La guérison1
Les textes bibliques sont cités d’après la Bible du Semeur 2015
Introduction
Dans l’Église comme dans le monde, nous avons souvent affaire à des personnes malades ou handicapées. Nous pouvons être confrontés à des situations angoissantes, à des personnes qui se révoltent ou à d’autres qui sont prêtes à tous les expédients pour guérir : la prière, le jeûne, l’imposition des mains, l’onction d’huile, les médecines parallèles, les prières de désenvoûtement, l’exorcisme, la séance de guérison chez des amis ou lors d’une grande campagne publique. Nous entendons des chrétiens bien intentionnés dire que la maladie est un jugement sur le malade, ou sur l’Église. Tous, nous aspirons à la guérison.
À chaque fois que les ressources du corps humain, de la nature et de la science font retrouver une bonne santé, on doit en remercier Dieu. Il est en effet l’auteur de tout don parfait2. S’il est normal, selon l’Ecclésiaste, de le remercier pour la nourriture, le sommeil, le travail et toutes les joies de la vie, il va de soi que nous allons le remercier pour la grâce de la guérison, quel que soit le rôle que la nature ou la médecine ont pu y jouer.
Cet article s’intéresse pourtant à la guérison miraculeuse, ou guérison divine. Pour affirmer qu’une guérison est miraculeuse, nous proposons, comme d’autres, de tenir compte de plusieurs facteurs, qui correspondent aux caractéristiques des guérisons opérées par le Seigneur Jésus et par les apôtres dans le livre des Actes. Elles concernaient des personnes gravement malades ; elles étaient instantanées3 ; elles étaient complètes. Étant d’origine divine, nous supposons qu’elles étaient durables.
Pour nous, s’il n’y a pas de diagnostic avéré, la prudence sera de mise : nous parlerons certainement de la grâce d’une guérison, mais pas forcément d’un miracle. Si la guérison semble être spontanée, en dehors de tout contexte de prière et de foi, on parlera d’une rémission naturelle, comme la médecine en connaît. Et si le contexte semble être celui de la magie, de la sorcellerie, du spiritisme, on se gardera bien d’attribuer la guérison à Dieu.
La création et la chute
« Au commencement il n’en était pas ainsi ». Le récit de la création nous dit que tout était à l’origine bon, très bon. Nous avons du mal à imaginer que Dieu ait pu faire une création imparfaite, incomplète, gâchée dès l’origine par la souffrance, la maladie, l’infirmité et la mort. La Bible ne présente pas les choses ainsi.
Au contraire, elle situe les dysfonctionnements du monde après la rupture entre l’homme et son Créateur, après la chute. La mort, dit Paul, est entrée dans le monde par un seul homme, comme conséquence du péché (Rm 5.12).
Quand nos ancêtres ont rompu la communion avec leur Créateur, tout le reste s’est dégradé. Le travail a été rendu pénible ; la nature est devenue difficile à gérer ; les relations humaines se sont distordues. Dieu avait dit : « Le jour où tu en mangeras tu mourras4 ». En fait, le jour même, nos ancêtres ne sont pas morts. Mais ils sont morts à la vie de Dieu. Dieu leur a barré l’accès à l’arbre de la vie. C’est sans doute à partir de ce moment-là que la maladie a commencé à les frapper et qu’ils se sont mis à aspirer à l’éternité qu’ils avaient perdue, sans pouvoir comprendre les plans de Dieu du début jusqu’à la fin5.
À partir de ce tableau général, nous pouvons comprendre pourquoi nous avons le sentiment que la maladie et le handicap ne sont pas normaux, qu’ils ne devraient pas exister. Nous ne les acceptons pas comme faisant partie de l’harmonie éternelle des choses. Nous luttons contre eux.
En même temps, nous comprenons que la maladie, aujourd’hui, est la règle universelle. Elle ne nous surprend pas. Nous savons qu’elle touche tout le monde, plus ou moins gravement, plus ou moins souvent, et à tous les âges. Nous ne devrions pas nous étonner lorsqu’elle frappe aveuglément.
