L’Assemblée plénière du CNEF s’est déroulée le 24 mai 2016 à Paris. L’occasion pour son président Étienne Lhermenault de dresser un bilan de l’année écoulée et de rappeler les missions du CNEF. Nous publions ici l’intégralité de ton intervention.
« Osons le dire : une théologie qui ne croit plus en la nécessité d’annoncer l’Évangile pour que les hommes soient sauvés peut, certes, conserver “l’apparence de la piété”, mais elle renie “ce qui en fait la force” (2 Tm 3.5). » J’emprunte ces paroles au doyen Jacques Buchhold qui ajoute avec raison : « La théologie doit constamment apprendre à aimer et à aimer encore, à en avoir les “entrailles émues”, à l’exemple de Jésus, pour venir au secours de ceux qui nous entourent par la parole et les actes1. »
Ce que l’on doit oser dire de la théologie s’applique au moins autant à nos Églises et à nos œuvres : si elles ne croient plus nécessaires d’annoncer l’Évangile au point d’en faire un axe majeur de leur vision et leur action, alors elles conservent « l’apparence de la piété » mais renient ce qui en fait « la force ». C’est toute l’ambition que nous avons au CNEF : faire de la proclamation de l’Évangile à notre génération l’objet de toute notre attention et le moteur de nos collaborations. En introduisant ainsi mon rapport annuel, j’indique une volonté d’esquisser le sens de nos actions, leur pertinence, non d’en faire la liste exhaustive ni même d’en évaluer l’efficacité.
I. Fonder nos relations et collaborations
Parce que nous avons fait cause commune sur la base d’une déclaration qui résume les grandes vérités de la foi sans entrer dans le détail des controverses ou de la diversité des pratiques, il nous faut rester théologiquement en éveil pour cultiver notre unité et surtout pour fonder nos relations et nos collaborations. L’histoire récente nous a appris qu’un manque de vigilance en la matière pouvait rapidement conduire à l’incompréhension et aux antagonismes, un peu à la manière des tribus de Cisjordanie prêtes à en découdre avec celles de Transjordanie parce qu’elles avaient mal interprétées la construction d’un autel monumental sur les bords du Jourdain (Jos 22.10ss). La place faite à l’expérience de Dieu et aux signes miraculeux pour accompagner la proclamation de l’Évangile chez les uns et le souci de rigueur biblique et théologique nourrissant une vie de piété chez les autres modèlent des sous-cultures dans nos Églises et dans nos œuvres qui ont longtemps nourri craintes et suspicions mutuelles. Les pardons échangés en 2001 ont fait tomber des barrières, mais seule la réflexion théologique commune et les collaborations concrètes construiront la confiance et donneront sa pleine dimension à la réconciliation. Réflexion théologique commune et collaborations concrètes, dans cet ordre et simultanément ! C’est pourquoi le travail de notre comité théologique est si déterminant pour la solidité de notre maison commune. Or qu’apprenons-nous au fil de ses productions2 ? Que, malgré notre diversité, nous nous voulons tous à l’écoute de ce que l’Esprit dit aux Églises par la Parole vivante qu’il a inspirée pour mieux nous attacher au Seigneur qui nous a sauvés. En abordant cette fois la question des relations entre L’Église, les Églises et les œuvres, le comité nous aide à mieux fonder et évaluer des réalités auxquelles nous avons recours par pragmatisme mais avec un cœur partagé faute d’être animés de vraies convictions. Que le comité théologique soit ici remercié pour son travail ainsi que toutes les commissions missiologiques qui contribuent par leur réflexion à mieux fonder nos relations et collaborations.
