Plusieurs Églises du Réseau FEF ont été influencées ces derniers mois par les ouvrages et les prédications de Bill Jonhson, pasteur charismatique de Bethel Church à Redding en Californie aux États–Unis. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la guérison, la prophétie, la délivrance ou la puissance du Saint-Esprit. Quand le ciel envahit la terre, ou Accueillir sa présence sont deux ouvrages diffusés avec succès en France.
Philippe Rohrbach est professeur de philosophie et membre de l’Église Protestante Évangélique de Brumath (67). Il nous propose ici une recension critique de l’ouvrage Accueillir sa présence. Dévoiler les priorités du ciel, Hermeneia Éditions, Ed. 2013.

Libres réflexions à propos d’un ouvrage controversé

       Précisions liminaires : mon propos n’a pour objet que le livre « Accueillir sa présence ». Je ne sais pas ce que Bill Johnson a écrit par ailleurs, je ne connais pas le reste de son oeuvre ni le contenu de ses prédications. Ma seule référence est ce livre-ci.
Je ne dispose pas d’informations précises sur le « mouvement Béthel » et l’église californienne de Bill Johnson, et je n’ai pas l’habitude de fonder mon jugement sur des sites internet et des fichiers YouTube où se côtoient le pire et le meilleur, les « on-dit » douteux et les informations utiles. J’attends toujours une étude sérieuse et détaillée sur le sujet. Je n’ai pas encore réussi à la trouver.
La traduction de la Bible utilisée dans l’article est celle de la « Bible Segond 21 » 2007, Société biblique de Genève.

L’ouvrage et les fondements bibliques

       Le livre ne présente pas, à première vue, les graves hérésies que certains « lanceurs d’alerte » ont mentionnées.
Jésus est pleinement Dieu et pleinement homme, Jésus est le fils de Dieu (page 52) ; il est mort pour nos péchés (page 184, par ex), et ressuscité : « Il n’y a pas de résurrection sans la croix. » (page 238) ; « Il est le Modèle, le seul standard qui nous ait été donné comme exemple. » (page 191) ; le Saint Esprit est une personne (plusieurs fois, en particulier page 198 et page 219) ; l’homme est pécheur et a besoin de la grâce, par le moyen de la foi (page 53).
L’auteur, par ailleurs, prend ses distances avec une foi fondée sur l’émotion : « j’ai réalisé que je devais attacher plus d’importance à ce que le Saint-Esprit ressent à cause de mon comportement, qu’à l’expression de ses dons au travers de ma vie » (page 202). « Les émotions sont merveilleuses, mais elles ne sont pas des indicateurs fiables de l’action et de la Présence de Dieu. » (page 200).
Bref, je n’ai pas vu d’enseignement grossier ou caricatural sur le plan théologique. Donc, à première vue, les fondamentaux me semblent respectés1

Des idées intéressantes

       Il y a dans le livre des idées vraiment intéressantes et des commentaires bibliques stimulants. Par exemple tout le développement sur la colombe, de Noé au Nouveau Testament (cf. Chapitre 9, Libérer la colombe.).
Pour le lecteur sans prévention, l’auteur apparaît comme un homme qui aime le Seigneur, qui cherche la présence de Dieu, avant même les dons, et les oeuvres, les manifestations visibles, comme il le dit à plusieurs reprises.
C’est un livre qui amène à nous poser des questions sur l’intensité de notre foi, sur notre ministère spirituel et notre communion avec Dieu, il a donc une valeur d’exhortation certaine.
C’est un livre qui a des moments de vérité, même sur la question des miracles. Par exemple page 102 : « Les dons sont gratuits mais la maturité coûte cher. ». L’auteur insiste sur la nécessité de la sanctification, de lutter contre le péché dans notre vie. Il n’hésite pas à aborder le problème des maladies récurrentes (page 108). Il a un enseignement nuancé sur le don des langues à la page 158 (L’enseignement reste cependant pentecôtiste sur ce point, cf. page 259). II n’élude pas les oppositions au Royaume de Dieu à la page 164 : « Même des cieux ouverts ne garantissent pas une absence d’opposition ». Il affirme la souveraineté de Dieu, page 177 : « Sa Présence ne peut pas être manipulée par l’homme. » On peut lire également, à la même page, cette phrase pour le moins pertinente : « la sincérité ne sauvera personne ».
Nul doute donc que le chrétien de bonne foi trouvera dans ce livre des sources d’édification et d’encouragement pour nourrir son cheminement spirituel. Mais est-ce là le seul critère à retenir ?

