvelées jour après jour. C’est important et édifiant d’écouter les témoignages des personnes qui disent qu’elles luttent avec ça. Dans sa grâce Dieu peut aussi donner la délivrance totale ; il y a des témoignages de personnes qui disent avoir pu changer, avoir pu se marier et avoir une vie conjugale. Ces deux réalités se trouvent dans les témoignages. L’oeuvre de l’Esprit Saint, la régénération concerne surtout les dispositions, le coeur, la vision du monde, donc le discours, la manière de percevoir que la chose va changer.
On ne peut pas comparer, et ce n’est pas de l’hypocrisie, quelqu’un qui lutte de toutes ses forces, et qui ponctuellement peut céder mais qui est convaincu que ce n’est pas la volonté de Dieu avec quelqu’un qui baisserait totalement les bras et s’adonnerait à son péché sans culpabilité se disant que Dieu l’a fait comme ça.
JN – Que faire pour aider et accompagner ceux qui ont cessé de lutter pensant : « Je ne peux vraiment plus lutter contre » ?
PM – C’est aussi une tendance lourde que constate mon ami dont je parlais, beaucoup dans nos milieux chrétiens baissent les bras. Vaughan prie chaque semaine pour eux, en deux listes, celle des personnes en lutte et celle des personnes qui ne luttent plus. Et la seconde liste s’allonge Sans avoir de solution pour inverser la tendance.
La seule image que la société renvoie sur cette question-là, le seul discours tenu dans les livres, les journaux, les séries télévisées ou au cinéma, c’est que l’unique façon de vivre une orientation sexuelle, c’est de l’exprimer totalement. Il faut donner à entendre, à voir et à expérimenter d’autres histoires et c’est ce que Vaughan a voulu faire en exprimant publiquement sa lutte. Il y a d’autres façons de vivre cela, parlons-en et montrons par exemple comment cela peut se faire.
PA – Il faut un peu éclairer ce qu’est l’orientation homosexuelle. On parle de perversion, de péché, etc. Qu’est ce qui est péché ? Le fait de l’attirance est-elle un péché personnel ?
AN – L’Ecriture distingue bien entre la tentation et la réalisation du péché. Analogiquement c’est comparable à la maladie. La maladie est une conséquence du péché, elle fait partie de ce cortège de maux qui accompagnent l’irruption du péché dans le monde, mais, Jean 9 nous l’enseigne bien, il est impossible d’identifier telle maladie particulière avec tel péché particulier. Analogiquement, on peut penser cette attirance pour des personnes du même sexe de la même manière, sans culpabilité réelle dans la mesure où la personne lutte contre elle. Il faut se méfier du déterminisme ici : on peut tenter de trouver les causes d’une telle attirance, et peut être certains facteurs sont-ils favorisants, mais il y a toujours la possibilité pour un être de s’approprier ou de refuser ce « capital » de naissance ou de circonstances. D’ailleurs les homosexuels militants eux-mêmes refusent cette logique du déterminisme génétique, hormonal ou autre.
FV – Il n’y a pas UNE homosexualité mais DES homosexualités. Masculine et féminine déjà sont différentes. En lisant des témoignages, en rencontrant des gens, on réalise qu’il y a des origines très diverses à cette pratique et qu’il faut aussi accueillir, permettre à quelqu’un d’en parler, parce que c’est ainsi que peuvent se débloquer certains éléments marquants qui ont fait qu’une personne ait cherché à se réfugier dans les bras d’un être de même sexe.
JN – Devant cette diversité, les situations concrètes que l’on rencontre, la notion de discipline est-elle dépassée ?
PM – La notion de discipline n’est certainement pas révolue, mais la discipline par elle-même n’a pas la force nécessaire pour aider quelqu’un à dépasser certaines situations.
La discipline ne peut s’exercer que dans le contexte de la compréhension de l’Évangile de grâce où cette discipline-là est accompagnée par et la réelle expression de l’amour de Dieu reçu dans son coeur. Pour une personne qui lutte contre tel ou tel péché y compris le péché homosexuel, je crois à la puissance de l’Évangile qui transforme toute une vie, qui peut s’exprimer dans la discipline d’Église qui cadre et structure, mais je ne mettrais pas l’accent d’abord sur la discipline.
