«C’est une question d’interprétation !» Quel chrétien n’a jamais eu recours à un tel «argument» pour tenter de se sortir d’affaire lors d’un échange musclé portant sur un passage biblique difficile à comprendre ?

Et pour cause : la Bible ne nous paraît pas toujours facile à interpréter. Composée de soixante-six livres qui intègrent de multiples genres littéraires (dont certains qui ne manquent pas d’étonner le lecteur moderne, pensons à l’Apocalypse), rédigée par de nombreux auteurs sur une période de plus de mille cinq cents ans, tantôt en hébreu ou en araméen, tantôt en grec, la Bible ne ressemble vraiment pas à ce que les historiens, les poètes et les romanciers écrivent aujourd’hui. Comportant des parties destinées à des auditoires variés qui, de leur temps, comprenaient vraisemblablement le message qui leur était adressé, elle exige parfois, de la part du lecteur moderne, un travail d’analyse exigeant.

DES EFFORTS À FOURNIR

«Un travail d’analyse exigeant ?», rétorqueront certains. «Est-ce à dire que le message de la Bible n’est accessible qu’à une élite, qu’aux intellos qui ont fait de grandes études ? Dieu n’a-t-il pas voulu, au contraire, parler à tous, même aux plus simples ?» Une telle réaction est tout à fait compréhensible, et il est effectivement primordial, comme nous le verrons, d’affirmer que le message global de l’Écriture est clair en soi. Par «travail d’analyse exigeant», nous entendons simplement une «réflexion approfondie» à laquelle, nous le croyons, tous sont conviés.

Cela dit, nous devons reconnaître la présence d’une saine tension dans la Bible. D’une part, tout le peuple de Dieu peut comprendre l’Écriture, qui n’est donc pas «hors de [sa] portée» (Dt 30.11, au sujet de la loi). D’autre part, le peuple de Dieu a toujours eu besoin d’enseignants. Dans l’Ancien Testament, Esdras, par exemple, étudiait la loi «pour apprendre à Israël les prescriptions et les règles» (Esd 7.10). L’Église compte également ses enseignants aujourd’hui (Ep 4.11). Ainsi, on peut affirmer que certains prennent une part plus grande dans le travail d’analyse de la Bible (les enseignants). Cette réflexion approfondie, que tous doivent accomplir dans une certaine mesure par la méditation régulière de l’Écriture, est grandement facilitée par l’apport régulier d’enseignants qualifiés au sein de l’Église locale. De tels enseignants ont notamment pour rôle de fournir à tous les chrétiens des clés de lecture qui les guideront dans leur interprétation de la Parole.

Quant aux personnes qui pensent que l’aide que nous accorde l’Esprit pour comprendre la Bible nous permet de faire l’économie d’une réflexion approfondie, nous leur répondons que l’Écriture n’enseigne nulle part que l’Esprit révélerait spontanément la «bonne interprétation» d’un texte indépendamment de tout effort d’analyse de notre part. Bien au contraire ! Si Paul prie que l’Esprit «illumine» les chrétiens d’Asie Mineure dans leur compréhension des grandes vérités de l’Évangile (Ep 1.17-18), il oblige simultanément ses frères et sœurs à mettre en œuvre toutes leurs facultés intellectuelles en leur écrivant une lettre extrêmement dense sur le plan théologique ! Paul demande en fait à Dieu de faire comprendre aux Éphésiens, par l’Esprit, ce qu’il est en train de leur écrire. Ici, action puissante de l’Esprit et lecture attentive du texte («réflexion approfondie») vont de pair. De façon semblable, les disciples d’Emmaüs ont vécu simultanément l’illumination divine de leur intelligence et l’interprétation réfléchie de l’Ancien Testament. En parlant du cours d’interprétation biblique que vient de leur donner Jésus (Lc 24.27), ils déclarent : «N’avons-nous pas senti comme un feu dans notre cœur pendant qu’il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures ?» (Lc 24.32). La chaleur de l’intervention de l’Esprit en nous ne peut être dissociée de la lumière que procure une réflexion approfondie sur les textes.

