I. L’annonce par Jean-Baptiste
(Luc 3.16-17)
Le texte de Luc 3.16-17 comporte la première mention du baptême dans l’Esprit, avec ici un complément ajouté dans la formulation : Jean-Baptiste annonce un baptême dans l’Esprit et le feu.
Ce baptême dans l’Esprit et le feu est présenté comme une oeuvre du Messie. C’est aussi un acte futur. Il s’agit donc de quelque chose de nouveau, de cette nouveauté qu’apporte l’oeuvre de Christ et qui vient lors de la Pentecôte, puisque Jésus fera de cet événement l’accomplissement de la parole du Baptiste (Ac 1.5) – nous y reviendrons.
L’expression «baptiser dans l’Esprit» est une métaphore : elle rappelle les images utilisées par les prophètes de l’Ancien Testament pour annoncer le don de l’Esprit qui était à venir. Par exemple, Joël annonce que le Seigneur répandra son Esprit sur tous les membres de son peuple, en utilisant un verbe hébreu qui s’emploie habituellement pour des liquides (Jl 3.1) ; Ésaïe compare à une pluie bienfaisante l’Esprit qui devait transformer le peuple de Dieu et lui faire porter pour fruits le droit, la justice et la paix (És 32.15 -17 ; 44.3-5) ; et Ézéchiel compare l’action purificatrice de l’Esprit à celle de l’eau (Éz 36.25-27). Bon nombre de spécialistes interprètent l’image du baptême dans notre texte comme celle d’un déluge, considérant que la référence à un baptême servirait à souligner l’abondance du don. Mais d’autres soulignent qu’un baptême évoquait plus naturellement un bain et nous préférons en rester à cette image là. D’ailleurs, Jean-Baptiste met en parallèle le baptême dans l’Esprit et le baptême dans l’eau qu’il administrait lui-même en immergeant les gens dans l’eau, donc par un bain. Ce dernier geste devait traduire la volonté du baptisé de passer par un profond changement, il signifiait sa repentance, sa conversion, ce changement étant la condition pour recevoir le pardon des péchés (Lc 3.3). Le rite symbolisait donc la purification des péchés. Cette signification est encore confirmée par le fait que le baptême administrépar Jean a suscité une discussion au sujet de la purification (Jn 2.22-25). Ainsi, lorsqu’il parle du baptême dans l’Esprit, Jean-Baptiste doit avoir en vue une oeuvre purificatrice de l’Esprit qu’il compare à un bain dans l’eau. Le baptême qu’administrera le Messie différera de celui de Jean en ce que le baptême dans l’eau n’apporte pas en lui-même le pardon, n’effectue pas la purification intérieure, et n’est qu’un rite à valeur de symbole, alors que le Messie accordera le pardon et effectuera, par le baptême dans l’Esprit, une véritable purification intérieure.
Le baptême messianique est à la fois dans l’Esprit et le feu. Le feu a lui aussi un effet purificateur : il sert à purifier l’argent de ses scories dans le creuset (Za 13.9 ; Ma 3.2 -3). On a donc ici l’annonce, pour l’avenir, d’une oeuvre purificatrice de l’Esprit qui sera donné par Jésus. Cette oeuvre purificatrice correspond à ce que nous nommons la régénération, une transformation profonde de l’être intérieur.
En outre, dans son discours explicatif, Jean Baptiste évoque le jugement en le mettant en rapport avec l’image du feu (Lc 4.9,17). On retrouve la même image du feu pour un jugement identique en Jean 15.2, où il est question des sarments qui ne portent pas de fruits et sont pour cela retranchés de la vigne et jetés au feu. La mention de l’Esprit peut aussi évoquer le jugement : le mot pneuma, qui désigne ici l’Esprit de Dieu, comme le mot hébreu rûah, peut aussi avoir le sens de vent. Un jeu de mots est fort possible de la part de Luc : l’image du vent destructeur sert parfois à évoquer le jugement dans l’Ancien Testament (Jr 51.1 ; Éz 27.26) et l’Esprit semble associé au vent destructeur en Ésaïe 30.28. Avec le don de l’Esprit, Joël avait aussi annoncé le jugement (Jl 3.3-4). Les spécialistes considèrent encore que le texte d’Ésaïe 11.2,4 est à l’arrière plan de l’annonce de Jean Baptiste : il y est question du jugement que le Messie devait exercer par le souffle (rûah en hébreu, pneuma dans la traduction grecque de l’Ancien Testament) de ses lèvres. Outre la présence du mot pneuma, «Esprit» ou «souffle», notre texte présente deux autres points communs avec celui d’Ésaïe : il indique que c’est le Messie qui baptise dans l’Esprit, et annonce un jugement (Lc 3.9,17). Donc le pneuma, «vent-souffle-Esprit», comme le feu, sert aussi à évoquer le jugement.
