La difficulté pour plusieurs Églises Protestantes Évangéliques à trouver des locaux constitue un des soucis majeurs pour la FEF actuellement. Le recours à un bail emphytéotique paraît dans certains cas une solution. Nous en faisons une première approche juridique, sachant que les préconisations du Rapport Machelon le concernant pourraient faire partie des mesures éventuellement mises en œuvre rapidement.

Le régime juridique général du bail emphytéotique administratif (BEA)

Le BEA, institué par la loi 5 janvier 19881 d’amélioration de la décentralisation, constitue pour les collectivités locales un instrument relativement souple. Le champ d’application du BEA est large, la seule exception étant que la dépendance doit ne pas compromettre l’usage auquel les biens sont légalement destinés et conserver leur intégrité matérielle.

Un BEA ne peut être consenti qu’en vue de l’accomplissement, pour le compte d’une collectivité locale, d’une mission de service public ou de la réalisation d’une opération d’intérêt général entrant dans les compétences de la collectivité intéressée.

Pour ce qui concerne nos églises, l’article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales permet à une collectivité de mettre à disposition ses locaux à une association (mise à disposition gratuite, location, etc.). L’article L. 1311-2 du même code stipule qu’« un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique (…) en vue de l’affectation à une association cultuelle d’un édifice du culte ouvert au public. (…) Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif. »

Le BEA est conclu pour une longue période, comprise entre 18 et 99 ans. Ce bail confère un droit réel au preneur sur le bien immobilier appartenant à une collectivité locale. Il est cependant soumis à des conditions particulières :

• Il n’est cessible, avec l’autorisation de la collectivité publique, qu’à une personne subrogée au preneur initial dans les droits et obligations découlant du bail.

• Il ne peut être hypothéqué, après autorisation de la collectivité concernée, que pour garantir des emprunts contractés en vue de financer la réalisation des ouvrages situés sur le bien loué. Le contrat constituant l’hypothèque doit, sous peine de nullité, être approuvé par la collectivité. Ce bail, comme tout contrat, définira les droits et les obligations de chacune des parties (conditions d’utilisation des lieux du culte, etc.).

La collectivité locale, ou son établissement public, a la possibilité de résilier unilatéralement le bail, sans toutefois porter atteinte aux droits pécuniaires du preneur qui constituent la base de l’équilibre financier du bail. À l’expiration du BEA, l’ouvrage réalisé devient la propriété de la collectivité bailleresse, sans qu’elle ait à verser une indemnité au preneur.

Le loyer (ou redevance) d’un BEA

Ce loyer est régi par le principe de libre fixation. Il est généralement réduit pour tenir compte des obligations qui pèsent sur le preneur. En l’occurrence, l’intérêt de la collectivité territoriale ne réside pas dans la perception d’un loyer substantiel, mais dans la valeur des constructions ou aménagements réalisés par le preneur. Aucun texte d’application n’a été pris pour les dispositions de la loi du 5 janvier 1988 relatives à la fixation du montant de la redevance.

La jurisprudence administrative a défini quelques règles que doivent respecter les collectivités locales dans la fixation du loyer du BEA. L’arrêt du Conseil d’État du 6 avril 1998, concernant la Communauté Urbaine de Lyon, a permis de préciser que devaient être annulées pour excès de pouvoir les délibérations d’une assemblée prévoyant la passation d’un bail emphytéotique mettant gratuitement à la disposition d’une société un immeuble, et prévoyant l’exemption du paiement de la redevance pendant un an pour prendre en compte les travaux d’aménagement à la charge du preneur.

Le Conseil d’État a estimé que les collectivités locales devaient revendre ou louer des bâtiments aux conditions du marché, les modalités de rabais ou d’abattement étant strictement encadrées. D’autre part, le Conseil d’État a rappelé que les articles L. 451-1 et suivants du code rural prévoient que les travaux, réparations et aménagements des immeubles ou terrains mis à disposition par bail emphytéotique sont à la charge du preneur.

Le principe de la libre fixation du loyer n’est donc tempéré que par l’obligation pour la collectivité locale de ne pas concéder d’avantages exorbitants à une société, et de ne pas mettre gratuitement à disposition de personnes privées des équipements financés par la collectivité publique. D’une manière générale, il semble que la plupart des loyers des BEA soient fixés à au moins 5 % de la valeur vénale des terrains (3 % pour la construction de logements sociaux), et indexés sur l’indice INSEE du coût de la construction. Selon la jurisprudence, et l’interprétation des services du ministère des Finances, il ne semble pas possible de subventionner le preneur d’un BEA.

Pour les associations cultuelles, la question du lien avec la loi de séparation de l’Église et de l’État du 9 décembre 1905 se pose. En effet, celleci stipule en son fameux article 2 que «La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte». Le montant de la redevance du BEA ne doit donc pas être trop faible afin d’éviter une requalification en subvention publique déguisée. Une commune de la région parisienne a récemment été condamnée pour avoir ainsi illégalement subventionné une salle du culte musulman. La jurisprudence administrative en la matière tend à devenir importante et l’on doit y être attentif.

En même temps, il est évident, vu la durée et les autres conditions du BEA, qu’un loyer trop important peut ne plus être intéressant pour une église. Il faut se souvenir notamment qu’au terme du BEA, tout le patrimoine revient à la collectivité. C’est pour cela que le rapport Machelon propose de faire évoluer le BEA en permettant une option d’achat à l’issue du BEA.

Samuel MAURICE,

Docteur en Droit membre de la commission juridique FEF/ADD


NOTE

1 Loi n° 88-13, codifiée aux articles L. 1311-2 et suivants du Code général des collectivités territoriales.