La question des rôles liés au «genre» (gender) est d’une grande actualité aujourd’hui.
Lorsque Simone de Beauvoir écrit dans son livre Le deuxième sexe, publié en 1949 : «On ne naît pas femme, on le devient», seuls les intellectuels branchés auraient compris ce qu’elle voulait dire. Depuis cette date les études du «gender» sont proposées au niveau universitaire dans de nombreux pays. Mais pour voir plus clair, il me semble que l’on peut identifier deux étapes dans ce développement.
La première phase prend en compte la réalité de la construction sociale du genre. Cela ne pose pas de problème pour le chrétien car il est difficile de nier que la culture impose une certaine conception de l’identité sexuelle. Le comportement lié au genre n’est pas le même en Afrique, en Asie, au Maghreb et en Europe. D’autre part la société évolue avec le temps. En France, le droit d’accéder aux études supérieures fut accordé aux femmes en 1924, le droit de vote en 1944, et il a fallu attendre 1947 avant qu’une femme soit nommée professeur à la Sorbonne. L’enjeu de cette première étape était la parité hommes – femmes, et le combat était mené contre les stéréotypes, avec en toile de fond la préoccupation des féministes de s’affranchir de la domination masculine.
Mais on constate aujourd’hui une deuxième phase d’études du «gender» où certains veulent pousser plus loin la déconstruction sociale du genre. Il ne s’agit plus de savoir comment on va vivre en tant que femme ou homme, mais de savoir si les données biologiques suffisent pour dire que l’on est masculin ou féminin. Certains cherchent à promouvoir l’idée que l’on a le genre que l’on perçoit soi-même selon son vécu intérieur. Et ce n’est pas de la science-fiction : le parlement argentin a voté une loi en 2010 qui permet à tout citoyen de changer la mention de son sexe sur son état civil sans la nécessité de l’accord d’un juge ou d’un médecin (il serait intéressant de savoir ce qu’en pense le Comité international olympique !). Il me semble que nous sommes passés de la problématique des stéréotypes liés à son genre à des idéologies de déconstruction prônées par le lobby LGBT.
Devant ces revendications, le chrétien s’interroge : quels sont les «marqueurs» homme – femme selon la Bible ? Nous prendrons l’expression «marqueur social» dans le sens de quelque chose de visible servant à donner une identité, permettant de distinguer ou différencier un sexe de l’autre.
A vrai dire, les Écritures n’abordent pratiquement pas la question de l’identité liée au genre. Une fois mis de côté l’enseignement sur les relations du couple et les contours du ministère féminin (d’ailleurs la Parole avance des arguments plutôt théologiques que sociologiques dans ces deux domaines), il ne reste plus grand-chose sur ce sujet dans la révélation biblique. Au contraire, tout l’enseignement doctrinal et éthique s’adresse indifféremment aux hommes et aux femmes. C’est la raison pour laquelle on peut d’ailleurs prêcher chaque dimanche à une assemblée mixte !
La force physique
Un des rares versets qui évoque une différence homme – femme se trouve dans 1 Pierre 3 v7. Ce texte reconnaît une différence : la force physique, ce qui est globalement vrai en toute objectivité. Pierre en parle dans le contexte du mariage : «Vous, maris, menez la vie commune avec compréhension, en tenant compte de la plus grande faiblesse du sexe féminin». Dans son commentaire sur ce verset, Samuel Bénétreau affirme avec sagesse : «on peut hésiter sur la nature et l’ampleur de la faiblesse mentionnée ici» (La première épître de Pierre, Edifac, 1984). Et on peut aussi se demander quelle est l’importance de cette caractéristique dans le monde occidental contemporain.
– Les emplois de production et de manutention où la force était nécessaire disparaissent, au profit de métiers où les femmes se sentent autant à l’aise que les hommes.
– Dans la vie quotidienne, de plus en plus d’appareils et de moyens technologiques rendent la force physique infiniment moins importante. Qu’est-ce qui reste aux hommes … à part pousser le caddy dans l’hypermarché ?
Je souligne d’ailleurs que le verset suivant, 1 Pierre 3 v8, confirme ce que j’ai écrit plus haut sur la communauté chrétienne : «Enfin soyez TOUS animés des mêmes pensées et des mêmes sentiments, pleins d’amour fraternel, de compassion, d’humilité». La même exhortation s’adresse donc à tous.
Cependant, il n’est pas rare de trouver dans les médias des affirmations de type psycho-pop (psychologie populaire) sur la différence entre les hommes et les femmes (Mars et Vénus !), affirmations qui se reposent sur des bases tout à fait insuffisantes, sur une simplification à l’extrême des données. En voici deux exemples, le premier tiré d’un livre évangélique traduit de l’anglais et publié en France, l’autre du site internet d’un prédicateur évangélique américain bien connu :
– «L’originalité et la créativité sont essentielles à la personnalité et à la force masculines».
– «C’est aux hommes de diriger, de protéger, d’assurer les moyens de vivre. Les femmes sont appelées à apporter leurs dons et leurs forces propres pour aider les hommes à réaliser leur vision».