Le baptême dans l’Esprit et le feu a donc un double but : la purification pour les croyants et le jugement pour les incrédules. Ce double sort est d’ailleurs évoqué au verset 17 : il y est question d’un tri ayant pour but de séparer le blé de la bale, les croyants des incrédules, le blé devant être amassé dans le grenier et la bale devant être brûlée au feu qui ne s’éteint pas (Lc 3.17). Il s’agit ici des Israélites : les uns, ceux qui s’attacheront au Messie, seront purifiés intérieurement par l’Esprit, les autres, qui rejetteront le Messie, seront jugés et retranchés du peuple de Dieu (v. 9).
Le thème de la purification et celui du jugement se trouvaient déjà conjoints dans certains textes de l’Ancien Testament. Chez Malachie, le feu a, en plus de son effet purificateur (3.2-3), un effet destructeur (3.19). Ésaïe nous parle du souffle (rûah) du jugement, du souffle d’incendie par lequel le Seigneur allait non seulement juger son peuple, mais aussi le purifier et le laver de son péché (És 4.4). Et déjà le baptême de Jean semble avoir signifié le jugement pour ceux qui venaient à lui sans produire ensuite les fruits d’une véritable conversion (Lc 3.9). Le jour de la Pentecôte, les langues de feu évoqueront à nouveau les deux aspects, la purification et le jugement (Ac 2.3).
On a couramment supposé que l’Esprit évoquait la purification et le feu le jugement. Bien plutôt, l’Esprit et le feu évoquent l’un et l’autre à la fois la purification et le jugement. D’ailleurs, telle qu’elle est libellée, la formule «baptiser dans l’Esprit et le feu» ne peut pas signifier que les uns seront baptisés dans l’Esprit et les autres dans le feu. Ce sont les mêmes qui sont baptisés dans l’Esprit et le feu.
On a encore noté que le ministère de Jean-Baptiste semble avoir été compris à la lumière du troisième chapitre du livre de Malachie. On sait que le prophète y annonce la venue d’un nouvel Élie pour préparer le chemin devant le Seigneur (3.1,23-24) et que celui-ci a été identifié par Jésus à Jean-Baptiste (Mt 11.14), identification aussi suggérée par Luc (Lc 1.17 renvoyant à Ma 3.23s). Divers éléments de la prophétie reparaissent dans le récit de Matthieu et plus encore dans celui de Luc : l’annonce du jugement avec l’image du feu consumant le chaume (Ma 3.2,19,21 ; Lc 3.7,9,17), l’appel à la conversion (Ma 3.7,24 ; Lc 3.3,8), le thème de la justice dans les relations sociales (Ma 3.5 ; Lc 3.11,13,14). Dans la prophétie, le messager présenté comme un nouvel Élie précède l’arrivée du Seigneur qui doit venir pour le jugement et la purification de son peuple (Ma 3.1-5). C’est bien cette double fonction que Jean-Baptiste attribue au Messie en annonçant que celui-ci vient baptiser dans l’Esprit et le feu.
Ainsi, selon Jean-Baptiste, par le baptême dans l’Esprit et le feu, le Messie va effectuer un tri au sein du peuple d’Israël. Ce tri avait déjà été annoncé par les prophètes de l’Ancien Testament.