Par ailleurs, on est bien loin, ici, de la tendance de certains à écouter leur propre ressenti face aux textes bibliques, à les interpréter en fonction de leurs propres envies et à en faire une caisse de résonance pour leurs propres opinions. En effet, c’est vers le sens objectif du texte, et non vers une interprétation qui n’aurait rien à voir avec le contenu même du texte, que Jésus oriente ses disciples : «Alors, commençant par les livres de Moïse et parcourant tous ceux des prophètes, Jésus leur expliqua ce qui se rapportait à lui dans toutes les Écritures» (Lc 24.27). En un mot, Jésus n’a fait que montrer aux disciples ce qui était bel et bien dans le texte ! Or pour découvrir ce «sens objectif» du texte, il est nécessaire de fournir quelques efforts de concentration.

TOUS DES INTERPRÈTES

Quand nous lisons la Bible, nous l’interprétons forcément, puisque nous la comprenons d’une manière ou d’une autre. Interpréter, c’est simplement adopter telle ou telle compréhension du texte, qu’elle soit juste ou fausse. Le fait que nous sommes tous, que nous le voulions ou non, des interprètes de la Bible (avec des degrés de compétence variables), devrait nous encourager à examiner nos pratiques et à viser une croissance régulière dans ce domaine.

En effet, la sanctification concerne tous les aspects de la vie chrétienne, incluant l’interprétation de la Bible ! Visons-donc l’excellence.

INTERPRÉTER À UNE ÉPOQUE OÙ LE LECTEUR EST ROI

La conception de l’interprétation biblique a connu, ces dernières décennies, de profonds bouleversements dans les cercles académiques1. Au risque de schématiser à l’excès, on considérait traditionnellement que l’interprétation avait pour but de découvrir le véritable sens du texte, ce que les auteurs humains de la Bible avaient l’intention de communiquer en rédigeant leurs écrits. On pensait (avec raison, dirons-nous) que deux interprètes de compétence équivalente, partageant un ensemble de présupposés sur la Bible et ses règles d’interprétation, parviendraient le plus souvent à une même compréhension d’un texte donné – du moins dans les grandes lignes.

Or l’apparition d’une nouvelle manière de considérer la tâche interprétative et le rôle de l’interprète a profondément changé la donne, avec des effets incontestables. Au cœur de cette nouvelle théorie de l’interprétation figure le lecteur qui, comme on aime à le rappeler, est incapable, quand il lit le texte biblique, de se départir de ses préconceptions et de ses œillères. En conséquence, son interprétation est nécessairement subjective. Pour les partisans de cette théorie, le texte biblique n’a plus de sens objectif, qui correspondrait à l’intention de son auteur. Il faut plutôt parler des significations – au pluriel – d’un passage donné, car chaque texte a autant de sens possibles (et acceptables) qu’il a de lecteurs individuels ou de communautés de lecteurs. Malheur à celui qui, du haut de son arrogance, voudrait imposer son interprétation à qui que ce soit ! Car chacun peut maintenant revendiquer le droit de mettre en avant son interprétation propre. La seule hérésie, dorénavant, est celle qui consiste à croire que la lecture d’un autre est hérétique.

Dans ce contexte particulier, le lecteur évangélique de la Bible est accusé, dans le meilleur des cas, de naïveté, de simplisme et d’aveuglement et, dans le pire, de fondamentalisme. Prétendre pouvoir atteindre le sens du texte, ou l’intention de l’auteur, est perçu comme une attitude cartésienne et dangereuse, celle-là même qui est à l’origine des pires violences faites au nom de la religion.

APPRENONS DE LA NOUVELLE APPROCHE

Avant de rejeter en bloc cette nouvelle conception, à laquelle nous ne pouvons certes pas souscrire en l’état, il importe de relever deux des bienfaits qu’elle a incontestablement procurés à l’ensemble des lecteurs de la Bible, même à ceux qui lisent encore cette dernière «à l’ancienne», cherchant à comprendre le message qu’elle contient.

En premier lieu, il apparaît maintenant clairement (si ce n’était pas déjà le cas) que tous les lecteurs de la Bible se présentent devant le texte avec leur propre vision du monde et leurs présupposés, ainsi que leurs préoccupations du moment, qui influent nécessairement sur leur interprétation de l’Écriture. Autrement dit, aucun interprète n’est parfaitement «objectif». Armé de cette conscience, le lecteur moderne doit constamment s’auto-évaluer : suisje en train de lire ce passage à travers le filtre de ma propre compréhension de la vie chrétienne, de l’Église, de Dieu, du monde, de moi-même, ou suisje véritablement ouvert à la possibilité que Dieu modifie ma conception de tel aspect de la réalité ? En un mot : suis-je prêt à laisser Dieu me surprendre par sa Parole et remettre en cause ma manière de penser, ou suis-je enfermé dans mes propres convictions ?

