Laïcité, laïcité, quand tu nous tiens…

Être protestant évangélique, serait-ce devenu un délit, en pleine Ve République?

Il est vrai que les premiers chrétiens avaient déjà été accusés de toutes sortes de choses, y compris d’offrir leurs enfants en sacrifice… Il est également vrai que le grand souci du législateur en ce début de 3 millénaire a été de trouver une place aux différentes religions dans une république de plus en plus hétérogène. Par ailleurs, la nécessité de gérer la question de l’islam en France ne s’est pas faite sans « dommages collatéraux » pour ceux qui s’y trouvaient déjà intégrés…

En l’espace de quelques mois, nous observons une montée en puissance d’attitudes discriminantes à l’égard des évangéliques! Simples tracasseries administratives ou zèle déplacé de certains élus ou fonctionnaires locaux? Pêle-mêle : refus de location de salles municipales pour des Expo-Bibles ou activités culturelles en rapport avec la Bible; refus de permis de construire, au motif du nombre insuffisant de places de parking ou même en raison de la présence d’une croix sur un lieu de culte; agréments fiscaux non renouvelés; assureurs refusant de couvrir le risque religieux afférent aux lieux de cultes; difficultés à rembourser les bons de vacances aux familles envoyant leurs enfants dans des centres confessionnels pourtant agréés Jeunesse et Sports, les évangéliques n’étant pas les seuls à être frappés par cette mesure…

Nous constatons curieusement qu’une certaine frange de l’opinion publique, de la presse, des médias, de certains élus ou fonctionnaires laïcards attentent aux droits des évangéliques avec une sorte de revanche, tandis que dans le même temps, ils traitent avec  moult égards et prévenances les représentants de la religion musulmane… A se demander s’il ne vaut pas mieux – aujourd’hui et en France – être tout ce que l’on voudra, plutôt qu’évangélique et républicain?

La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, la Constitution française, comme la Loi du 9 décembre 1905 dite de « séparation des Eglises et de l’État » garantissent pourtant depuis fort longtemps la liberté de conscience, de culte et d’expression de la foi. Interdire – ou museler – l’expression publique de la foi aux religions établies est attentatoire aux acquis culturels et constitue une inquiétante régression historique.

Faut-il le redire? Nous, protestants évangéliques, ne sommes nullement à la solde du président américain, pas plus qu’assimilables à une secte. Nous appartenons à la lignée des premiers chrétiens et sommes bel et bien le fruit de la Réforme, issus du protestantisme du XVIè siècle.

Nos Églises membres ont pignon sur rue (elles sont déclarées en association 1901 ou 1905): elles tiennent une comptabilité transparente; elles promeuvent et respectent le droit des personnes elles ne s’immiscent nullement dans la vie privée des individus, elles pratiquent une éthique citoyenne qui recherche le bien de la communauté urbaine dans laquelle elles sont intégrées…

Nous plaidons pour une conception ouverte et tolérante de la laïcité, parfaitement compatible avec l’idéal républicain auquel nous croyons aussi. Une laïcité qui respecte d’une part le pluralisme religieux et d’autre part la liberté d’exprimer publiquement sa foi, sans verser dans le prosélytisme. Nous souhaitons vivement dépasser le débat primaire et anachronique qui assimile encore la laïcité à l’anticléricalisme et fait l’amalgame entre la foi politisée du président nord américain et la foi des protestants évangéliques vivant en France.

Dany HAMEAU,
président de la Fédération
Évangélique de France

Quelle laïcité pour l’avenir?

La Fédération Évangélique de France (FEF), à l’occasion du centenaire de la loi de 1905, réaffirme son attachement à l’esprit de cette loi qui définit la laïcité et qui postule (c’est l’évidence même) un strict respect et une solide garantie de la liberté religieuse1

Pour que cette dernière soit complète, il est nécessaire que les Eglises ou mouvements religieux soient maîtres de leurs activités et que leurs projets ne soient pas entravés par des décisions arbitraires.

La liberté de croire et de pratiquer sa religion est un droit plus qu’une tolérance. Or le terme de laïcité est encore aujourd’hui porteur des deux sens contradictoires suivants :

  • pour certains la laïcité est encore ou redevient – un combat comme celui mené par les rédacteurs de la loi de 1905. Une forme de « laïcisme2 »
  • pour d’autres, dont la FEF, il existe une compréhension tolérante, compréhensive et bienveillante, dans l’esprit des textes de 1905.

La FEF pense elle aussi que :

« La religion ne saurait jamais être cantonnée au seul domaine privé et proscrite du domaine public3»
« La laïcité n’est pas une nouvelle religion naissante qui prendrait sa place au côté des autres et serait peut-être plus intolérante qu’elles. La laïcité s’analyse bien plutôt comme le principe fondateur d’un espace de liberté …4
» 

C’est pourquoi la FEF plaide pour :

  • une laïcité qui assure le droit aux individus, aux communautés constituées en Eglises selon la loi de 1905, aux associations évangéliques; la liberté d’exercer leur culte et d’exprimer leurs convictions dans l’espace public au même titre que toute autre expression politique, syndicale ou militante de toute nature:
  • une rigoureuse impartialité des pouvoirs publics dans le cadre de cette laïcité;
  • l’abandon de toute attitude anti-religieuse de la part de certaines autorités municipales ou administratives.

La FEF est convaincue :

  • que la présence du courant protestant évangélique au sein de la société française est une richesse pour celle-ci. La France d’aujourd’hui est plurielle!
  • qu’il est de son devoir, par fidélité à l’Évangile, d’oeuvrer pour un monde plus juste, de protéger le respect de la personne humaine et d’affirmer des valeurs éthiques;
  • qu’elle est responsable de communiquer à ses concitoyens l’espérance qui est la sienne. Celle-ci est indispensable, beaucoup le reconnaissent. Elle est au coeur des besoins humains. Nos compatriotes ont le « droit de savoir » ce que leur propose le message de l’Evangile.

