Lors de la dernière Assemblée Générale du Réseau FEF, une partie de la journée a été consacrée à la question du renouvellement des vocations pastorales. Sylvain Romerowski a ouvert les travaux par un exposé à partir du dossier biblique. Nous publions ici la seconde partie de son intervention.

2e Partie

Dans la première partie de cet article, nous avons tenté de justifier le ministère du pasteur tel qu’il peut se vivre de nos jours, en montrant que c’est là une manière adaptée à notre situation contemporaine de répondre à certains besoins des Églises signalés par le Nouveau Testament, d’assumer certaines fonctions et d’accomplir un ensemble de tâches que le Nouveau Testament invite à assumer et à accomplir au service des Églises. Sur cette base, en considérant ces besoins, ces fonctions et ces tâches, nous pouvons maintenant essayer de préciser les grands axes de ce ministère. Cela ne signifie pas que le pasteur sera seul à assumer ces fonctions et à accomplir ces tâches, mais que ce sont là celles pour lesquelles il est bon que les Églises se dotent d’un ou de plusieurs pasteurs formés et rémunérés qui s’y consacreront plus particulièrement.

En quoi devrait consister le ministère du pasteur aujourd’hui ?

La prière

Rappelons que les apôtres se sont consacrés à la prière et à l’enseignement (Ac 6.4). Une partie du ministère pastoral doit être consacrée à la prière. Je cite ici le pasteur Thierry Huser : un pasteur, c’est quelqu’un qui est payé, entre autres, pour prier. Un pasteur, c’est quelqu’un qui est payé pour prier pour les membres de son Église pendant que ceux-ci sont au travail dans le cadre de leur profession. Et pour bien d’autres personnes et sujets aussi…

L’enseignement

Ensuite l’enseignement – sous ce terme sont inclus, non seulement l’enseignement biblique et doctrinal, mais aussi la prédication, l’exhortation… : on ne répétera pas suffisamment l’extrême importance que revêt cet aspect du ministère et le fait que son exercice requiert une formation, du temps et un labeur soutenu selon le Nouveau Testament. Reprenons ce que Paul écrivait à Timothée : Efforce-toi de te présenter devant Dieu en homme qui a fait ses preuves, en ouvrier qui n’a pas à rougir de son ouvrage, parce qu’il transmet correctement la Parole de vérité. (2 Tm 2.15). Transmettre correctement la parole de Dieu demande du travail (en ouvrier, ouvrage) et donc du temps, des efforts (efforce-toi), de l’expérience (qui a fait ses preuves). Timothée est aux côtés de Paul depuis une quinzaine d’années lorsque l’apôtre lui écrit cela. Il a bénéficié de l’enseignement de l’apôtre pendant tout ce temps. Peut-on rêver d’une meilleure formation théologique ? Pourtant, il ne peut pas se reposer sur ses acquis. Il doit prendre du temps, fournir des efforts et du travail en vue de son enseignement.

Paul demande en outre que les anciens qui enseignent l’Église à Éphèse reçoivent un double salaire (1 Tm 5.17). Son but est certainement que ces hommes soient dégagés de la nécessité de subvenir aux besoins de leur famille pour se consacrer à l’enseignement. Une Église mature est une Église qui paie une ou plusieurs personnes pour l’enseigner. Un pasteur est quelqu’un qui est payé, non pas pour se disperser dans de multiples activités, mais pour consacrer du temps à l’étude, au travail en vue de son enseignement, et à l’enseignement.

Le pasteur se doit de consacrer une part importante de son ministère à l’étude, à la réflexion, à la préparation de ses prédications, de ses études bibliques, du catéchisme pour les jeunes ou les nouveaux convertis et de toute autre forme d’enseignement. Il veillera à ne pas négliger cet aspect de son ministère. Il est si facile de se laisser accaparer par bien d’autres tâches et de négliger l’étude et l’enseignement.

Si, pour la plupart des membres d’une Église, l’enseignement du pasteur se limite à une prédication de 25 minutes le dimanche matin, quand ce n’est pas un dimanche sur deux, on est très loin du compte par rapport aux recommandations du Nouveau Testament.

Il est certainement bon que d’autres que le pasteur prennent de temps en temps la parole dans l’Église. Certains ont le don d’exhortation. Comme le remarque Alfred Kuen, ceux qui sont en prise avec les réalités du monde du travail ont une perspective et une expérience que n’a pas le pasteur. Ils pourront compléter utilement le ministère du pasteur, à condition qu’ils sachent communiquer ce qu’ils ont à apporter. Ceci dit, le plus gros de l’enseignement devrait être apporté par celui qui a la formation et la disponibilité pour ce ministère.

