La conjugaison de deux phénomènes pourrait priver, à relativement court terme, l’Église de Jésus-Christ, en France, de la possibilité d’annoncer l’Évangile en public!

Premier phénomène

Nombre d’Églises se sont, dans le passé, résolument engagées dans l’évangélisation et la proclamation publique de l’Evangile. Dans les dernières années, les résultats n’ont pas toujours été au rendez-vous ! Aujourd’hui, on entend dire que nos contemporains se méfient des évangélisations dans l’espace public. Du coup certains moyens ou formes d’évangélisation ne semblent plus adaptés. De nombreuses questions sont ouvertes : faut-il les repenser ou les abandonner? Par quoi les remplacer? Plusieurs expérimentent de nouvelles formes pour confronter notre génération à la Bonne Nouvelle. De cette évolution naît le danger d’abandonner, même inconsciemment, l’évangélisation dans l’espace public au profit du témoignage dans la sphère privée.

Le deuxième phénomène

… est cette tendance, de plus en plus marquée, des autorités civiles à limiter de plus en plus l’accès de l’espace public aux Églises ou aux mouvements évangéliques1. L’actuel climat de confusion autour de la notion de laïcité résulte d’une confusion des termes et des valeurs comme « laïcité », « prosélytisme », etc.

Il y a un an, la Fédération Evangélique de France éditait une brochure intitulée Liberté de conscience & Liberté d’expression2. Le sous-titre posait déjà la question : « Communiquer l’Evangile en France aujourd’hui : est-ce légitime? » La situation s’est dégradée depuis. Obtenir des salles, des autorisations devient de plus en plus problématique. Sans compter les tracasseries subies par des Églises, que certains qualifient de laïcardes ». Un grand spécialiste du droit français s’interroge : est-ce la « fin de la laïcité?3»

Le danger est réel

Quels seront les effets conjugués de ces deux phénomènes? Si d’un côté, l’Église délaisse l’espace public et si on le lui accorde de plus en plus difficilement, quelles libertés publiques lui restera-t-il dans… cinq ans? À moins d’une réaction et d’une prise de conscience spirituelle et citoyenne, il est à redouter que les évangéliques perdent, sans nécessairement s’en rendre compte, une grande part de leur liberté d’évangéliser.

Des voix s’élèvent, dont celle du président de la République française, pour affirmer que la religion doit se limiter à la sphère privée. Ce qui n’est absolument pas le sens ni l’esprit de la « laïcité républicaine »! Celle-ci, au contraire, garantit la liberté de l’expression des convictions religieuses dans l’espace public! Ces propos soulignent la gravité de l’enjeu!

Que faire?

Comment résister à ce courant ? Comment déjouer le piège et assumer nos responsabilités, locale et collective, de témoins de Christ et de la vérité de la Bonne Nouvelle4?

1. Prier!

Prier pour notre pays qui manifeste si peu de soif spirituelle, au contraire d’autres régions du monde où l’Évangile progresse5. Que Dieu fasse grâce! Qu’il ouvre les cœurs des hommes et des femmes de notre génération! Nous ne pouvons que compter sur l’action de son Esprit et non sur les résultats de nos actions, quels que soient les moyens choisis. 

2. Redécouvrir la dimension publique de l’évangélisation

Les réflexions sur la post-modernité ont-elles conduit aux bonnes conclusions? Dans le désir de prendre en compte les spécificités de notre génération et d’être plus personnelle, l’Église n’a-t-elle pas perdu de vue que l’Évangile est un message autant personnel que public?

A. L’Évangile est un message personnel

Du coup, sans conteste, il doit être communiqué de manière personnelle. C’est ce que fait le Seigneur dans les évangiles. Il s’adresse tour à tour à des foules et à des individus. Notons également que l’Évangile n’est pas une simple information sur Dieu et son amour, mais dans son essence « l’annonce du pardon des péchés grâce à la mort et à la résurrection de Christ. » Jésus nous a donné son autorité pour communiquer ce message personnel. « Celui qui vous écoute m’écoute, et celui qui vous rejette me rejette, et celui qui me rejette rejette celui qui m’a envoyé » 6.

Au Moyen Âge, il n’y avait qu’une seule vérité pour tous.