Et puisque la maladie fait partie des désordres du monde, nous ne devrions pas non plus y chercher une logique. Si nous pouvions dire pourquoi telle personne est atteinte et pas telle autre, si tout rentrait dans un système cohérent, la maladie se justifierait. Ce serait non un mal, mais une nécessité, un bien, un outil dans les mains de Dieu, un instrument de régulation dans le meilleur des mondes possibles. Or, nous ne vivons plus dans le meilleur des mondes possibles. Notre monde est déréglé. La création gémit6. Un même sort atteint les justes et les injustes7.
La rédemption et la gloire à venir
Nous situons donc la maladie dans le cadre général de la création et de la chute. Nous devons aussi la situer dans le cadre de la rédemption et de la gloire à venir.
C’est ici sans doute que les chrétiens ont du mal à comprendre. Tout un courant de pensée affirme que la guérison de notre corps ici-bas ferait partie des bienfaits de la rédemption. Il s’appuie sur Matthieu 8.17, qui parle des guérisons accomplies par Jésus et qui cite Ésaïe 53.4 : « C’est de nos maladies qu’il s’est chargé, ce sont nos souffrances qu’il a prises sur lui. » Or, Ésaïe 53, c’est la rédemption, c’est le sacrifice du Serviteur. La référence à la guérison aux versets 4 et 5 peut se comprendre de façon métaphorique8. Elle entre certainement dans le cadre d’un salut qui sera pleinement accompli à la résurrection. Matthieu cite Ésaïe 53.4 au sujet de guérisons physiques opérées par Jésus, qui sont des anticipations partielles de la guérison à venir. 1 Pierre 2.24-25 cite le verset suivant, Ésaïe 53.5, pour dire que Christ a porté nos péchés en son corps sur la croix. Ainsi, Matthieu utilise Ésaïe 53 pour parler du ministère terrestre de guérison, annonciateur d’un monde nouveau, alors que Pierre insiste sur le ministère expiatoire du Serviteur. Dire que la guérison fait partie des bienfaits de la croix est donc juste, mais ne nous autorise pas à la présenter comme offerte ici et maintenant au même titre que la vie éternelle.
De la même façon, on doit dire que notre sanctification est incluse dans la rédemption. Pourtant, nous ne sommes pas aujourd’hui saints comme Dieu est saint. Nous sommes certes une nouvelle création, mais toute trace de péché n’a pas pour autant disparu. Nous sommes en train de devenir ce que nous n’aurions jamais dû cesser d’être, dans un processus de sanctification qui ne sera achevé que dans la gloire. La doctrine de la totale sanctification, de la perfection ici-bas, est devenue une curiosité de l’histoire. Nous disons que notre sanctification pratique, au quotidien, est un combat sans cesse repris, et que nous ne serons comme Jésus que lorsque nous le verrons tel qu’il est9. Parallèlement, Dieu anticipe parfois sur la rédemption de notre corps, mais il ne promet sa transformation que dans la gloire. Nous vivons aujourd’hui un temps où nous avons les prémices, les arrhes, l’avant-goût d’un salut qui sera complet plus tard. Romains 8 et 1 Corinthiens 15 aident à saisir cette tension entre la vie présente et celle qui vient.
Leçons à partir du livre de Job
En réfléchissant au sens à donner à la maladie, nous pouvons tirer un grand profit du livre de Job. La leçon essentielle de ce livre, c’est que la souffrance, et en particulier la maladie, n’est pas forcément en rapport avec le péché. L’Éternel affirme que Job est sans reproche. Job dit qu’il n’a rien fait qui mérite une telle souffrance. Même le diable atteste que Job est juste – tout en insinuant qu’il l’est par intérêt.
La théorie des trois amis, selon laquelle la maladie est un châtiment, est donc intenable. Elle est vraie en ce qui concerne la situation générale de l’humanité. Elle peut être vraie dans certains cas – comme dans 1 Corinthiens 11.30. Mais dans le cas précis de Job, elle est fausse. Elle sera sans doute fausse pour beaucoup de ceux que nous rencontrons. La maladie n’est généralement pas un châtiment direct envoyé par Dieu pour sanctionner un péché précis.
