Diriger l’Église locale : quelques éléments de réflexion à prendre en compte pour élaborer un modèle de gouvernance.
Le Réseau FEF regroupe une douzaine d’unions qui s’organisent diversement dans la gouvernance de l’union et de l’Église locale. Chacune de ces unions revendique une pratique qui s’inspire de l’Écriture. Mais que disent les écrits du Nouveau Testament à ce sujet ? Sans prétendre apporter une réponse exhaustive et proposer un modèle exclusif, les lignes qui suivent donnent un aperçu des éléments à prendre en compte lorsqu’on s’atèle à une telle réflexion.
Jésus à la tête de l’Église
Ce que les écrits du Nouveau Testament disent et ne disent pas.
Dans les Évangiles ? Rien ou presque. Seul l’Évangile de Matthieu mentionne le dialogue de Jésus avec ses disciples et avec Pierre en particulier. Lorsque Pierre dit de Jésus qu’il est le Messie, celui-ci lui répond : « Et moi, je te déclare : Tu es Pierre, et sur cette pierre j’édifierai mon Église, contre laquelle la mort elle-même ne pourra rien »1.
De cette réponse, nous retenons un élément fondamental qui concerne directement notre sujet : Jésus est le chef de son Église, celui qui préside lui-même la communauté de tous les croyants qui, à l’instar de Pierre, confessent Jésus comme Seigneur. Il en est l’architecte. Il la bâtit. Ainsi Christ préside son Église. Cette présidence vaut aussi bien dans le cadre de l’Église universelle que locale puisqu’il n’y a qu’une seule Église. Si Jésus est le chef de son Église, toute gouvernance d’Église locale, quel que soit le modèle de cette gouvernance, se fera toujours dans la subordination à Christ.
Des anciens comme responsables des Églises locales
Dans le livres des Actes
En poursuivant notre lecture, le livre des Actes retient notre attention aux moins à deux endroits précis. Tout d’abord en Actes 11. Suite à l’annonce de la famine qui va sévir dans la Judée, une collecte de fonds s’organise depuis Antioche. Les dons collectés sont envoyés aux anciens (presbuterous), des « frères qui habitaient la Judée »2. La formulation laisse supposer qu’il y a une ou plusieurs communautés locales dans la Judée, présidées par des anciens, sans que leur fonction et la manière dont ils s’occupaient des Églises soient détaillées.
Ensuite le chapitre 20 du même livre nous raconte la fin du 3e voyage de Paul qui est en route pour Jérusalem. L’apôtre espère y être pour la Pentecôte. C’est pour cette raison qu’il ne fait qu’une brève escale dans le port de Milet d’où il fait chercher les anciens (presbuteroï) de l’Église d’Éphèse3.
De ces deux textes, retenons la présence de presbuteroï à la tête des Églises locales. Si la collecte a pu être envoyée aux presbuteroï de la Judée, c’est parce qu’ils sont reconnus comme tels. Il en est de même à Éphèse : la convocation est adressée à des personnes bien identifiables.
Chez Paul…
La présence d’anciens à la tête des Églises locales est le résultat d’une intention précise de l’Apôtre. Paul charge Tite d’établir des anciens à la tête des Églises de la Crète4. À Timothée, alors à Éphèse, il stipule les conditions à remplir pour être ancien dans l’Église5.
À Éphèse, en Judée, en Crête, les Églises locales sont présidées par des anciens. La même observation est possible à Philippes : Paul introduit la lettre aux Philippiens en saluant les croyants, les dirigeants et les diacres de l’Église de Philippes.
Est-ce une pratique limitée à ces Églises ? Il est vrai que les mots responsable, ancien ou dirigeant tels que nous les avons identifiés plus haut sont absents de l’épître aux Romains, aux Corinthiens, aux Colossiens ou encore aux Éphésiens. Mais l’absence de ces termes ne signifie pas pour autant l’absence de responsables à la tête des communautés : l’épître aux Éphésiens ne dit rien au sujet des anciens, mais nous avons la preuve de leur présence en Actes 20. Nous n’avons pas d’Épître aux Crétois, mais Tt 1 vise la mise en place d’anciens dans les Église de Crête. Ce qui nous autorise à penser qu’il peut en être de même à Rome, Colosses, sans pour autant pouvoir définir la forme précise de cette gouvernance6.