En second lieu, la nouvelle approche nous rappelle que notre compréhension des textes bibliques est nécessairement limitée. Certes, cette école va trop loin en abandonnant toute tentative de découvrir l’intention de l’auteur. Mais, pour nous qui pensons pouvoir nous approcher du sens véritable et objectif d’un texte donné, il est bénéfique de garder présent à l’esprit que notre faculté d’interpréter a ses limites et que notre compréhension de l’Écriture n’est jamais exhaustive.

LA DOCTRINE DE LA CLARTÉ DE L’ÉCRITURE

Plus que jamais, nous avons besoin de revenir à une doctrine souvent négligée, pourtant enseignée par l’Écriture elle-même, par les Pères de l’Église et par les Réformateurs, celle de la clarté de l’Écriture. Mark Thompson en a formulé un résumé commode et robuste : «La clarté de l’Écriture est cette qualité du texte biblique, considéré comme un acte de communication de Dieu, qui fait en sorte que le sens de ce texte soit accessible à tous ceux qui se présentent devant lui avec foi»2.

À notre époque, adhérer à un tel principe peut paraître anachronique. Cependant, nous avons au moins quatre bonnes raisons de l’adopter :

1. La Bible est la Parole de Dieu. Une telle affirmation, inadmissible dans de nombreux milieux se réclamant pourtant du christianisme, est presque un cliché pour les évangéliques. Mais sommesnous vraiment conscients de ce que cela implique ? S’il est vrai que, lorsque l’Écriture parle, c’est Dieu qui parle, les conséquences sont multiples. Car Dieu réussit toujours ce qu’il entreprend, il accomplit invariablement ses desseins. Quand il souhaite communiquer un message à son peuple, il atteint son objectif (És 55.10-11). En Dieu et dans sa Parole, donc, aucun déficit de puissance et d’efficacité. Le corollaire s’impose : le message biblique est nécessairement clair pour ses destinataires. En effet, en matière de communication, Dieu ne rate jamais la cible – bien que les lecteurs de la Bible, de leur côté, puissent passer à côté de ce qui leur est dit.

Cela est d’autant plus crucial qu’il s’agit d’un message de salut. Or le Dieu Sauveur parvient toujours à ses fins. Ainsi, dire que l’Écriture est claire découle non seulement de la souveraineté de son Auteur, mais aussi de sa bonté : il ne joue pas à cachecache avec ses créatures, mais se plaît à leur communiquer clairement ses intentions salvatrices et son unique moyen de salut, l’œuvre de Christ, pour qu’elles puissent profiter de son œuvre.

2. La Bible affirme explicitement la clarté de son propre message. Nous pensons notamment à la métaphore de la lumière ou de la lampe décrivant l’Écriture (Ps 119.105,130 ; 2 P 1.19), ou à des textes comme Dt 30.11-14 ou 2 Co 1.13 : «Nous ne vous écrivons pas autre chose que ce que vous lisez et comprenez». Bien d’autres passages pourraient être cités.

3. La Bible présuppose la clarté de son propre message. C’est certainement le cas en 2 Timothée 3.16 : «Toute l’Écriture est inspirée de Dieu et utile pour enseigner, pour réfuter, pour redresser, pour éduquer dans la justice». Or pour être utile, l’Écriture doit être compréhensible. Une pléthore de textes pourraient être mentionnés ici aussi.

4. La dimension humaine de la Bible n’empêche pas que son message soit clair. Pour certains, le fait que l’Écriture ait été rédigée par des auteurs humains et limités implique nécessairement l’ambiguïté et le caractère fallacieux de son langage. Or une fausse alternative est à la base d’une telle affirmation : soit notre connaissance d’un objet est absolue et exhaustive, soit elle est subjective et défaillante. Bien entendu, nous ne connaissons rien complètement, cette prérogative est réservée au Dieu omniscient ; par conséquent, suggère cet argument, nous sommes réduits (et les auteurs bibliques le sont aussi) à embrasser une vision erronée du monde (et de Dieu). Heureusement, nul besoin de s’enfermer dans une telle alternative3 ! Les auteurs bibliques ont très bien pu connaître véritablement sans pour autant connaître totalement. Quand nous lisons la Bible, c’est à cette réelle connaissance que nous accédons, bien qu’elle soit forcément partielle (1 Co 13.12).