La théorie d’Élihou est plus subtile, mais en partie fausse. Si la souffrance est – entre autres, dirions-nous – un avertissement, un moyen dont Dieu se sert pour éduquer l’homme, au début du livre, Job n’en avait pas particulièrement besoin. Il était droit, intègre et juste. Un avertissement de ce type, et aussi sévère, n’avait aucun lieu d’être.
Le prologue laisse entendre que Job souffre comme un témoin. Il est mis à l’épreuve, avec l’accord de Dieu, pour montrer que son amour pour Dieu est désintéressé. Même au plus fort de sa détresse, quand ses paroles dépassent les bornes, on ne peut jamais l’accuser de ne pas aimer Dieu. Et Job n’est pas seulement mis à l’épreuve pour que soient attestés son intégrité et son amour pour Dieu. Il est éprouvé pour montrer au monde, et notamment au monde invisible, que Dieu est digne de recevoir nos hommages, pour lui- même, sans que ses adorateurs en retirent le moindre avantage personnel. Job est le témoin de Dieu, il est le champion de Dieu dans un combat sans merci.
Les trois amis, et dans une moindre mesure Élihou, montrent surtout ce qu’il ne faut pas faire. Leurs interventions sont d’abord empreintes d’un certain tact, mais face à la résistance de Job, ils s’impatientent, se durcissent. Leurs paroles deviennent plus absolues, plus injustes, plus extrêmes. Leur théologie de la souffrance, forcément méritée, les empêche d’écouter Job, de tenir compte de la réalité de sa vie passée et de son expérience présente. Ils ne dialoguent pas vraiment, ils essaient de convaincre à tout prix, de provoquer une repentance. Appeler à la repentance quelqu’un qui n’a pas péché, qui souffre et qui ne sait pas où il en est, c’est abuser de la faiblesse d’autrui et déshonorer le Dieu qu’on est censé servir.
La personne de Job aide à comprendre que ceux qui souffrent ne sont pas forcément cohérents. Ils peuvent être au désespoir, ils peuvent être en colère contre Dieu et contre leur entourage. Ils peuvent regretter les jours heureux d’autrefois. Ils peuvent rêver d’un rétablissement. Quand tout est au plus noir, ils peuvent avoir de formidables élans de foi. Ils peuvent rencontrer Dieu dans la souffrance. Job passe du désespoir le plus rageur à une mesure de sérénité. Sans comprendre, et sans nier son innocence, il maintient sa foi en la justice de Dieu et espère avec de plus en plus de confiance que Dieu le réhabilitera. Ce mouvement, cependant, n’est pas linéaire. Ses sentiments sont souvent contradictoires. Le livre de Job, donc, comme certains Psaumes, aide à comprendre que l’on peut tout dire à Dieu. Il vaut mieux s’exprimer en des termes théologiquement incorrects plutôt que de ne pas s’approcher de Dieu du tout. Nous pouvons encourager les gens à exprimer leur colère ou leur angoisse. Peut-être finiront-ils par exprimer aussi leur foi.
Le livre de Job n’explore pas le problème de la fausse culpabilité. Car comme les trois amis accusent Job de péchés qu’il n’a pas commis, les malades eux-mêmes peuvent s’accuser de fautes plus ou moins graves, plus ou moins réelles. Il faut à ce moment-là du discernement. Si la faute est réelle, elle peut être confessée, elle peut être pardonnée. Et, sous la grâce, le sentiment de culpabilité disparaîtra. Mais si la culpabilité est avant tout psychologique, le résultat d’une déprime et non d’une faute, la personne pourra confesser toutes les fautes du monde sans jamais trouver de soulagement. Nous devons lui parler de la grâce du pardon, c’est sûr, mais parfois aussi aider la personne à reconnaître que, dans la fatigue et le découragement, les gens se sentent loin de Dieu, alors qu’ils ne le sont pas vraiment10. La souffrance, dirons-nous, fait partie de la condition humaine ; Dieu aime ses enfants dans la maladie et dans la santé, dans la richesse et dans la pauvreté : il a promis de ne jamais les abandonner.
Promesses de guérison
Malades, nous espérons la guérison. Nous la demandons dans nos prières. Pouvons-nous dire que Dieu la promet ?
Avec Jésus, puis les apôtres après la résurrection, les paroles de guérison sont suivies d’effet, immédiatement, et quelle que soit la gravité de la maladie.
