La Genèse

     L’origine de l’Eglise Evangélique de la Guadeloupe a été longtemps attribuée au pasteur Hartt qui arriva en Guadeloupe en 1947. Ceux qui le présentent comme le premier pionnier ne disposent certes pas de toutes les informations, car en effet, lorsqu’on se réfère au témoignage du concerné, celui-ci infirme la théorie véhiculée en mentionnant la présence d’autres missionnaires sur l’ile dès 1915. La Guadeloupe découvre l’Evangile avec Louis Germain, d’origine française, s’étant converti au Canada, et Henri Rugar, natif de Porto-Rico.

     Louis Germain, engagé par la Société Biblique en qualité de colporteur, décida de se rendre en Martinique et en Guadeloupe où il exerça son ministère en visitant systématiquement chaque maison. Les prêtres le considéraient comme un démon revêtu de chair humaine, et ils mirent tout en oeuvre pour stopper son ministère. Dans ce service, il fut assisté par Henri Rugar. Ils firent un travail d’évangélisation par la distribution de Nouveaux Testaments.

     Suite à une grave maladie, ce dernier quitta l’ile pour se faire soigner. Louis Germain, accusé d’espionnage, fut contraint par les autorités de quitter la Guadeloupe. Il retourna donc au Canada où il poursuivit son ministère. Il mourut en 1958 à Hattawan (Canada). Quant à Henri Rugar, on perdit sa trace après qu’il ait quitté la Guadeloupe.

     Leurs enseignements avaient pour objet l’autorité de la Bible, ainsi que les grands sujets relatifs au devenir de l’homme. La distribution de la Bible a suscité un nouvel intérêt chez les catholiques pour lesquels la possession du livre sacré était prohibée.

     Après leur départ, les deux pionniers évangéliques laissèrent derrière eux quelques convertis dans l’île, mais sans organisation de culte.

     En 1926, Joseph Duton, d’origine anglaise, ayant travaillé comme évangéliste ou pasteur en France, prit sa retraite et vint s’installer en Guadeloupe pour y prêcher l’Evangile. Chassé de Pointe-à-Pitre par des jets de pierre, il trouva refuge dans l’ile de Marie-Galante où il tint régulièrement un stand de littérature biblique sur le marché de Grand-Bourg. Il mourut peu de temps après son arrivée, en 1928, à Marie-Galante où il fut enterré. Il ne laissa aucun croyant connu sur l’ile.

     Dix-neuf années s’écoulèrent alors avant l’arrivée de David Hartt, le 6 mars 1947. Au cours de sa formation à l’école biblique, il priait avec deux de ses amis en faveur de la pénétration de l’Evangile dans les antilles françaises. Au terme de ses études, il fut engagé par la West-Indies Mission des Etats-Unis comme missionnaire en Haïti, en septembre 1941. Plus tard, il fut chargé d’une enquête sur l’île de la Guadeloupe, afin d’en déterminer les besoins.

     Dans son rapport, aucun témoignage relatif à une prédication préalable de l’Evangile n’a été recensé dans la population. Soulignons que ce document n’était guère significatif du fait que ses prédécesseurs ont effectivement laissé quelques convertis dont il n’a pas pu trouver trace.

    En s’installant en Guadeloupe en 1947, il commença un ministère d’évangélisation en proposant la Bible à des personnes intéressées. C’est alors qu’il rencontra un jeune chrétien originaire de l’île Saint-Martin : Léonel Arnell. Le 7 juillet 1951 fut créée l’Association Evangélique de la Guadeloupe (A.E.G.) avec les tout-premiers convertis de son entourage.

LE TRAVAIL MISSIONNAIRE

     En 1915, année où l’on constate dans l’ile la présence de Louis Germain et d’Henri Rugar, la Guadeloupe vivait une situation particulière sur le plan économique. Le travail missionnaire qui débutera en 1947, devra faire face à une conjoncture économique tout autre.

     Déjà, l’année 1946 constituait une étape importante dans l’histoire politique de la Guadeloupe avec la loi sur la départementalisation. Le climat social sera alors favorable au travail missionnaire. Relevons qu’entre 1947 et 1950, période du début effectif de l’oeuvre missionnaire, David Hartt ne fit pas montre d’une stratégie spécifique. Cette réalité se vérifie par le fait que les chrétiens provenaient de diverses communes de l’île : de Pointe-à-Pitre, le pionnier sillonnait la Guadeloupe tout en maintenant un culte dans la capitale.

     Il faut attendre 1950 pour voir se mettre en place une véritable stratégie missionnaire, avec l’arrivée de la famille Berquist, le 20 décembre 1949. Cette famille jouera un rôle essentiel au cours de cette période, en raison de l’absence des Hartt, rentrés aux Etats-Unis pour raison de santé.

     Durant ce temps, les missionnaires arrivent en grand nombre, citons quelques-uns : Ben Heppner, Nettie Tiessen, Addison, Wall, M. Harvey, Mohr et le français Albert Waechter. Malheureusement, certains ne restèrent que peu de temps.

     La mission prit de l’ampleur eu égard à une répartition efficace des missionnaires dans différents secteurs de l’île. Leur méthode de travail était simple : distribution de tracts dans les diverses communes, vente de Bibles et prédication sur les places publiques. Le travail accompli ne fut rien moins qu’extraordinaire et nous ne pouvons que nous incliner devant les efforts, l’engagement et la détermination de ces hommes de Dieu qui surent défier les épreuves sans nombre auxquelles ils étaient confrontés.

