L’Évangile est-il une bonne nouvelle pour les homosexuels ? Tel était le sujet débattu lors de l’Assemblée Générale du Réseau FEF le 25 janvier 2014.
Ce hors-série de Réseau FEF infos présente l’ensemble des interventions faites ce jour-là.
Le ton oral des conférences a été conservé pour rapporter le plus fidèlement possible le contenu des conférences.
Lecture de Romains 1
L’article précédent d’Alain Nisus apporte une lecture théologique de l’homosexualité. Il se réfère à plusieurs reprises à l’épître aux Romains, chapitre 1. Dans cet article, nous proposons de regarder de plus près ce texte fondamental1.
Le Réseau FEF, dans sa confession de foi, reconnaît la Bible comme seule règle infaillible de foi et de vie. Dans son identité, il précise que ses membres y « trouvent les fondements de leur réflexion éthique et les normes de leurs pratiques ». Les modes changent régulièrement dans notre société, il en est ainsi des repères éthiques. Autrefois, l’homosexualité était vue comme un « fléau social », aujourd’hui, elle est de plus en plus acceptée. S’il est incontestable que notre société a été homophobe dans le passé, la tentation est forte, pour le chrétien, de suivre la mode actuelle « d’homophilie ».
La biologie, la psychanalyse, l’anthropologie… ont tenté de nombreuses explications sur l’origine des comportements humains. Sans les ignorer, nous n’y ferons pas référence, mais nous nous mettrons à l’écoute du livre « inspiré » par le Créateur à travers un extrait des plus clairs sur l’origine de l’homosexualité. Même si la Bible est l’un des trois principaux piliers sur lequel s’est construite la société occidentale2, attention, les mots risquent de choquer les oreilles contemporaines !
Pour comprendre les versets 26-27 abordant de front la pratique homosexuelle, il est important de bien situer ces affirmations dans leur contexte :
Romains 1.18 En effet, la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui retiennent la vérité captive de l’injustice ; 19 car ce que l’on peut connaitre de Dieu est pour eux manifeste : Dieu le leur a manifesté. 20 En effet, depuis la création du monde, ses perfections invisibles, éternelle puissance et divinité, sont visibles dans ses oeuvres pour l’intelligence ; ils sont donc inexcusables, 21 puisque, connaissant Dieu, ils ne lui ont rendu ni la gloire ni l’action de grâce qui reviennent à Dieu ; au contraire, ils se sont fourvoyés dans leurs vains raisonnements et leur coeur insensé est devenu la proie des ténèbres : 22 se prétendant sages, ils sont devenus fous ; 23 ils ont troqué la gloire du Dieu incorruptible contre des images représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes, des reptiles.
24 C’est pourquoi Dieu les a livrés, par les convoitises de leurs cœurs, à l’impureté où ils avilissent eux-mêmes leurs propres corps. 25 Ils ont échangé la vérité de Dieu contre le mensonge, adoré et servi la créature au lieu du Créateur qui est béni éternellement. Amen. 26 C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions avilissantes : leurs femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature; 27 les hommes de même, abandonnant les rapports naturels avec la femme, se sont enflammés de désir les uns pour les autres, commettant l’infamie d’homme à homme et recevant en leur personne le juste salaire de leur égarement (Rm 1, Traduction OEcuménique de la Bible).
La Bonne nouvelle
L’épître aux Romains explique avant tout l’Évangile ou la Bonne Nouvelle, cette puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit (1.16-17). Par l’Évangile, la « justice de Dieu est révélée », dans le sens où il peut accorder « sa justice », ou un plein pardon, une pleine réconciliation pour ceux qui croient. Mais avant de développer l’impressionnant plan de salut en Christ, Paul dévoile l’indignation totale de Dieu contre la rébellion de l’être humain envers son créateur.
Rejet de la gloire de Dieu (v. 18-21)
Le verset 18 commence par affirmer que la colère de Dieu se révèle. Elle exprime sa juste indignation face à l’impiété et l’injustice des êtres humains, à cause de sa sainteté absolue. D’après l’épître aux Romains, elle atteindra son paroxysme au « jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu » (2.5). Elle peut s’exercer déjà, plus discrètement, selon le chapitre 13, par le moyen du magistrat et « son glaive envers le malfaiteur » (v.4). Dans ce premier chapitre, cette colère s’exprime par trois actes où Dieu livre l’homme rebelle à ses mauvais penchants3. Ce verbe « livrer » (paradidomi) correspond d’ailleurs aux trois actions humaines consistant à « changer » ou « troquer » 1) la gloire de Dieu, 2) sa vérité, et 3) l’ordre naturel.