Des enseignements et des interprétations discutables

       En effet, on peut relever dans cet ouvrage, plusieurs enseignements douteux et des interprétations discutables voire contestables. Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques positions problématiques qui apparaissent au fil de la lecture.

I/ La norme du surnaturel

       Elle est posée comme un principe de toute vie chrétienne authentique. L’auteur affirme à la page 255 : « Les miracles sont désormais une partie normale de nos vies et ce, dans des proportions que je n’aurais jamais cru possible ».

La foi chrétienne face à la « norme du surnaturel ». Quelques réflexions personnelles

       Cela nous semble un enseignement dangereux, parce qu’il va exclure d’emblée l’immense majorité des chrétiens qui ne fait pas de miracles, ou qui n’expérimente pas de miracles, ainsi que tous les chrétiens qui vont mourir de leur maladie, ou qui vont être malades longtemps, sans guérison, etc. Et ils sont très nombreux. Même dans ces églises qui pratiquent le miracle comme une norme !
Cela va exclure de nombreux serviteurs de Dieu qui vont être considérés comme des hommes de Dieu de deuxième catégorie, parce qu’ils n’ont pas fait de miracles, ou alors, sous la pression populaire, ils vont faire semblant d’en faire, et finiront par croire qu’ils en font. En fait, il y a là un danger de « populisme » évangélique, comparable au populisme qui se développe dans la politique.
Ou alors ils vont vivre le ministère pour lequel ils ont été appelés dans la culpabilité, dans la frustration, parce qu’ils verront ces stars de YouTube et de soirées de guérison attirer les foules.
Qu’ils soient consolés, beaucoup d’authentiques serviteurs de Dieu ont effectué leur ministère sans miracle, sans prodige, ils ont simplement servi leur Seigneur et ils ont été des exemples formidables pour la foi de beaucoup.
Il ne s’agit pas d’exclure les miracles de nos églises et de nos vies, mais en lisant les différents passages qui parlent du don des miracles, on se rend compte qu’il faut faire preuve de discernement et de mesure. Dans Romains 12 : 4-8, il n’en est pas question. Dans I Corinthiens 12 : 9-10, les dons de guérison, et « la possibilité de faire des miracles2» sont cités parmi beaucoup d’autres. Le miracle, dans l’évangile de Jean, est rendu par le mot grec « sèmeion3 », ce qui veut dire que le miracle « signifie », il n’est pas là pour lui-même, il est au service d’une parole, d’une vérité spirituelle.
Un exemple de miracle se trouve à la page 243 de l’ouvrage de Bill Johnson, où l’auteur rapporte qu’il lui arrive de conseiller à des personnes qui ont une blessure au pied, de courir4. Dans ce cas précis, cela me donne un sentiment de quelque chose de faux, d’exagéré. Je ne vois pas le Seigneur faire cela, ni un apôtre, c’est une sorte de provocation triomphaliste.
Les récits de miracle font envie, ils donnent l’impression que tout doit marcher comme ça, qu’il manque quelque chose à notre foi lorsque cela n’arrive pas, or il est évident à tout esprit sensé, que les miracles sont rares, qu’ils ne sont pas la norme. Et heureusement !

