Août 1997

     « La plus grande messe de France » titrait le Figaro du lundi 25 août 1997. « Plus d’un million de fidèles pour un pape rassembleur » s’écriait un autre article pour la messe de Jean-Paul II 1 !! L’Eglise catholique a effectivement jubilé devant ce succès inattendu. Le comble, c’est que cet événement a eu lieu en France, l’état laïque par excellence ! Mieux, ce sont surtout les jeunes qui écoutaient le pape. Bien sûr, il y avait l’ambiance, le coucher sur place à la belle étoile, la musique, les chanteurs et chanteuses,… et le pape ! Même s’il n’y avait pas un million de Français – car une multitude d’étrangers avait grossi les rangs – ce fut une très grande réussite.

     Pourtant, il y a eu quelques bavures, vraies ou supposées. Le Général Morillon et son comité de coordination avaient-ils été effectivement mandatés par un « décret » pour organiser la sécurité comme ils l’ont si bien fait ? A notre connaissance, rien n’a été publié à ce sujet au J.O. Il y a aussi le fameux solde de la facture que l’Eglise catholique doit toujours régler (n’a-t-on pas parlé de plusieurs millions de francs ?). Quand seront-ils payés ? Autre couac, dans un autre registre, la visite privée du pape sur la tombe de Jérôme Lejeune, bien connu pour sa position anti-avortement !…

     Mais, dans l’ensemble, c’étaient des journées presque sans ombre, à l’image du ciel bleu pratiquement sans nuages qui accompagnait les pélerins.

En tant qu’évangéliques, comment résumer ces journées ?

     D’abord, nous pourrions éventuellement nous réjouir de constater une certaine soif du spirituel chez les jeunes, même les Français. Dans cette fin de millénaire ultra-matérialiste, il est bon de voir que la cause spirituelle n’est pas complètement perdue. Certes, une messe reste mystique dans son essence, surtout quand la cérémonie est présidée par un « Saint-Père » qui captive les foules. Mais puisqu’il s’agissait d’une spiritualité « traditionnelle » et non pas ésotérique..

     Nous pouvons également admirer la sobriété générale de ces rencontres malgré les ovations prolongées en l’honneur du pape lors de ses deux arrivées à Longchamp. Le culte de la personnalité pontificale, « l’un des péchés mignons de l’Eglise (!) », selon certain journaliste, s’est fait lourdement sentir.

Les participants ont-ils pu recevoir quelque bénédiction ?

     Tous ces jeunes et moins jeunes ont-ils pu bénéficier de quelque « visitation d’en-haut » ? Malheureusement, le catholicisme reste ce qu’il a été avant Vatican II. Les béatifications et canonisations se sont accélérées depuis le pontificat de Jean-Paul II en 1978 (770 béatifications – Frédéric Ozanam a été normalement le 771ème – et 278 « saints » !). Les reliques de Ste Thérèse de Lisieux ont été amenées à Paris spécialement pour les JMJ. Cela dévoile un catholicisme toujours figé et moyenâgeux. Thérèse Martin sera bientôt proclamée « docteur de l’Eglise » – elle qui n’avait produit au point de vue « thèse » que quelques cahiers d’écolier griffonnés à ses moments de récréation et qui ont fait par la suite l’objet de 7000 rectifications…

     Le sacrement « régénérateur » du baptême reste aussi toujours le même. Certes, les messages de Jean-Paul II, lors des cérémonies du samedi soir et du dimanche matin, étaient très fleuris de citations bibliques, mais reconnaissons aussi que tout était doctrinalement faux quand le pape les a appliquées aux sacrements. Si seulement le pape s’en était servi pour annoncer à ces jeunes que la foi seule – en Christ seul – était l’unique source de la régénération. 2

Le massacre de la St-Barthélémy

     Plus pertinentes pour nous sont les réflexions de Jean-Paul II concernant le massacre des protestants par les catholiques en 1572. Malheureusement, le jour de la messe papale tombait le 24 août, 425 ans, jour pour jour, après le massacre.