II. Investir dans les richesses véritables
Notre vision et l’axe principal de nos actions tient tout entier à cette affirmation lors de la constitution du CNEF en juin 2010 : « Nous affirmons que l’Évangile est le message permanent de Dieu au monde, qu’il répond au besoin le plus essentiel de l’être humain et qu’il est de (sa) responsabilité de le faire connaître3. » Ceci a conduit l’Assemblée plénière le 4 octobre 2011 à faire sienne les propositions du comité représentatif contenues dans le texte « L’évangélisation au cœur du CNEF » qui se termine par deux recommandations fortes :
– « Faire de la proclamation de l’Évangile ici et maintenant une priorité absolue. »
– « Adopter une vision d’évangélisation à la fois volontariste et réaliste qui passe d’abord par l’implantation de nouvelles Églises. »
Ce qui signifie que toutes nos actions doivent être subordonnées à cette priorité absolue et à cette vision d’évangélisation, qu’il s’agisse (par ordre croissant d’importance) de « Proposer un cadre d’échange sur la formation », « Faire connaître nos positionnements dans la société », « Manifester l’unité des évangéliques » et bien sûr « Favoriser les conditions d’annonce de l’Évangile4 ».
Mais comprenons-nous bien, le CNEF n’a pas vocation à se substituer aux Églises et aux œuvres dans la proclamation concrète de l’Évangile. Par contre, il peut user de nombreux moyens pour encourager cette annonce :
– Par la mise à disposition d’outils et en facilitant la concertation entre ses membres : c’est tout le sens d’1 pour 10 000 et des communautés d’apprentissage. Après celle consacrée à l’implantation d’Églises, je ne saurais trop vous recommander celle qui va commencer sur le développement des Églises Relever le défi pour des Églises en bonne santé, pertinentes dans le contexte contemporain.
– En en favorisant les conditions : c’est tout le sens de la campagne Libre de le dire qui a une visée pédagogique pour nos membres, les aider à connaître leurs droits, et une visée apologétique auprès des responsables politiques, les rappeler à une plus juste compréhension de la laïcité et de la liberté d’expression.
J’aimerais ici en profiter pour rendre hommage à l’excellent travail que fait Nancy Lefèvre en lien avec la commission juridique et le réseau d’experts qu’elle a pu mobiliser. Favoriser les conditions d’annonce de l’Évangile, c’est tout le sens aussi de notre travail de représentation auprès des médias et des autorités, lever les obstacles inutiles à l’annonce de l’Évangile sans toutefois remettre en cause l’obstacle incontournable que représentent le scandale et la folie de la croix.
– En témoignant de l’amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ dans des lieux habituellement inaccessibles à nos Églises et à nos œuvres : je veux parler ici du service pastoral auprès des parlementaires où tout en faisant un travail de représentation, Thierry Le Gall reste attentif aux besoins spirituels de ses interlocuteurs. Et il y en a puisque l’un d’entre eux a exprimé le désir qu’un temps régulier de prière soit proposé par Thierry aux députés !
Je ne saurais trop insister sur le fait que l’annonce de l’Évangile requiert le meilleur de nous-mêmes en temps, en compétences et en argent. Or, ce que je crois observer, c’est que nous mettons trop souvent en queue de peloton de nos priorités cet ordre du Seigneur de faire de toutes les nations des disciples. Ne serait-ce pas aussi honorer le Seigneur que de lui obéir sur ce point et pas seulement de le louer et de le chanter lors de nos rencontres cultuelles ? Quant à ceux qui hésitent à trop s’investir par manque de temps et de moyens, j’aimerais leur rappeler qu’à celui qui nous a tout donné c’est rien moins que l’offrande de notre vie entière qui est la réponse adéquate à son amour. Il est grand temps de consacrer un peu moins d’énergie aux richesses injustes pour investir résolument dans les richesses éternelles. Souvenons-nous qu’il y a plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour 99 justes qui n’en ont pas besoin !
