Lors de la pastorale Île-de-France du Réseau FEF, le 18 juin 2012 à l’Église Évangélique de Nogent-sur-Marne, Thierry Husser, pasteur de l’Église de Tabernacle à Paris, a  donné un enseignement sur la vie spirituelle du responsable. Voici la première partie de son exposé. La suite sera publiée dans les deux prochaines livraisons de la revue.


Le sujet est de ceux dont on a du mal à parler. Les raisons en sont multiples. D’abord, d’une manière générale, nous les «hommes publics» avons du mal à parler de «nous-mêmes», et de ce que nous vivons, personnellement.

Plus particulièrement, nous sommes sur un terrain où se livrer, c’est s’exposer. Selon les moments, nous nous sentons plus ou moins à l’aise avec notre vie spirituelle. Dans les meilleurs moments, nous oserons en parler, ou si nous venons de faire une belle expérience. Mais si nous n’arrivons pas à ces hauteurs, ou si nous sommes inquiets,  nous nous tairons. Il faut beaucoup de simplicité pour pouvoir dire : «Parfois j’y arrive, parfois j’en suis bien loin». Et pourtant, je pense que c’est ce que nous vivons.

Et puis, il y a  tout ce que les gens projettent sur nous. Nous parlons de la vie avec Dieu avec ferveur, et nous en «connaissons un rayon» : légitimement, les gens projettent sur nous toutes sortes d’images. Nous le sentons, parfois, à leurs regards admiratifs et envieux : «Il parle si bien de la vie avec Dieu, sa relation avec le Seigneur doit être intense !». Nous avons pris l’habitude de vivre avec cette image qu’on projette sur nous : elle nous flatte, elle nous reprend aussi, parfois ; mais au fond nous la cajolons : nous préférons vivre avec elle que vivre sans elle. Du coup, difficile de parler «vrai».

Ou plutôt, nous parlons «vrai» quand nous pouvons laisser entendre que nous correspondons à l’image ; nous laissons le «flou» là où nous ne correspondons pas vraiment… Ce qui est interprété comme une humilité, une «profondeur», certainement, de notre piété.

Même entre nous, ce n’est pas toujours facile… «Combien de temps as-tu passé avec le Seigneur ce matin ?». Les «bons élèves» lèveront la main, plus facilement que ceux qui sont partis de chez eux en catastrophe, pour toutes sortes de raisons. Difficile de dire que, parfois, notre vie spirituelle est esquichée entre toutes les échéances de notre planning, et se réduit à une prière dans un couloir d’hôpital, ou lors d’un trajet de voiture… Même entre nous, cela n’est pas toujours facile.

Pourtant, nous aimons tous le Seigneur. J’aime que ce soit cela que Jésus a demandé à Pierre, avant de lui dire «Prends soin de mes agneaux» (Jn 21). Et nous sommes tous en apprentissage, en formation, comme des vases que le Seigneur façonne. Ce sont, pour moi, deux repères qui m’aident et m’encouragent.

REPÈRES BIBLIQUES

Les premières images qui viennent à l’esprit en abordant le sujet sont un certain nombre de grandes figures, qui mettent la barre relativement haut.

– C’est Moïse, l’homme de Dieu, auquel le Seigneur s’adressait «face à face, comme un homme parle à son ami» (Ex 33 : 11), et dont le visage rayonnait suite à sa rencontre avec le Seigneur (Ex 34 : 35).

– C’est David, et ses prières d’intimité, Ps 16 : «J’ai constamment le Seigneur sous mes yeux… Tu me feras connaître le chemin de la vie, il y a d’abondantes joies devant ta face, des délices éternels à ta droite».

– Ce sont ces «hommes de Dieu» : des figures comme Elie, Elisée que l’on perçoit totalement du côté de Dieu, et remplis de sa puissance, canaux de son action.

– C’est Néhémie, l’homme d’action qui, avant d’être le «réparateur des brèches», a prié plusieurs jours sur les ruines de Jérusalem. Et qui, tout au long, ne cesse de s’adresser à son Dieu !

– C’est Daniel, le fidèle, qui trois fois par jour, priait tourné vers Jérusalem, à plus de 80 ans encore (Dan 6) ! Et qui, sondant les écrits des prophètes, trouve les ressources de l’intercession (Dan 9).