AN – C’est juste, mais la discipline doit tout de même s’exercer. Dans 1 Corinthiens 5, l’apôtre Paul relate un cas d’inceste et il dit à propos de cet homme qui allait avec la femme de son père qu’il faut réagir, qu’il faut exercer la discipline ecclésiale, il le livre à Satan, donc il l’excommunie, mais dit-il, c’est que même dans l’usage de la discipline le but est de gagner l’autre, puisqu’il conclut en disant… « pour la destruction de la chair afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur Jésus. » Donc même lorsque la discipline s’exerce, il faut la voir comme une mesure de grâce pour interpeller, pour qu’il y ait conversion, repentance, retour au Seigneur. Même quand l’Eglise exerce la discipline, c’est toujours la discipline de la grâce.
JN – Y a-t-il eu une évolution dans la façon de percevoir la discipline par rapport aux décennies précédentes ?
FV – La discipline a pour but, dans le cas d’une excommunication, la protection de l’Église pour éviter une forme de contagion dans celle-ci, mais aussi la prise de conscience de la part de la personne séparée de l’Église, dans l’isolement imposé, des conséquences terribles d’une non repentance avec l’objectif que cette personne puisse revenir et qu’elle puisse être accueillie aussi dans la grâce. Oui, parfois, la discipline peut être nécessaire. Mais je serais très attentif à faire la distinction entre un homme ou une femme qui lutte et tombe, même régulièrement, mais cherche vraiment à avancer, et qui ne présente pas un aspect militant et donc pas un danger pour d’autres et que j’aurais de la peine à soumettre à une discipline trop rapide et à l’inverse une personne qui serait assez satisfaite de son propre péché, il serait plus important d’identifier ce cas et le mettre à l’écart de l’assemblée.
AN – La discipline ecclésiale devrait au moins jouer au niveau des responsabilités que les personnes pourraient exercer dans la communauté.
JN – Du fait de la diversité des situations, les responsables d’Églises différentes prennent des décisions au cas par cas et dans des situations similaires des décisions différentes sont prises.
Faut-il prendre acte de ces différentes façons de traiter les problèmes en se gardant de jugements portés sur la prise en charge d’une situation dans une Église voisine, qu’en pensez-vous ?
PA – La problématique de l’homosexualité n’est pas différente des autres comme celle du divorce par exemple. Entre deux Églises, on ne gère pas toujours ces situations de la même manière et cela pose des questions d’Église à Église. Il n’y a pas de spécificité dans ce domaine-là.
Je m’interroge, en marge de cette question de la discipline, sur la réaction de l’Église. N’est-elle pas parfois plus de l’ordre du rejet social que d’une condamnation théologique ? Par exemple lors de la question du « mariage pour tous », tout ce qui menaçait la famille traditionnelle était sujet à réprobation de l’Église. Alain Nisus, dans son exposé, a remis en question, Parole à l’appui, que la seule voie possible soit le mariage hétérosexuel pour un homosexuel. Il y a là un autre dessein et, si on en croit Paul, il devrait avoir la priorité. Si on était beaucoup plus nombreux dans l’Église dans cet équilibre, dans cet accueil de l’ensemble des voies possibles de vie pour les chrétiens, il y aurait peut-être moins de réactions épidermiques sur cette question-là.
JN – Alors, cas peut être théorique pour beaucoup, imaginez qu’une famille avec deux papas et deux enfants entre dans l’Église, comment réagir ?
FV – L’évangile est rédempteur, il n’est pas moralisateur. Dans le sens où, un couple hétéro n’ira pas plus au ciel qu’un couple homo. Ce n’est pas la morale qui sauve, on est tous d’accord là- dessus, c’est la transformation qu’opère l’Évangile qui compte. Si un couple gay venait avec des enfants chez nous, j’espère que nous aurions la maturité spirituelle pour l’accueillir avec tout l’amour que nous avons pour les non-croyants afin de proclamer que Christ transforme les coeurs. Et après les conséquences sont parfois difficiles, mais finalement l’Évangile est une menace à mon autonomie, autant qu’il l’est pour un homosexuel. Je suis contraint par un Seigneur et un Maître par rapport aux intentions de la chair. J’encouragerais vraiment l’Église à l’accueillir tout en étant absolument clair sur le fait que ce n’est pas un accueil d’approbation et à un moment donné il faudra bien que la question se pose ainsi. C’est un accueil qui permet de confronter l’individu à la rédemption qui touche tout pécheur qui se confie en Christ et qui laisse ensuite, par le Saint-Esprit la possibilité de réfléchir à sa vie, avec toutes les conséquences que cela aura. Ce sera difficile, mais néanmoins ce serait dommage que l’Église fasse une barrière à un couple homosexuel et qu’elle accueille un couple hétérosexuel, tous sont autant perdus.