Or sans doute certains hommes possèdent ces caractéristiques et certaines femmes considèrent que leur rôle va dans ce sens. En revanche, il est inutile de prétendre que ce sont des marqueurs universels de l’identité masculine ou féminine, car il ne s’agit pas d’une identité partagée par tous les membres d’une même classe et il est impossible de soutenir ces idées en s’appuyant sur des textes bibliques. Il existe bien des femmes qui sont créatives et qui peuvent avoir une vision à réaliser.
L’altérité
Alors qu’est-ce que l’enseignement biblique apporte concernant notre identité homme – femme ? Pour moi, c’est surtout la notion d’altérité, c’est-à-dire la reconnaissance de l’autre dans sa différence. Or il est impossible de situer cela ailleurs qu’au niveau du sexe biologique, puisque c’est là la différence essentielle entre les hommes et les femmes. Sur le plan de la reproduction il faut être deux personnes de sexes opposés pour «faire un enfant». Mais seule une femme peut concevoir un enfant, connaître la grossesse et l’accouchement. Le chrétien est convaincu que cela fait partie du plan de Dieu : «Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit ‘‘Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre’’» (Gen 1.27-28).
La maternité
La possibilité de «créer» la vie à deux est stupéfiante, extraordinaire. «L’homme s’unit à Ève, sa femme ; elle devint enceinte et donna naissance à Caïn. Elle dit : Avec l’aide de l’Éternel, j’ai formé un homme» (Ge 4.1 Semeur). L’origine de la vie, c’est un moment de plaisir à deux. Mais c’est un défi dans la durée d’élever les enfants que l’on fait ! Et l’idéal, c’est d’être à deux pour assurer l’éducation à la vie, que ce soit pour survivre dans la forêt tropicale ou dans la jungle urbaine.
L’altérité dans la sexualité
Les textes de l’Ancien Testament célèbrent cette altérité sans fausse pudeur. «Que ta source soit bénie et fais ta joie de la femme de ta jeunesse, biche des amours, gazelle gracieuse ; enivre-toi de ses seins en tout temps, sois sans cesse grisé par son amour» (Proverbes 5.18-19 NBS). «Qu’il me couvre de baisers ! Oui, tes caresses sont meilleures que le vin», «Que tu es belle, mon amie, que tu es belle !» (Cantique des cantiques 1.2, 4.1).
L’homme et la femme apprécient la sexualité dans la complémentarité corporelle, mais aussi dans le simple contentement de la vie à deux : «Va, mange ton pain dans la joie et bois de bon cœur ton vin, car Dieu prend plaisir dès maintenant à ce que tu fais. (…) Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, pendant tous les jours de ta vaine existence que Dieu t’accorde sous le soleil» (Ecclésiaste 9.7,9 Semeur).
Mais la vie du couple (et même plus largement la vie d’un groupe humain) révèle qu’il existe bien une vraie dissemblance homme – femme à plusieurs égards, au niveau de la psychologie, du comportement, des centres d’intérêt. Le groupe U2 chantait «la mystérieuse distance entre un homme et une femme». Freud a écrit : «Après trente ans passés à étudier la psychologie féminine, je n’ai toujours pas trouvé de réponse à la grande question : Que veulent-elles au juste ?». Et depuis toujours les blagues foisonnent sur cette dissimilitude ! Au fond l’altérité homme – femme est à la fois attirante et déconcertante car elle est impossible à cerner de façon «scientifique» : il y a tout juste des tendances, et ces tendances sont en partie relatives en raison de l’insertion culturelle de chaque être humain.
La Torah insiste sur une des formes de cette altérité : «Une femme ne portera pas un habillement d’homme, et un homme ne mettra pas des vêtements de femme; en effet, quiconque fait cela est en horreur à l’Éternel, ton Dieu». (Deut 22.5). Cependant, dès que l’on lit ce verset, on est obligé de se poser la question : qu’est-ce qu’un vêtement d’homme, qu’un vêtement de femme, puisque les modes changent selon l’époque et la géographie ? Autrement dit, la portée de ce verset aujourd’hui dépend de considérations culturelles.
Considérations culturelles
La culture est englobante. Personne n’y échappe et elle touche tous les aspects de notre vie : «La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société, un groupe social ou un individu. Subordonnée à la nature, elle englobe, outre l’environnement, les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions, les croyances et les sciences» (définition de l’UNESCO).
Face à la culture, la Déclaration de Lausanne affirme (Article 10) : «L’Évangile ne présuppose nullement la supériorité d’une culture par rapport à une autre, mais il les évalue toutes d’après ses propres critères de vérité et de justice; il insiste, dans chaque culture, sur les impératifs absolus de la morale. (…) Trop souvent, les missions ont exporté, en même temps que l’Évangile, une culture étrangère».
Nous sommes donc devant une double problématique quant aux marqueurs d’identité de genre :
1. Dans quelle mesure faut-il accepter que d’autres cultures (voire d’autres sous-cultures) puissent avoir d’autres perceptions des marqueurs homme – femme que la mienne ?
