NICOLAS SARKOZY
[…] Je pense que depuis bien longtemps la question religieuse est une des questions essentielles. La question spirituelle revient à s’interroger sur le sens de la vie, sur la finalité de l’homme, sur la spécificité de l’homme, sur son caractère unique, et c’est justement parce qu’il est unique qu’il doit être respecté. La vie n’est pas un bien de consommation comme les autres. La question spirituelle, depuis la nuit des temps, est une interrogation fondamentale pour l’homme. Depuis que l’homme a conscience de son destin singulier, il s’est pose cette question :
« Est-ce que la vie a un sens, ou sommes-nous le fruit et le produit du hasard ? »
Cette question, Messieurs les présidents, est une question légitime. Légitime elle l’était hier, légitime elle l’est aujourd’hui et légitime elle le sera tant que les hommes n’auront pas la réponse à cette question: Pourquoi ? D’où venons-nous ? Ou allons-nous ? Cette question spirituelle ne s’oppose pas aux questions temporelles. À la République : le temporel, aux religions, le spirituel.
Y a-t-il une opposition entre les deux? À l’évidence, non. Je dirai même plus, que l’engagement religieux, en ce qu’il donne un sens à la vie, et un prix à la vie de chacun. qu’il encourage au respect de l’autre, si semblable, malgré les différences apparentes, et bien c’est un facteur d’apaisement et de stabilité pour nos sociétés.
Est-ce que l’idéal républicain peut répondre à toutes les questions que se pose l’homme? Qui oserait le dire? Les valeurs républicaines sont la pour assurer le « bon vivre ensemble » dans le cadre de la vie de tous les jours, organisée de façon à ce que chacun puisse trouver sa place. Les valeurs républicaines n’ont pas la prétention, car ce n’est pas leur domaine, de répondre à cette question essentielle : « Tout cela a-t-il un sens? ».
D’ailleurs si vous me le permettez, qu’est-ce qu’une femme ou un homme qui croit?
C’est une femme ou un homme qui espère. La grande question spirituelle, c’est d’abord la question de l’espérance. Je pose à mon tour une autre question : En quoi l’espérance est-elle contradictoire avec l’idéal républicain? En rien[…].
La question de l’espérance est une question essentielle, parce qu’une femme ou un homme qui espère, c’est une femme ou un homme qui a considéré que les valeurs de la vie doivent être respectées. On ne peut pas faire n’importe quoi parce qu’au bout du compte il y aura la question du jugement sur le comportement de chacun. C’est en cela que les religions ont bien loin d’être l’ennemi de la République. peuvent s’insérer dans le cadre de la République, chacun à sa place.
Ensuite, il y a la question de la laïcité. […] La laïcité n’est pas l’ennemi des religions, c’est tout le contraire. La laïcité, pour ceux qui aiment l’histoire, et qui de surcroit la connaissent, a été organisée justement pour garantir à chacun de droit de croire, de vivre sa foi et de la transmettre à ses enfants. C’est ça la laïcité.
La laïcité n’est pas la négation des religions, la loi de 1905 le dit bien dans son article premier: la République garantit l’exercice du culte, de tous les cultes, sans en privilégier aucun. Si la République garantit ce droit. c’est qu’il est fondamental. Sinon la République y perdrait son âme, à garantir un droit qui ne l’est pas. La laïcité c’est donc d’abord le droit reconnu, à chacun d’entre nous de vivre sa religion, de vivre sa foi, de la transmettre à ses enfants. Le droit de croire est un droit aussi fondamental que le droit de s’exprimer. que le droit de s’associer, que le droit de manifester. C’est cela la laïcité à la française et ce n’est rien d’autre.
Je sais bien que certains ont voulu voir la laïcité comme une laïcité de combat, mais ce n’est pas notre tradition. C’est tout le contraire. La laïcité c’est la complémentarité entre la République et les religions […]
… […] « Ministre des cultes » : je ne trahirai pas un secret en disant qu’en arrivant au Ministère de l’Intérieur, on ne m’a pas présenté cette question comme prioritaire. Et bien pour moi elle est très importante. Je vais essayer de me faire comprendre. Beaucoup des problèmes que connaissent nos pays proviennent de l’ignorance, de l’absence de dialogue et donc méfiance. Et je sais devant qui je parle : vous protestants de France qui portez les règles du respect et de la tolérance au-dessus de beaucoup d’autres […].
Les grandes religions de France croient en un Dieu unique, dans un Dieu du pardon. Les grandes religions de France pensent toutes que tout ceci a un sens. Il n’est pas le fruit du hasard, que tout ceci a une suite, que ce n’est pas une fin. Les grandes religions de France ont d’ailleurs des prophètes, qui sont de la même nature […].
Et bien tous ces points communs, malgré cela, on voit la montée du racisme, de la xénophobie, des amalgames. Pourquoi ? Parce qu’on ne se connait pas. Parce qu’on ne dialogue pas et qu’on ne se comprend pas. Quand on ne dialogue pas, on ne peut pas se comprendre.