JN – Pourrait-on laisser des situations très imparfaites et même mauvaises pour éviter le pire ?
PM – Quand Paul parcourait le bassin méditerranéen lors de l’annonce première de l’Évangile, il a rencontré beaucoup de choses difficiles. Des familles dysfonctionnelles, il en rencontrait beaucoup.
Les missionnaires dans certains pays rencontrent souvent des situations maritales non conformes à la Bible, la polygamie par exemple. Quelles décisions pratiques prendre ? Ne garder qu’une seule femme ? Et les autres ? Et les enfants ? En France, lorsque cette situation de famille homoparentale va arriver dans nos Églises, il faudra pouvoir dire les choses clairement : selon la Bible, le mariage gay n’est pas la volonté de Dieu ; résolvons donc cette situation non conforme à la Parole de Dieu, tout en nous donnant le temps de cheminer ensemble pour trouver cette solution.
AN – Une remarque. On accueille, on prêche l’Évangile, on accompagne, mais si cette personne ou ce couple demande le baptême, veut participer à la Cène, veut être membre de l’Église, que ferons-nous ? En disant cela, je veux souligner les difficultés concrètes : jusqu’où peut aller l’accueil ? Mais je suppose que l’accompagnement attentif précisera ce genre de choses aux personnes concernées.
JN – Voilà où je voulais en venir, il y aura des différences entre Églises parce que ce « jusqu’où » n’est pas évident à évaluer, non ?
FV – Merci de me permettre de préciser. Il y a des choses qui se comprennent après la croix et pas avant. Et tous les dimanches on accueille des non-chrétiens au culte et c’est ce que je voulais dire. Je ne parle pas d’accueillir DANS l’assemblée en tant que chrétiens. Il fallait que ce soit précisé.
JN – Mais est-ce que la question se pose ?
FV – Une famille comme ça, non ! Mais il y a déjà eu des situations où des gens se convertissent qui ne vivent pas selon l’intention de Dieu. Il y a un chemin ensuite à faire, on accompagne, on conduit. Mais je ne pense pas que l’Évangile soit pour tous, dans le sens où l’Evangile est pour ceux qui reconnaissent leur faillite spirituelle – quel que soit leur parcours de vie et recherchent l’aide de Dieu. À nous de les accueillir et de les accompagner ; mais tous les gens ne sont pas prêts à reconnaître cette faillite. Ils quitteront rapidement l’Église d’eux-mêmes.
JN – Quel discours tenir aux Églises qui projettent de faire des cérémonies de bénédiction d’unions homosexuelles ?
PM – Très clairement et très fermement : nous ne sommes pas d’accord, nous ne lisons pas la Bible de la même façon, avec la même herméneutique, nous n’avons pas la même conception du péché, de la souveraineté, de la seigneurie de Dieu et de son droit d’ingérence dans notre vie.
Cela n’empêche pas d’entretenir des relations respectueuses avec tout le monde. Mais j’ai déjà eu à répondre à des appels téléphoniques qui me sollicitaient en ce sens.
JN – Cela ne risque-t-il pas de surexposer ces frères ou ces sœurs et de les rendre vulnérables au jour de la chute ou d’une difficulté ?
PA – Faire son coming-out doit se réfléchir, se préparer avec prudence. Il faut la maturité pour le faire, il faut une qualité d’environnement capable de porter cela aussi. Il faut bien peser les conséquences.
Public : Un couple homosexuel avec des enfants comprend l’évangile de grâce de Jésus Christ et se convertit. Ils veulent mettre les choses en règle devant Dieu, comment les conseiller ? Est-ce qu’on leur conseille le divorce ? La répartition des enfants entre chaque conjoint ?
FV – La foi est une question de repentance, on ne peut pas aborder la question autrement que par la repentance d’une relation qui ne peut pas être.