Miracle et bienfait

       À moins d’appeler miracle tout ce que nous vivons, toutes les bonnes choses qui nous arrivent.
Il est important de distinguer le miracle du bienfait, de la bénédiction, que Dieu accorde abondamment à ses enfants et même aux « injustes » (Matthieu 5 : 45). Beaucoup de guérisons, de protections, d’exaucements sont des « bénédictions », pas des miracles. Cela ne leur enlève aucune valeur ! Ce sont des preuves de l’amour constant de Dieu dans nos vies, au même titre que les fameux miracles. Un travail attentif sur la notion de miracle est indispensable. D’ailleurs, en cherchant à définir le miracle, on se rendra vite compte que ce n’est pas si simple. En un sens, « tout est miracle », du moindre battement de coeur à la trajectoire d’une planète. Le croyant voit la main de Dieu dans toute sa vie, à tout moment. Cela pourrait constituer un bon sujet de réflexion communautaire : qu’est-ce qu’un miracle ? Devons-nous prier pour des miracles ? Quels sont les miracles que j’ai pu observer dans ma vie de chrétien ? etc.
Il faut se rappeler, par ailleurs, que l’Église Catholique n’accorde le titre de miracle à un événement qu’au terme d’une longue procédure, avec des experts indépendants. Nous devrions procéder de même dans nos milieux, je suis sûr que le nombre de « miracles » diminuerait très vite5.
Enfin, le miracle n’est pas un signe certain de la qualité spirituelle d’un ministère, on se rappelle l’avertissement de Matthieu 7 : 22-236.
Le miracle est devenu aujourd’hui un argument important dans les milieux évangéliques parce que nous sommes dans une société du visible, de la vue, de l’événement, du sensationnel.
Et les églises sont tentées de fournir du sensationnel.
Or il nous est recommandé de marcher par la foi, et non par la vue, II Corinthiens 5 : 7 : car nous marchons par la foi et non par la vue.
Nous devons exercer notre espérance, Hébreux 11 : 1 : Or la foi, c’est la ferme assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celles qu’on ne voit pas. Dieu est honoré au plus haut point par notre confiance persévérante, sans les « preuves » visuelles de sa puissance. On se rappelle de Thomas, qui voulait absolument voir, et qui prétendait ne pas croire sans avoir vu7. Quelle foi est-ce là ?
Dans Romains 8 : 24-25, Paul déclare (il faut, comme vous le voyez, citer toute l’Écriture) : 24 En effet, c’est en espérance que nous avons été sauvés. Or l’espérance qu’on voit n’est plus de l’espérance : ce que l’on voit, peut-on l’espérer encore ? 25 Mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance.
Quel plus beau cadeau pouvons-nous faire à Dieu que celui de notre espérance ?
Ce type d’enseignement, qui fait du surnaturel la norme et le critère de la présence de Dieu dans une vie ou une église, laisse complètement de côté cet autre aspect de la vie chrétienne : s’accrocher coûte que coûte, persévérer, même quand rien ne se produit au dehors, dans les circonstances contraires, les maladies qui ne guérissent pas, les persécutions qui ne cessent pas, les déserts intérieurs, etc.
Nous préparons bien mal le peuple de Dieu aux épreuves et aux luttes de la foi si nous lui faisons miroiter des miracles en permanence et des expériences enthousiasmantes.
Dieu donne des manifestations visibles, il vient au secours de notre foi, il la soutient, il atteste sa Parole, mais il le fait avec sagesse, et, nous le croyons, rarement. Ce n’est pas la norme. Si c’était la norme, tout le monde guérirait, tout le monde aurait du travail, tout le monde verrait ses problèmes se résoudre comme par enchantement. Mais nous savons bien que cela ne marche pas de cette manière. Ce n’est pas la vie chrétienne dont parlent Jésus, Paul, Pierre, Jean, Jacques, l’épître aux Hébreux.
On raconte de merveilleuses histoires de pays lointains (cf. le livre), cela se passe toujours ailleurs. En ce qui me concerne, chrétien « lambda », je n’ai jamais vu de guérison nette et miraculeuse se produire devant moi : un aveugle de naissance qui tout à coup voit, etc. Et je pense que beaucoup de chrétiens non plus. Ils ne sont pas moins chrétiens pour cela ! Je ne dis pas que de tels événements n’existent pas, mais ils ne sont pas la norme.
Si de tels miracles se produisaient à une telle cadence, cela se saurait dans les journaux, il y aurait des enquêtes, des reportages. Mais cela reste en interne, parce que je pense qu’un groupe, chauffé à blanc, finit par croire qu’il vit des choses, alors que tout reste « normal » autour de lui.
Je voudrais voir le quotidien de ces églises, le nombre de malades qui ne guérissent pas, le nombre de miracles qui ne se produisent pas.
Bref, il est dangereux de faire du miracle une norme de la vie chrétienne.
C’est ouvrir la porte au mensonge, à l’hypocrisie, à la désillusion, et cela encourage les gens à rester infantiles, à flirter avec la pensée magique, à courir vers les thaumaturges, comme autrefois, du temps de Jésus.
Jésus lui-même a dû lutter contre cette avidité des foules et des puissants de voir des miracles.
Il a refusé de satisfaire Hérode. Il a refusé de faire des miracles, ou a ordonné de ne pas en parler, parce qu’il savait combien le miracle est à double tranchant. Il a soupiré devant la demande de signe des Pharisiens et le leur a refusé8.
Voyez Paul et Barnabas, à Lystres, en particulier. Paul, dans la ville de Lystres, guérit un homme « impotent des pieds… », « infirme de naissance » et qui « n’avait jamais marché9 » (donc un vrai miracle, pas un « bienfait »). Ce miracle va soulever les passions populaires, et Paul et Barnabas auront les plus grandes peines à empêcher que soit offert un sacrifice en leur honneur, parce qu’on les prenait pour des dieux.
Il faut lire toute l’Écriture, pas seulement les récits de miracle, qui sont le plus souvent liés à des circonstances exceptionnelles. Et les miracles, dans l’Écriture, ne sont pas systématiques. Si à Iconium (toujours Actes 14) des signes miraculeux et des prodiges ont pu être faits « par leur intermédiaire10 », comme dit le texte, (en parlant de Paul et de Barnabas), Paul dira aux Corinthiens qu’il est venu chez eux avec la seule prédication du Christ crucifié11, et à Athènes, il tiendra un discours d’évangélisation sans aucun miracle12. Paul enseigne un an et six mois à Corinthe13 sans qu’il soit fait mention de miracles et de prodiges. Il est clair que c’est par l’enseignement de la Parole de Dieu que Paul a touché ce peuple nombreux dont lui a parlé le Seigneur dans une vision nocturne.14 C’est l’enseignement qui a été le vecteur central de l’évangélisation, et d’ailleurs il l’a toujours été. Même à Iconium, les miracles et les prodiges ont comme fonction de rendre témoignage « à la parole de sa (du Seigneur) grâce15 ». D’ailleurs, là aussi, les résultats (que Bill Johnson aime tellement) ne sont pas « humainement » très glorieux : divisions, violence, et Paul doit fuir la ville et se réfugier ailleurs.
Bref, notre lecture de l’Écriture doit être équilibrée, elle doit marcher sur deux jambes, et ne pas privilégier un point de vue partiel.
Dieu continue d’agir, bien sûr, mais nous ne pouvons pas construire notre foi sur l’attente du surnaturel. C’est le meilleur moyen de ne jamais grandir spirituellement.