Par contre, les apôtres ont connu au moins un échec avant la résurrection11. Après la Pentecôte, ils ont été confrontés à la maladie sans qu’on sache s’ils ont essayé de la guérir ou pas. Timothée avait des problèmes d’estomac, et Paul a laissé Trophime malade à Milet12. Lui-même, semble-t-il, a été assez malade par moments ; ses collaborateurs aussi ont été malades13. Il y a bien des gens que Jésus n’a pas guéris, comme ceux de Nazareth en Matthieu 13.54, ou les malades de la piscine de Béthesda en Jean 5. Mais nous ne trouvons pas dans la Bible des promesses ou des prophéties de guérison qui n’auraient pas marché. Nous trouvons encore moins l’idée que l’échec d’une démarche de guérison miraculeuse serait dû à un manque de foi chez le malade. Ce serait plutôt dû à un manque de foi chez les apôtres, comme en Matthieu 17.20. Jésus n’a pas fait beaucoup de guérisons à Nazareth, à cause de l’incrédulité des habitants – qui n’ont pas cru en lui et qui ne sont pas venus vers lui pour demander quoi que ce soit. Ce n’est pas qu’ils auraient prié le Seigneur sans avoir assez de foi.
Régulièrement, Jésus cherche à savoir si tel malade a la foi. Souvent il affirme que c’est en fonction de sa foi que le malade a été guéri ou sauvé14. Mais Jésus fait aussi des miracles qui ne dépendent pas de l’intensité de la foi de la personne. Ainsi, le père de l’enfant tourmenté par un démon confesse son manque de foi, tout en continuant à s’attendre à l’intervention de Jésus15. Les miracles de Jésus sont des signes qui attestent qu’il est le Messie. Ce sont aussi des signes de son autorité et de sa compassion. La foi que Jésus honore par la guérison est tout simplement le fait de croire en lui et de venir à lui. Ce n’est pas une puissance en soi.
Plus difficiles à comprendre sont les promesses qui sont associées à la prière et pas spécifiquement à la guérison. Par exemple :
• Il a égard à la prière de ceux qui sont dépossédés, il ne méprisera pas leur requête16.
• Si vous priez avec foi, tout ce que vous demanderez, vous l’obtiendrez17.
• Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, vous l’obtiendrez18.
Nous avons tous demandé des choses au nom de Jésus, croyant bien faire, et nous avons parfois demandé avec foi sans recevoir de réponse positive. J’ai prié pour des malades qui sont morts. Comment l’expliquer ? Le passage le plus utile est peut-être Romains 8.22-27 : Nous le savons bien, en effet : jusqu’à présent la création tout entière est unie dans un profond gémissement et dans les douleurs d’un enfantement. Elle n’est pas seule à gémir ; car nous aussi, qui avons reçu l’Esprit comme avant-goût de la gloire, nous gémissons du fond du coeur, en attendant d’être pleinement établis dans notre condition de fils adoptifs de Dieu quand notre corps sera délivré… De même, l’Esprit vient nous aider dans notre faiblesse. En effet, nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui-même intercède en gémissant d’une manière inexprimable. Et Dieu qui scrute les coeurs sait ce vers quoi tend l’Esprit, car c’est en accord avec Dieu qu’il intercède pour ceux qui appartiennent à Dieu.
Ce passage illustre bien la tension que nous évoquions entre la gloire à venir et les souffrances du temps présent. Mais, par rapport à la prière, il dit deux choses très intéressantes. Il dit que nous ne savons pas prier comme il faut. Devant la maladie, c’est évident. Mais l’Esprit lui-même intercède. C’est-à dire qu’il est présent lorsque la souffrance ou la frustration nous font gémir, qu’il gémit lui aussi, qu’il porte nos prières et les interprète.
Ceci doit être mis en rapport avec les passages qui font des promesses apparemment inconditionnelles au sujet de la prière. Je comprends ainsi que la prière est une activité où je ne suis pas le seul acteur. Moi, humain, je ne suis pas en train d’exercer une pression sur Dieu, je ne cherche pas à lui forcer la main. Quand je prie, je prie en Christ, avec l’Esprit, et ma prière est en même temps la prière que Dieu lui-même suscite. Celle-là sera forcément exaucée.