Pour toutes ces raisons, nous concluons que le message de l’Écriture est clair. Cela ne nous empêche pas de reconnaître que certains textes sont plus difficiles à comprendre que d’autres (cf. 2 P 3.16), ou d’admettre que, bien que l’interprétation globale que font généralement les chrétiens de l’Écriture soit juste, ils puissent se tromper sur certains points. Néanmoins, l’essentiel du message de la Bible est clair.

DIX CONDITIONS POUR BIEN INTERPRÉTER LA BIBLE

Si Paul exhorte Timothée à dispenser «avec droiture la parole de la vérité» (2 Tm 2.15), c’est qu’il est possible d’en «tordre le sens» (2 P 3.16). Pour interpréter l’Écriture de manière responsable, il importe de mettre en œuvre une lecture qui satisfasse aux dix conditions suivantes (qui se chevauchent en partie) :

1. Une lecture humble et soumise. Il ne s’agit pas ici de tomber dans la fausse humilité qui conduirait à dire «mon interprétation ne vaut pas mieux que celle des autres», mais de reconnaître avec lucidité que notre ouverture au texte n’est pas totale et que nous y apportons parfois des préconceptions qui doivent être réformées. Quant à la soumission, elle est une disposition générale, devant la Parole écrite de Dieu, qui reconnaît son autorité sur notre pensée et notre vie. Elle se traduira par l’obéissance.

2. Une lecture chrétienne et christocentrique. Dans la mesure où le péché corrompt l’intelligence (Ép 4.17-18), la juste compréhension de l’Écriture requiert l’action régénératrice de l’Esprit : «Mais l’homme livré à lui-même ne reçoit pas ce qui vient de l’Esprit de Dieu ; à ses yeux, c’est “pure folie” et il est incapable de le comprendre, car seul l’Esprit de Dieu permet d’en juger» (1 Co 2.14, Semeur). Disons-le sans détour : pour bien comprendre l’Écriture, il faut être né de nouveau. Évidemment, rien n’empêche Dieu d’accorder occasionnellement à des non-chrétiens, selon le principe de la grâce commune, une compréhension juste de tel ou tel passage biblique. Cependant, seuls les individus régénérés ont une bonne compréhension globale de la Bible.

Par ailleurs, Jésus a lui-même fourni à ses disciples une clé essentielle pour comprendre l’Écriture, qui s’articule autour de sa personne et de son œuvre (Lc 24.45-48). Il importe donc d’embrasser ce centre unificateur. L’Ancien Testament annonce Jésus-Christ (non seulement par des prédictions, mais aussi par divers indices qui anticipent sa venue) ; le Nouveau Testament le présente et précise ce qu’il apporte.

3. Une lecture ordinaire et distincte. D’un côté, «le langage biblique doit […] être interprété selon l’usage et les conventions de langage en cours à l’époque de rédaction de chaque texte»4. Devenir un bon interprète de l’Écriture, c’est donc, en réalité, devenir un bon lecteur tout court ! Cela implique notamment : a) que notre objectif est de discerner l’intention de l’auteur (humain) du texte ; b) qu’un texte donné n’a généralement qu’un seul sens acceptable (bien que ses conséquences et ses applications puissent être multiples)5 ; c) qu’il est souvent illégitime d’accorder à un mot plusieurs sens dans un texte donné, même si ce mot est susceptible de prendre ces sens dans d’autres contextes (dans un usage particulier, un mot n’a généralement qu’un seul de ses sens possibles et il faut se contenter du sens qui convient au contexte dans le passage étudié) ; d) que notre lecture exige réflexion et analyse, car la «bonne interprétation» ne sera pas «donnée spontanément» par l’Esprit, qui court-circuiterait alors les mécanismes habituels de la pensée.