– Ce sont Pierre et les apôtres à Jérusalem, qui nomment des responsables afin qu’ils puissent vaquer à leur ministère propre : la prière et le ministère de la parole (Ac 6 : 4).

– Ce sont les responsables d’Antioche qui «jeûnent» dans l’exercice de leur ministère (Ac 13 : 1-3). C’est Épampras, qui «ne cesse de combattre dans la prière» pour les chrétiens de Colosses (Col 4 : 12).

– C’est Paul, qui prie «continuellement» pour ses frères, pour toutes les Églises, qui se «souvient» de chacun… (Phil 1 : 3 ; Col 1 : 3 ; 1 Th 1 : 2 ; 2 : 13 ; 2 Th 2 : 3).

– C’est Timothée, appelé à être un «modèle» pour les fidèles (1 Tm 4 : 12), à se «donner tout entier» à la lecture, à l’enseignement (4 : 13), à «veiller sur lui-même» (4 : 16).

– C’est, ultimement, notre Seigneur Jésus. Lui qui, dès le matin, après des journées harassantes, se levait, «alors qu’il faisait encore très sombre, pour aller dans un lieu désert où il priait». (Mc 1 : 35, cf Lc 5 : 16 -> à l’imparfait). Ou qui reste, seul, sur la montagne, après une journée entière occupée à enseigner la foule (multiplication des pains, Mt 14 : 23). Qui prend, aussi, le temps d’une nuit de prière avant les grandes décisions (Lc 6 : 12). «Être à l’écart» est une nécessité pour le Seigneur, et il le fait aussi avec ses disciples (Lc 9 : 18). C’est en le voyant prier que ses disciples lui ont demandé «Enseigne-nous à prier» (Lc 11 : 1). C’est lui, encore, qui anticipe les difficultés de ses disciples lors de sa Passion, et qui peut dire à Pierre : «J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point». (Lc 22 : 32). Et lorsque l’on pénètre l’intimité de sa prière, avec la prière de Jn 17, c’est pour découvrir une proximité, une unité intime avec le Père : «Toi en moi, moi en toi».

Les exemples sont multiples, et élevés. Tous n’ont pas la même portée. Mais ensemble, ils disent l’importance d’une vie spirituelle bien nourrie. Nous ne pouvons pas passer à côté de ce message.

Pour moi, l’ensemble de ces textes laisse un message, clair : «nous ne pouvons pas faire l’œuvre de Dieu sans Dieu».

Jésus le dit pour lui-même dans son humanité parfaite ! Un texte fondamental : Jean 5 : 17-20.

Jean 5 : 17-20. 17 Mais Jésus leur répondit : Mon Père agit jusqu’à présent; moi aussi, j’agis. 18 À cause de cela, les Juifs cherchaient encore plus à le faire mourir, non seulement parce qu‘il violait le sabbat, mais parce qu’il appelait Dieu son propre Père, se faisant lui-même égal à Dieu. 19 Jésus reprit donc la parole, et leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu’il voit faire au Père ; et tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement. 20 Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu’il fait; et il lui montrera des oeuvres plus grandes que celles-ci, afin que vous soyez dans l’étonnement.

Refus de toute autonomie. Même si action propre, cf v. 17. Mais cette action s’inscrit dans ce que Dieu fait, et ce partage se vit dans l’amour (5 : 20).

L’EXEMPLE DE JÉSUS

On peut vouloir développer sa vie spirituelle pour toutes sortes de raisons et dans toutes sortes de directions. Je voudrais essayer d’éclaircir certaines orientations à partir de l’exemple de Jésus.

La communion est communion d’amour avant d’être liée à une «fonction», ou à un résultat que l’on voudrait obtenir (efficacité, fruit dans son ministère…). Le «Fils» ne fait rien par lui-même parce qu’il est fils, qu’il aime le Père, et qu’il veut le glorifier : «Je t’ai glorifié sur la terre, j’ai achevé l’œuvre que tu m’as donnée à faire» (Jn 17 : 3).

Il est frappant, et touchant, de voir que la communion d’amour va aussi dans l’autre sens, du Père pour le Fils, alors qu’il s’engage pour lui (Mt 3 :17 ; Jn 5 : 20). Ce second aspect est très touchant, si nous l’appliquons à notre engagement, que le Seigneur reçoit.

Jean 5 : 20. Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu’il fait ; et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci, afin que vous soyez dans l’étonnement.