Selon ces prophètes, le Seigneur devait ôter de son peuple, par le jugement, les Israélites incrédules ou rebelles (És 65.1-16 ; 66 ; So 3.11- 13 ; Éz 34.17-22 ; Za 11.14) et ne conserver qu’un reste pour le mettre au bénéfice du salut (És 10.20- 22 ; 28.5 ; 37.32 ; Jr 23.3 ; 31.7 ; Mi 4.7 ; 5.7 -8 ; 7.18 ; So 2.9). La même idée se retrouve en Jean 15 : l’allégorie de la vigne doit se comprendre à la lumière d’un texte d’Ésaïe où la vigne représente Israël qui ne porte pas les fruits de l’obéissance à la Loi divine (És 5.1- 7). Jésus reprend cette image pour se présenter lui-même comme la vraie vigne, c’est-à-dire le véritable Israël. Les sarments qui ne portent pas de fruit et sont jetés au feu représentent alors les Israélites incrédules et infidèles qui seront retranchés du nouveau peuple de Dieu. Paul reprend la même thématique à l’aide de l’image d’un olivier dont on a retranché une partie des branches naturelles : celles-ci représentent les Israélites qui ont rejeté le Messie, tandis que les branches naturelles qui subsistent représentent les Israélites qui ont une foi véritable (Rm 11.17-24). Les prophètes avaient encore précisé l’objectif que voulait atteindre le Seigneur en effectuant un tri au sein de son peuple : Ésaïe avait annoncé que Dieu se constituerait un peuple entièrement composé de véritables disciples du Seigneur (54.13), exclusivement composé de justes (60.21) et Jérémie avait annoncé que tous les membres de la nouvelle alliance connaîtraient (personnellement) le Seigneur et n’auraient pas besoin d’être appelés à la conversion comme Jérémie n’avait cessé de le faire auprès des Israélites de son temps (Jr 31.34). Tel est le but du baptême dans l’Esprit. Par ce baptême, le Messie effectue la transformation intérieure des Israélites qui mettent leur foi en lui et de ceux qui les rejoindront. Par ce baptême aussi, les Israélites incrédules sont jugés, retranchés du nouveau peuple de Dieu. Le résultat du baptême dans l’Esprit et le feu est un peuple tout entier et exclusivement composé de personnes purifiées du péché et animées par l’Esprit. Le baptême dans l’Esprit a donc un rapport avec la constitution d’un nouveau peuple de Dieu, d’un peuple de Dieu purifié, expurgé des Israélites rebelles à Dieu et composé de gens purifiés intérieurement par l’Esprit. C’est en cela que réside la nouveauté apportée par le baptême dans l’Esprit et le feu : la constitution d’un nouveau peuple de Dieu exclusivement composé de vrais disciples du Seigneur.
La nouveauté ne réside pas dans l’oeuvre de purification proprement dite. Cette oeuvre était déjà accomplie par l’Esprit sous l’ancienne alliance et à l’époque de Jean Baptiste. Si cela n’avait pas été le cas, il aurait été inutile que Jean appelle ses contemporains à changer et à produire des fruits dignes de la conversion (Lc 3.8). Qu’il exhorte ainsi ses auditeurs montre que l’Esprit pouvait déjà effectuer son oeuvre de purification intérieure. La nouveauté réside ailleurs : dans le fait que cette oeuvre de purification va désormais s’étendre à tous les membres du nouveau peuple de Dieu, ce qui fait émerger un peuple de Dieu d’une nature différente de celui de l’ancienne alliance. La nouveauté ne concerne pas le fait que des individus puissent être purifiés intérieurement par l’Esprit, mais le fait que tout le peuple de Dieu le soit.
À cela s’ajoute encore un fait nouveau : c’est par le Messie que l’Esprit sera donné.
On peut alors penser que la purification qui était déjà opérée par l’Esprit à l’époque de Jean-Baptiste serait englobée dans cette oeuvre nouvelle, effectuée par le Messie, dans un don nouveau de l’Esprit par le Messie.
II. La Pentecôte
La Pentecôte et les apôtres
La promesse du baptême dans l’Esprit se réalise le jour de la Pentecôte (Ac 1.4-5).
Qui est concerné ? Bien souvent, on considère que les cent vingt disciples de Jésus mentionnés en Actes 1.15 ont reçu l’Esprit et ont parlé en langues à la Pentecôte (Ac 2.1-4). Mais le récit de Luc comporte divers indices orientant vers une autre conclusion.