II/ L’expérience dissociée de l’enseignement de la parole ?

       L’auteur recommande, page 110 de l’ouvrage cité : « Quand Dieu propose du vin, bois, quand il propose du pain, mange ». Nous pensons que la Cène spirituelle16 ne se divise pas, bien au contraire. Si on boit du vin, sans l’enseignement qui va avec, on risque de s’aventurer dans des expériences qui vont devenir notre préoccupation centrale. Il est vrai que plus loin, l’auteur semble se reprendre : « La vérité dissociée de l’expérience crée par nature des divisions. La vérité expérimentée englobe tout. » (page 194). On remarque cependant que l’accent est mis du côté de l’expérience. Nous compléterions volontiers la formule de l’auteur par la suivante : « l’expérience dissociée de la vérité crée par nature des confusions ». Là encore, un enseignement équilibré est indispensable.

III/ Le ciel sur la terre

       L’auteur déclare, à la page 128 : « Mon job n’est pas d’aller au ciel, c’est d’amener le ciel sur la terre, au travers de mes prières et de mon obéissance. » Là aussi, une grande prudence est de mise, cela pourrait être compris comme une nouvelle version d’une doctrine très ancienne : celle du Royaume de Dieu sur la terre dès maintenant, par l’action des hommes17. Ce n’est pas l’enseignement des Écritures, qui nous annoncent des temps difficiles, où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine.18 La terre n’a pas à être transformée en ciel, mais nous devons être « pêcheur d’hommes ». Le pêcheur ne transforme pas l’environnement dans lequel il opère, il attire, il rassemble les poissons, jusqu’à ce que le Seigneur revienne. Bien sûr, nous devons aussi chercher le bien de la ville dans laquelle nous habitons, suivant l’exhortation de Jérémie19, et oeuvrer, autant que nous le pouvons, à la paix, à la justice, au bien-être de nos semblables, ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici.