L’objectif est une vie irriguée plus qu’une vie disciplinée. Jésus a besoin de recevoir sa capacité du Père (Jn 5 : 19), et le Père veut la lui communiquer. Il invite pareillement à tirer toutes nos ressources de lui (Jn 15). On retrouve, d’une certaine façon, l’image du courant d’eau et de l’arbre irrigué (Jr 17).

La relation de Jésus avec son Père le fait «entrer dans l’oeuvre du Père». Jésus a une mission, mais il ne fait pas «son» œuvre propre. Il entre dans ce que le «Père fait». Avec une double dimension : soumission, écoute ; mais aussi conscience que le Père agit. Il n’est pas seul. Il s’appuie sur le Père (Jean 16 : 32 «…mais je ne suis pas seul, car le Père est avec moi»). La relation avec le Père a aussi quelque chose d’apaisant (cf Jn 4 : 34 ss ; Mc 4 : 27, «qu’il s’éveille ou qu’il dorme, la semence pousse»).

Jésus est un actif : comme le Père agit, «J’agis» (Jn 5 : 17). Il marche, parle, rencontre, débat, guérit, va vers… Ses journées sont pleines. Il lui arrive d’être épuisé (Mc 4 : 35 ss). Il doit arracher du temps au temps. Préserver sa vie avec son Père (et nous n’en savons pas tout, cf la méditation de l’Écriture). Ceci dit, il ne passe pas pour autant tous ses temps libres à prier (cf barque où il dort, volonté de repos avec ses disciples, repas à Béthanie). C’est au coeur d’une vraie vie d’action, d’initiatives, d’équilibre à trouver et à préserver que le fil rouge de sa relation avec le Père se déploie.

La vie spirituelle de Jésus est aussi impliquée dans le développement d’une vie de sainteté. «Qui me convaincra de péché ?» (Jn 8 : 46). La tentation a été fréquente, et forte (Lc 4 : 13). Et Jésus indique le chemin pour la surmonter : «Veillez et priez, afin que vous ne tombiez point dans la tentation» (Mc 14 : 38) Il faut rappeler ici que la vie de Jésus s’est déroulée sous la pression : il était constamment sous le feu de la critique ; exposé aux lenteurs et aux superficialités. Il ne «croyait pas» en bien des personnes (Jn 2), n’était pas dupe de leurs motivations superficielles (Jn 6)… et pourtant continuait à se donner ! Exigence aussi de la persévérance vers la croix, Lc 9 : 51. Cf aussi la véhémence de Mt 16 : 23. Avec, pour Jésus, une exigence unique : il doit ne pas pécher ! Jésus a dû «veiller sur lui-même» de manière unique ! C’est la prière qui l’a soutenu (cf Getsémané). Mais en même temps, il a été, par sa pureté, le canal de l’amour et de l’action du Père d’une manière si belle. Ces fruits de la sainteté, de la pureté de Jésus sont des objectifs, pour nous aussi, dans notre ministère. Notre vie spirituelle a pour orientation ce même développement d’une vie sainte.

La vie spirituelle de Jésus est ouverte sur ceux qui lui sont confiés : c’est ce qui ressort avec force de l’expression «ceux que tu m’as donnés». Il prie, il enseigne, il garde. (Jn 17 ; Lc 22 : 31). Ce qu’il vit avec son Père entre aussi dans ce souci de ceux qui lui sont confiés.

RÉFLEXION

Ce qui me frappe dans l’exemple de Jésus, c’est que lui, le «maître», le «leader» par excellence nous renvoie plutôt aux «fondamentaux» de la vie spirituelle. Il a pris notre condition d’homme, pleinement. Il s’est soumis aux exigences et aux disciplines d’une vie d’homme devant Dieu (prière, méditation, sainteté). Bien que Fils, le Seigneur Jésus a «appris l’obéissance» (Hb 5 : 8). Et il nous dit : «Le serviteur n’est pas plus grand que son maître». L’exemple de Jésus me dit qu’être «leader», «responsable spirituel», ne me dispense pas des fondamentaux.

C’est aussi ce qui nous situe pleinement «parmi nos frères et soeurs» : non pas «au-dessus» d’eux. Mais semblables à eux. Cf le développement de l’épître aux Hébreux sur Jésus : il a été «semblable en toutes choses à ses frères» (2 : 17). Nous avons à veiller sur notre vie spirituelle comme nos frères et sœurs chaque jour.

THIERRY HUSSER