En effet, si l’on parcourt ce récit depuis le début du livre, on s’aperçoit que Luc met en scène les apôtres de manière particulière. Il signale que, pendant la période qui va de sa résurrection à son ascension, Jésus a donné ses instructions aux apôtres et s’est présenté à eux vivant en leur donnant des preuves de sa résurrection (Ac 1.2-3). À ces mêmes apôtres, il a recommandé de rester à Jérusalem et leur a annoncé qu’ils y seraient baptisés dans l’Esprit (Ac 1.4 -5). Il leur a ensuite indiqué la portée de ce don de l’Esprit : il s’agissait de leur communiquer de la puissance afin qu’ils soient les témoins de Jésus, plus particulièrement de sa mort et de sa résurrection (Ac 1.8). Cette promesse concerne les apôtres parce qu’ils ont été les témoins oculaires de ces événements (Lc 24.46-49). Ce n’est pas sans intention que Luc a précisé que Jésus leur avait donné des preuves nombreuses de sa résurrection (Ac 1.3). Et il prend encore soin de relater que les apôtres ont ensuite aussi été les témoins oculaires de l’ascension de Jésus (Ac 1.9-10). Luc souligne par là que les apôtres étaient pleinement qualifiés pour jouer le rôle de témoins de Christ.
Dans la suite du récit, Luc manifeste son intérêt particulier pour les apôtres en en dressant la liste, indiquant ainsi le nom de chacun d’eux (Ac 1.13). Puis il relate le choix d’un douzième apôtre à la place de Judas (Ac 1.15-26). Il faut ici prêter attention à la manière dont Luc utilise le titre de témoin dans ce récit. Il rapporte le propos de Pierre appelant à choisir un remplaçant de Judas, pour être adjoint au cercle des apôtres et être avec eux témoin de la résurrection de Christ (Ac 1.21-22). Bien que deux candidats répondent aux conditions énoncées, un seul est choisi (Ac 1.23-26) et celui-là seul sera témoin avec les onze autres. Le titre de témoin apparaît donc ici comme un titre réservé aux douze apôtres : les douze sont en quelque sorte les témoins officiels de Jésus, même si d’autres ont vu Jésus vivant après sa résurrection. Cela confirme que la promesse du verset 8 s’adresse spécifiquement aux apôtres, plutôt qu’à tout chrétien.
On lit ensuite au début du chapitre 2 : Le jour de la Pentecôte, ils étaient tous rassemblés au même endroit (Ac 2.1). Telle quelle, la formule ne précise pas de qui il s’agit. Le chapitre 1 nous a cependant préparés à comprendre que ce sont les apôtres et eux seuls qui sont ainsi désignés. D’ailleurs, cette formule fait suite au verset précédent qui mentionnait l’adjonction de Matthias aux onze apôtres (1.26) : c’est ce qui peut expliquer que Luc n’ait pas éprouvé le besoin de préciser à nouveau qu’il se référait à eux en Actes 2.1. On note en outre que le mot tous apparaissait déjà plus haut dans le récit à propos des apôtres : après avoir donné la liste des onze apôtres, Luc rapporte qu’ils se retrouvaient souvent tous pour prier ensemble, en ajoutant que quelques personnes se joignaient aussi à ceux auxquels se réfère le mot tous (Ac 1.14). Le mot tous désignait donc bien là les apôtres. Remarquons encore que les cent vingt disciples mentionnés en Actes 1.15 ne figurent aucunement dans le récit du chapitre 2. Au contraire, Luc précise qui était là pour être baptisé dans l’Esprit : Pierre et les onze autres (Ac 2.14). En outre, le mot tous reparaît dans le discours de Pierre tel que Luc le rapporte : Dieu a ressuscité ce Jésus dont je parle : nous en sommes tous témoins (Ac 2.32). Or, nous l’avons vu, dans le premier chapitre du livre des Actes, le titre de témoin est un titre réservé aux apôtres. Le mot tous désigne donc encore une fois ici les apôtres. Tout porte donc à croire que c’est aussi le cas en Actes 2.1 : ce sont les douze apôtres qui ont reçu l’Esprit et ont parlé en langues lors de la Pentecôte. Le récit du choix de Matthias pour être adjoint au cercle apostolique avant l’événement de la Pentecôte suggère encore que Matthias devait rejoindre les onze pour bénéficier avec eux du baptême dans l’Esprit. La fonction du mot tous en Actes 2.1 paraît donc de signaler que le cercle apostolique était au complet pour l’événement.