Cette pratique est-elle propre à Paul ? Est-il le seul à établir des responsables dans les Églises locales ?
Dans l’épître au Hébreux…
L’épître aux Hébreux, dont nous ne connaissons ni l’auteur et ni les destinataires de manière précise, appelle dans son dernier chapitre à obéir et à se soumettre à ceux qui vous conduisent7 (Hb 13.17).
Ainsi au v.7 : Souvenez-vous de vos anciens conducteurs qui vous ont annoncé la Parole de Dieu. Considérez l’aboutissement de toute leur vie. Deux choses méritent d’être soulignées à partir de ce verset. C’est de conduite spirituelle qu’il est question : le ministère de ces anciens s’articule autour de l’annonce de la Parole de Dieu. La dernière partie de ce verset laisse entendre que ces anciens conducteurs sont décédés.
Qui sont ces anciens conducteurs ? Les Apôtres ? Est-ce aux Apôtres et à leur enseignement qu’il faut se soumettre ? Comprendre le verset de la sorte s’accorderait avec d’autres textes dans l’Écriture qui vont dans le même sens. Mais le contexte immédiat pointe clairement en direction de responsables d’Église : au verset 17, le verbe est au présent (soumettez-vous à vos conducteurs) et le chapitre se termine au verset 24 par une salutation à vos dirigeants8. Ainsi l’auteur de l’épître aux Hébreux désigne-t-il des responsables en fonction au moment où il adresse la lettre à ses destinataires. Leur mission vise la croissance spirituelle des fidèles. Ces conducteurs sont des modèles à suivre, à l’image de ceux qui les ont précédés (les Apôtres en font certainement partie) et qui sont déjà décédés et plus largement encore à l’image de tous ces fidèles témoins dépeints dans le chapitre 11.
Dans l’Épître de Jacques…
Signalons un autre exemple qui appuie l’existence de responsables dans les Églises. En Jacques 5 verset 14, l’apôtre préconise l’appel des anciens de l’Église (presbuterous tes ekkesias) pour la prière de guérison et l’onction d’huile. Une fois de plus, une telle mention signale la présence de responsables (l’expression est au pluriel) dans l’Églises locale. Si l’on accepte l’hypothèse que l’épître de Jacques est une des premières à être rédigée (au milieu des années 40 après J.-C.), alors cela atteste la présence de responsables dans les Églises avant même le déploiement du ministère de Paul.
Que pouvons-nous retenir de ces textes ? À la tête d’Églises locales ou géographiquement proches se trouvent des personnes clairement identifiées comme ayant la charge d’un ensemble de croyants. Cette première conclusion s’accompagne d’un certain nombre d’observations.
– Les textes mentionnés ne nous permettent pas de définir avec précision le mode de fonctionnement de ces structures de gouvernance. Y avait-il des responsables dans chaque Église locale (ce qui semble être le cas en Crête) ? Y avait-il un groupe de responsables en charge de plusieurs Églises locales (ce qui pourrait être le cas dans l’Épître aux Hébreux, à Éphèse ou à Jérusalem) ? Les deux semblent être possibles dans le fonctionnement des Églises du Nouveau Testament.
– Nous observons aussi que les expressions ou mots utilisés pour désigner les responsables sont toujours au pluriel lorsqu’un auteur les désigne ou s’adresse à eux9. Les Églises du Nouveau Testament sont présidées par des équipes de responsables dans les configurations évoquées au point précédent. Ce mode de gouvernance collégiale n’est cependant jamais formalisé, ni enseigné comme modèle exclusif de gouvernance… et n’exclut pas les cas où il y a un responsable unique à la tête d’une communauté.