2. Comment évaluer les textes bibliques qui évoquent des marqueurs liés au genre ? (exemples : les cheveux courts pour les hommes dans 1 Corinthiens 11.14 ou l’interdiction de bijoux et de cheveux habilement tressés en ce qui concerne les femmes dans 1 Tim 2.9 et 1 Pierre 3.3).
Quant à la première question, la missiologie nous invite à l’observation, à la compréhension et à la prudence, d’autant plus que nous vivons dans un monde en mutation. La société française est en train de se transformer et par conséquent les marqueurs du genre évoluent. En même temps l’immigration nous oblige à constater que des sous-cultures spécifiques existent juste à côté de la culture française ambiante et des marqueurs différents sont présents tout près de nous.
Quant à la deuxième question, Wayne Grudem propose1 de repérer dans la Parole les actions physiques qui ont une portée symbolique. C’est-à-dire de distinguer entre, d’une part, l’expression superficielle (c’est-à-dire ce qui est à la surface et donc visible) qui est liée à une culture donnée et, d’autre part, ce qui relève d’un principe universel que le chrétien va chercher à vivre aujourd’hui avec, dans la mesure du possible, des éléments culturels appropriés dans son contexte.
Existe-t-il donc des marqueurs hommes – femmes que l’on observe sur le plan sociologique ? En tout cas, il existe un certain consensus sur des généralités (mais il y a bien des exceptions !) : les femmes seraient plus orientées vers le relationnel et ressentiraient davantage le besoin de sécurité alors que les hommes seraient plus orientés vers la tâche à accomplir en maniant des objets et des structures. Ceci est-il inné ? Ou bien est-il le résultat du mode de vie hérité de nos ancêtres car, historiquement, l’accouchement et l’éducation des enfants nécessitaient une certaine forme de collaboration et le désir d’être à l’abri du danger, alors que les hommes devaient chasser le gibier et protéger le village ?
En résumé on peut affirmer que la Bible ne propose quasiment aucun marqueur du genre, mais que l’observation académique ou populaire en repère un certain nombre mais qui ont un caractère relatif puisqu’ils se manifestent de façon différente selon les cultures. Ce constat nous ramène au rôle de l’homme et de la femme au sein du mariage et dans le cadre du ministère, sujet que j’avais laissé de côté au début de cet article. Sans entrer dans un débat sur ces rôles, il est raisonnable de se demander s’il y a un lien entre ces fonctions et les marqueurs du genre. En balayant les points de vue sur ce débat, je crois identifier trois positions :
1) Les hommes auraient reçu des capacités supérieures intrinsèques de leadership (mais ce point de vue est de plus en plus contesté).
2) Il n’y aurait pas de supériorité mais Dieu aurait choisi un des sexes pour des positions de responsabilité puisqu’il faut de l’ordre et pour refléter la Trinité (l’égalité mais avec des rôles différents).
3) La même position que la deuxième option, sauf que l’on avance que, de façon générale, Dieu aurait créé chaque sexe avec une propension (une tendance naturelle) à assumer des rôles différents.
La question reste ouverte. Mais il me semble important de souligner que le chrétien est surtout appelé à glorifier Dieu et à servir les autres plutôt que de se donner à des discussions sur les marqueurs du genre «qui n’avancent pas l’œuvre de Dieu» (1 Tim 1.4). Martin Luther l’a bien exprimé dans le cadre de la famille : «Quand (…) la raison naturelle (…) considère la vie conjugale, elle fait la moue et dit :
«Hélas ! devrais-je vraiment bercer l’enfant, laver les langes, faire le lit, sentir la puanteur, veiller la nuit, prendre garde à ses cris, guérir sa teigne et la variole, puis soigner la femme, la nourrir, travailler, prendre souci de ceci et souffrir cela, et endurer tous les autres désagréments et peines que l’état conjugal enseigne ? Ah ! serais-je à ce point prisonnier ? O malheureux, pauvre mari ! Tu as pris femme ? Fi donc ! Fi ! quelle misère et quel désagrément ! Il vaut mieux demeurer libre».
Mais que répond la foi chrétienne ? Elle ouvre les yeux, considère en esprit toutes ces œuvres humbles, déplaisantes, méprisées, et s’avise que la faveur divine les orne comme d’une parure faite d’or et de diamants très précieux ; et elle dit : «O Dieu ! parce que tu m’as fait homme et que c’est de mon corps que tu as engendré l’enfant, je sais aussi avec certitude que cela te plaît par-dessus toutes choses ; et je te confesse que je ne suis pas digne de bercer l’enfançon, ni de laver ses langes, ni de prendre soin de lui et de sa mère. Comment ai-je pu, sans mérite, accéder à cette dignité d’avoir acquis la certitude de servir la créature et ta chère volonté ? Ah ! comme je veux m’acquitter de cette tâche de bon cœur, fût-elle encore plus humble et plus méprisée. Maintenant ni le froid ni la chaleur, ni la peine ni le travail ne me rebuteront plus, car je suis certain que tu prends à cela ton bon plaisir2».
DAVID BROWN
NOTES
1 Dans son livre Evangelical Feminism and Biblical Truth (Intervarsity Press, 2005).
2 Martin Luther De la vie conjugale, cité dans Fac Réflexion n° 16.