La modernité, durant les 250 dernières années, a refusé la proposition chrétienne d’une vérité unique en Jésus. Cela a donné lieu à de nombreuses confrontations, mais celles-ci présupposaient toutes qu’une vérité existe!

Depuis la fin des années 80, notre société est entrée dans la post-modernité. Celle-ci refuse l’idée de vérité unique. Chaque individu a « sa vérité » qu’il peut et doit défendre. C’est ainsi qu’il est identifié, reconnu et valorisé. Plus question de prôner une vérité absolue sous peine d’être taxé de fondamentalisme, voire de prosélytisme!

En revanche, cette évolution est favorable aux dialogues individuels. L’Église doit s’adapter pour trouver la manière et les sujets propices aux dialogues et aux relations.

Sans oublier ce que le nouveau directeur du Comité de Lausanne pour l’évangélisation a souligné : dans le contexte de la post-modemité et des religions mondiales, « la défense convaincante de l’unicité du Christ doit être la priorité absolue du peuple de Dieu »7.

B. L’évangélisation est aussi la proclamation de la vérité en public

  • Déjà dans l’Ancien Testament, le message des prophètes était public, destiné à des villes entières – Jonas – à des nations entières – Jérémie, Ézéchiel…
  • Jean-Baptiste «… avait prêché le baptême de repentance à tout le peuple d’Israël »8. Si son message était une invitation à un changement personnel, la prédication était publique! 
  • Durant son ministère, Jésus a pris au sérieux tout autant l’individu que la foule9. Il n’a pas choisi l’un aux dépens de l’autre, il s’est adressé aux deux! Si Jésus s’est préoccupé de l’individu, il ne se résume pas à « un moyen de salut privé »10.
  • Dès le début, L’Église, les apôtres prêchent en public, dans la cour du temple, devant les autorités, devant des foules! Le résultat ne se fait pas attendre : « les autorités leur interdisent de prêcher et d’enseigner ! Et les ayant appelés. ils leur défendirent absolument de parler et d’enseigner au nom de Jésus »11 !!

En quelques semaines, l’Église s’était enrichie de 5000 âmes! Les apôtres auraient pu lire dans ces événements, le signe qu’il leur fallait désormais poursuivre l’approfondissement en petits groupes de maison plutôt que de persévérer dans l’évangélisation publique! 

Au contraire, ils choisissent une option qui est un rappel pour l’Église d’aujourd’hui : « Pierre et Jean leur répondirent: Jugez s’il est juste, devant Dieu, de vous obéir plutôt qu’à Dieu; car nous ne pouvons pas ne pas parler de ce que nous avons vu et entendu »12 D’ailleurs, les apôtres continueront dans les maisons et en public! 

À leur exemple, il est urgent de reconnaître que l’évangélisation doit être publique parce que : « En lui ont été créées toutes les choses qui sont dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, trônes, dignités, dominations, autorités. Tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses, et toutes choses subsistent en lui. » 13. Il est le Créateur, celui qui maintient le monde en existence et le conduit à son aboutissement. Il en est le propriétaire. Chaque être humain lui est redevable et est concerné par son offre de salut. Christ ne peut être résumé à un simple « porte bonheur personnel »14

  • Enfin, quand le Seigneur reviendra pour juger le monde, ce sera un événement public : « Voici, il vient avec les nuées. Et tout ville verra, même ceux qui l’ont percé: et toutes les tribus de la terre se lamenteront à cause de lui. »15

3. Persévérer et innover

L’exemple de Jésus souligne que l’Eglise ne devrait pas choisir entre évangélisation personnelle et évangélisation publique et persévérer dans la proclamation. L’évangélisation en public s’appuie généralement sur l’établissement de relations préalables. 

Actuellement, de nombreuses Églises sont encouragées en étudiant la Bible dans la sphère privée au moyen de « Groupe découverte », « Cours Alpha » ou autre projet « Passerelles » Ces outils ont le grand mérite de capter l’attention de non-croyants, de rejoindre les préoccupations de nos contemporains. 

Ici, c’est une Église qui a développé jusqu’à trois « Groupe découverte » en parallèle et a eu la joie de voir ses contacts assister à la fête de Noël, devenue pour le coup une formidable occasion de proclamation publique! 