D’un autre côté, notre lecture de l’Écriture se distingue de la lecture d’autres textes en ce qu’elle s’intéresse à l’intention de l’Auteur avec un grand «A», Dieu lui-même, et accueille volontairement ce projet divin. Concrètement, on se pose la question : qu’est-ce que Dieu veut opérer «en moi» (ou «parmi nous», dans un cadre communautaire), par ce texte ?

4. Une lecture attentive aux contextes. Distinguons le contexte historique des contextes littéraires. Le premier peut nous être accessible par le texte même (il nous est possible de reconstituer en partie ce que vivait l’Église de Corinthe à partir de l’étude des épîtres canoniques destinées à cette Église, pour ensuite appliquer cette connaissance à l’interprétation des diverses parties des deux épîtres), ou encore, plus rarement, par des données extrabibliques. Quant aux contextes littéraires, ils se situent à trois niveaux :
a) ce qui précède et suit immédiatement notre passage ;
b) l’ensemble du livre biblique dans lequel il s’inscrit ;
c) toute l’Écriture.

5. Une lecture sensible à trois niveaux de genre littéraire. Selon que l’on a affaire à un texte narratif, prophétique, apocalyptique, didactique, hymnique, etc., on repérera divers types de signaux6. Avec un texte narratif, par exemple, on sera attentif à la façon dont les personnages sont présentés, à leur évolution, à la séquence des événements et aux rapports de cause à effet qui les relient entre eux, au dénouement de l’intrigue, etc. Chaque genre littéraire obéit à un ensemble de règles qui lui est propre et dont il faut tenir compte pour bien comprendre le sens.

Or notre sensibilité aux genres littéraires doit se déployer à trois niveaux différents. En effet, il nous faut prendre en compte le genre du texte en question (par exemple une parabole), celui du livre biblique concerné (un évangile) et, enfin, celui de l’ensemble de la Bible (un grand récit).

6. Une lecture qui adhère au principe d’harmonie, ou principe de «l’analogie de la foi», comme l’ont nommé les réformateurs. Dans sa version la plus répandue parmi les protestants, il se résume ainsi : «Appliquer l’analogie, c’est d’abord comparer tous les passages pertinents sur un sujet donné, en respectant l’obligation méthodologique d’éviter les contradictions de fond»7. S’appuyant sur la cohérence de l’Écriture, ce principe doit toutefois être mis en œuvre avec prudence. En effet, évitons de sombrer dans une certaine «parallélomania» qui consisterait à toujours faire dire à un passage la même chose qu’un texte jugé «parallèle», sans tenir compte des particularités de chacun et de leurs accents propres.

7. Une lecture assistée de l’Esprit. La Déclaration de Chicago sur l’herméneutique biblique contient l’article suivant : «Nous affirmons que le Saint-Esprit rend les croyants capables de comprendre l’Écriture et de l’appliquer à leur vie»8. Nous avons besoin de l’Esprit pour bien comprendre le sens du texte (et pas seulement pour l’appropriation ou l’application du message biblique, 1 Co 2.14).

8. Une lecture individuelle et communautaire. Si Dieu équipe chaque chrétien pour qu’il progresse dans l’art d’interpréter la Bible, il nous faut prendre garde aux «interprétations privées», échos des avis individuels. Suivons les conseils équilibrés de Sylvain Romerowski : «D’une part, il ne faut pas grossir le problème outre mesure : la Bible contient bon nombre de choses que l’on peut comprendre seul. D’autre part, la Bible est claire pour ceux à qui elle a été donnée. Or elle n’a pas été donnée à des individus isolés, mais à des communautés, et il faut prendre en compte cette dimension lorsqu’on affirme la clarté de l’Écriture»9. Quand, lors d’une rencontre de groupe de maison, chacun donne son avis sur le sens d’un texte, on ne doit pas en rester là. Ayons le courage d’évaluer les opinions à partir du texte même, et d’affirmer collectivement, lorsque cela est nécessaire, que telle interprétation doit être écartée et telle autre retenue.

9. Une lecture honnête et patiente. Devant un texte plus difficile, ne faisons pas «comme si» tout était clair. Acceptons de ne pas trancher prématurément, de laisser la porte ouverte à des éclairages futurs. La doctrine de la clarté de l’Écriture ne doit pas devenir le prétexte à des solutions faciles.