Et quand je me trompe de cible, quand je passe la mauvaise commande, quand, en fin de compte, je n’ai pas prié dans le sens de la volonté de Dieu, ce n’est pas grave, parce que j’ai voulu être en communion avec Dieu et j’ai voulu que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Prise hors contexte, l’une des prières de Jésus n’a pas été exaucée19 : « Que cette coupe s’éloigne de moi ! » Mais la volonté de Jésus de se soumettre au Père, de faire sa volonté jusqu’au bout et au-delà du bout, cette volonté de Jésus a été exaucée pour le salut du monde.
Les gestes qui accompagnent la prière pour la guérison
Certains gestes s’associent plus ou moins spontanément à la prière. On ferme les yeux ou on lève les yeux au ciel. On se lève, on s’assoit, on s’agenouille. On tend les mains ou on les joint. Dans le Nouveau Testament, trois pratiques peuvent accompagner la prière pour lui donner un caractère plus solennel : plus solennel pour nous, surtout, pas forcément pour Dieu. Ces trois pratiques sont le jeûne, l’imposition des mains et l’onction d’huile.
Chacune de ces pratiques peut être appropriée dans le contexte de la prière pour les malades. Ce ne sont pas des moyens supplémentaires pour faire pression sur Dieu ; ce ne sont pas des armes qu’il faut sortir quand le reste a échoué. Mais chacune d’elle, à sa manière, peut nous permettre de saisir le sérieux de la démarche de prière et de le faire comprendre aux autres.
L’élément majeur dans le jeûne biblique est, semble-t-il, l’expression d’une tristesse, d’un désarroi, d’une recherche de Dieu. C’est aussi l’expression de la repentance. On peut donc prier pour quelqu’un en jeûnant. On pourrait préférer le cadre de la prière personnelle, pour éviter de créer de faux espoirs dans la famille ou dans l’Église. Mais si la chose est bien comprise, cela peut aussi être un geste collectif.
L’imposition des mains, en privé ou lors d’un culte, est sans doute plus simple. Le sens du geste ici est celui de la solidarité. Cela peut être très dépouillé : un toucher, une main sur l’épaule. Ce peut être plus solennel, à plusieurs, en public. Nous sommes ensemble avec la personne, ensemble devant Dieu, ensemble pour demander la guérison.
L’onction d’huile reçoit en Jacques 5 un traitement particulier. Le malade appelle les anciens – on suppose qu’il ne peut pas facilement se déplacer. Dans tous les cas, le texte suppose une certaine intimité. Parce que, préalablement à la prière, il va y avoir un temps d’examen de conscience : « Confessez vos péchés les uns aux autres ». Le malade a peut-être des choses à se reprocher. Ou son entourage immédiat. Ou les anciens. Avant de prier d’une façon solennelle, on s’examine devant Dieu et l’on répare ce qui doit l’être.
L’onction d’huile est symbolique. Ce n’est pas ici un geste thérapeutique. C’est plutôt un signe de la présence du Saint-Esprit, de la bénédiction du Saint-Esprit. Puisque c’est un symbole, nous ne sommes pas obligés de vider une corne d’huile sur la personne et de faire en sorte que l’huile dégouline sur sa barbe, comme dans les temps anciens. Mais nous gardons une forme symbolique de cette expression corporelle de la prière pour lui donner un côté mémorable, solennel.
La promesse de Jacques 5
De nombreuses personnes trouvent dans le texte de Jacques 5 un encouragement à la prière, un encouragement à la foi. C’est certainement dans ce sens que Jacques l’a écrit. Ce passage peut nous troubler, parce que les chrétiens qui prient avec foi ne voient pas toujours leurs malades guérir. Je me souviens d’un jeune qui n’acceptait pas la mort d’un pasteur à Brest et qui est allé à la morgue prier pour qu’il ressuscite. Le même genre de chose s’est passé récemment en région parisienne.