– Plusieurs mots grecs dans le Nouveau Testament sont utilisés pour désigner les responsables d’Églises. Presbuteros (traduit par ancien ou responsable) et Episcopos (traduit par surveillant, dirigeant ou évêque) sont les deux mots qui reviennent le plus souvent. Désignent-ils une seule et même fonction ? Pour des croyants d’origine juive, le mot presbuteros résonne de manière particulière. La version grecque de la Septante emploie ce mot dans les textes où elle désigne les responsables du peuple d’Israël10. Ce même usage se trouve également dans le livre des Actes (Ac 4.5) : les chefs des juifs, les responsables [presbuterous] du peuple et les spécialistes de la Loi se réunirent à Jérusalem pour décider du sort de Pierre et de Jean. Dans la culture et le vocabulaire juif, le presbuteros est le responsable d’une tribu, d’un village, d’une ville, ou de la synagogue. Avant l’exil, il y avait sans doute des anciens au niveau national. La gouvernance des synagogues reposait sur le même principe : des presbuteroï en assuraient la direction11. Les mentionner à la tête d’une l’Église signifie tout simplement qu’ils assurent la direction de cette Église.
Le mot episcopos est plutôt utilisé dans les lettres à destination des croyants d’origine païenne. Alors les chrétiens de Philippes ou d’Éphèse pouvaient-ils comprendre le sens de presbuteros comme un croyant d’origine juive ? Oui, parce que les deux mots recouvrent une seule et même fonction. En Actes 20, Paul appelle les presbuterous d’Éphèse à venir le rejoindre à Milet (20.17). Dans le même chapitre (20.28), il enjoint ces presbuterous à veiller ( forme verbale : episcopous – episcopo,) sur le troupeau que le Saint-Esprit a confié à leur charge12. Les deux mots sont utilisés dans ce texte pour désigner un seul et même ministère ; ils sont synonymes.
Nous disons souvent que nos conseils d’Église sont présidés par des anciens, du moins pour ceux qui ont opté pour une direction collégiale de l’Église. Aux oreilles d’une personne non avertie, cela signifie que des personnes âgées gouvernent l’Église locale, ce qui ne rend pas compte du sens que nous souhaitons communiquer. Les mots responsable ou dirigeant traduisent bien le sens que l’Écriture communique lorsqu’elle mentionne les personnes qui gouvernent les communautés locales.
– Autre remarque. Ces mêmes expressions n’existent pas au féminin13 dans les textes où il est question de la gouvernance de l’Église. La conduite de l’Église locale est confiée à des hommes. Mais cette observation ne suffit pas à elle toute seule pour affirmer que l’exercice de l’autorité est du rôle d’un collège d’hommes. Il s’agit ici de l’application dans la pratique de ce qui est dit ailleurs dans l’Écriture au sujet de la complémentarité homme-femme dans l’Église14.
Responsables d’Église : quelle mission ?
Jusqu’ici, nous avons simplement relevé la présence de responsables à la tête de l’Église ou des Églises locales. Nous n’avons rien dit de leur fonction. Qu’en disent les Épîtres ?
Transmission fidèle de l’Évangile
Le texte qui dépeint et résume le mieux la fonction de responsable d’Église est Actes 20. Revenons à cet épisode. Lors de cette dernière rencontre entre Paul et les responsables de l’Église d’Éphèse sur la plage de Milet, l’apôtre rappelle la mission que le Seigneur leur confie.
À partir de la métaphore du berger et de son troupeau, il les exhorte à prendre soin du troupeau que le Saint-Esprit a confié à leur garde (v.28) en le protégeant des loups féroces qui se glisseront parmi eux ou qui surgiront du milieu d’eux (v.29). Cette exhortation conclut le bilan que Paul dresse de son ministère auprès des Éphésiens : il leur a proclamé la Bonne Nouvelle de la grâce de Dieu (v.25) et enseigné tout le plan de Dieu (v.26). Le rôle des dirigeants de l’Église d’Éphèse est de transmettre cet Évangile dans la fidélité à l’enseignement qu’ils ont reçu de Paul. C’est ainsi qu’ils sont appelés à prendre soin du troupeau.
Cette mission demeure aujourd’hui encore : enseigner, transmettre le dépôt de la foi de manière fidèle à l’Écriture. Elle ne se limite pas à la transmission d’un enseignement théorique. L’appel à prendre soin du troupeau appuie la nécessité d’un enseignement assimilé, qui transforme la vie du croyant et qui se rend visible en actes. L’Écriture joue un rôle fondamental dans ce processus de vie.