IV/ La Parole de Dieu et la révélation à la seconde puissance

       Nous avons noté cette phrase, page 168 : « Jacques reçut une parole de Dieu pour apporter la confirmation scripturaire dont ils avaient besoin ». Il y a ici un enseignement potentiellement dévastateur. En effet, on peut en déduire que notre lecture et notre compréhension de la Bible dépendraient d’une parole extrabiblique, qui dirigerait notre rapport au texte, et qui pourrait nous conduire plus loin que le texte.
       Du coup, suivant cette interprétation, la pensée de Dieu ne se révèlerait pas par le texte biblique, c’est une inspiration supplémentaire, supérieure, « spéciale », que certains détiennent, on ne sait comment, qui révèlerait le vrai sens du texte et éventuellement le complèterait. C’est pourquoi on entend parfois cette affirmation : « la Bible ne contient pas toute la vérité, toute la pensée de Dieu », en justifiant par là les « révélations » parfois les plus extravagantes sur l’au-delà, sur le monde spirituel20. C’est un point sur lequel il ne faut pas transiger : la complétude de la révélation de Dieu dans l’Écriture (sola scriptura). Dieu a révélé par la loi et les prophètes, ainsi que par l’enseignement des apôtres, tout ce que nous avons besoin de savoir pour notre salut. Tout ce qui s’ajoute à ce contenu scripturaire n’a pas valeur de « révélation21 ».
L’auteur déclare, page 169, après avoir admis que l’appui biblique était vital : « Toutefois je doute qu’il y ait jamais eu un grand mouvement de Dieu où tout ce qui s’est produit a d’abord été précédé d’une révélation. Ils (i.e.  les participants du « Concile de Jérusalem » en Actes 15 ; nous précisons) ont compris ce qui se passait avant que cela ne leur soit confirmé. L’expérience amène la compréhension. »
La pensée de l’auteur est ici assez sinueuse (la traduction y est sans doute pour quelque chose). En effet, « révélation » fait sans doute référence à l’Écriture. D’autre part, la « compréhension » est celle qui procède de l’expérience elle-même, en effet, un peu plus haute, page 168, l’auteur pose cette question : « Pour quelle raison, à votre avis, les nouveaux mouvements de Dieu commencent presque toujours avec des gens qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’ils sont en train de faire ? » Donc, un « grand mouvement de Dieu » peut démarrer sans enseignement préalable de l’Écriture. Nous avouons ne pas très bien saisir le statut et la place de la compréhension et de l’enseignement de l’Écriture dans ce contexte, c’est assez confus.
Peut-être faut-il faire un rapprochement avec cette déclaration de la page 195 : « Toutes les choses que Jésus a enseignées me mettent au défi du plus profond de moi-même, mais je suis encore plus stupéfait par les choses qu’il n’a pas dites. » Ce qui voudrait dire que nous avons besoin d’une révélation extrabiblique sur le non-dit de Jésus.
On constate à nouveau cette accentuation du non-dit page 211 : « Nous faillirons toujours dans ce domaine du miraculeux, si nous ne répondons qu’aux choses parfaitement claires. Certaines des plus grandes percées que j’ai pu observer ont eu lieu suite à notre réponse à une vague impression ou idée de ce que Dieu pouvait être en train de faire. » Là encore, priorité est donnée au non-dit, à l’implicite en opposition nette avec I Corinthiens 14 : 8 : Et si la trompette rend un son confus, qui se préparera au combat ?
Dans le même sens, cette autre affirmation de la page 247 : « plus de bonnes choses se produisent par accident qu’il ne s’en est jamais produit intentionnellement ».
C’est un combat qu’il faut toujours reprendre : dénoncer ces « inspirations » qui prétendent se placer au-dessus du texte de l’Écriture et réaffirmer sans cesse les fondements exclusivement bibliques de la foi (Sola scriptura)22.