Pour toutes ces raisons, et contrairement à une idée fort répandue, de nombreux spécialistes contemporains aboutissent à la conclusion suivante : lors de l’événement de la Pentecôte, ce sont les douze apôtres qui ont reçu l’Esprit, et non pas tous les croyants ou tous les disciples de Jésus (et donc pas les cent vingt mentionnés en Ac 1.15). Cette compréhension n’est pas nouvelle : elle était déjà partagée par de nombreux pères de l’Église et courante au MoyenÂge. Les apôtres ont reçu l’Esprit pour leur permettre de jouer leur rôle de témoins du ministère de Jésus, de sa mort, de sa résurrection et de son ascension, et c’est ce qui se passe le jour de la Pentecôte : s’adressant aux Juifs venus des quatre coins de l’empire romain pour la fête, dans les diverses langues maternelles de ceux-ci, les apôtres leur annoncent les choses merveilleuses que Dieu avait accomplies (Ac 2.4,11) : nulle doute qu’il s’agissait de ce que Jésus avait accompli au cours de son ministère, ainsi que de sa mort et de sa résurrection dont les apôtres avaient été les témoins oculaires. Puis, dans son discours, Pierre rend témoignage à Jésus, en
proclamant sa mort, sa résurrection, son ascension et sa session à la droite de Dieu (Ac 2.14 -36), et en affirmant que les douze sont les témoins de ces événements (Ac 2.32).
La Pentecôte et le peuple de Dieu
Pourtant, dans l’annonce de Jean-Baptiste (en Lc 3), le baptême dans l’Esprit n’était pas réservé aux seuls apôtres. D’ailleurs, Pierre, dans son discours, cite la prophétie de Joël qui annonçait un don de l’Esprit pour tous les membres du peuple de Dieu (Ac 2.17-18). Et le don de l’Esprit sera ensuite offert à tous (Ac 2.38-39). En fait, on doit rappeler ici ce que nous avons vu à partir du texte de Luc 3 : le baptême dans l’Esprit a un rapport étroit avec la formation d’un nouveau peuple de Dieu. Il est constitutif de ce peuple. Cette considération permet de comprendre quel rôle particulier jouent les apôtres et pourquoi ils ont reçu l’Esprit de manière spéciale à la Pentecôte.
Une question se pose encore ici : pourquoi a-t-il fallu remplacer Judas ? Pourquoi les apôtres ne pouvaient-ils pas rester au nombre de onze ? Plus intrigant encore : il y avait deux candidats qui remplissaient les critères pour être apôtre. Pourquoi n’en a-t-on choisi qu’un ? Pourquoi ne pouvait-on pas prendre les deux ? Autrement dit, pourquoi les apôtres devaient-ils être au nombre de douze et pas de onze ou de treize ? Douze, c’est le nombre des patriarches, des fils de Jacob dont est issu le peuple d’Israël, ses douze tribus, le peuple de Dieu de l’ancienne alliance. La nécessité que les apôtres soient au nombre de douze donne à penser qu’ils jouent un rôle comparable à celui des douze fils de Jacob : ils sont comme les nouveaux patriarches d’un nouveau peuple de Dieu, du peuple de la nouvelle alliance. À partir des apôtres se fonde un nouveau peuple de Dieu le jour de la Pentecôte. Et les douze apôtres jouent ce rôle de patriarches en tant qu’ils sont les témoins de Jésus. En effet, le nouveau peuple de Dieu est fondé sur la parole des apôtres, sur leur témoignage rendu à Jésus-Christ. Jésus lui-même a défini les chrétiens à venir comme ceux qui croiraient en lui par la parole des apôtres (Jn 17.20) : il a ainsi conféré aux apôtres, plus précisément à leur parole dans le cadre de leur ministère apostolique, une autorité particulière (c’est d’ailleurs Jésus qui a attribué aux apôtres leur rôle de témoins, parce qu’ils avaient été avec lui dès le commencement de son ministère, selon Jn 15.27). De même, Paul voit les apôtres comme les fondements de l’Église en tant qu’ils sont des prophètes, des porte-parole de Dieu (Ép 2.20).