Direction spirituelle
Si nous prolongeons la métaphore pastorale proposée par Paul, nous identifions d’autres missions qui incombent aux responsables d’Église. Le troupeau reçoit sa nourriture par les bons soins du berger qui l’emmène dans des pâturages propres à la consommation et suffisamment sécurisés. Il les conduit vers de nouvelles prairies choisies au préalable avec soin. Le berger veille et protège son troupeau des attaques extérieures ou intérieures lorsqu’une brebis se transforme en loup. Il soigne ses brebis. Le berger ne possède pas le troupeau ; il est mandaté par un propriétaire d’un seul et même troupeau réparti en une multitude de cheptels. Le berger rend compte de la gestion de son troupeau à son maître. Il reçoit de lui la délégation d’autorité pour en prendre soin et le faire grandir.
Ces caractéristiques se transposent facilement aux dirigeants d’Églises. Ces derniers ne sont pas propriétaires de la communauté des croyants. L’Église appartient à Christ ; il en est le chef15. Les dirigeants conduisent l’Église. Ils veillent sur elle. Ils l’enseignent dans la fidélité à l’Écriture. Ils dénoncent les fausses doctrines et tiennent à distance ceux qui tentent de proposer un autre évangile. Ils conduisent et préparent l’avenir de l’Église. Ils savent accompagner chacun à son rythme dans sa croissance spirituelle. En résumé, ils ont la charge de la direction spirituelle de l’Église.
Responsables d’Église : quelles compétences ?
Connaissance théologique et capacité d’enseignement
Si telle est la mission d’un responsable d’Église, alors une compétence est nécessaire : avoir une connaissance approfondie de l’Écriture et des doctrines de l’Écriture. Cette compétence, Paul la requiert pour qui veut assurer la charge de responsable d’Église : qu’il soit capable d’enseigner (1Tm3.2b) ou fidèlement attaché à la parole certaine, qui est conforme à ce qui lui a été enseigné. Ainsi il sera en mesure d’encourager les autres selon l’enseignement authentique et de réfuter les contradicteurs (Tt 1.9). Ces deux textes font écho à ce que nous avons dit d’Actes 20. Ils énoncent cette compétence absolument nécessaire pour assurer la bonne prise en charge du troupeau.
Les textes de Timothée et Tite fonctionnent en parallèle. Plusieurs expressions sont identiques. L’ordre des qualités morales et spirituelles se superposent à un ou deux détails près. L’intention de Paul est la même dans les deux cas : donner des consignes pour établir des responsables d’Église à Éphèse et en Crête. Mais une différence existe à l’endroit qui nous occupe.
Chez Timothée, Paul exige seulement la compétence de l’enseignement. Pour être bon enseignant, il faut connaître l’Écriture en profondeur. Lorsqu’il s’adresse à Tite, la compétence requise n’est pas d’abord celle de l’enseignement, mais celle de l’attachement à la saine doctrine afin d’être en capacité de déceler l’erreur doctrinale, la réfuter et savoir appliquer l’Écriture aux situations de la vie courante (v.9 : encourager ou exhorter). Force est de constater qu’il ne s’agit pas tout à fait des mêmes consignes. Quelle est la pensée de Paul ?
Pour les uns, un responsable d’Église doit remplir les conditions énoncées dans les deux textes. Le responsable d’Église est alors obligatoirement un enseignant-prédicateur dans l’Église. Si tel est le cas, il est alors curieux que Paul n’ait pas mentionné chez Tite la capacité d’enseigner. À moins qu’être attaché à la saine doctrine, réfuter et encourager ne puisse se faire que dans une démarche d’enseignement-prédication. C’est possible mais pas exclusif ! Manifester l’attachement à la saine doctrine, encourager, exhorter ou reprendre ne se fait pas toujours du haut de la chaire. Dans l’accompagnement pastoral, il peut y avoir une démarche d’exhortation, de discipline et même d’encouragement à l’égard d’une personne. Démarche qui exige la discrétion voire le secret. Prendre soin du troupeau se décline de multiples façons, mais toutes les pratiques exigent un ancrage solide dans l’Écriture. Ce qui nous amène à une autre façon de comprendre la pensée de Paul.