Cela fait bien longtemps d’ailleurs que je pense que l’histoire des religions, des grandes religions devrait être bien plus considérée dans la culture de nos enfants et de leurs formations. Ça leur permettrait de comprendre que ce qu’ils voient comme différences est en vérité bien proche […].
Mes chers amis, l’Islam est devenu la deuxième religion de France, par le nombre. Poser la question de la compatibilité de l’Islam avec la République, c’est une question étrange. Parce que si on répond qu’il n’est pas compatible, qu’est ce qu’on propose aux musulmans de France ? Vous voyez bien que cette question est une impasse.
Mais comment s’étonner qu’il n’y ait pas de dialogue, puisqu’il n’y avait pas de représentants. J’ai donc conduit et je le revendique parce que c’était l’intérêt de notre pays, dans le cadre de la laïcité à la française, j’ai aide à la constitution d’un organisme représentant le culte musulman. Et grâce à cet organisme, aujourd’hui on peut dialoguer. Et lorsque le président de la République a présenté ses veux aux grandes religions, pour la première fois, il y avait aussi la représentation de l’Islam de France.
J’ajoute que grâce au Conseil Français du Culte Musulman, nous allons pouvoir aider à la mise en place d’un Islam de France et non pas d’un Islam en France. La différence est très grande. C’est une différence d’adaptation […].
La loi, voulue par le président de la République… il y a eu de grands débats, j’ai participé moi-même. Je pense que le discours du président de la République a été un discours d’équilibre. Malheureusement on a mis en avant qu’une seule partie alors qu’il y en avait plusieurs, sur les religions, sur la panne de notre système d’intégration sur le droit de croire, sur les difficultés des différentes religions […]
Et je dis à tous il n’y a pas de droits sans devoirs. Le droit « un lieu de culte pour tous, quel qu’il soit » va de pair avec le respect d’un devoir : « celui de la neutralité de l’administration. » Je souhaite que ces questions s’apaisent et qu’au lieu de voir l’inquiétude toujours, la méfiance souvent, on avance vers la tolérance et le vers dialogue […].
Je crois que s’agissant des religions, et je comprends le malaise de certains, vous vous dites, nous croyons, nous espérons, au nom de quoi serions-nous présentés comme une menace ?
Je comprends très bien que les hommes de foi se disent cela. Vous n’êtes pas une menace, Vous êtes un facteur d’équilibre. Mais aidez la République à apaiser les tensions entre les uns comme les autres. Et vous-mêmes les protestants vous pouvez apporter beaucoup, d’abord parce que vous avez su avant les autres vivre la démocratie à l’intérieur de votre religion, et ce n’est pas une question simple.
Qu’est-ce que la foi si ce n’est une certitude? Qu’est-ce que la démocratie si ce n’est la part du doute ? Vous avez su dans l’organisation de votre religion faire vivre les deux : la foi qui ne pousse pas à la remise en question de la certitude, mais en même temps la démocratie. Et de ce point de vue, certainement les protestants de France – pardon dans toutes leurs fédérations peuvent utilement donner les choses.
Vous avez su également, y compris dans les offices donner l’exemple de la place et du respect de la femme. C’est une question importante dans les religions la place de la femme et ce n’est pas une question simple, […] Vous y avez répondu. Il existe des pasteurs femme. Et puis vous avez ce sentiment, oserai-je le qualifier de culturel : le respect de l’autre. Vous êtes assez exigeants sur votre part de liberté mais vous respectez la liberté des autres.
J’ai bien conscience en venant à votre assemblée générale de venir devant une assemblée d’hommes et de femmes qui, à bien des égards sont des exemples dans la manière dont ils vivent leur foi. Et bien ce que je souhaite, c’est que toutes les religions de France puissent se sentir dans notre République, respectées, considérées. Qu’elles aient les moyens de se déployer, simplement par la force de leurs convictions. Qu’elles soient respectées et que par ce mouvement positif, elles éliminent les facteurs d’extrémisme qui existent chez tous. […]
La question du vocabulaire est d’ailleurs une question passionnante […]
Par exemple « fondamentalisme ». Il y aurait beaucoup de choses à dire. Fondamentalisme, c’est croire dans les fondamentaux de sa religion. Et l’acte de foi est un acte qui engage fondamentalement. La sémantique a un sens. Moi je ne parle jamais des « fondamentalistes » mais de l’extrémisme, qui sont deux choses, de mon point de vue, parfaitement différentes. […] On met en cause les fondements de notre société, lorsqu’à partir de sa croyance, on essaie de l’imposer à l’autre, fût-il quelqu’un de sa propre famille.
La question des sectes dont vous avez parlé est une question extrêmement intéressante : qu’est-ce qu’une religion, qu’est-ce qu’une secte? Je crois qu’il existe des critères et nous aurons à en reparler dans le futur.