Pour sortir de la difficulté, il y a des astuces. On peut jouer sur le fait que le verbe grec sôzô, au verset 15, peut signifier « sauver » ou « guérir ». Mais quand un mot a plusieurs sens, le contexte va être déterminant. Et le verset 15 dit que le Seigneur relèvera le malade ; le verset 16 nous invite à prier pour la guérison, cette fois-ci sans ambiguïté. N’essayons donc pas d’esquiver la difficulté en disant que le malade, même décédé, a été « sauvé », ou que c’est son âme qui a été guérie.
Une autre astuce, très injuste, consiste à dire que le malade ou ses proches ont manqué de foi. Il n’y a rien de mieux pour plonger les gens dans la culpabilité pendant des années. Il est vrai que Jésus dit parfois : « Qu’il te soit fait selon ta foi. » Mais il opère de nombreuses guérisons là où la foi de la personne ou de ses proches est absente ou bien vacillante. « Je crois : viens au secours de mon incrédulité », dit le père de l’enfant tourmenté par un démon.
La promesse de Jacques 5, comme d’autres promesses bibliques concernant la prière, est à lire à la lumière de l’exemple de Jésus. Elle est dite sous une forme absolue, mais elle sous-entend que la souveraineté de Dieu passe avant nos désirs, nos souhaits, nos convictions même. Nous pouvons nous inspirer de la prière de Jésus à Gethsémané. Il a prié avec ferveur, avec angoisse, et avec foi. Mais sa foi ne reposait pas sur la force de sa prière. C’était une foi inébranlable en son Père. Et c’est pour cela que, dans la foi, il a prié aussi : « Que ta volonté soit faite, et non la mienne »20. Ce n’était pas de la résignation. C’était un engagement. Un engagement qui a conduit Jésus à la croix.
Dans la même optique, le chapitre 3 de cette même épître de Jacques nous encourage à ne pas être présomptueux quand nous envisageons l’avenir. Il devrait nous empêcher de faire des promesses inconsidérées de guérison, comme si l’avenir nous appartenait. Mais la portée essentielle de Jacques est de nous encourager à prier pour ceux qui sont malades. C’est toujours par là qu’il faut commencer, sans hésiter.
La promesse de Marc 16.17-18
À la fin de l’Évangile de Marc, nous trouvons un passage qui est parfois cité pour soutenir l’idée que l’annonce de l’Évangile doit forcément être accompagnée de signes miraculeux. Le voici :
Voici les signes miraculeux qui accompagneront ceux qui auront cru : en mon nom, ils chasseront des démons, ils parleront des langues nouvelles, ils saisiront des serpents venimeux, ou s’il leur arrive de boire un poison mortel, cela ne leur causera aucun mal. Ils imposeront les mains à des malades et ceux-ci seront guéris21.
C’est une promesse qu’il faut manier avec précaution, pour deux raisons. La première, c’est qu’elle concerne en premier chef les Onze22 que Jésus envoie en mission23. Globalement, ces signes se sont accomplis au cours du ministère des apôtres24, même si nous n’avons pas trace de personnes qui auraient bu des poisons sans en subir les effets. Ils se sont accomplis aussi, ici ou là, au cours de la mission de l’Église, car la promesse concerne « ceux qui auront cru. ». Mais si la promesse avait été absolue et universelle, nous n’aurions pas noté autant de malades dans l’entourage de l’apôtre Paul.
La deuxième raison qui incite à la prudence, nous la voyons dans une note en bas de page dans la plupart des éditons modernes de la Bible. C’est que les versets 9 à 20 manquent dans plusieurs manuscrits anciens, et des meilleurs. Certains ont à la place une finale courte qui tient en quelques lignes. La finale longue semble être une récapitulation de ce que l’on apprend de la résurrection dans d’autres Évangiles. Il existe donc un doute sur le statut canonique de cette finale, qui ne doit pas être employée comme pièce maîtresse d’une argumentation théologique.
Le don de guérison
Ce ne sont pas seulement les miracles de Jésus et les promesses associées à la prière qui suscitent chez les malades chrétiens et leurs proches l’espoir d’une guérison divine. C’est aussi le chapitre 12 de 1 Corinthiens, qui, parmi les divers dons que le Seigneur accorde à son Église, cite celui de la guérison et celui des miracles.
Plusieurs débats viennent compliquer une saine compréhension de ces passages.