Paul insiste sur une compétence qui est commune aux deux textes : la connaissance de l’Écriture et de ses doctrines. Posséder cette compétence ne qualifie pas forcément à la prédication ou à l’enseignement. Un tel qui possède cette compétence aura un excellent ministère d’encouragement, d’exhortation au un à un ou sera précieux dans l’évaluation des enseignements donnés dans l’Église ; mais s’il n’est pas doué pour prendre la parole en public, il ne prêchera pas. Est-il alors disqualifié pour être responsable d’Église ?
Tous n’ont pas la somme des compétences requises en 1Tm 3 et Tt 116. Dans ce cas, la complémentarité au sein d’une équipe de responsables peut jouer à fond. L’un peut être excellent orateur tout en ayant le minimum requis de compétence théologique. Tel autre, qui n’est pas prédicateur, pourra apporter son expertise théologique et participer à la préparation de la prédication de son collègue.
Prenons aussi en compte une autre réalité : toutes nos Églises locales ne possèdent pas en interne de telles ressources. Ces ministères d’enseignement et de prédication peuvent se situer en dehors de l’Église locale, au sein de l’union ou dans une zone géographique qui rend possible la mutualisation de telles compétences17. Ainsi, le responsable d’Église (l’ancien) n’est pas forcément prédicateur du haut de la chaire (1 Tm 5.17).
Le Nouveau Testament n’érige pas un modèle rigide de gouvernance de l’Église locale. Nous l’avons vu : en Crête, il est probable que chaque Église ait eu son équipe de responsables. Peut-être qu’en Judée, il y avait un groupe de responsables en charge de plusieurs Églises. L’organisation de la gouvernance s’adapte aux circonstances locales. Mais dans tous les cas de figure, quel que soit le modèle de gouvernance, il y a une obligation de moyens : des responsables répondant aux critères de 1Tm 3 et Tt 1.
C’est aussi ce qui semble être le cas dans l’Église d’Antioche. Il n’y a aucune trace dans le Nouveau Testament de dirigeants qui président cette communauté. Elle est née du regroupement de croyants de la Judée qui ont fuit la persécution survenue après la mort d’Etienne et de non-juifs qui se sont convertis par leur témoignage (Ac 11.19-20). Cette Église a été accompagnée par Barnabas venu de Jérusalem (11.22) puis Paul qui l’a rejoint depuis Tarse (11.25). Les deux ont enseigné l’Église pendant une année (11.26). Ce faisant, ils ont endossé la fonction de dirigeants si l’on s’en tient à la description d’Actes 20, au moins jusqu’à leur départ. On note la présence d’enseignants et de prophètes dans cette Église au moment où le Saint-Esprit va envoyer Paul et Barnabas en mission (13.1-2). Nous ne savons rien de la manière dont cette Église a été structurée après leur départ. Le silence de l’Écriture ne signifie pas pour autant une absence de responsables dans l’Église d’Antioche après Actes 13. Mais la présence de ces enseignants et prophètes laisse à penser que la fonction (sans que cette gouvernance soit formalisée) de responsable telle que nous l’avons vue était fort probablement assurée par ces personnes.
Qualités morales et spirituelles
Disons encore un bref mot au sujet des qualités morales et spirituelles requises pour être responsable d’Église. Toujours en 1 Tm 3 et Tt. 1, Paul affirme qu’un responsable d’Église doit être un homme irréprochable : maître de lui, sans addiction, bon gestionnaire, homme de paix, accueillant, bienveillant dans ses relations, affermi dans la foi et jouissant d’une bonne réputation auprès des non-chrétiens. Le meilleur endroit où il est possible d’évaluer la présence de ces qualités, c’est la famille : la manière dont il s’y comporte et la dirige en dira long sur son aptitude à prendre soin des membres de l’Église (1 Tm 3.5). Il est possible pour un homme d’imiter temporairement ces qualités lorsqu’il est en public ou à l’Église. Mais il se fera vite rattraper par la vie de famille usante et trépidante qui révèle le vrai caractère d’un père.