À un moment va se poser la question de la rupture, pas l’abandon des enfants, la responsabilité contractée doit être maintenue. Il faut le faire en bonne intelligence, mais c’est tellement facile à dire … Déjà voir les deux se convertir, c’est une chose… Il y a un nouveau cap à prendre. Il faudra accompagner avec le plus d’humanité, réfléchir à l’intérêt des enfants, construire aussi quelque chose pour eux. Mais la repentance va nécessairement mener à une rupture, ce ne peut pas être un statu quo, même sans « consommation ».
Les premiers homosexuels que j’ai eu à accompagner, formaient un couple dont l’un des deux s’était converti. Il n’avait plus depuis longtemps de relations sexuelles avec son partenaire qui était mourant du sida. Il voulait témoigner de sa foi à son ami et me demandait de le rencontrer afin qu’il se convertisse avant de mourir. Ce que son ami a fait par la grâce de Dieu : il s’est repenti plaçant sa confiance en Dieu avant de sombrer dans le coma et mourir. Si la maladie ne l’avait pas emporté, je n’imaginais pas pour eux une situation stable, « non pratiquante » pourrait-on dire. Dans un couple homosexuel, c’est un contre-témoignage pour les enfants.
PM – J’ajouterais qu’en tant que membres d’Église, il faut nous donner les moyens d’accueillir et de cheminer avec les personnes et combler les manques qui vont suivre la rupture, car il va y avoir un manque affectif, un manque de réseau social, une sorte de mort sociale qui va s’opérer. À nous l’Église, de nous montrer capables d’accueillir, d’accompagner, d’offrir un nouvel entourage et de donner tout l’amour dont une personne a besoin pour vivre, pour que cette situation catastrophique puisse se vivre dans les meilleures des conditions et ne pas juste imposer l’arrêt brutal d’une situation non conforme, mais accompagner vers quelque chose de rédempteur.
Public : En tant que pasteur, on se sent dépassé par une personne qui vient nous parler de ses tendances homosexuelles, est-ce que vous avez des outils, des associations, des personnes que vous recommanderiez vers qui on peut référer ces personnes ?
PM – Il y a l’association « Torrents de vie » qui propose des séminaires et des ministères spécialisés sur toutes les questions de sexualité et qui fonctionne sur le mode de plusieurs rencontres sur une année. Ceci dit, Vaughan, le pasteur ami dont j’ai parlé, a toujours dit qu’il ne voulait pas aller vers un ministère spécialisé parce que c’est encore une façon de stigmatiser ceux qui luttent avec un péché particulier et de faire un clivage entre ces derniers et les autres, car nous luttons tous avec le péché. Donc oui pour la spécialisation, mais jusqu’à un certain point, pas pour l’enfermement dans une condition qui serait tout à fait à part. l’Église de base doit prendre part à ce travail.
FV – Il y a aussi quelques livres de témoignages. Il y a l’aide possible de la psychothérapie, si le thérapeute a un point de départ compatible avec notre compréhension de la Bible. Certains thérapeutes ne vont pas toujours dans le bon sens et on n’a pas toujours les ressources professionnelles disponibles localement. Ce qui me marque, c’est la force de la communauté homosexuelle en tant que communauté sociale. Les gens qui quittent cette communauté pour rejoindre l’Église ne retrouvent pas cette force dans nos Églises. Nous sommes des gens avec des cultes et des réunions. Eux recherchent des relations. Cette constatation est blessante, mais je sais qu’ils ont raison sur ce point. A nous donc de créer cet environnement où les gens peuvent avoir un coeur à coeur où ils peuvent avoir des gestes d’affection qui ne sont pas associés à des pratiques déviantes, où ils peuvent être acceptés et cheminer dans la difficulté. Nous, dans notre Église, on n’en est pas là.
JN – Les pasteurs et les responsables d’Église, ont-ils besoin de formations complémentaires ? N’y a-t-il pas un ministère spécialisé qui pourrait prendre en charge ce qu’on ne sait pas faire ?
PA – Certes le pasteur peut avoir des compétences, mais il ne peut pas être qualifié dans tous les domaines, l’homosexualité et tous les autres problèmes. Donc c’est aussi dans la diversité des ministères au sein du corps de Christ et dans sa manifestation locale qu’il doit y avoir des personnes qui puissent être formées dans l’Église pour différents aspects proches de celui-là.
