Face à la mentalité du « tout et tout de suite »…

par Warren W. Wiersbe – théologien américain

Alors que nous traversions la région montagneuse du Kentucky (USA), nous avions décidé de prendre un raccourci. La route était agréable et facile, du moins le paraissait-elle… En fait, elle était très peu fréquentée ; si peu fréquentée même que les tortues s’y prélassaient en toute sécurité ! Nous en avons rapporté une à la maison, pour la plus grande joie de nos enfants ; mais il est évident que ce genre de route ne convient absolument pas aux gens pressés. De plus, le raccourci en question se révéla très incommode, dangereux, et il nous fit perdre en définitive beaucoup de temps.

Nul doute qu’il existe dans les différents domaines de la vie d’authentiques raccourcis nous permettant de gagner du temps et de ménager nos forces. Mais dans des domaines aussi graves que la formation du caractère et le service de Dieu, il faut apprendre à se méfier des raccourcis.

1. C’est ainsi par exemple, que pour mieux comprendre les Saintes Ecritures, certains lecteurs achètent des Bibles « d’étude » dûment annotées, avec nombre de détails ayant un caractère encyclopédique. Il semble pourtant que le sens, le sens profond de la Parole de Dieu, ne cesse de leur échapper. Et cela parce que, dans leur impatience, ils veulent brûler les étapes. Le problème est qu’ils ne savent pas distinguer le fait de la vérité qu’il illustre: ils ne font aucune distinction entre l’appréhension intellectuelle et la perception spirituelle de la vérité. Alors même qu’ils se penchent avidement sur des plans, des résumés, des graphiques, traquant les références et les contre-références, ils ne donnent jamais à l’Esprit Saint le temps de les instruire.

2. L’absence de raccourcis au niveau de la connaissance de Dieu implique qu’il n’y a pas non plus de raccourci dans la formation du caractère chrétien. L’étude de la Parole de Dieu nous révèle le Dieu de la Parole, et à mesure que nous le connaissons mieux, nous lui ressemblons davantage. Par contraste avec une réputation qui peu s’établir du jour au lendemain, la formation du caractère est donc un travail de longue haleine.

La Bible illustre ce principe de mille manières. Il n’a pas fallu moins de treize années, par exemple, pour faire du jeune Joseph, le sauveur du peuple d’Israël. Au programme programme établi par Dieu lui-même – il y avait l’envie et la haine de ses frères à son égard, les années de service en Egypte, la prospérité et l’adversité, la joie et la peine. Mais l’homme qui en vint un jour à gouverner l’Egypte aux côtés du pharaon était un homme sorti de la grande école de Dieu, et donc prêt à faire sa volonté.

Il en fut de même de Moise. Bien que formé à l’école des plus grands sages de l’Egypte ancienne, celui qui allait devenir le libérateur et le législateur d’Israël n’était pas du tout préparé à de telles responsabilités, et bien incapable de servir Dieu. Sa véritable formation, il allait la recevoir au cours de quarante longues années de vie au désert, une « classe » certes bien inattendue pour un diplômé d’université ! Utile, ce séjour ? Oui, car Dieu avait pour dessein de le former ou, pour être précis, de transformer un petit chef au sang vif, prompt à la colère, en un conducteur d’hommes à la patience inlassable.

Les chrétiens sont parfois déconcertés à la pensée que Dieu s’intéresse plus à l’ouvrier qu’à l’oeuvre.

Les chrétiens sont parfois déconcertés à l’idée que Dieu s’intéresse plus à l’ouvrier qu’à l’oeuvre !

 

Rien cependant n’aurait empêché Dieu de secourir Job et sa famille par l’intermédiaire de ses anges : et il aurait suffi d’une seule parole de sa bouche pour faire sortir Israël d’Egypte… Mais non. Pour former des hommes aptes à le seconder dans sa tâche, il a délibérément choisi le chemin le plus long. Voilà la méthode à suivre en ce qui concerne l’éducation de nos enfants. Il est bien sûr plus facile de faire vous-même tel ou tel travail ménager – la vaisselle par exemple que de motiver vos enfants ; mais il doivent apprendre à obéir et à travailler. Ce n’est pas l’ouvrage qui est en cause, mais l’homme. La formation du caractère nous interdit la facilité, ou si vous voulez, les raccourcis.

3. Or, si les raccourcis sont néfastes dans le domaine de la perception spirituelle et de la formation du chrétien, ils ne le sont pas moins quand il s’agit d’édifier l’église locale. Il existe actuellement dans l’Eglise une tendance à insister sur les méthodes et les objectifs. La démarche n’a rien de répréhensible en soi, à condition toutefois que ces objectifs et ces méthodes ne soient pas des moyens détournés d’exhalter l’humain. Certaines méthodes déshonorent l’Evangile, en fait, elles le bradent. Certains objectifs ne sont que le reflet des ambitions personnelles du responsable local, à l’exclusion de l’oeuvre et de la gloire de Dieu.

Une parabole de l’Evangile met en scène deux bâtisseurs, dont l’un, trop pressé, construisit la maison sans lui donner des fondations suffisamment solides. Moins avare de son temps, l’autre constructeur prit soin de fonder sa maison sur le roc, et quand vint la tempête, la première maison s’écroula tandis que l’autre resta debout. La première méthode s’est avérée désastreuse, surtout si l’on songe aux habitants de la maison ; quant au constructeur, il a dû apprendre à ses dépens ce qu’il en coûte de prendre des raccourcis.