Dans le cas du pasteur, le ministère d’enseignement bénéficiera d’un programme de visites suivies de tous les membres de l’Église : ce sera notre point suivant. En effet, si le pasteur n’a pas d’expérience professionnelle, ou très peu, une écoute attentive et empathique de ce que vivent les membres de l’Église lui donnera une compréhension des difficultés et problèmes qui se posent à eux. D’ailleurs, lorsqu’on a une expérience professionnelle, celle-ci se limite nécessairement à un type particulier. Par contre, l’écoute de tous les membres lui donnera une compréhension de situations très diverses. C’est ce qui permettra à son enseignement d’être pertinent pour ses auditeurs.

Ceci me conduit à une remarque que je ferai à partir d’une citation de mon collègue Étienne Lhermenault : les groupes de quartier ou groupes de maison, tellement à la mode aujourd’hui, participent à l’affaiblissement de nos Églises dans la mesure où ces groupes de maison remplacent l’étude biblique assurée par le pasteur ou par un enseignant ayant reçu une formation théologique solide. Si une Église pratique les deux types de réunions et si les membres participent aux deux, tant mieux. Mais si les groupes de quartier remplacent l’étude biblique assurée par le pasteur, cela est fort dommageable pour l’Église. La prédication du dimanche ne suffit pas. L’Église a besoin d’études bibliques solides qui aillent au-delà du lait. Les chrétiens ont besoin de viande pour grandir (Hé 5.11-14).

Pour préparer une étude biblique pour mon Église, il me faut souvent plus d’une demi-journée de travail, voire une journée ou plus, et cela chaque semaine. On ne peut pas attendre cela des anciens ou des responsables de groupes de maison qui ont une vie professionnelle et qui n’ont pas une formation biblique et théologique approfondie. Les études bibliques sont la responsabilité du pasteur (et éventuellement, à ses côtés, de personnes ayant une solide formation théologique et de la disponibilité).

Il est préoccupant à mes yeux de constater la faiblesse de l’enseignement dans bon nombre de nos Églises évangéliques. Les media sont un puissant moyen de manipulation et de lavage de cerveau des masses et il est à craindre que nos membres d’Église soient bien davantage exposés à ce matraquage qu’à l’enseignement biblique. Et ce n’est pas sans conséquences sur leur vie. Il y a trente ans, on savait ce que croyait un évangélique en matière de doctrine et d’éthique. Au sein du monde dit chrétien, les évangéliques se distinguaient nettement des autres en matière de doctrine et d’éthique. Le libéralisme était confiné à des milieux extérieurs au milieu évangélique. Les choses ont changé depuis. Les media se font désormais les relais des thèses libérales sur la Bible et nos membres d’Églises y sont exposés. De surcroît, les affirmations doctrinales ou éthiques qui nous sont chères, celles de notre confession de foi, sont battues en brèche par des gens qui se disent évangéliques et qui font partie d’Églises qui se disent évangéliques. Les maisons d’éditions de nos milieux n’hésitent pas à publier des ouvrages véhiculant des thèses contraires aux positions évangéliques et l’on rencontre aussi ces thèses dans des magazines dits évangéliques. Le danger ne vient plus seulement du dehors. Mais les avertissements que Paul adressait aux anciens d’Éphèse sont devenus d’actualité pour nous, et le seront de plus en plus dans les années à venir : Je le sais : quand je ne serai plus là, des loups féroces se glisseront parmi vous, et ils seront sans pitié pour le troupeau. De vos propres rangs surgiront des hommes qui emploieront un langage mensonger pour se faire des disciples. Soyez donc vigilants ! Rappelez-vous que, pendant trois années, je n’ai cessé de vous conseiller un à un, et parfois même avec larmes (Ac 20.29- 31). Aussi, lorsque Paul demande aux anciens de veiller sur le troupeau dans ce contexte, c’est d’abord par rapport au danger que représentent les enseignants de fausses doctrines (Ac 20.28). L’enseignement ne fait pas tout. La convivialité est importante. Mais sans enseignement solide dans nos Églises, le mouvement évangélique français risque de perdre une grande partie de son caractère évangélique, tout comme bien des Églises issues de la Réforme l’ont perdu deux ou trois siècles après la Réforme…