V/ Le pragmatisme

       Rappelons que le « pragmatisme » est une doctrine philosophique qui établit l’équation entre la vérité et la réussite : est vrai ce qui réussit, est vrai « ce qui marche », ce qui produit un résultat utile. Elle a été soutenue en particulier par le grand philosophe américain William James (1842-1910), et elle inspire bon nombre d’idéologies et de comportements contemporains.
L’ouvrage de Johnson est fortement imprégné par le pragmatisme. On le voit dans tout le livre : quelque chose n’a de valeur que si on voit des résultats visibles, que si cela marche, si cela fonctionne, si cela réussit. C’est la philosophie fondamentale des Américains, qui est très bien résumée pages 252-253 : « (Dieu) est le nec plus ultra du pragmatisme ». Le pragmatisme n’est pas à rejeter entièrement, il est important de travailler à une confirmation pratique de notre foi (Cf. Jacques 2, à partir du verset 14). Mais il faut se garder d’une idéologie de la réussite, du résultat : bien des victoires spirituelles décisives ne sont pas visibles selon les critères de ce monde. Paul lui-même met en garde contre des évaluations « pragmatiques » des églises ou de la vie chrétienne. Citons ce passage très connu : I Corinthiens 1 : 26- 29 26 Considérez, frères et soeurs, votre propre appel : il n’y a parmi vous ni beaucoup de sages selon les critères humains, ni beaucoup de puissants, ni beaucoup de nobles. 27 Mais Dieu a choisi les choses folles du monde pour couvrir de honte les sages, et Dieu a choisi les choses faibles du monde pour couvrir de honte les fortes. 28 Dieu a choisi les choses basses et méprisées du monde, celles qui ne sont rien, pour réduire à néant celles qui sont, 29 afin que personne ne puisse faire le fier devant Dieu.
Quel encouragement de savoir que l’échec, la maladie, la vieillesse, les circonstances contraires, la taille modeste d’une église dans un contexte difficile, le budget serré d’une communauté, sont des lieux de prédilection pour la grâce de Dieu et pour l’expérience de sa présence !
Le pragmatisme évangélique de Bill Johnson tend à donner de la vie chrétienne et de l’église une image triomphaliste, en accord avec les critères de réussite de ce monde (pouvoir, santé, richesse, succès médiatique, etc.) ce qui exclut du même coup, ou relègue dans la culpabilité, la mauvaise conscience, de nombreux frères et soeurs, qui, comme moi, vivent la vie des « vraies gens », avec les hauts et les bas de tous les jours, les doutes et les faiblesses, les joies et les peines, des épreuves tenaces, qu’ils traversent, plein d’espérance et de courage, avec le Seigneur qui les a choisis et qui les aime23.

Conclusion

       C’est un livre qui comporte des éléments intéressants. Sa théologie (du moins en ce qui concerne ce livre-ci), est chrétienne quant à ses fondements (place centrale de Christ, de sa croix, de sa résurrection, etc.).
On y trouve des exhortations et des idées stimulantes.
Il contient cependant des enseignements dangereux et séduisants qui risquent de faire plus de mal que de bien à un peuple de Dieu déjà suffisamment troublé par des populistes de toutes sortes. Il a tendance à privilégier l’expérience sur la vérité. Il laisse entendre qu’il est nécessaire de se donner une révélation spéciale et extrabiblique comme guide, comme « révélateur de la révélation ».
Il accentue à l’excès le « surnaturel », le « miraculeux », oubliant par là tout un pan de l’enseignement des Écritures, qui nous appelle à persévérer non par la vue, mais par la foi. Comme le dit Paul aux Corinthiens, I Corinthiens 1 : 22-24 : 22 Les Juifs demandent des signes miraculeux et les Grecs recherchent la sagesse. 23 Or, nous, nous prêchons un Messie crucifié, scandale pour les Juifs et folie pour les non-Juifs, 24 mais puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, qu’ils soient juifs ou non.

En pratique :
La discussion de ce livre serait une expérience intéressante pour une communauté, chacun pourrait exercer son discernement, et ainsi il serait possible de construire une position commune sur les « miracles », sur le « surnaturel », sur la place de l’église dans le monde, etc. La construction d’une position commune et équilibrée sur ces questions est urgente, car les enseignements dangereux ne manquent pas autour de nous. Avec la multiplication des sites plus ou moins chrétiens, des prédications plus ou moins inspirées sur YouTube, etc., nous sommes devant des défis nouveaux, et la recommandation à la vigilance et à la sobriété de l’apôtre est plus actuelle que jamais : Éphésiens 4 : 14 : Ainsi, nous ne serons plus de petits enfants, ballotés et emportés par tout vent de doctrine, par la ruse des hommes et leur habileté dans les manoeuvres d’égarement.