10. Une lecture qui vise la mise en pratique, mais avec discernement. Les évangéliques sont connus pour leur soif de conseils pratiques. Or toutes les applications proposées à partir d’un texte donné ne sont pas légitimes ! Il est utile de distinguer les textes dont l’application pour nous aujourd’hui peut se faire directement (voir la manière dont Jos 1.5 est appliqué en Hé 13.5) de ceux qui exigent une appropriation plutôt indirecte, c’est-à-dire l’identification préalable d’un principe universel qui transcende le contexte particulier dans lequel le texte a été écrit (voir Pr 31.13).

UN BESOIN URGENT D’INTERPRÈTES FIDÈLES

Les chrétiens en général – et pas seulement les responsables d’Église – se doivent d’adopter une bonne théorie de l’interprétation et de veiller sur leur pratique de l’interprétation biblique. En effet, notre vie spirituelle, individuelle et collective, dépend en grande partie de notre capacité de nous alimenter avec tout ce qui sort de la bouche de Dieu (Dt 8.3). Un attachement «de principe» à l’Écriture est insuffisant ; c’est l’Écriture bien comprise qu’il nous faut méditer jour et nuit10.

Et que dire face aux grands débats de l’heure ? Définition du mariage et de la famille, éthique sexuelle et bioéthique, place de la femme dans l’Église, éducation des enfants, stratégie d’implantation d’Église, formation de disciples, approches d’évangélisation, engagement dans la cité, théologie de la prospérité, les sujets ne manquent pas. Dans chaque cas, l’interprétation de chacun entre en jeu. En effet, il ne suffit pas de défendre telle ou

telle position théologique parce qu’elle nous plaît, de se réclamer d’un «camp» ou d’un autre parce que cela nous arrange ou parce qu’on a toujours vu les choses ainsi ; chacun doit savoir pourquoi il croit ce qu’il croit, c’est-à-dire être en mesure de raisonner à partir de l’Écriture sainte. Que Dieu nous donne la capacité de bien interpréter l’Écriture, l’humilité nécessaire pour nous soumettre à elle, et le courage d’enseigner clairement ce qu’elle affirme. 

DOMINIQUE ANGERS
PROFESSEUR DE NOUVEAU TESTAMENT À L’INSTITUT BIBLIQUE DE GENÈVE


NOTES

1 Nos développements sur ce point s’inspirent en bonne partie de D.A. Carson, «Approaching the Bible», in Collected Writings on Scripture (recueil d’articles de D.A. Carson), Wheaton, Crossway, 2010, p. 37-40.

2 Mark D. Thompson, A Clear and Present Word. The Clarity of Scripture, Nottingham/Downers Grove, Apollos/IVP (NSBT 21), 2006, p. 169170 (notre traduction). Voir également D.A. Carson, «Is the Doctrine of Claritas Scripturae Still Relevant Today?», in Collected Writings on Scripture (recueil d’articles de D.A. Carson), Wheaton, Crossway, 2010, p. 179-193.

3 Ainsi Carson, op. cit., p. 190.

4 Sylvain Romerowski, «Interprétation biblique», in : Le Grand Dictionnaire de la Bible, Charols, Excelsis, 2004, p. 753.

5 Henri Blocher, «Thèses sur le statut des Écritures», Hokhma 60, 1995, p. 100-101.

6 Concernant les genres littéraires bibliques, consulter Gordon Fee – Douglas Stuart, Un nouveau regard sur la Bible, Deerfield, Vida, 1990, p. 43-239.

7 Henri Blocher, «L’analogie de la foi dans l’étude de l’Écriture sainte», in : La Bible au microscope. Exégèse et théologie biblique. Volume 1 (recueil d’articles d’Henri Blocher), Vaux-sur-Seine, Édifac, 2006, p. 178.

8 «Sur l’herméneutique biblique. 2e Déclaration de Chicago, 13 novembre 1982», in : Le statut de la Bible et ses implications. Les trois Déclarations de Chicago, Aix-en-Provence, Kerygma, p. 36.

9 Romerowski, op. cit., p. 754.

10 Nous avons développé ce point dans notre livre La méditation biblique à l’ère numérique. Une expérience à vivre, Marne-la-Vallée, Farel/ GBU, 2012, p. 47-52.