Cela a déjà été dit, on pense souvent en termes de spécialisation, de capacités particulières, mais la vie communautaire et la vie de l’Évangile vécues par tout un chacun est une vraie puissance et a autant d’impact, et probablement plus, que des spécialistes.
PM – J’irai dans ce sens aussi, avec en plus la possibilité pendant un temps de créer et de gérer un groupe de parole, spécialisé dans une lutte particulière. On annonce publiquement la formation d’un groupe où sont invitées les personnes qui luttent avec telle ou telle difficulté, le deuil ou une tentation sexuelle ou une situation quelconque et que ces réunions ont pour but de partager les expériences à ce sujet et de chercher en commun des solutions aux difficultés en s’encourageant mutuellement. Pour un temps cela peut avoir du sens pour exprimer son ressenti et s’entraider dans cette situation.
Public : Il faudrait que l’on insiste énormément dans nos Églises sur l’enseignement de ce qu’est la famille, le rôle du père, de la mère, parce qu’il y a un déficit assez net dans nos Églises à ce sujet, pour que nos familles soient des familles témoins dans le monde, ce qui permettrait aussi d’avoir un témoignage vis-à-vis de ce genre de personnes et actuellement nos Églises sont en deçà de ce qui serait souhaitable.
FV – Il y a beaucoup de choses qui sont enseignées sur la famille, donc c’est super.
Mais les jeunes qui viennent pour parler de leurs luttes, qui ont entre 10 et 16 ans, c’est hallucinant ! Et ce n’est pas simplement de question familiale qu’ils parlent : on leur a montré, en CM2, des films comme Tomboy, ils sont confrontés à une « évangélisation » de la libération sexuelle qui est intenable. Je rencontre des jeunes qui me disent qu’ils ne veulent pas avoir d’enfants pour ne pas leur faire vivre l’enfer qu’eux-mêmes vivent.
Donc, je suis d’accord pour l’enseignement sur la famille, mais l’urgence, c’est la pastorale des jeunes. Il est nécessaire de réaliser que les jeunes qui grandissent dans nos Églises ont un langage évangélique le dimanche, mais qu’ils sont à des années-lumière au plan moral de ce que font leurs copains, de ce qu’ils voient parfois chez eux ou de ce qu’on leur propose lors d’une soirée anniversaire ou autre.
Public : Si quelqu’un nous confie son histoire ou son orientation homosexuelle tout en demandant le secret et souhaitant fonder une famille basée sur les principes bibliques, est-ce que nous sommes tenus à ce secret, ne pourrait-il pas nous être reproché et comment pouvons-nous vivre avec ce secret ?
PM – Dans toutes les préparations au mariage, il y a une soirée sur la sexualité. Et à ce moment-là, on dit très clairement à tous les couples que chacun doit parler de son passé sexuel à l’autre. C’est-à-dire qu’on ne rentre pas dans le mariage aveugle vis-à-vis du passé sexuel de l’autre. À ce moment-là, celui qui a un passé homosexuel doit en parler avec son futur conjoint, sinon ce mariage n’est pas fondé sur quelque chose d’honnête. La préparation au mariage donne à chacun la possibilité de se retirer si le mariage n’est pas convenable. C’est aux futurs mariés de parler entre eux, de façon certaine, ce n’est pas à nous de le faire.
Public : L’homosexualité suscite une certaine répulsion dans nos milieux. Est-ce que nous devons « évangéliser » cette répulsion-là dans nos Églises ? A-t-on une boite à outils à proposer à des homosexuels convertis ?
FV – À la première question je réponds que quand on est conscient de la réalité de son péché dans son propre coeur, on a vraiment de la peine à l’échelonner chez les autres. Quand certains de mes amis me parlent de leur passé affreux, je me dis que si j’avais été dans leurs souliers, j’aurais été dix fois pire et meurtrier en même temps. Je ne me permets plus de juger en manifestant du dégoût, car cela ne vient pas de Dieu et j’essaie de communiquer que, même s’il y a des péchés aux conséquences beaucoup plus graves que d’autres, on est tous au bénéfice d’une même grâce et qu’on doit accueillir sans jeter la pierre ceux et celles qui cherchent le secours et la grâce de Dieu. Et plus on est généreux dans sa prédication (c’est un des lieux d’influence que l’on a) et plus on éduque son Église à accueillir généreusement celui (ou celle) qui arrive brisé(e) par le péché.