Cet accent résolu sur l’évangélisation et l’implantation d’Églises ne nous conduit pas pour autant à ignorer d’autres formes de témoignage. C’est ainsi que, stimulé par le groupe de réflexion sur le social qui a produit un texte solide intitulé « Bases bibliques pour construire une réflexion sur l’engagement des protestants évangéliques dans le domaine social », le CNEF a mis en place une structure nommée « CNEF solidarité » qui a pour objet « de susciter soutenir, accompagner et développer, l’action sociale, médico-sociale et humanitaire des membres du Conseil National des Évangéliques de France- CNEF – et plus largement des œuvres et des Églises évangéliques de France. » (art. 2 des statuts). Ce que je crois, c’est que nous devons être activement présents dans tous ces domaines, manifester amour et compassion à nos contemporains dans la difficulté et le faire ouvertement au nom du Christ quoiqu’en pensent nos autorités et l’opinion publique. Après tout, pourquoi tairions-nous la Bonne Nouvelle à ceux qui sont accablés par les mauvaises nouvelles et trompés par des illusionnistes en tous genres qui n’hésitent pas à prêcher pour leur chapelle ? C’est ainsi que le CNEF et CNEF Solidarité vous inviteront à vous associer à la journée internationale des réfugiés en juin prochain.
III. Lutter contre la dispersion
Il y a deux ans je vous ai parlé de la crise de croissance que traversait le CNEF. Sachez que nous n’en sommes pas encore sortis. Nous avons toujours plus de sollicitations que de ressources humaines et financières pour y faire face. Cette situation a une grande vertu, elle nous garde vigilants en nous obligeant constamment à faire des choix. Nous luttons ainsi quotidiennement contre le risque de dispersion inhérent à l’évolution de toute organisation et de tout ministère. Et je veux saluer ici la consécration et les compétences de tous nos permanents au premier chef desquels notre directeur général, Clément Diedrichs, qui fait preuve d’une grande lucidité et nous aide à rester concentrer sur ce qui est au cœur de notre vocation. Permettez-moi d’illustrer très concrètement cette lutte contre la dispersion en évoquant les lignes directrices de notre communication publique. Si je vous en parle, c’est qu’il en est plusieurs qui s’étonnent de nos silences sur tel et tel sujet.
– Notre objectif premier est de faciliter l’annonce de l’Évangile en France à toute personne qui y vit. Dans cette perspective, nous hésitons pour l’instant à nous impliquer dans les questions internationales car nous n’en avons pas les moyens humains.
– Nous veillons ensuite à prendre la parole de façon parcimonieuse à la fois pour nous donner le temps de vérifier les informations qui nous sont transmises et pour ne pas dévaluer nos interventions par une prise de parole trop fréquente. Je sais que ce n’est guère dans l’ère du temps, mais devons-nous forcément suivre le monde et participer au bruit et au buzz médiatique ?
– Dans cette même perspective, nous essayons de mesurer si notre prise de parole a des chances d’être entendues correctement par les décideurs concernés. Nous savons par exemple que le pouvoir actuel n’a que mépris pour les évangéliques depuis que nous avons pris position contre la loi Taubira sur le mariage pour tous. Nous essayons donc d’être audibles sans nous époumoner et de ne pas mettre trop d’énergie dans des demandes pour l’instant inaccessibles.
– Enfin, nous avons le souci de veiller sur l’unité du monde évangélique et de ne pas créer inutilement de polémique au milieu de nous. Autant le consensus est évident quand il s’agit de défendre la liberté d’expression autant les avis divergent quand il s’agit de prendre publiquement position contre des résolutions internationales en défaveur d’Israël.
Il est évident que la communication publique est un domaine sensible qui ne fera jamais l’unanimité. Ce que je vous prie de prendre en compte, c’est que nous pesons soigneusement nos paroles et nos silences en fonction de notre objectif premier, de l’intérêt du plus grand nombre au milieu de nous et des limites financières et humaines qui caractérisent le CNEF.