Les hommes dont parle Paul sont peut-être des maîtres à penser, des faiseurs d’opinion de quelques peuples de l’antiquité. Ils s’opposent farouchement à la vérité ou l’étouffent selon le verset 18. Ils ont une forme de connaissance de Dieu en eux, notamment grâce au témoignage de sa création dans laquelle ils perçoivent sa puissance éternelle et sa divinité [v. 18-19). La signature divine est présente dans chacune de ses oeuvres, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Au lieu de les conduire à Dieu, cette connaissance les rend inexcusables (v. 20). Ils auraient dû glorifier Dieu et lui exprimer une profonde reconnaissance. Cela aurait été la réaction attendue devant ce qu’ils percevaient de la gloire de Dieu à travers la création. Cette gloire, comme l’écrit James Dunn, est une sorte de « rayonnement stupéfiant de Dieu qui nous presse à une admiration sincère et rend notre fragilité et corruption d’autant plus visibles »4. Le péché fondamental, comme l’écrit Thomas Schreiner, est « ce manquement à l’adoration, tous les autres péchés sont une conséquence de celui-ci »5. Samuel Bénétreau écrit : « la culpabilité de l’homme découle du refus de rendre gloire à Dieu par volonté d’autonomie et de recherche d’une propre gloire »6. John Stott précise : « Les hommes ont pris la décision de vivre pour eux-mêmes et non pour Dieu ou leur prochain ; en conséquence, ils étouffent toute vérité qui viendrait les défier dans leur égocentrisme »7.
Étape 1 de la déchéance : trois passifs (v. 22-23)
Comme par une loi de cause à effet, trois processus quasi simultanés se déroulent avant que la colère de Dieu se manifeste plus concrètement. Les verbes, dans l’original, sont au passif, comme si une force mystérieuse était déjà à l’oeuvre dès que l’être humain rejette la vérité de Dieu :
1) ils se sont d’abord fourvoyés (1er verbe passif). F. Godet explique ainsi ces mots : « N’ayant pas posé Dieu comme l’objet suprême de son activité, l’intelligence a été réduite à travailler dans le vide ; elle s’est en quelque sorte ‘futilisées’ »8. En se détournant de Dieu, la véritable source de la vie et de la vérité, ils se sont tournés vers la vanité ou le « néant ». Peut-être Paul fait il écho aux reproches du Seigneur par Jérémie face aux égarements du peuple : « Qu’est-ce que vos pères ont trouvé d’injuste en moi, pour s’éloigner de moi, suivre la vanité et devenir eux-mêmes vanité ? »9. La vanité dans les raisonnements déteint sur la vie entière. Leur raisonnement et leur logique ont été faussées. En Marc 7, Jésus fait des « raisonnements » (dialogismos) l’une des sources des dérèglements du coeur humain : « En effet, c’est de l’intérieur, c’est du coeur des hommes que sortent les mauvais raisonnements : inconduite, vols, meurtres, adultères, cupidité, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, déraison » (Mc 7.21-22).
2) Paul ajoute que leur coeur siège de la volonté, des sentiments et de la réflexion a été plongé dans les ténèbres (2e passif), ou « est devenu la proie des ténèbres » (v. 21, TOB). Dans le rejet de la lumière glorieuse de Dieu ou de sa présence, l’homme s’enfonce dans les ténèbres. Contrairement à notre monde physique où l’obscurité est la simple absence de lumière, dans le monde spirituel, les ténèbres sont comme une puissance active. Aux Colossiens, Paul parle de la délivrance possible du « pouvoir des ténèbres » (1.13). La vanité et les ténèbres sont mis en parallèle dans l’épître aux Éphésiens : « Ne vivez plus comme vivent les païens que leur intelligence conduit au néant. Leur pensée est la proie des ténèbres, et ils sont étrangers à la vie de Dieu, à cause de l’ignorance qu’entraîne chez eux l’endurcissement de leur coeur » (4.17-18 TOB).
3) L’être humain se vante d’être sage (à l’aveuglement, s’ajoute l’orgueil !). || glisse dans une forme de folie : « Ils sont devenus fous » (3e passif). Paul pense probablement à la place de l’idolâtrie comme la suite le montre. Godet commente :
« La futilisation des pensées a même pris le caractère de la folie. Qu’est-ce, en effet, que le polythéisme, sinon une sorte d’hallucination permanente, de délire collectif…? » 10.