Le premier tourne autour de l’idée que les dons miraculeux sont spécifiques au ministère de Jésus et des apôtres, accordés pour attester que Jésus est bien le Messie et que les apôtres sont bien ses envoyés. En effet, Paul cite les miracles qu’il a opérés comme des preuves de son apostolat25. Il est parfois affirmé que, depuis la rédaction du Nouveau Testament, de tels dons ne sont plus nécessaires. Pourtant, ceux qui adhèrent à cette interprétation reconnaissent bien que Dieu dans sa souveraineté répond à la prière, et qu’il le fait parfois de manière miraculeuse. La question consiste donc à savoir si un ministère de guérison est à la disposition de l’Église aujourd’hui. Si on le croit, il faut aussi reconnaître le caractère tout à fait exceptionnel du ministère du Seigneur Jésus.
Le ministère de guérison est souvent invoqué comme une nécessité pour pouvoir évangéliser avec succès. Il est vrai que les miracles de Jésus et des apôtres ont souvent suscité la foi. Mais ils ont également suscité de l’opposition. On pouvait toujours dire que c’est le diable qui les avait opérés, ou des dieux païens, et certains ne s’en sont pas privés. De même, Jésus a prévenu que certains allaient opérer des miracles en son nom sans jamais être connus de lui, sans entrer dans la vie éternelle26. Les guérisons ne semblent donc pas être une nécessité pour l’évangélisation, ni la preuve de l’authenticité d’un ministère. Elles ont toujours besoin d’être associées à un témoignage d’intégrité et à la conformité aux Écritures – comme ce fût le cas d’ailleurs pour Jésus et les apôtres.
La nature des « dons » dans 1 Corinthiens 12 pose également question. D’instinct, vu que c’est l’Esprit qui les accorde, on penserait à des dons surnaturels. Mais la sagesse, la connaissance et l’enseignement existent en dehors de l’Évangile. La générosité, le service, l’encouragement, la direction, le célibat, le mariage, le pastorat, cités dans d’autres passages27, ne sont pas particulièrement surnaturels non plus, et pourtant ce sont des dons que Dieu fait à l’Église et à ses membres. 1 Corinthiens 12.4-6 cite comme des synonymes, ou presque, les dons, les activités et les services. Le champ est donc très vaste, débordant des seuls dons miraculeux.
En français moderne, le mot « don » a plusieurs sens. Il peut désigner un acte de générosité, un cadeau, comme il peut désigner un talent particulier. Un don pour la musique, ce n’est pas la même chose qu’un don pour les pauvres. Or, dans le langage du Nouveau Testament, le mot couramment utilisé, charisma (pluriel : charismata) désigne un don de la grâce plutôt qu’une aptitude. Ce n’est pas un mot technique pour parler d’une capacité particulière. Le salut est un charisma28 tout comme le célibat29 ou l’enseignement. Le « don » que Dieu fait peut être une capacité particulière, mais pas seulement.
Du coup, celui qui reçoit selon 1 Corinthiens 12.930 « des dons (charismata) de guérisons31 », ou, comme traduit la Bible du Semeur 2015, « des dons de la grâce sous forme de guérisons », c’est sans doute quelqu’un qui voit des guérisons suite à sa prière. Il reçoit des grâces que d’autres ne reçoivent pas, sans être comme titulaire d’une capacité particulière ou d’un pouvoir de guérir. Regarder les choses comme cela permet d’écarter l’idée d’un don de guérison quasi infaillible, où tout échec serait à attribuer au malade, tout en restant ouvert à des guérisons que Dieu opérerait selon sa volonté.
À chaque fois que Dieu dans sa grâce accorde la guérison, nous le louons. Mais nous ne pouvons pas adhérer à toutes les théories sur la guérison qui ont cours en milieu évangélique et qui donnent parfois lieu à des abus. Nous devons rejeter toute théorie que lie systématiquement la maladie à un péché précis ou qui attribue la non-guérison à un manque de foi chez le malade. Des ministères de guérison où l’intégrité n’est pas au rendez-vous et où l’enrichissement personnel participe à la renommée du guérisseur n’ont pas leur place dans l’Église. Nous dénonçons les cas, hélas trop nombreux, de photos et de vidéos mettant en avant des personnes supposées guéries, et qui en fait sont toujours malades. Nous refusons les discours qui conditionnent la guérison divine à l’arrêt de tout traitement médical, qui serait le signe d’une véritable foi au Divin Médecin. Le double enjeux dans ces pratiques, c’est le bien-être et l’équilibre des personnes malades et la crédibilité de l’Évangile. Au 1er siècle, il y a eu de faux apôtres et des charlatans : il y en aura toujours. Miraculeusement, c’est le cas de le dire, certains rencontreront Christ par leur intermédiaire… et d’autres seront dégoûtés.