Le suivi des personnes, l’accompagnement pastoral

Autre responsabilité du pasteur, les visites, l’accompagnement et le soutien pastoral (ou la cure d’âme, ou la relation d’aide, comme on voudra l’appeler). Les responsables d’Église sont appelés à prendre soin des membres de l’Église et à veiller sur eux (Hé 13.17 ; 1 P 5.2). A fortiori, le pasteur. Comment cela peut-il se faire, sinon en s’intéressant à chaque membre de l’Église en particulier ? Il est donc souhaitable qu’un pasteur s’efforce de rendre visite à tous les membres de son Église, ou d’avoir un entretien pastoral avec chacun d’eux, au moins une fois par an. Cela paraît un minimum, outre le suivi de certaines personnes qui ont des besoins particuliers.

Cela ne veut pas dire que le pasteur est seul à faire des visites. Mais il exercera d’autant mieux son ministère qu’il aura une vue d’ensemble des membres. Évidemment, si l’Église est nombreuse et qu’il y a deux pasteurs à plein temps ou plus, ils se partageront la tâche…

«Mieux vaut prévenir que guérir». Un ministère de visite régulier peut permettre de prévenir divers problèmes chez certains, dans les couples, dans les familles… Aborder au cours des visites des difficultés rencontrées par les personnes, les couples, les familles, peut permettre d’éviter que la situation s’envenime et devienne critique. En outre, pour contrecarrer l’influence des media et du monde en général, ou encore l’influence d’enseignements ou de modes de pensée erronés, et parfois dangereux, qui ont cours dans le monde chrétien, il est crucial d’assurer un suivi des personnes. Comme l’a exprimé le pasteur Daniel Molla, de rares visites «de pompiers» (on y va quand ça brûle) ne suffisent pas à répondre aux besoins particuliers des gens, à leurs questionnements personnels, et aux influences qu’ils subissent. Un ministère de visites régulier est absolument nécessaire. Un tel ministère pourra d’ailleurs compléter utilement l’enseignement donné dans les réunions d’Église en apportant des réponses aux questions que les gens se posent. Il pourra aussi orienter la prédication et l’enseignement dans l’Église.

Ajoutons encore un point ici : le pasteur devrait consacrer du temps aux personnes, individuellement, pour en faire des disciples. Il est à craindre que, dans nos Églises, nous ayons pas mal de chrétiens, mais peu de disciples. Jésus a demandé de faire des disciples, et pas seulement des chrétiens (Mt 28.19-20). Et faire des disciples demande de consacrer du temps aux personnes, parfois en groupe, mais aussi individuellement. Pour aborder avec elles des questions très diverses : piété, vie d’Église, vie de famille, relations dans le couple, éducation des enfants, vie professionnelle, etc.

La gestion des conflits peut aussi faire partie du ministère du pasteur (Ph 4.2- 3).

La direction d’Église

Lorsque j’ai préparé mon cours sur l’organisation d’Église pour l’Institut Biblique, il y a des années, je me suis rendu compte tout à coup que, parmi les responsabilités du pasteur, j’avais oublié la direction de l’Église. Ceux qui craignent que le pastorat soit de type monarchique pourront s’en réjouir. Cette omission est en tout cas révélatrice de ce que j’ai principalement à l’esprit lorsque je parle de ministère pastoral : la prière, l’enseignement et le suivi des personnes.

Il est cependant souvent question du ministère de direction d’Église dans le Nouveau Testament (Rm 12.8 ; 1 Co 12.28 ; 1 Th 5.12 ; 1 Tm 5.17 ; Hé 13.17). Le pasteur partagera ce ministère avec les responsables de la communauté – si tant est qu’il y ait d’autres responsables aux côtés du pasteur, ce qui n’est pas toujours possible. Il aura cependant une autorité naturelle découlant de sa formation, de son expérience et de son activité au sein de l’Église.

Dans bien des Églises, il paraît naturel de confier au pasteur la responsabilité de présider le conseil d’anciens. Dans d’autres, on préfère que la présidence du conseil d’anciens soit assurée par l’un des anciens plutôt que par le pasteur. À chaque Église de se déterminer sur ce point. En revanche, dans la mesure où le pasteur est rémunéré par l’Église, il vaut mieux éviter qu’il assume la fonction de président de l’association cultuelle.