Est-il alors possible d’être irréprochable ? Mal comprendre la pensée de Paul peut amener à une forme de complaisance lorsqu’il faut discerner la présence de ces qualités chez un futur dirigeant : parce que personne n’est parfait, l’exigence que fixe l’Écriture est revue à la baisse. Le même piège existe lorsqu’il faut nommer un responsable et qu’il n’y a personne de moral et spirituel parmi les hommes de l’Église. Lorsqu’il énonce ces qualités, Paul ne fixe pas un idéal moral et spirituel que personne ne peut atteindre. Dans le fond, il mentionne la vie chrétienne normale. L’Évangile qui transforme le coeur amène à vivre les qualités énoncées plus haut. Le responsable d’Église est un modèle à suivre dans le sens où il vit et se conduit en disciple de Christ. Et cela se traduit dans sa manière de vivre.
En conclusion
Ce qui ressort de l’Écriture, c’est davantage une obligation de moyens qu’un modèle unique de gouvernance. Les communautés locales de croyants sont présidées par des conducteurs spirituels. Ces hommes sont identifiés comme tels, choisis et mis en place pour cette mission de direction. Ils incarnent l’Évangile dans toutes les sphères de leur vie. Ils font office de modèles. Une compétence au moins est requise : une connaissance approfondie de l’Écriture et de ses doctrines. Sans l’ériger en principe absolu, cette direction repose sur les épaules d’une équipe plutôt que d’une seule personne. Ces moyens ne sont pas toujours présents à l’échelle de l’Église locale, mais dans le contexte plus large de l’Église universelle ; le pragmatisme a sa place dans la mise en place de la gouvernance de l’Église locale. Cette obligation de moyens s’adapte à la diversité des situations de l’Église, des cultures et des époques.
ÉRIC WAECHTER
NOTES
1 Mt 16.18 (version du Semeur 2000).
2 Ac 11.29-30 : la Bible du Semeur 2000 mentionne aux responsables de l’Église au v.30. Le mot Église est absent des manuscrits.
3 Ac 20.16-17. Le port de Milet se situe à environ 40 km d’Éphèse.
6 Combien était-il ? Comment fonctionnait cette gouvernance ? Comment étaient-ils désignés ?
7 L’expression tois ègoumenois, les conducteurs, revient à trois reprises dans ce chapitre.
8 Même occurrence qu’en 12.7, 17 et 24.
9 Le terme episcopos est utilisé au singulier en 1Tm 3.2. Mais son usage dans ce contexte s’explique par le fait que Paul y détaille les conditions à remplir pour une personne qui aspire à la charge de responsable.
10 Ex 3.4, 18.13-18, 18.20, Nb 11.16ss.
11 Ac 13.15 par exemple. La logique est celle de la transposition d’un modèle de gouvernance existant à l’Église et non celle d’un nouveau modèle révélé.
12 En 1Tm 2.3, c’est Episcopos qui est utilisé. Paul s’adresse à Timothée qui est à Éphèse en charge d’accompagner ces anciens.
13 …sauf en 1Tm5.2 Mais le contexte indique sans ambigüité qu’il s’agit de femmes âgées (des « anciennes »). Paul exhorte Timothée à ne pas les rudoyer.
14 En 1 Tm 3, Paul parle d’hommes anciens alors qu’il parle ensuite d’hommes et de femmes diacres (et ce après avoir écrit 1 Tm 2.12)
16 1Tm 5.17 opère une distinction entre les responsables d’Église : parmi eux, ceux qui enseignent méritent des honoraires doubles. Ainsi tous les responsables ne sont pas enseignants.
17 Soulignons à cet endroit le rôle capital des institutions de formation théologique ou des éditeurs de littérature qui visent l’édification de l’Église de Jésus Christ. Ces oeuvres participent à la mission d’Actes 20 ; elles équipent les responsables d’Église. Elles aident l’Église à remplir sa mission ! Elles sont données par Dieu à son Église.