Conclusion
Dans un pays riche comme la France, la maladie et la mort ne sont pas omniprésentes comme dans certains pays pauvres. Une bonne alimentation, des programmes de vaccination et de dépistage, l’accès à l’eau potable, la lutte contre les pollutions…, tant de facteurs contribuent à nous faire considérer la maladie comme l’exception et non la règle. Nous sommes habitués aux maladies infantiles et aux petits ennuis passagers. Mais devant la maladie grave, nous sommes souvent démunis.
Pourtant, la maladie est normale. Non pas dans le sens qu’elle constituerait une norme à suivre, mais parce qu’elle est courante, ordinaire, liée depuis la chute à la condition humaine. Elle fait partie de l’ensemble des expériences qu’un être humain connaîtra au cours de son existence.
Elle constitue un lieu d’épreuve qui révélera la consistance ou non de la foi, qui nous fera dépendre de Dieu plus fortement, ou qui, au contraire, nous éloignera de lui. Serions-nous appelés à marcher avec Dieu uniquement par beau temps ? Sûrement pas ! Quand les nuages s’amoncellent, quand les volets claquent et que le tonnerre gronde, Dieu reste notre Dieu !
Dans la 6e symphonie de Beethoven, un passage évoque l’orage. Puis l’orage passe, et les paysans reviennent à leurs occupations. Par une phrase – il n’avait pas besoin d’insister – Beethoven évoque la paix retrouvée : c’est la mélodie de la première ligne du cantique Chef couvert de blessures. Le chrétien ne peut pas l’entendre sans se rappeler que les orages se sont déchaînés contre Christ, qui est ainsi devenu notre paix, même dans la maladie.
GORDON MARGERY
En complément de cet article, nous recommandons deux textes substantiels proposés par le CNEF :
La théologie de la prospérité, disponible en pdf, 26 pages, 2012
La guérison miraculeuse, disponible en pdf, 14 pages, 2015
NOTES
1 Cet article s’inspire du chapitre 17 de notre Guide pratique de travail pastoral, Éditions Clé, 2013, revu et augmenté.
3 Nous refusons de voir dans les deux étapes de Mc 8.22-26 la justification de guérisons supposées divines s’étalant sur des semaines, des mois.
10 Voir Ps 22.2 ; 44.10-20 ; 77.6-11.
14 C’est le même verbe en grec.
18 Jn 15.7. Dans le discours de Jn 14-16, il y a des éléments qui concernent tous les croyants (Jn 14.12, 23), d’autres qui concernent spécifiquement les apôtres, notamment les promesses inconditionnelles concernant la prière (p. ex. 14.13-14 ; 16.23-24). Ici, l’image de la vigne et des sarments est adressée aux apôtres, mais vaut pour tout chrétien. Or la promesse de 15.7 n’est pas inconditionnelle.
19 En Jn 11.42 Jésus affirme être toujours exaucé ; Hé 5.7 l’affirme également en évoquant certainement le contexte de la prière à Gethsémané. D’où l’importance de la lire comme un tout.
23 Le contexte immédiat concerne ceux qui croiront et qui seront baptisés, v. 15. Mais le contexte plus large concerne les disciples qui ont douté de la résurrection, 11, 13, 14, et qui sont envoyés en mission, v. 15, 20. On peut donc hésiter entre ces deux lignes d’interprétation.
24 Ac 2.43 ; 5.12-16 ; 2 Co 12.12 ; Hé 2.2-4 ; Mc 16.20.
27 Rm 12, 1 Co 7, Ép 4, 1 P 4.
29 1 Co 7.7. Même idée en Hé 2.3-4.