Là, c’est une communauté qui invite ses contacts pour un culte de Pâques comme d’autres le font pour Noël! Ailleurs, certaines développent des « café philo » «Tchatchad-café », diners-débat… D’autres encore font appel à un évangéliste pour former les chrétiens au témoignage personnel avant de lancer une évangélisation ! Autant de manières d’être présent dans l’espace public. Le plus grand changement est sans doute de trouver comment l’Eglise en tant que communauté, peut être présente dans l’espace public. Cette idée est en relation directe avec le point suivant. 

4. Communiquer pour éviter la marginalisation

De nombreuses communautés ont déjà mis cela en pratique. Pas toutes!

Il n’est pas rare que l’église soit déçue, voire blessée, de s’être vu refuser une salle pour une manifestation. Alors qu’elle n’a jamais cherché à développer de communication en direction des autorités pour se faire connaître jusque-là ! L’Église est aussi une association dans la cité. À ce titre, elle a tout intérêt à développer une communication associative simple mais régulière et persévérante. Il ne s’agit pas ici de lancer de grands projets. Simplement de prendre conscience de sa place, de son rôle social et de répondre à l’immense besoin de transparence de notre société. Farouche adepte du « principe de précaution » celle-ci est de plus en plus méfiante sur plusieurs des questions comme la spiritualité, les sectes, ce qui concerne les enfants, etc. 

Cette communication associative répondra aux questions légitimes de ceux qui observent l’Église. Elle fera tomber bien des a priori désagréables et pourra même éviter certains malentendus ou crispations dans les relations des Églises avec le public et les autorités. 

Dans le climat de suspicion qui se développe en France, il est urgent de réaliser qu’il ne suffit plus, comme par le passé, de vivre tranquillement dans son coin!  Ceux qui disent « pas besoin de communiquer [en direction des autorités ou des médias], nous on évangélise »16 font probablement fausse route.

Il est possible de prolonger utilement cette communication associative par un engagement citoyen. Certaines Églises l’ont parfaitement réussi en s’engageant dans des projets comme les « Restos du cœur », « les Banques alimentaires ». « le Comité des fêtes » de la ville , etc., bref en trouvant leur place sociale dans leur ville. Elles récoltent largement ce qu’elles se sont donné le mal de semer. Il est vrai que ce type d’engagement n’est pas possible partout ni pour chaque Église. Il est essentiel d’en avoir au moins cette vision!

Difficile!

Oui! L’évangélisation en public est difficile. Parfois décevante. Devons-nous pour autant abandonner l’espace public? Certains répliquent : « Mais notre Eglise ne connait aucunes difficultés! » Ce n’est pas une garantie. Certaines communautés installées depuis des dizaines d’années dans la même commune se trouvent brutalement confrontées à des refus ou à des difficultés aussi inattendues que réelles! Soyons vigilants, prenons les devant!

Voir plus loin

Il s’agit de notre pays, de notre génération : seront-ils confrontés à l’Evangile de Jésus-Christ par le témoignage de l’Église? Il est souvent question de la visibilité des Églises évangéliques. Celle-ci n’est pas une option. Derrière cette question, c’est celle de l’évangélisation dans l’espace public qui est posée! Nos choix et nos pratiques d’aujourd’hui déterminent certainement l’avenir de l’évangélisation en France.

Alain Stamp
Chargé de Communication de la FEF


NOTES

1 Les difficultés que rencontre le GBU pour obtenir des salles dans des universités en est un exemple.

2 Disponible auprès de la FEF BP 18,65290 Juillan

3 La fin de la laïcité, Jacques Robert, Editions Odile Jacob.

4 Colossiens 1:5

5 Ibid. verset 6

6 Luc 10:16

7 Cité dans Idea, janvier 2005, page 2

8 Actes 13:24

9 Matthieu 9:36

10 Selon Ulrich Parzany, dans ProChrist 2006 _ die Ziele

11 Actes 4:18

12 Ibid. 20

13 Colossiens 1:16

14 Selon Ulrich Parzany, dans ProChrist 2006 _ die Ziele

15 Apocalypse 1:7

16 Phrase authentique