IV. Entreprendre de grandes choses
La conscience de nos limites et la lutte contre la dispersion ne nous empêchent pas d’entreprendre des choses audacieuses pour l’avancement du Royaume de Dieu. C’est William Carey, père des missions modernes, qui avait pour devise : « Attendez de grandes choses de Dieu et entreprenez de grandes choses pour Dieu. » C’est aussi ce que nous faisons au CNEF avec l’aide de bénévoles audacieux et compétents. Je voudrais citer deux de ces entreprises qui me paraissent remarquables :
– Il y a d’abord « Bouge Ta France » du 10 au 13 juillet 2017 au Havre pour les 15 à 25 ans suivi d’un méga rassemblement chrétien le 14 juillet avec des activités pour les familles et des actions de témoignages de la foi. Et enfin, l’envoi à partir du 15 juillet des jeunes dans toute la France pour des missions chrétiennes d’évangélisation et des actions citoyennes qui s’étaleront jusqu’en 2018. L’idée, c’est de lancer une dynamique durable d’évangélisation en donnant envie aux jeunes de nos Églises de servir le Seigneur et en leur permettant de découvrir que, pour bouger la France, il faut se donner la main d’association. Le projet est ambitieux. Il se fera dans un stade de 30 000 places où nous espérons accueillir 3 à 4 000 jeunes du 10 au 13 juillet, puis 10 000 personnes le 14. Le Seigneur est en train de multiplier les signes qui nous confortent dans l’idée que ce sera un moment important : la possibilité de louer le stade pour une somme modeste et la venue d’un prédicateur australien né sans bras et sans jambes, Nick Vujicic, qui témoigne puissamment de l’œuvre de Dieu dans sa vie (La vie au-delà de toute limite, éd. Ourania, 2012).
– Il y a ensuite la recherche de financements extérieurs, donc de donateurs, pour développer l’action du CNEF. Nous défrichons là un terrain nouveau, mais bénéficions de l’aide bénévole du responsable de la communication au SEL qui a une longue expérience dans ce domaine. Loin de nous précipiter, nous balisons lentement le chemin pour ne pas dénaturer le projet du CNEF par des techniques de levée de fonds au coup par coup, mais nous avons la volonté d’en faire une démarche construite dont la dimension spirituelle ne sera pas absente. Il s’agit de susciter une culture plus grande de la générosité qui profitera à tous et dans laquelle nous apprendrons à dépasser ensemble nos crispations et nos faux raisonnements. Dans la mesure où l’argent appartient au Seigneur, il y a bien plus de moyens que nous ne le croyons à la disposition de l’œuvre de Dieu et le peuple de Dieu peut faire encore beaucoup mieux dans ce domaine. D’autant que la générosité appelle la générosité et permet à chacun de mieux gérer ses biens. Il nous faut ici rompre avec l’esprit du monde qui voudrait nous faire taire et oser parler d’argent clairement et sans complexe. Comme quoi on peut être contre la théologie de la prospérité sans prôner une piété de la pauvreté !
Une seule chose n’a pas trouvé sa place dans ce bref discours, nos relations avec la FPF. Je voudrais en dire un mot avant de conclure. Après avoir été suspendu pour un temps à notre demande à la suite de la décision de l’EPUdF, ce dialogue a repris en octobre dernier. Je crois pouvoir dire que, de part et d’autre, nous nous cherchons. Et il me semble qu’il faudra attendre que le résultat du dialogue interne à la FPF sur le lien fédératif soit parvenu à une conclusion pour que nous retrouvions nos marques.
Fonder par la réflexion biblique et théologique nos relations et nos collaborations, investir par l’évangélisation dans les richesses éternelles, lutter contre la dispersion inhérente à tout organisme et entreprendre de grandes choses pour le Seigneur, autant d’actions qui n’auront de sens que si nous les accomplissons dans un esprit de service et dans la fidélité au Christ qui nous a appelés, c’est pourquoi je vous laisse cette parole de l’apôtre Paul comme un mot d’ordre pour le nouveau mandat qui s’ouvre devant nous :
Ainsi, qu’on nous considère comme de simples serviteurs de Christ, des intendants chargés des secrets de Dieu. Or, en fin de compte, que demande-t-on à des intendants ? Qu’ils accomplissent fidèlement la tâche qui leur a été confiée. 1 Co 4.1s
Que Dieu nous soit en aide !
ÉTIENNE LHERMENAULT
NOTES
1 Jacques Buchhold, « Le mot du doyen », Fac Infos, avril 2016, p. 1.
2 La commission théologique du CNEF a produit plusieurs textes dont celui sur l’Évangile de prospérité, les guérisons et les miracles ou encore un texte l’Église et les œuvres para ecclésiastiques.