Pierre Wheeler : Anne Ferret, bonjour, Il paraît que tu es prof. de musique ?
Anne Ferret : Oui, je le suis. Après des études au Conservatoire de Paris et en Université, j’ai professé en Ile-de-France.
P.W. : Tout le monde le sait, Anne, que l’un des grands genres littéraires de la Bible est la poésie. Mais la musique, est-ce un vrai sujet biblique ?
A.F. : De nombreux textes bibliques, tels que Nombres 10, Exode 15, Josué 6, Juges 7, 1 Samuel 16, Néhémie 12, Daniel 3, Psaumes 32, 80, 150, témoignent d’une présence musicale importante dans la vie des hommes de Dieu.
A travers l’histoire, nous remarquons également que musique et foi sont bien souvent liées.
P.W. : ‘A travers l’histoire » oui, effectivement, les archéologues ont découvert bien des inscriptions qui font référence à la musique, telles que le harpiste égyptien aveugle.
![]() Bas-relief d’une chapelle funéraire; un exemple très pur de l’art. |
A.F. : Pendant la Haute Antiquité, des bas-reliefs, des fresques, des vases, des vestiges d’instruments, des récits d’époque nous laissent entrevoir combien les peuples assyriens, égyptiens, hébreux, portaient un vif intérêt à la musique sacrée. De grandes manifestations dans leur vie collective : cérémonies religieuses, défilés, banquets, dévoilent un goût pour l’adoration en musique. Malheureusement à cette époque, la musique a été le plus souvent assimilée à un pouvoir magique. Associée à de nombreuses légendes, elle était porteuse d’un certain fétichisme et qui avait à la fois pour but de détruire les forces obscures, esprits, démons et d’adorer un ou plusieurs dieux. Ainsi les exploits des divinités et des héros étaient chantés par des poètes musiciens: les aèdes.
La musique des Grecs et des Latins englobait outre le chant et le jeu des instruments, la danse, la poésie et le théâtre. Elle accompagnait les fêtes religieuses par des chants ou nomes : prosodies, dythyrambie, hymnes, peans, thrènes.
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P.W. : Qu’en est-il pour la musique chrétienne ?
A.F. : A partir du VIIIe siècle ap. J.-C., en hommage au pape Grégoire 1er dont le pontificat s’étend de 591 à 604, le chant d’église du Haut Moyen Age prend le nom du chant « grégorien ». Sa source est bien sûr le récit chanté des Psaumes de la Bible pratiqué par la religion hébraïque dont s’inspiraient les premières communautés chrétiennes. Créé après la mort du pape Grégoire, le chant grégorien est une action de grâce, une expression de remerciement et de jubilation intérieure adressée par le croyant à son Dieu.
P.W. : Au Moyen Age, quand l’Europe est devenue (prétendument) chrétienne, pouvait-on distinguer la musique religieuse de la profane ?
A.F. : Pendant les trois siècles qui suivirent Grégoire 1er, les compositeurs de chansons savantes : troubadours, trouvères, ménestrels, prenaient leur inspiration dans des sujets fort variés. Les chansons religieuses se mêlaient aisément aux chansons à boire, d’aube, de toiles, politiques, courtoises, épiques, pastourelles, lais, serventės… Parallèlement à cet art poético-musical, une musique se développe dans les grandes abbayes (Saint Benoit-sur-Loire, Saint Martial de Limoges).
Dès le XIIIe siècle, les écoles ou maitrises sont fondées dans de grandes cathédrales. Celle de Notre-Dame accueillera Léonin et Perrotin qui composeront aussi bien des pièces profanes que religieuses. D’ailleurs, la fin du XIIIe siècle marque un certain relâchement du sentiment religieux.
Au début du XIVe siècle, la musique ne sera plus enfermée dans des lieux privilégiés mais elle sera donnée hors de l’Eglise. Ce siècle en pleine recherche musicale voit apparaître de grands musiciens tel Guillaume de Machaut qui sera l’auteur de la première Messe entièrement chantée à quatre voix.
Durant le siècle suivant, l’inspiration religieuse est dominante. Elle s’exprime à travers deux formes de polyphonie en langue latine : le motet, oeuvre d’un seul tenant, et la messe formée de cinq parties distinctes : Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei.
P.W. : Au XVe siècle, nous sommes dans la Renaissance, au moins pour l’Italie. Qu’en est-il pour la musique alors ? Celle-ci en était certainement affectée.
A.F. : Profondément imprégné par le christianisme, le Moyen Age était presque exclusivement préoccupé du salut de l’âme. La Renaissance voit l’apparition d’un nouvel idéal. Celui-ci est fondé sur l’épanouissement de l’intelligence et de la sensibilité de l’être humain. La musique profane s’équilibre dès lors avec la musique religieuse. Mais ni l’école franco-allemande, ni l’école de Rome ne se détourne de la musique sacrée.
P.W. : Pourrait-on dire que la musique de la Renaissance a préparé les hymnes de la Réforme ? La musique qui accompagnait les psaumes chantés tranchait avec le chant grégorien si morne.