Le pasteur joue normalement un rôle particulier d’animation et de coordination de la vie de l’Église. Il apportera des idées, donnera des impulsions, suggérera des projets. Il se projettera dans l’avenir pour proposer des objectifs à atteindre à court, moyen et long termes. Il motivera les membres de l’Église, cherchera à les fédérer en vue de la réalisation des objectifs adoptés. Il organisera les activités, mobilisera les membres et en mettra à l’œuvre. Certains parmi les anciens peuvent aussi avoir les capacités nécessaires pour ces fonctions et être à même d’épauler le pasteur qui s’appuiera ainsi sur eux. Mais souvent, c’est le pasteur qui est le moteur principal de la vie de l’Église : d’une part, il a davantage de temps que ceux qui ont une vie professionnelle pour y réfléchir, d’autre part, il participe généralement à un réseau de relations constitué de pasteurs d’autres Églises et de responsables d’œuvres et missions chrétiennes, ce qui lui donne une vision de ce qui se fait ailleurs et lui permet de recueillir bien des idées et informations pour l’élaboration de projets d’Église.

Lorsque nous parlons de mettre les membres de l’Église à l’œuvre, il est nécessaire de prendre conscience de certaines limites, à cause du mythe courant selon lequel chaque membre de l’Église devrait faire quelque chose dans l’Église. Certains se trouvent à une étape de leur vie où ils n’ont pas la disponibilité pour cela, à cause d’une charge professionnelle ou familiale trop lourde. Ces personnes mettent ainsi leurs dons de manière intensive au service de la création qui est la création de Dieu. Il faut en effet élargir ses perspectives et se rendre compte que l’Église n’est pas le seul champ de service possible pour le chrétien : certains ont pour vocation de servir Dieu dans sa création en dehors de l’Église locale. D’autres encore servent Dieu dans des œuvres chrétiennes où leurs compétences et aptitudes spécifiques sont parfois plus utiles et mieux employées qu’elles ne le seraient dans leur Église locale : il faut avoir là une vision de l’Église universelle et ne pas limiter son champ de vision à l’Église locale. D’ailleurs, Paul utilise l’image du corps à propos de l’Église pour illustrer la diversité des fonctions exercées par les membres de l’Église. Or un corps ne sert pas que lui-même. Il agit pour son propre bien, mais il agit aussi dans le monde extérieur et envers autrui. Le pasteur étant à plein temps dans l’Église ne doit pas attendre des autres membres qu’ils soient aussi disponibles que lui. Il n’est pas là pour tout faire. Mais il est quand même là pour faire bien plus que les autres.

La représentation devant les autorités

À l’époque du Nouveau Testament, à certains endroits, un chrétien de haute condition sociale pouvait servir de «patron» à son Église ou à d’autres, en plaidant leur cause et en défendant leurs intérêts auprès des autorités. Aujourd’hui, c’est la fonction pastorale qui est normalement reconnue par les autorités et les relations avec celles-ci reviennent donc au pasteur. De même que les relations avec les représentants d’autres confessions.

L’action sociale envers le monde ?

L’action sociale envers le monde fait-elle partie du ministère pastoral ? La question doit être posée à cause d’un discours à la mode de nos jours. Contrairement à ce discours, on ne voit nulle part dans le Nouveau Testament que l’action sociale envers le monde ferait partie de la mission de l’Église. Au temps du Nouveau Testament, on a cherché à répondre à certains besoins matériels des chrétiens au sein des Églises ou entre Églises, mais il n’est nulle part question d’action sociale des Églises en faveur du monde extérieur. L’action sociale envers le monde est la vocation de certains chrétiens, qui pourront l’exercer dans un cadre professionnel, ou dans un cadre associatif, voire dans le cadre d’une œuvre ou d’une association chrétienne, ou autre, mais ce n’est pas la vocation de l’Église en tant que telle. L’action sociale envers le monde ne fait donc pas partie du ministère pastoral1. On notera en outre que, lorsqu’il s’est agi d’organiser une aide matérielle envers les croyants dans le besoin au sein de l’Église de Jérusalem, les apôtres ont eu la sagesse de déléguer à d’autres la responsabilité de cette tâche, pour se consacrer pleinement quant à eux à leur ministère particulier (Ac 6). C’est un exemple à suivre pour le pasteur. L’emploi du temps d’un pasteur est certainement très largement rempli par la prière, l’apport d’un enseignement sérieux, le suivi des personnes, la direction. En s’engageant dans une action sociale, le pasteur risque de négliger des aspects proprement pastoraux de son ministère.

Le pasteur est-il un ancien parmi les anciens ?