     Jean-Paul II n’a pas choisi volontairement le 24 août pour sa visite et sa messe. La date lui fut imposée, paraît-il, par les autorités françaises car d’autres dates au mois d’août pour les MJM auraient rendu la circulation absolument impossible. Cette date a donc « obligé » le pape à parler de ce triste événement du XVIe siècle, et peut-être l’avait-il déjà souhaité. Car, dans le même esprit que les évêques catholiques italiens qui ont récemment demandé officiellement pardon à l’Eglise vaudoise, le pape a évoqué le fait que « des chrétiens ont accompli des actes que l’Evangile réprouve« . Jean-Paul II avait déjà employé un langage semblable dans sa dernière encyclique « Que tous soient un !« 3

     Cependant, pour le pape, les motivations du massacre sont « bien obscures », alors que les évangéliques ne rencontrent pas de problème à ce sujet. D’ailleurs, « je suis convaincu, dit-il, que seul le pardon offert et reçu conduit progressivement à un dialogue fécond et à une réconciliation pleinement chrétienne« . Aussi nous demandons-nous si le pape ne souhaite le pardon que dans le seul but oecuménique, comme une condition sine qua non l’unité visible de la chrétienté ne sera pas possible.

Les JMJ étaient des journées catholiques

     Malgré cette ouverture, les JMJ ont constitué une fête tout à fait catholique et à la catholique » La « Charte du Vivre Ensemble », datée de Mai 1997, signée de la jeunesse orthodoxe, protestante, musulmane et juive, invitant « Sa Sainteté » à faire de ces journées une rencontre interreligieuse, est restée lettre morte. L’évêque Michel Dubost, responsable des JMJ, a refusé de la signer. Malgré ce refus, le même évêque déclare dans sa réponse qu’il est « impossible d’être chrétien sans entendre le Christ appeler à l’unité et c’est extraordinaire de constater combien aujourd’hui cet appel retentit dans notre pays ». Pourquoi donc ne pas avoir accepté de signer ? La réponse donnée à la question est que la décision de « vivre l’unité » – en ouvrant la fête à tous les chrétiens – vaudrait mieux que « de faire des déclarations ». Une telle réplique est étonnante. Nous constatons que l’évêque – et le pape – ont voulu que ces JMJ soient vraiment catholiques.

Remarque

     Malgré le fait que les homélies papales aient été basées sur une parole de l’Evangile, on constate facilement que les yeux des jeunes n’ont pas été véritablement tournés vers le ciel. Un éditorial du Figaro du 22 août estime qu’avec une telle « communion inouïe », « on ne voit pas comment on pourrait ne pas croire en l’avenir de l’homme« . Et encore : « Avec ces rencontres, la France est en train de dire quelque chose au monde« . Des cris de jeunes filles scandant « Très Saint-Père, vous changerez la terre ! » nous montrent ce que beaucoup espèrent (c’est nous qui l’avons souligné). Jean-Paul II est aussi humaniste d’ailleurs, puisqu’il annonce à tous les jeunes : « Vous êtes l’espérance de l’Eglise« . Ces détails révèlent où l’accent est tombé pendant cette très grande fête catholique. Ce qui n’empêche pas le pasteur Jean Tartier, nouveau président de la Fédération Protestante de France, de dire : « Peut-on rêver que les JMJ de l’an 2000, à Rome, (lors donc du Jubilé que Rome prépare activement) réunissent tous les jeunes de toutes les religions. » 4

     Les temps que nous vivons nous permettent de voir poindre à l’horizon un syncrétisme alarmant, d’autant plus que le congrès eucharistique qui sera organisé à Rome en l’an 2000 et qui doit clore le Jubilé, sera obligatoirement idolâtre.5

Et Graz ?

     Les JMJ du mois d’août ont quelque peu fait oublier le grand rassemblement oecuménique des églises européennes à Graz, au mois de juin.

     C’est dans cette ville d’Autriche que quelque 700 délégués officiels de 150 Eglises différentes, avec quelque 10,000 assistants, se sont rencontres du 23 au 29 juin. Sous le thème de « La réconciliation, don de Dieu, source de vie nouvelle », l’un des buts du congrès fut (évidemment) « la recherche d’une unité visible entre les Eglises » et « le dialogue avec les religions et les cultures ». D’autres thèmes étaient à l’ordre du jour la justice sociale, la pauvreté et l’exclusion, ainsi que « les autres formes de discrimination » et surtout la résolution pacifique des conflits.

     Graz fut organisé par les églises protestantes membres de la Conférence des Eglises Européennes (KEK) avec l’Eglise catholique, par le biais de son Conseil des Conférences Episcopales Européennes (CCEE). Le sujet traité se prêtait à encourager l’oecuménisme « sauvage ». Aussi avons-nous eu de la peine à comprendre l’enthousiasme des évangéliques qui s’y sont (malheureusement ?) engagés.