« Le commencement de la sagesse, c’est la crainte respectueuse de Dieu » (Pr 1.7) ; celle-ci nous stimule à le glorifier et lui rendre grace. A l’inverse, ce chapitre des Romains montre que le commencement de la folie, aux yeux de Dieu, c’est son rejet. Les peuples de l’antiquité ont exprimé ce rejet le plus souvent par des formes d’irrationalisme comme le polythéisme, le culte des idoles ou des démons…, et parfois par des formes de rationalisme qui nient Dieu : « L’insensé dit en son coeur : Il n’y a pas de Dieu » (Ps 14.1 ; 53.1). Cet égarement les conduit au premier « troc » opéré par l’être humain (1.23] : ils ont travesti (ou troqué) la gloire du Dieu impérissable en images représentant l’être humain atteint par la corruption, voire même toute sorte d’animaux. On retrouve un écho des errances d’Israël dans le désert : « A l’Horeb ils ont façonné un veau ; ils se sont prosternés devant du métal, et ils ont troqué leur Gloire contre la copie d’un boeuf, d’un herbivore » (Ps 105.19. 20).
Étape 2 : Dieu livre à l’impureté (v. 24-25)
A partir du verset 24, l’égarement s’accentue. Cette fois, de manière explicite, la colère de Dieu s’exprime en livrant l’homme à l’impureté à travers les convoitises de leur coeur. L’Ancien Testament décrit souvent Dieu comme livrant son peuple rebelle au pouvoir de ses ennemis, notamment dans le livre des Juges. C’est le même mot utilisé pour décrire Judas livrant Jésus aux mains des pécheurs (Lc 24.7) ou lorsque Jésus se livre lui-même pour nous (Ga 2.20). Dieu, pourtant, ne tente jamais personne, il ne peut être tenté par le mal, mais chacun est tenté par sa propre convoitise (Jc 1.13). En ce sens, Dieu livre des personnes déjà engluées dans leur péché « par les convoitises du coeur ». Cet acte est la facette divine pour la facette humaine, Paul écrit aux Éphésiens : « Leur sens moral une fois émoussé, ils se sont livrés à la débauche au point de perpétrer avec frénésie toute sorte d’impureté » (4.19 JER).
Comme Chrysostome, on pourrait comprendre par une analogie : « Si le fils d’un roi, méprisant son père, aime mieux vivre parmi des brigands, des assassins ou des voleurs sacrilèges ; et préfère leur compagnie au séjour de la maison paternelle, le père l’abandonne jusqu’à ce que l’expérience lui ait fait sentir l’excès de sa folie »11.
L’impureté, dans le contexte, a d’abord une connotation sexuelle. Mais ce mot va probablement plus loin12. Cranfield parle d’une « prison dans laquelle ils sont livrés ». Ce mot, selon Hauck, exprime « l’impureté morale qui exclut l’homme de la communion avec Dieu, cette impureté qui est aliénation absolue de Dieu (ou séparation)… elle est, comme dans le Judaïsme, une force qui s’agrippe et infecte »13. Sous forme d’adjectif, on retrouve ce mot pour qualifier les démons en tant qu’esprits « impurs », Calvin préfère le rendre, au verset 24, par « ordure »14.
« Dieu livre à l’impureté de sorte qu’ils avilissent (ou déshonorent) eux-mêmes leur propre corps ». Ce qu’on sème, on le récolte tôt ou tard. L’une des lois morales, comme le remarque John Murray, « c’est que le péché s’intensifie et s’aggrave lorsqu’il n’est pas refreiné »15. Même le corps en subit les dommages comme on le constate, en général, dans les addictions. Avec James Dunn, on peut dire : « que la rébellion et la volonté de liberté de l’homme sans Dieu lui retirent le contrôle qu’il aurait dû avoir de ses instincts les plus bas »16. Calvin relève un paradoxe : « Nous n’avons pas de grande estime que notre propre honneur, c’est donc un aveuglement extrême quand nous ne faisons point de difficulté de nous déshonorer nous-mêmes »17.
Paul reformule la raison de cette dégénérescence : « Ils ont aussi troqué (ou travesti) la vérité de Dieu en mensonges, et ils ont adoré et rendu un culte à la créature au lieu du créateur » (1.25). C’est le deuxième « échange » ou « troc » que l’homme opère. La vérité est échangée par le mensonge.
L’impureté découle donc du rejet de Dieu, lequel est remplacé par des idoles. L’homme ne peut pas évacuer la « spiritualité » et se passer d’adorer des objets, une personne ou une divinité. Refusant d’adorer le créateur, il adore la créature ou la « création ». L’idole représente tout ce qui prend la place du vrai Dieu. Le mensonge, comme pour le prophète Jérémie, désigne probablement les faux-dieux (16.19), voire toutes les idéologies humaines substituées à la vérité de Dieu.