Je pense que l’universalité du message est une question qui marque une différence.
Je pense à l’ancienneté du message. Les sectes ne passent pas le temps. Les religions, si!
Je pense – strictement du point de vue du Ministre de l’intérieur, que la question de l’ordre public est un autre critère […].
Nous autres les responsables politiques on a sans doute eu le tort de ne pas assez parler de ces questions, qui sont des questions importantes.
Autrement dit, il y a dans la vie pas que la politique économique, pas que la politique culturelle, la politique sportive. Il peut aussi y avoir la politique au bon sens du terme. sur des domaines essentiels de la vie et de la conscience des hommes.
Bon, Messieurs les présidents, j’espère que vous l’avez senti, cela m’a quand même fait plaisir de parler de ces choses devant vous.
Discours retranscrit par Isabelle Kozycki, résumé par Alain Stamp pour la Fédération Évangélique de France.
DANY HAMEAU, EXTRAIT DU DISCOURS LORS DE L’AG DE LA FEF DEVANT LES AUTORITÉS
POUR UNE LAÏCITÉ TOLÉRANTE ET ÉCLAIRÉE
Votre présence parmi nous, Monsieur le Ministre, témoigne de l’intérêt que vous portez à la question religieuse et à sa place dans une démocratie moderne comme la nôtre. Votre venue témoigne également de votre considération à l’égard du protestantisme évangélique français pour laquelle nous vous sommes reconnaissants.
Nous tenons également à vous remercier pour les très bons rapports que notre Fédération nationale entretient, depuis de longues années maintenant, avec le Bureau des Cultes.
Le débat actuel sur la question de la laïcité nous amène à vous faire part de nos sérieuses préoccupations concernant la liberté de conscience et la libre expression publique de notre foi en France. Nous craignons qu’elles risquent, à terme et dans les faits, d’être remises en question. En exprimant ici nos sentiments, nous voudrions plaider, en faveur d’une laïcité tolérante et éclairée dans un pays de droit qui reconnaît le pluralisme religieux.
La loi du 9 décembre 1905, dite Loi de Séparation des Églises et de l’État, ne laisse nullement supposer que les Eglises et l’État doivent s’ignorer mutuellement. La laïcité républicaine ne peut passer sous silence ni le fait ni la réalité religieuse de notre pays, pas plus que l’apport de la religion judéo-chrétienne à la construction de notre civilisation occidentale.
Les protestants évangéliques se situent dans la lignée des premiers chrétiens. Fruit de la Réforme, ils sont issus du protestantisme historique. Ils ont trop souvent été méconnus et mal perçus, encore confondus à tort avec les sectes ou autres mouvements douteux, au motif notamment d’être des évangélisateurs en pleine expansion […].
Dans le contexte actuel qui prévaut en France, nous sommes précisément amenés à poser la question de savoir si communiquer publiquement le message de Jésus-Christ aujourd’hui est encore légitime, compatible avec l’évolution de la compréhension de l’application de la laïcité.
Le terme « prosélytisme », aujourd’hui à forte connotation péjorative, dénonce une tentative zélée qui vise à recruter des adeptes. Il sous-entend une action de propagande douteuse qui malmène la liberté de conscience et s’apparente parfois à de l’embrigadement. Ce prosélytisme dont nous tenons à nous désolidariser est un mauvais moyen au service d’une bien mauvaise fin ! Sous-tendu par n’importe quel fondamentalisme, il repose sur des méthodes coercitives, de harcèlement psychique et de conditionnement émotionnel ou doctrinal.
Tout en ayant un message clair et précis, Jésus-Christ n’a jamais versé dans ce genre d’intégrisme. Certes, Il a déclaré : « Je suis le chemin, la vérité et la vie : nul ne vient au Père que par moi », ou encore « Repentez-vous (= changez de comportement) et croyez à la bonne nouvelle car le royaume des cieux est proche. »
Mais le Christ a su respecter la liberté de conscience et le libre choix de l’individu, sans renoncer à proclamer la vérité qui procure la véritable liberté […].
La montée du sectarisme religieux comme celle de certains communautarismes a de quoi susciter la crainte des autorités civiles. Pourtant, si quelques-unes s’obstinent encore à tenir des propos intolérants, haineux et discriminatoires au nom de leurs conceptions religieuses, la réponse ne consiste pas à proscrire toute expression publique de la foi chez ceux qui entendent respecter les lois de la République.
La Fédération Évangélique de France s’emploie à réguler les rapports entre ses membres, l’État et la société. En terminant, Monsieur le Ministre, et au nom de toutes les associations membres de notre Fédération Évangélique, je tiens à vous faire part, en accord avec les prescriptions bibliques, de notre engagement à prier pour nos autorités et pour vous particulièrement, dans la lourde tâche qui vous incombe.
Dany Hameau Président de la FEF