Nous avons déjà montré dans la première partie de cet article que le texte de 1 Pierre 5.1 parfois cité à ce propos ne permet pas d’alléguer qu’un pasteur est un ancien comme les autres. D’ailleurs, nous avons vu que le Nouveau Testament établit des distinctions entre anciens. Il laisse donc la porte ouverte à une distinction possible entre un (ou des) pasteur(s) au sens moderne du terme, et les autres responsables d’une Église.

On peut ajouter ici quelques réflexions.

Dans la pratique, la formation particulière du pasteur et l’expérience qu’il acquiert au cours de son ministère, et la variété de cette expérience s’il a déjà exercé un ministère auparavant en d’autres Églises, peuvent produire une compétence qui le distingue des autres responsables de l’Église. De plus, sa disponibilité, du fait qu’il exerce son ministère à plein temps, lui donne une meilleure vue d’ensemble de l’Église que celle des autres responsables. Il est donc normal que le pasteur ait plus de poids que les autres responsables. Ces facteurs font qu’il a naturellement une autorité plus grande que celle des autres responsables de l’Église. Certes, il lui incombe d’exercer cette autorité avec humilité et esprit de service, par dévouement et sans autoritarisme, en laissant les anciens qui sont à ses côtés jouer eux aussi leur rôle (1 P 5.2-3).
Mais de fait, un pasteur n’est pas un ancien tout à fait comme un autre !

Faut-il le préciser ? L’expérience est un des facteurs importants qui lui confèrent ce poids et, par définition, c’est au fil de nombreuses années que l’on acquiert cette expérience. Par conséquent, ce n’est pas au sortir de l’institut biblique ou de la faculté de théologie que l’on peut avoir ce poids. Au contraire, à ce point, on a encore tout à apprendre du ministère ! J’ai connu une Église où l’on avait enseigné pendant des décennies qu’un pasteur est «un ancien parmi les anciens» et que tous les anciens sont également pasteurs. Mais les membres de l’Église persistaient à faire la différence. Et quand un ancien leur rendait visite dans l’année, plutôt que le pasteur, ils se plaignaient de n’avoir pas reçu de visite du pasteur, bien qu’on s’efforçât de leur inculquer que cela revenait au même. Il est possible que la différence ait pu parfois être exagérée, mais il me semble néanmoins que les membres percevaient intuitivement quelque chose de très réel : un pasteur n’est pas un ancien comme les autres.

Le Nouveau Testament nous offre d’ailleurs des précédents : on sent bien que Jacques avait à Jérusalem une autorité particulière à Jérusalem, et l’on voit bien que Timothée avait à Éphèse une autorité qui allait au-delà de celle des anciens de l’Église (1 Tm 5.17-22).

Quelques considérations pratiques

Je suis donc convaincu qu’une Église a besoin, pour grandir et mûrir, d’un ministère pastoral salarié à plein temps. Cela entraîne certaines conséquences pratiques. De manière évidente, pour salarier un pasteur, il faut en avoir les moyens et cela suppose une certaine taille d’Église locale avec un certain nombre de membres. Mais si une Église se scinde en deux pour essaimer au moment où elle aurait les moyens de salarier un pasteur, ou si l’essaimage lui ôte les moyens de salarier un pasteur, elle s’expose à la fragilisation et c’est dommageable.

J’ai entendu un jour John Winston vanter les avantages des grandes Églises (deux cents membres ou plus). J’ai moi-même vécu dans une Église de plus de cent cinquante membres, et qui employait deux personnes à plein temps pour accomplir un travail pastoral. Cette Église avait ses locaux dans une grande ville. Les membres habitaient cette ville et la banlieue, à une distance maximale d’une demi-heure en voiture des locaux de l’Église. Outre les réunions dans les locaux de l’Église, ils pouvaient organiser des réunions de prières en divers endroits de l’agglomération, et des groupes d’études bibliques d’évangélisation se tenaient dans cinq à dix familles. L’évangélisation n’était donc pas négligée et n’était pas du tout limitée au quartier dans lequel l’Église avait ses locaux. Par contre, les possibilités de l’Église étaient décuplées : des classes d’écoles du dimanche pour des enfants et des jeunes de trois à dix-huit ans, répartis par tranche d’âge de deux ans, fonctionnaient avec une dizaine d’enfants par classes, pendant le culte pour les plus jeunes, avant le culte à partir de douze ans ; il y avait en outre une classe d’école du dimanche pour adultes avant le culte ; des réunions de formation pour les enseignants de l’école du dimanche ; trois classes de catéchisme, une fois par semaine, pour les jeunes adolescents, réparties en trois niveaux ; deux classes d’adultes suivant des cours sur la Bible identiques aux cours du soir de l’Institut Biblique de Nogent ; trois groupes de couples, par tranches d’âge, se réunissant régulièrement pour aborder des questions de vie de couple et de famille et vivant des temps forts ensemble ; et de multiples activités ou occasions de service ; à quoi il faut ajouter des possibilités d’aider financièrement et de manière substantielle d’autres Églises ou diverses œuvres. Ceci n’est pas réalisable en tous lieux, mais pour les Églises de certaines grandes villes et d’Île-de-France, il y a là, me semble-t-il, de quoi méditer…