Ce qui choque

     Ce qui choque, ce n’est pas tellement les sujets évoqués à ce Congrès, mais ceux qui ne l’ont pas été. Certes, sous le thème de la réconciliation, on cite dans le « Message (final) du Rassemblement de Graz » 2 Corinthiens 5:19, en disant que les Eglises doivent proclamer et transmettre aux peuples d’Europe la Bonne Nouvelle que c’est « Dieu qui en Christ réconciliait le monde avec lui-même », mais sans aucune insistance sur la manière dont les chrétiens devraient annoncer ce message. Et l’essentiel n’est pas dit non plus, à savoir qu’aucune personne n’est réconciliée avec Dieu à moins d’avoir accepté personnellement la réconciliation offerte par Dieu à l’homme repentant, grâce à l’oeuvre de Jésus-Christ sur la croix.

     Effectivement, en traitant la réconciliation, il est normal de parler de ses fruits qui sont à manifester dans les domaines éthique, social, ethnique, éventuellement écologique et politique de notre société. Cependant, le devoir primordial de l’Eglise de Jésus-Christ, n’est-il pas d’abord d’appeler tous les humains à se réconcilier avec Dieu individuellement, en se repentant de leur péché ? Des rencontres comme celle de Graz, et comme celle de Bâle, huit ans auparavant, peuvent-elles être utiles pour sensibiliser les Eglises aux problèmes éthiques que le monde confronte tous les jours, mais les organisateurs comprennent-ils la principale façon d’agir de Dieu, à savoir commencer par régler le problème de la réconciliation de l’individu avec Lui-même, par une naissance d’en-haut ? Ensuite, le Saint-Esprit guidera les individus réconciliés à accomplir les bonnes oeuvres que Lui-même a préparées pour chacun. D’une façon ou d’une autre, il nous semble que Graz a mis « la charrue avant les boeufs ».

Besoin de lire entre les lignes

     Les « engagements » d’Eglises mentionnées dans le « Message » final doivent aussi être sondés. « L’opposition à toute forme de discrimination au sein des Eglises » englobe-t-elle la discrimination biblique nécessaire concernant les déviations sexuelles ? Et, que veut dire exactement « le statut et l’égalité des femmes dans tous les domaines » pour une église locale ? Nous ne cherchons pas la « petite bête » mais aujourd’hui toute parole doit être examinée « à la loupe » pour en comprendre la signification et pour voir si elle est conforme ou non à la Parole de Dieu.

Conclusion

     Deux rencontres importantes. La première, pleinement oecuménique. La deuxième, pleinement catholique.

     Les chrétiens évangéliques que nous sommes sont appelés à observer ces événements de près afin de pouvoir « discerner les esprits ».

     Aujourd’hui, la tâche n’est pas toujours simple. Combien sentons-nous notre besoin de l’aide de l’Esprit de Dieu et du don du discernement !

Pierre WHEELER


NOTES

1 Il est bon de se rappeler qu’il y a déjà une vingtaine d’années, une assistance forte d’un million de personnes écoutait Billy Graham prêcher l’Evangile à Séoul, en Corée du Sud. Mais ce rassemblement-là, comme on s’en souvient, visait un tout autre but.

2 Nous étions particulièrement outrés quand Robert Hossein a lu le Psaume 42. Avant de lire la troisième strophe (Ps 43) – « Pourquoi te désoles-tu, mon âme ?« , etc. – M. Hossein a carrément ajouté des paroles concernant l’eau de mon baptême » et « le pain de mes larmes qui est celui de ton eucharistie« . C’est incroyable !

3 Le 19 juillet 1997, en l’église de St-Germain l’Auxerrois, dont les cloches avaient sonné le signal du massacre de la St-Barthélémy, le 24 août 1572, une veillée de prière pour demander pardon avait été organisée. Le cardinal Lustiger et cinq pasteurs protestants, dont deux évangéliques, s’y trouvaient (voir Oecuménisme Informations N°277, été 1997). Il semble cependant que tous les protestants ne soient pas tombés d’accord pour accepter ainsi une proposition facile de pardon. Le pasteur Pierre-Yves Ruff est allé déposer une gerbe devant le temple de l’Oratoire, où se trouve une sculpture de l’amiral de Coligny, défenestré dès le début du massacre.

4 Figaro du lundi 25 août 1997, p. 7.

5 Lors de la lecture du texte d’Ezéchiel 37, concernant la purification d’Israël et qui était appliqué à l’Eglise (catholique), nous ne pouvions pas nous empêcher de dire « Amen » quand était lu le verset 25 : « Je vous purifierai de toutes vos souillures et de toutes vos idoles ».