Étape 3 : Dieu livre aux passions infâmes (v.26-27)
Nous arrivons enfin aux versets qui traitent de l’homosexualité : « C’est pour cela que Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Ainsi, en effet, leurs femmes ont changé les relations naturelles pour des actes contre nature ; de même les hommes, abandonnant les relations naturelles avec la femme, se sont enflammés dans leur appétit les uns pour les autres ; ils se livrent, entre hommes, à des actes honteux et reçoivent en eux-mêmes le salaire que mérite leur égarement » v. 26-27 Semeur).
À l’étape 2, Dieu livre à l’impureté par les convoitises, à l’étape 3, aux passions. Ce mot, comme l’écrit Godet, a quelque chose de plus dégradant que celui de convoitises, il renferme une notion plus accentuée de passivité morale, d’humiliant esclavage. Ces « passions avilissantes ou déshonorantes » trahissent un manque de respect pour soi et pour les autres. James Dunn écrit : « Notre manquement à donner à Dieu l’honneur qui lui est dû, engendre le déshonneur de nous-mêmes : le respect humain (tant envers soi qu’envers les autres) est fondé sur la reconnaissance que Dieu seul a autorité comme créateur de commander et de disposer de ce qu’il a créés »18.
« Leurs femmes ont échangé les relations naturelles pour des actes contre nature ». Ces relations désignent la sexualité prévue originellement entre personnes de sexe opposé. L’être humain a commencé par changer la gloire de Dieu en « images », puis la vérité de Dieu en mensonge, désormais le troisième « échange » concerne l’ordre naturel, établi par Dieu à la création, notamment à propos de la sexualité :
« C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair » (Gn 2.24) 19.
« Le choix pour le mensonge, commente Samuel Bénétreau, conduit au dérèglement sexuel, où le corps n’a plus un « usage naturel », mais devient l’instrument des passions et des désirs enflammés »20. Godet écrit: « On passe à côté de sa propre nature sans la respecter, comme on a passé à côté du créateur sans le glorifier ».
Le changement de « l’ordre naturel » est donc condamné avec vigueur dans ce texte de Paul, tant pour les femmes que pour les hommes. Douglas Moo écrit: « ll est clair que Paul dépeint l’activité homosexuelle comme une violation de l’ordre créé par Dieu »21. John Stott ose affirmer à partir de ces versets: « L’ordre naturel désigne l’ordre de la création de Dieu. Agir contre nature signifie violer l’ordre que Dieu a établi… En d’autres termes, Dieu a créé l’homme et la femme ; il a institué le mariage comme une union hétérosexuelle… Selon l’intention de Dieu, l’unique contexte pour la sexualité (ou le fait d’être « une seule chair ») est l’hétérosexualité monogame ; la liaison homosexuelle (quel que soit l’amour et l’engagement pouvant être clamés) est contre nature et ne peut jamais être regardé comme une option légitime à côté du mariages »22.
Leurs « femmes » (telus) ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature ; les hommes (arsen) de même, abandonnant les rapports naturels avec la femme (telus), se sont enflammés de désir les uns pour les autres ». Paul utilise les mots arsen et telus, assez crus dans la langue originale, de façon intentionnelle23. D’abord la différenciation homme-femme ressort plus clairement par le choix de ce vocabulaire, ensuite ces mots donnent une connotation sexuelle, et enfin il fait probablement un rapprochement avec la première mention de la création de l’être humain pour mettre en valeur la gravité de la transgression : « Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa ; homme et femme il les créa » (Ge 1.27 avec les mots arsen et telus dans la version grecque). Ce texte fondamental de la Genèse marque à la fois la complémentarité indissociable « homme-femme » et une distinction. Cette différenciation homme-femme est constitutive de l’humanité dès son origine. Ainsi le rejet de l’ordre naturel est une atteinte au plan originel du créateur, une dégradation de ce plan.
Pourquoi l’homosexualité féminine est mentionnée en premier ?
Peut-être, Paul relève le côté choquant de cette pratique. Il est possible aussi que l’apôtre donne un effet de crescendo lorsqu’il décrit ensuite le caractère plus agressif de l’homosexualité masculine, beaucoup plus présente dans la société grecque ou romaine24.