Évidemment, la plupart de nos Églises sont de taille plus petite. Certaines trop petites pour salarier un pasteur à plein temps. L’exemple d’Épaphras, qui exerçait un ministère en réseau sur trois communautés au moins, Colosses, Laodicée et Hiérapolis mérite ici d’être considéré. Dans le cas de petites Églises, un ministère sur deux Églises peut être envisagé. Un autre cas de figure serait celui de deux pasteurs pour trois Églises, chacun basé sur une Église et les deux se partageant la tâche dans la troisième.

J’ai moi-même participé à la fondation d’une nouvelle Église. Au début, le projet était chapeauté par le pasteur et les anciens de l’Église mère. Puis la nouvelle Église s’est doté de ses propres anciens. Dans les premières années, elle a souvent fait appel à des enseignants extérieur pour la prédication du dimanche. Dès qu’elle a pu, elle a salarié un pasteur à mi-temps. Et l’on a vu la différence, notamment pour le suivi des personnes et les impulsions données à la vie de l’Église, alors que les anciens ne pouvaient jusque-là que parer au plus pressé.

Lorsque plusieurs Églises ont chacune son pasteur, on peut tout de même songer à élargir ses perspectives au-delà de l’Église locale et à mutualiser les ressources humaines. Considérons par exemple le cas de deux Églises appartenant à la même union d’Églises et suffisamment proches l’une de l’autre géographiquement. Le pasteur de l’une est doué pour s’occuper des jeunes, le pasteur de l’autre beaucoup moins. Par contre, le second a pour point fort l’enseignement. On pourrait imaginer que le premier s’occupe du groupe de jeunes de chacune des deux Églises, et que le second l’épaule pour l’enseignement dans la première Église.

De même pour la formation des responsables d’Église qui, ayant une activité professionnelle, ne peuvent pas se former en école biblique. Je pense qu’il ne faut pas simplement la penser au niveau de l’Église locale mais au niveau de l’union d’Églises. Bien sûr, on bénéficiera utilement des formations qui sont offertes par les écoles : Formapré, cours du soir, semaines de cours intensifs, universités d’été, etc. Mais il est bon que chaque union d’Église adopte une politique de formation des futurs responsables et la mette en œuvre. Elle pourra alors organiser la formation au niveau national ou régional, en faisant appel aux divers pasteurs et enseignants capables en son sein d’assurer cette formation et en rassemblant périodiquement les futurs responsables des Églises, que ce soit pour toute l’union, ou par régions.

Nous avons dans cet exposé tracé des lignes, indiqué des orientations pour le ministère pastoral. Il est clair que chaque situation est différente et qu’il convient à chaque Église de vivre et de fonctionner en tenant compte de sa situation et des possibilités qui lui sont offertes, mais aussi de tendre toujours mieux vers les objectifs proposés par l’Écriture. De même, un pasteur aura nécessairement des points forts et des points faibles, sera plus à l’aise avec certains aspects du ministère pastoral et moins avec d’autres. Il lui faudra alors avoir la sagesse de reconnaître ses points faibles et de déléguer à d’autres au sein de l’Église, ou bien de faire appel à des collègues d’autres Églises par exemple, pour l’épauler dans tel domaine où il se trouve moins à l’aise.

En conclusion, c’est ma conviction profonde que le ministère pastoral à plein temps, tel qu’il a pu se vivre et se vit encore dans de nombreuses Églises, est un ministère crucial, adapté à notre situation contemporaine, pour réaliser le projet d’édification que le Nouveau Testament assigne à l’Église locale. 

SYLVAIN ROMEROWSKI


NOTE

1 Voir à ce propos notre «La lettre de Jérémie aux exilés, Jérémie 29.1-14», Les cahiers de l’Institut Biblique de Nogent, juin 2013, n° 160, p. 3-12.