A.F. : Au XVIe siècle, les progrès de la Réforme alarment l’Eglise catholique romaine, qui réagit par le Concile de Trente (1545-1563) où s’élabore la Contre-Réforme catholique. Ce fait fera subir à la musique une évolution pour amener le peuple à une plus grande adoration en éclaircissant, en épurant les textes musicaux. Palestrina, musicien officiel des papes, apparait comme le réalisateur de ce retour à la simplicité.
Par la suite, la nécessité pour Luther et Calvin de constituer un répertoire musical liturgique sans latin pour la nouvelle religion amènera Claude Lejeune, François Goudimel (après sa conversion) en France, Walter et Hassler en Allemagne à composer les psaumes pour les protestants et des chorals. Cette musique était plus proche du peuple que la polyphonie religieuse de l’époque. Clément Marot et Théodore de Bèze ont mis les 150 psaumes de la Bible en poésie et en musique.
P.W. : A quel moment la musique sentimentale fait-elle son apparition ?
A.F. : Il faut maintenant admettre une distinction nécessaire entre la musique liturgique, destinée au service religieux dans l’église, et la musique spirituelle, dont le but et la mission sont d’exprimer, dans une forme originale et libre, les idées ou les sentiments philosophiques ou mystiques. Ainsi tous les compositeurs à partir du XVIIe siècle s’attacheront à émouvoir leurs auditeurs par la ferveur qu’exprime leur musique.
Soulignons simplement pour mémoire quelques noms qu’on pourrait étudier plus à fond dans l’écoute de leurs oeuvres, tels :
– Schütz, un siècle avant Bach, outre dans ses « Passions » réalise dans ses oratorios (« Histoires sacrées ») l’illustration musicale de l’Evangile (« les sept paroles du Christ en croix »).
– Fr. Couperin le Grand a composé, entre autres, quelques oeuvres pour l’orgue d’église.
– Purcell a créé en abondance des oeuvres de circonstances destinées pour la plupart à réhausser l’éclat des cérémonies religieuses.
– Haendel dans ses oratorios, dont le modèle du genre est le « Messie », manie avec une inspiration généreuse et un souffle puissant de grandes masses chorales.
– J.S. Bach, dans ses oeuvres d’orgue crée une atmosphère de recueillement ou nous familiarise musicalement aux perspectives architecturales grandioses des cathédrales pour lesquelles elles semblent avoir été écrites. Sa musique concertante apparait comme un monument de gloire de la religion chrétienne. Elle recouvre toutes les formes de la musique sacrée en vigueur au XVIIIe siècle : oratorios, cantates, passions, messes, motets, airs choeurs, double choeurs, chorals sur des textes allemands ou latins.
– Haydn compose à la fin de sa vie deux oratorios : « La création » et « Les saisons ».
– Enfin, l’Ave Verum de Mozart, ou la « Missa solemnis » de Beethoven.
P.W. : Les musiciens romantiques étaient-ils autant influencés par les Ecritures ?
A.F. : A l’époque romantique, tous les compositeurs considèrent la musique comme un moyen de traduire les sentiments, ses états d’âmes, ses propres aspirations, ses passions, et chacun s’attachera plus ou moins à exprimer un message spirituel à travers différentes formes religieuses.
– Mendelssohn compose deux oratorios à la demande de commanditaires anglais : « Saint Paul » et « Elie ».
Dans certaines oeuvres pianistiques, Liszt laisse présager l’évolution mystique du compositeur (« Harmonie poétiques et religieuses », « Année de pélerinages »). Ses aspirations religieuses s’accentuent et de ce fait sa production s’accroît en messes et oratorios.
– Parmi les oeuvres de Berlioz, nous trouvons un Te Deum, un Requiem, un oratorio « L’enfance du Christ ».
– Verdi, Brahms composent eux aussi un requiem.
P.W. : Pour conclure, pourrais-tu dire quelques mots des temps plus récents et l’influence de la foi chrétienne sur les compositeurs modernes ?
A.F. : Après le courant romantique du XIXe siècle, les compositeurs des écoles nationales (russe, tchèque, scandinave, espagnole). comme ceux de l’école française, toucheront aux formes religieuses plus par démonstration de leurs différents moyens d’écriture que pour le témoignage d’une foi vécue. Il faudra attendre en France un homme comme Messiaen qui, à travers sa musique, partagera sa vie de croyant.
A travers ce petit panorama de musique religieuse, on peut remarquer combien la foi peut être la source d’inspiration. De nos jours, il ne faut pas s’appeler Bach ou Liszt pour déclamer musicalement son amour pour Christ. Bien des hommes ou des femmes, individuellement ou en groupe, quittent l’anonymat pour entrer chez vous par le moyen de disques ou de cassettes. Mais sachons tout de suite nous laisser baigner par une musique de qualité sans attendre la censure de l’histoire.
P.W. : Anne Ferret, merci de ce résumé historique de la musique chrétienne. Serais-tu disposée par la suite de te laisser de nouveau interviewer sur la musique et l’hymnologie évangéliques ?
A.F. : C’est tout-à-fait possible. Et cela sera avec plaisir.
P.W. : Anne, Info-FEF te remercie au nom de ses lecteurs et lectrices
Anne FERRET et Pierre WHEELER