PHILIPPE ROHRBACH,
CHRÉTIEN, PHILOSOPHE


NOTES

 

1 Philippe Rohrbach mentionne bien que c’est uniquement à partir de cet ouvrage qu’il fonde son avis. En élargissant l’analyse à d’autres ouvrages, articles et conférences, plusieurs doctrines fondamentales prêtent à caution.

2 Traduction Second 21. On peut traduire littéralement : « des mises en oeuvre de miracles », comme le propose Maurice Carrez dans Nouveau Testament interlinéaire grec-français, 1993. Donc il ne s’agit apparemment pas d’un don à proprement parler (charisma).

3 Cf. Jean 2 : 11.

4 « Par exemple, j’ai dit à des personnes de courir avec une cheville ou une jambe gravement blessée. Aussitôt qu’ils le font, ils sont guéris. » Bill Johnson, Accueillir…, p. 243.

5 On trouvera dans le Nouveau dictionnaire Biblique, Éditions Emmaüs, 1961, à l’article « miracle », de précieuses indications.

6 Matthieu 7 : 22-23 : 22 Beaucoup me diront ce jour-là : «Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en ton nom ? N’avons-nous pas chassé des démons en ton nom ? N’avons-nous pas fait beaucoup de miracles en ton nom ?» 23 Alors je leur dirai ouvertement : «Je ne vous ai jamais connus. Éloignez-vous de moi, vous qui commettez le mal !»

7 Cf. Jean 20, à partir du verset 26.  

8 Marc 8 :12

9 Cf. Actes 14, à partir du verset 8.

10 Actes 14 :3.

11 I Corinthiens 1 : 22-24

12 Actes 17, à partir du verset 15.

13 Actes 18 :11.

14 Actes 18 :10.

15 Actes 14 :3.

16 Rappelons l’interprétation de Bill Johnson : le pain c’est l’enseignement, le vin c’est l’expérience. Nous lui en laissons la responsabilité.

17 On peut, par extension de sens, appeler « millénarisme » une telle doctrine, ou « dominationisme » comme le propose Jean-Marc Thobois dans un article à charge contre le mouvement Béthel : – « Le Royaume maintenant… », une dangereuse illusion ! – On peut lire cet article à l’adresse électronique suivante : https:// lesarment.com/2017/01/le-royaumemaintenant- une-dangereuse-illusion-par-jmthobois/ Nous pratiquons, pour notre part, une certaine sobriété avec les « ismes » qui ont tendance à se multiplier dans les débats actuels.

18 II Timothée 4 :3-5. Ce texte nous enseigne à « revenir sur terre »…

19 Jérémie 29 :7.

20 Par exemple, les prétendues révélations sur l’au-delà de Kat Kerr. Le simple bon sens devrait suffire à disqualifier de telles inepties.

21 On peut citer ici l’avertissement solennel en Apocalypse 22 : 18-19 : « 18 Je le déclare à toute personne qui écoute les paroles de prophétie de ce livre : si quelqu’un y ajoute quelque chose, Dieu lui ajoutera les fléaux décrits dans ce livre, 19 et si quelqu’un enlève quelque chose aux paroles du livre de cette prophétie, Dieu enlèvera sa part de l’arbre de la vie et de la ville sainte décrits dans ce livre. »

22 Il nous semble qu’un enseignement clair sur le fondement biblique de la foi est devenu d’une pressante actualité. Rappelons que « Sola scriptura » veut dire : par l’Écriture seule. Nous ne contestons pas, bien sûr, l’indispensable travail de l’Esprit Saint dans notre approche de la Bible, mais l’Esprit et l’Écriture avancent d’un même pas.

23 Avec le critère du pragmatisme, il n’est pas sûr que l’église de Smyrne et de Philadelphie aient pu être approuvées comme elles l’ont été par le Seigneur ! cf. Apocalypse 2 : 8-11 ; Apocalypse 3 : 7-13.