Que va-t-il se passer à partir de la Pentecôte ? Les apôtres vont prêcher l’Évangile, rendre témoignage à Jésus, grâce à l’Esprit reposant sur eux, l’Esprit dont ils ont été baptisés à la Pentecôte. Ils vont d’abord prêcher aux Israélites. Ceux qui recevront leur témoignage avec foi recevront l’Esprit et se joindront aux apôtres et aux disciples pour constituer une nouvelle communauté, le nouveau peuple de Dieu (Ac 2.38, 47). Mais les Israélites qui rejetteront le message des apôtres s’excluront par là même de ce nouveau peuple de Dieu. Et ainsi s’effectuera le tri au sein d’Israël dont il a été question plus haut. Le baptême dans l’Esprit permet aux apôtres de rendre témoignage à Jésus et c’est en vertu de ce témoignage que le nouveau peuple de Dieu va se constituer. Le don de l’Esprit aux apôtres à la Pentecôte fonde le nouveau peuple de Dieu.
On peut dire que c’est en tant que les patriarches et les représentants de l’Église, et donc pour l’Église, que les apôtres ont reçu l’Esprit à la Pentecôte. En effet, leur témoignage à Jésus s’accompagne d’une offre du don de l’Esprit pour tous ceux qui mettent leur foi en Jésus et se convertissent (Ac 2.38-39). À partir du don de l’Esprit fait aux apôtres le jour de la Pentecôte, l’Esprit est offert à tous ceux qui écoutent leur parole. L’Esprit a été donné aux apôtres à la Pentecôte pour qu’à partir d’eux, sur la base de leur témoignage, l’Esprit soit offert à tous ceux qui deviennent disciples du Messie.
Et il y a plus. Le jour de la Pentecôte, Pierre, représentant des douze, proclame la promesse de l’Esprit aux Juifs qui sont là et l’Esprit est accordé aux Israélites qui croient. Plus tard, Philippe prêche l’Évangile dans la Samarie. Mais
ceux qui croient à sa parole doivent attendre que Pierre et Jean viennent à eux pour pouvoir recevoir l’Esprit (Ac 8.5-17). Il fallait donc que des apôtres, et en particulier Pierre, soient présents pour que les premiers croyants de la Samarie reçoivent le don de l’Esprit. Enfin, les premiers convertis non Juifs, Corneille et les gens de sa maison, recevront l’Esprit en présence de Pierre (Ac 10-11). On constate donc que la présence d’apôtres, et en particulier de Pierre, était nécessaire pour que les trois catégories d’hommes – Juifs, Samaritains et non Juifs – reçoivent l’Esprit pour la première fois.
Cela éclaire la parole de Jésus annonçant à Pierre qu’il lui confierait les clés du royaume des cieux (Mt 16.19). Ce propos ne signifiait aucunement que Pierre détiendrait les clés du paradis. Mais, à partir de la Pentecôte, Pierre détenait les clés du royaume dans ce sens qu’il devait être présent pour que les premiers convertis de chacune des trois catégories d’êtres humains reçoivent l’Esprit et soient incorporés au nouveau peuple de Dieu. C’est ainsi qu’il a ouvert les portes du royaume à chacune de ces trois catégories.
Ainsi, Pierre et ses collègues apôtres ont joué le rôle de patriarches du nouveau peuple de Dieu. Ils ont reçu l’Esprit à la Pentecôte pour que, sur la base de leur témoignage rendu à Jésus- Christ, se fonde le nouveau peuple de Dieu, l’Église. Dans ce sens, ils ont reçu l’Esprit pour l’Église.
La Pentecôte est un événement historique unique : l’Esprit a été donné aux apôtres en tant qu’ils étaient les patriarches du nouveau peuple de Dieu, les représentants de l’Église. L’Esprit leur a été donné pour l’Église. Ensuite, chaque croyant, lorsqu’il met sa foi en Christ, vient au bénéfice pour lui-même du don de l’Esprit fait à l’Église à la Pentecôte et est ainsi adjoint à l’Église.