C’est pourquoi la FEF rappelle solennellement que selon la loi de 1905, et l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, l’expression religieuse doit être libre et garantie par les autorités de notre pays, que celle-ci ne saurait être restreinte à la sphère privée ou à l’espace cultuels5.

Alain STAMP,
chargé de communication
de la FEF


NOTES

1 Jacques Robert, La Fin de la laïcité, Éditions Odile Jacob, 2004, page 57

2 Expression utilisée par Jacques Robert, ibid. page 68

3 Ibid. page 68

4 Ibid. page 67

5 À cause de cela, il est incompréhensible qu’un maire refuse la location d’une salle à une Église protestante évangélique ou à une association affiliée à la FEF. cause de la laïcite! Ce qui, malheureusement, se produit de plus en plus fréquemment!

 


Les textes de loi : rappel

 

Loi du 9 décembre 1905 instituant la séparation des Eglises et de l’État : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public » (article 1). « La République ne reconnait, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (article 2).

La Constitution de la Vè République énonce :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » (article 1).

Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales :
« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. _2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » (article 9, Liberté de pensée, de conscience et de religion).
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations. _2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, a la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire » (article 10, Liberté d’expression).

Citations

Vie publique et vie privée

«Qu’on n’invoque pas ici la séparation-surannée – de la vie publique et de la vie privée! On sait en effet que d’aucuns avanceraient volontiers que la religion relève de la conscience de chacun (son choix ou son rejet), qu’il s’agit là de l’intimité de la vie personnelle et que- de ce fait même- l’Etat doit faire preuve de tact, de sagesse, de prudence et de raison. Ne pas s’immiscer dans un domaine qui n’est pas le sien. Rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu? Un État peut-il prétendre avoir jamais respecté une telle frontière? La religion elle-même ne déborde-t-elle pas son pré carré? Sans aucunement vouloir régir les consciences, quel État pourrait délibérément rejeter dans le domaine du privé l’appartenance d’une partie plus ou moins importante de sa population à telle ou telle religion? »  Jacques Robert, La Fin de la laïcité, Éditions Odile Jacob, 2004, pages 17 et 18).

Vivre ensemble

« La religion et la puissance publique sont vouées à vivre ensemble. Si leurs finalités et leurs légitimités sont différentes, il n’en existe pas moins un espace commun et un dialogue obligé. La laïcité n’est-ce pas en fin de compte la création, dans une société consciente de son héritage et de son patrimoine, d’un espace commun, respectueux des convictions individuelles et porteur de valeurs universelles? » (ibid. page 68).

Laïcité à la française?

« Je n’aime pas parler de la laïcité en tant que substantif. Je crois qu’il y a des comportements laïques, des façons d’agir laïques, et que la laïcité n’est pas une substance en soi, mais un résultat historique qui épouse les contours d’une tradition nationale. » « Je dis simplement qu’il est impossible de faire sans croire » (Régis Debray, La Vie, n° 3107, 17 mars 2005, pages 16 et 17).

L’espérance

« La question spirituelle existe très exacte ment depuis que l’homme a pris conscience de son destin particulier, celui d’être un humain. La question spirituelle, c’est celle de l’espérance, l’espérance d’avoir, après la mort, une perspective d’accomplissement dans l’éternité. Depuis que l’homme est conscient d’avoir un destin, il éprouve le besoin d’espérer. Pour fondamentale qu’elle soit, la question sociale n’est pas aussi consubstantielle à l’existence de l’humain que la question spirituelle. » (Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l’espérance, Les Editions du Cerf, 2004, pages 13 et 14).

Laïcité et liberté

«  Non, la laïcité n’est pas au service des religions car cela signifierait qu’elle serait dominée par elles. Mais la laïcité respecte et même défend le droit inaliénable de chacun à pratiquer sa religion. La laïcité est au service de la liberté pour chacun des citoyens de la République de vivre ou non une religion et de la transmettre à ses enfants comme il l’entend. Ce droit de vivre sa religion est aussi important que le droit d’association, la liberté d’expression ou le droit à la présomption d’innocence. Finalement, c’est la reconnaissance d’un droit universel à l’espérance. La République peut s’enrichir de l’espérance des citoyens « croyants », ce qui ne veut pas dire qu’ils sont au-dessus de ceux qui ne croient pas. Chacun a sa place, mais celui qui pratique n’a pas à s’en excuser et la République doit même veiller à ce qu’il puisse le faire dans de bonnes conditions » (ibid. page 16).

De l’importance des religions

« Les religions ont-elles par ailleurs une importance spécifique pour l’équilibre de notre société? Je n’hésite pas à répondre deux fois oui. » (ibid. page 17).

À propos d’Alexis de Tocqueville 

« Mais il montre aussi comment la démocratie a besoin de la religion pour assurer sa propre survie. Selon lui, les croyants, même minoritaires, présentent l’intérêt de véhiculer des aspirations autres que purement matérielles. Ils peuvent notamment mettre en question la tendance des gouvernements à se concentrer sur un présent court, un présent des petits instants pour des petits désirs. En tirant les hommes vers le futur, les religions offrent un puissant vecteur d’espérance, qui peut redonner à nos contemporains le goût pour des projets collectifs ambitieux » (Agnès Antoine, La Vie, no 3095/96, 23 décembre 2004, page 14).

Dégâts collatéraux!

« Le gouvernement (est) ennuyé que le protestantisme français subisse les effets collatéraux des débats sur la laïcité » (Jean-Pierre Raffarin Premier ministre, Communiqué de presse de la FPF du 11 janvier 2005).