Il faut se repentir de ce dégoût parce que, même nos meilleures oeuvres nous dit Ésaïe, sont comme des hardes souillées et je n’ai rien qui me permette d’être accueilli par Dieu, si ce n’est le sang de Christ.
PA – Sans parler de dégoût, il ne faudrait pas non plus sous-estimer que le fait d’avoir affaire à une personne homosexuelle induit quelque chose dans la relation. Parce que nous sommes justement tous des êtres sexués, on n’aborde pas une femme comme un homme. Il y a là quelque chose qui est de l’ordre du trouble dans l’ordre social qui agit dans les relations interpersonnelles. Et c’est vrai que face à des personnes homosexuelles, on peut être un peu troublé mais il ne faut pas associer forcément cela à un dégoût. Ce trouble n’est pas en soi condamnable mais il fait partie justement du problème et de sa complexité.
Pour les outils de reconstruction, l’accompagnement par un psychothérapeute dans certains cas peut aider. Mais j’ai pu entendre de mon épouse qui est psychothérapeute, de ses formateurs et de ses collègues, que les femmes qui font cette démarche-là sortent beaucoup plus fréquemment d’une relation homosexuelle que les hommes pour qui c’est beaucoup plus difficile. Je ne saurai pas en parler en profondeur car ce n’est pas mon domaine, mais j’ai souvent entendu cela.
FV – Parmi les outils, il ne faut pas minimiser le renouvellement de l’intelligence par l’Esprit Saint, alors que l’on mémorise l’Écriture et que l’on découvre ce qu’est la grâce. Cela ne va pas tout changer aussi radicalement qu’on le souhaiterait. D’ailleurs ça ne change pas dans nos propres vies autant qu’on le souhaiterait, c’est mon expérience, mais il y a une oeuvre puissante de l’Esprit qui accompagne l’étude de l’Écriture sur les problématiques du péché, de la grâce et de la sanctification.
JN – J’aimerais remercier chacun des intervenants et vous demander un mot de conclusion.
PA – En relation avec ce thème que j’avais suggéré au conseil national, nous devrions toujours avoir dans nos pensées que l’appel premier du Seigneur vis à vis des homosexuels ce n’est pas qu’ils deviennent des hétérosexuels, c’est d’abord qu’ils deviennent des fils et des filles de Dieu qui vivent pour le Royaume. Nous avons peut-être besoin de changer là notre regard.
PM – Et pour aller dans ce sens-là, cela implique une très grande solidarité dans l’Église, dans le corps du Christ avec toutes les personnes de tous les arrière plans sexuels possibles sur la base de la repentance et de la foi. Car tous, nous sommes sauvés par la grâce.
AN – Il faut aussi dire dans nos prédications d’être d’avantage trinitaire, de parler du Dieu Père, parce que dans nos milieux, on parle beaucoup de Jésus Christ, dans d’autres milieux beaucoup du Saint Esprit, et parfois le Père est un peu oublié. Donc retrouver le sens de la paternité de Dieu et ses implications pour nous. La modernité est contre le Père, et donc pour les pères qui sont là, il faut prier et apprendre à être de meilleurs pères, de véritables pères et aussi méditer plus en profondeur encore notre foi en Dieu le Père.
FV – Si vous lisez l’anglais, je vous encourage à lire une lettre qui se trouve sur le site de la Gospel coalition qui a été proposée par Justin Taylor Elle se conclut avec ce paragraphe. Une femme lesbienne convertie dans une Église, en lutte, conclut sa lettre magnifique, d’un équilibre extraordinaire dans la grâce et la sainteté, en disant : « Nous ne vous demandons pas d’accepter nos péchés, de la même manière que nous n’acceptons pas les vôtres, nous demandons simplement le même soutien, amour, conseil, et plus que tout la même espérance qui est donnée au reste de votre assemblée. Nous sommes vos frères et vos soeurs en Christ. Nous ne sommes pas encore ce que nous serons, mais merci Seigneur, nous ne sommes plus ce que nous étions. Agissons ensemble pour permettre que nous arrivons tous à bon port sains et saufs. Une soeur en Christ ».
NOTE
1 Merci à Monique Chauny pour son travail de résumé et de synthèse.