Notons que l’apôtre Paul met lui aussi le baptême dans l’Esprit en rapport avec la constitution du peuple de Dieu de la nouvelle alliance : En effet, nous avons tous été baptisés par un seul et même Esprit pour former un seul corps (1 Co 12.13). Être baptisé dans l’Esprit, c’est, pour ce qui nous concerne, être incorporé par l’Esprit à ce nouveau peuple de Dieu fondé à la Pentecôte.
Tous prophètes
Le texte de Joël cité par Pierre dans son discours le jour de la Pentecôte annonçait comme un effet du don de l’Esprit que tous les membres du peuple de Dieu joueraient le rôle de prophètes (Ac 2.17-18). Ce rôle est dérivé de
celui des apôtres. Les apôtres ont été inspirés pour rendre témoignage de ce qu’ils avaient vu et entendu de Jésus, de telle sorte que, dans le cadre de leur ministère, leur parole était parole de Dieu. Lorsque nous reprenons leur enseignement pour nous encourager, nous exhorter, nous enseigner les uns les autres entre frères et soeurs en la foi (sans que cela implique nécessairement un ministère particulier), ou encore lorsque nous reprenons leur témoignage rendu à Jésus pour l’annoncer à des incroyants, notre parole est une parole prophétique, une parole de Dieu, dans la mesure où elle est fidèle à l’enseignement apostolique. Les apôtres étaient prophètes dans un sens strict : leur parole prononcée dans le cadre de leur ministère spécifique était infaillible. La nôtre ne l’est pas. Mais c’est quand même la parole de Dieu que nous faisons entendre dans la mesure où notre parole reprend fidèlement celle des apôtres. Ainsi, l’Esprit rend chaque chrétien capable d’une activité prophétique dans un sens très large, une activité dérivée du ministère prophétique propre aux apôtres.
Conclusions
Le baptême dans le Saint-Esprit est d’abord un événement historique.
Il est présenté comme une oeuvre du Messie. Jean-Baptiste l’avait souligné (Lc 3.16). En outre, Luc rapporte que, le jour de la Pentecôte, Jésus a reçu du Père l’Esprit saint et l’a répandu (Ac 2.32-33). À partir de là, l’Esprit est appelé l’Esprit de Jésus, ou l’Esprit de Christ (Ac 16.7 ; Rm 8.9). Ainsi, le don de l’Esprit est un don messianique : il est gouverné par Christ ressuscité et se rattache à l’oeuvre messianique de Jésus.
Le jour de la Pentecôte, les apôtres ont été baptisés dans l’Esprit. Ce don de l’Esprit leur était particulier. D’une part, il les équipait en vue du témoignage qu’ils étaient appelés à rendre à Jésus, parce qu’ils avaient été les témoins oculaires de son ministère, de sa mort, de sa résurrection et de son ascension. D’autre part, ils ont reçu l’Esprit en tant que les patriarches et les représentants du peuple de Dieu de la nouvelle alliance, pour qu’à partir de cet événement, tous ceux qui reçoivent leur témoignage avec foi aient aussi part à l’Esprit. Dans ce sens, ils ont reçu l’Esprit pour l’Église.
La Pentecôte était donc un événement historique unique, par lequel Jésus a répandu l’Esprit sur les apôtres pour fonder un nouveau peuple de Dieu.
À partir de cet événement historique, toute personne qui met authentiquement sa foi en Christ fait à son tour l’expérience d’un baptême dans l’Esprit. Ce baptême a pour fonction de purifier les croyants dans leur être intérieur
et de les unir à Jésus-Christ, ainsi que les uns aux autres, pour former un peuple de Dieu nouveau, dont tous les membres ont reçu l’Esprit et sont régénérés. De plus, le don de l’Esprit équipe ce peuple en vue de ses activités de communication de la Parole de Dieu transmise une fois pour toutes par les apôtres du Nouveau Testament et, il faut l’ajouter, par les prophètes de l’Ancien Testament.
SYLVAIN ROMEROWSKI