Il n’y a de croissance que là où règne la vie, et l’Eglise n’échappe pas à cette loi. Si ce développement se définit en termes de qualité et de quantité, notons cependant qu’il est d’abord interne avant d’être externe, car la croissance authentique est une question de nutrition et donc de maturité, plutôt qu’une simple adjonction de membres.

Au cours de mes trente années de ministère à travers le monde, j’ai eu connaissance de toutes sortes de projets concernant l’édification de l’Eglise. Certains n’ont malheureusement réussi qu’à ruiner le ministère. C’est avec raison que G. Macdonald a pu dire : « Pour l’homme qui mène sa vie sans se soucier de Dieu, l’alternative est simple : s’il échoue, ce sera d’une manière lamentable : s’il réussit, ce sera pire ! »

Si vous recherchez l’approbation des hommes, prenez tous les raccourcis possibles et proclamez vos résultats. Si par contre vous recherchez la gloire de Dieu, soyez fidèles à ce qu’il préconise : à savoir la méditation de la Parole, la prière, le témoignage, le sacrifice et la souffrance. Et laissez-le se charger des conséquences. Après tout, « c’est Dieu qui fait croître » (1 Cor. 3:7).

4. Prendre des raccourcis ne permet pas non plus de résoudre les difficultés de l’existence. Par delà les tracasseries du quotidien, je veux surtout parler des situations qui font peser une véritable menace sur notre vie, parce qu’elles ont des causes profondes, lointaines, et qu’elles secrètent de l’amertume. J’ai souvent été confronté à de tels drames, et tout au long de mon ministère pastoral, j’ai plus d’une fois constaté avec étonnement qu’après avoir laissé le mal mûrir pendant très longtemps, certaines personnes s’attendent à le voir disparaitre en un clin d’oeil… grâce au pasteur, et grâce à Dieu…!

Les gens qui ont des problèmes – que ce soit au niveau de leur couple, de la famille ou de l’individu ont tous tendance à chercher des expédients qui aggravent la situation. Or, comme l’a très bien dit G. Chesterton : « L’inconvénient majeur de la précipitation, c’est de nous faire perdre beaucoup de temps ».

« L’inconvénient majeur de la précipitation, c’est de nous faire perdre beaucoup de temps » – G. Chesterton

 

Vouloir résoudre rapidement un problème permet à la rigueur d’en modifier les données connues, mais non d’aller à la racine du mal. Il existe des conseillers qui, tels les faux prophètes du temps de Jérémie, pansent la plaie « à la légère« , en disant « Paix, Paix ! et il n’y a point de paix » (Jérémie 6:14).

5. Enfin, l’usage des raccourcis est tout aussi répréhensible pour tout ce qui touche au réveil des âmes. Bien que l’Eglise ait désespérément besoin d’un réveil, il faut savoir qu’une telle expérience n’est jamais le résultat d’une méthode bien appliquée, rapide et facile.

Le réveil est parfois considéré comme un événement pouvant être « importé » un phénomène susceptible de se reproduire de ville en ville : si l’humble ministère d’un frère a engendré le réveil ici, pourquoi pas là-bas ? C’est possible, en effet, car Dieu est souverain. Mais en raison justement de cette souveraineté de Dieu, ce n’est pas certain. Mieux vaut alors nous méfier des raccourcis, même – ou surtout – dans le domaine spirituel !

Le vrai réveil n’est pas un effort vers Dieu, mais un don de Dieu. Il n’est pas importé de l’extérieur, car l’oeuvre divine commence dans le coeur de l’homme, et au coeur de son Eglise.

Exode 13:17-18 nous enseigne que Dieu ignore délibérément les raccourcis. C’est ainsi qu’après avoir fait sortir Israël d’Egypte, « Dieu ne les conduisit pas par le chemin des Philistins, quoique plus proche« . ll a choisi le chemin le plus long, et c’est encore ainsi qu’il agit aujourd’hui.

La mentalité du « tout et tout de suite » a si bien pénétré l’Eglise que les chrétiens sont sans cesse en quête de recettes de procédés instantanés.

La mentalité du « tout et tout de suite » a si bien pénétré l’Eglise que les chrétiens sont sans cesse en quête de recettes de procédés instantanés.

 

Or le temps est un facteur très important. L’intervention de Dieu s’inscrit toujours dans la durée, comme en témoignent d’ailleurs la nature et l’histoire de l’Eglise, y compris la Bible. Chacun sait qu’il suffit de quelques heures pour faire pousser un champignon ; mais qu’en est-il du chêne ?

S’il est vrai que Dieu accorde parfois de très grandes bénédictions en très peu de temps, son action est en général lente et délibérée. Il me semble que le désir d’aller sans cesse au plus court, cette fièvre des raccourcis, camoufle en réalité le refus de se conformer aux principes de Dieu et d’en payer le prix  La prière, l’étude des Ecritures, l’examen des mobiles personnels et les patientes semailles de la vérité sont les formes d’un lent et dur labeur, aujourd’hui remplacé par des méthodes du genre « fast food » : succès garanti et immédiat. Or, si les résultats sont à peu près certains, il ne faut pas s’attendre à obtenir de véritables fruits. Car l’existence du fruit implique l’existence de racines qui, à leur tour, exigent un travail très en profondeur. Tout cela prend du temps.

En conclusion à un sermon adressé à de futurs pasteurs, Spurgeon a dit : « Pour ceux qui fuient les contraintes du ministère, le jour des comptes sera terrible. Mais ceux qui endurent tout au bénéfice des élus récolteront la gloire ». Attention aux raccourcis, ils pèsent lourd dans la balance !

(Good News Broadcaster, 04/84)