QUELQUES OBSTACLES SUR LE CHAMP MISSIONNAIRE

     Les ambassadeurs de l’Evangile durent faire face à de nombreux problèmes, notamment d’un point de vue linguistique et religieux. Dans les églises naissantes surgirent quelques cas inattendus.

     Les missionnaires qui venaient en Guadeloupe ne maîtrisaient nullement la langue française, la plupart d’entre eux n’ayant reçu à cet effet, aucune formation linguistique préalable.

     Pour apprendre le français, le pasteur Hartt se rendait chaque jour au tribunal de Pointe-à-Pitre pour écouter les avocats dont il était sûr qu’ils parlaient un bon français. Après l’audience, il lui arrivait de leur demander de répéter tel mot dans le but d’observer leur façon de placer les lèvres et la langue en prononçant. De retour chez lui, il s’exerçait alors devant un miroir. Il fit si bien que, très vite il s’exprimait de façon admirable. Quant aux autres missionnaires, ils prirent des cours de français à raison de deux heures par semaine.

     En dépit d’un français laborieux, la communication était difficile et le message de l’Evangile n’était pas toujours bien compris. De tous les missionnaires, un seul était linguistiquement préparé, à savoir Don Janis qui avait suivi une formation à l’Institut Biblique Béthel (Canada)

     Aujourd’hui encore, ceux qui sont dans l’île ne maitrisent toujours pas la langue française et, de façon surprenante, même leurs enfants n’ont pas échappé à cette règle.

     Le catholicisme a constitué, au premier chef, une force virulente contre toute nouvelle forme de propagande religieuse déployée sur l’ile. Quoique les Témoins de Jéhovah et les Adventistes du 7e jour eussent été présents sur le sol guadeloupéen depuis plusieurs années, et très actifs, l’Eglise catholique vit d’un mauvais oeil l’arrivée d’une « secte » comme était désignée la communauté évangélique. Elle mit tout en oeuvre dans le seul but d’y empêcher l’implantation de l’Evangile. Elle n’était certes pas la seule puissance à s’opposer au progrès de l’oeuvre missionnaire en Guadeloupe. Les Témoins de Jéhovah et les Adventistes entreprirent de ruiner le travail évangélique par des procédés peu honnêtes.

     Outre ces « puissances » auxquelles eurent à faire face les missionnaires, vint se mêler à la bataille un mouvement pentecôtiste.
En effet, un évangéliste pentecôtiste, tout en proclamant un évangile proche de celui des missionnaires, soutint le schisme de plusieurs assemblées évangéliques du sud de la Basse-Terre. Sa prédication reposait essentiellement sur la guérison divine, au détriment de la doctrine de la repentance et de la foi en Jésus le Sauveur et Seigneur. Par ailleurs, en plus de la « guerre des religions », certaines pratiques amorales contribuèrent à affaiblir le témoignage de l’Evangile. Ajoutés à cela, quelques incidents malheureux vinrent perturber le déroulement du fonctionnement de l’église.

L’EGLISE D’HIER

     Les premiers chrétiens, de par leur qualité de vie, travaillèrent de façon remarquable à l’expansion de la jeune mission. Parmi les facteurs de son développement, trois éléments clés sont à noter : la transformation de la vie de ces nouveaux chrétiens, le zèle manifesté pour l’annonce de la parole et l’opposition de la part des détracteurs de l’Evangile.

     Les premiers chrétiens ont, en effet, constitué par leur vie, un témoignage vivant Ce qui ne manqua pas de susciter des interrogations chez les non-croyants

     Au-delà de leur témoignage auprès des non-croyants, l’esprit de solidarité qui régnait parmi les frères et la qualité de la relation qui unissait les uns aux autres ont, pour une large part, contribué au progrès de l’Evangile en Guadeloupe. Cette qualité de vie qui laissait transparaitre un esprit de réciprocité influença grandement la société guadeloupéenne qui n’avait connu jusque-là que l’expérience du catholicisme et le rayonnement des sectes. En dépit des épreuves, ces premiers chrétiens ne cessèrent de rendre témoignage à la vérité, conformément à la devise qui était la leur: « Si l’on veut avoir une vie chrétienne saine et vivante, il faut s’occuper ».

     De 1950 à 1961, chaque personne convertie au Seigneur a reçu la visite systématique de partisans adventistes, cherchant à la déstabiliser pour la gagner à la doctrine de l’observation du sabbat. Paradoxalement, ces difficultés, loin de ruiner totalement l’oeuvre, contribuèrent dans la plupart des cas à renforcer l’ardeur des fidèles et leur assurance.

     L’ouverture, en octobre 1954, de l’Ecole Biblique de Bananier représente un pas important dans la chronique de l’expansion et la dynamique de l’Eglise. Cette période est significative puisqu’elle coïncide avec l’arrivée massive de nouveaux missionnaires qui assureront le fonctionnement des églises locales, tandis que les familles Hartt et Berquist se consacreront à l’enseignement des cinq étudiants guadeloupéens, rejoints en 1955 par deux martiniquais.

André Gilles
(Extrait d’un mémoire de fin d’étude à l’Institut Biblique de Nogent)