Ce verset se poursuit, comme dans l’étape précédente, par les mots : « recevant en leur personne le juste salaire de leur égarement ». De quel salaire s’agit-il ? La tournure de la phrase ne semble pas se référer aux maladies sexuellement transmissibles (même si on ne peut pas l’exclure), mais plutôt au fait que la perversion sexuelle est elle-même le salaire de l’égarement avec la honte qu’elle engendre25. On peut faire un parallèle avec une autre mise en garde de Paul concernant la débauche hétérosexuelle, et à plus forte raison, homosexuelle : « Fuyez la débauche ; tout autre péché commis par l’homme est extérieur à son corps; mais le débauché pèche contre son propre corps » (en devenant une seule chair avec leur « partenaires ») (1 Co 6.16-18). Dans le contexte de 1 Co 6, le salaire se cumule pour devenir une cause supplémentaire de rejet éternel : « Ne vous égarez pas : ce ne sont pas ceux qui se livrent à l’inconduite sexuelle, à l’idolâtrie, à l’adultère, les hommes qui couchent avec des hommes, les voleurs… qui hériteront le royaume de Dieu » (6.9-10, Nouvelle Bible Segond). En ce sens, le juste salaire de leur égarement trouverait un écho en Rm 1.32 : « Bien qu’ils connaissent le jugement de Dieu, déclarant dignes de mort ceux qui commettent de telles choses…»
Le parallèle entre idolâtrie et homosexualité peut se justifier. Dans les deux cas, comme le remarque Alain Nisus, il y a un attrait vers le semblable ou une forme d’adoration de la créature au lieu du créateur. Pour l’idolâtrie, l’attrait est d’ordre spirituel, pour l’homosexualité, plus charnel26.
Tentatives d’atténuation
Plusieurs commentateurs, de tendance plus « libérale », ont essayé d’atténuer la force des versets 26-27 ou, pour reprendre le vocabulaire d’Alain Nisus, d’anesthésier la dénonciation biblique27. Douglas Moo parle d’eux comme les « révisionnistes modernes »28. Pour Simplifier, six pistes principales sont généralement retenues : 1) Paul serait prisonnier de la loi juive : 2) il ne traite que de l’homosexualité débridée, ou la pédérastie courante avec les jeunes esclaves ; 3) Paul aborderait la prostitution homosexuelle : 4) Il ne faut pas juger ; 5) Ce n’est qu’un symptôme parmi d’autres ; 6) Il ne faut pas figer les Écritures.
Mais ce genre d’argumentation ne résiste pas à une lecture plus attentive de ces textes bibliques pour ceux qui en reconnaissent l’inspiration divine.
1) Affirmer que Paul serait prisonnier des coutumes et de la loi juives serait méconnaître profondément sa pensée, laquelle marque une rupture avec la tradition juive pour proclamer la liberté en Christ, liberté qui conserve toutefois la plupart des normes morales de l’Ancien Testament. Dans cet argument, il y a aussi une méconnaissance du degré d’inspiration divine de l’ensemble du Nouveau Testament, prolongement de l’Ancien.
2) Lire une simple dénonciation de la pédérastie obligerait à effacer les mots « commettant l’infamie d’homme à homme » (et non pas d’homme à jeune adolescent ou enfant).
3) Supposer la simple dénonciation de la prostitution obligerait aussi à minimiser la portée du désir réciproque contenu dans ces mots : « les hommes se sont enflammés de désir les uns pour les autres ».
4) Une autre forme d’atténuation, moins directe, consiste à affirmer que nous ne devons, en aucun cas, « juger » ceux qui commettent ces péchés, puisqu’il est écrit, au chapitre 2 de l’épître aux Romains : « O homme, qui que tu sois, toi qui juges, lu es donc inexcusable ; car, en jugeant les autres, tu te condamnes toi-même, puisque toi qui juges, lu fais les mêmes choses » (v. 1).
Il serait erroné de comprendre qu’il ne faut juger en aucun cas. En rapportant le verdict de Dieu, Paul s’associe à cette analyse sévère des versets précédents. Il ose même affirmer que ceux qui approuvent les pratiques des versets 21-31 au chapitre 1, sont condamnables : « Et, bien qu’ils connaissent le jugement de Dieu, déclarant dignes de mort ceux qui commettent de telles choses, non seulement ils les font, mais ils approuvent ceux qui les fonts » (v. 32).
Paul vise, en fait, au début du chapitre 2, les moralistes de son temps, comme les stoïciens ou certains juifs qui voyaient facilement la paille dans les yeux des autres, sans voir leur propre poutre, selon l’expression de Jésus en Mt 7.
5) Une autre forme d’atténuation beaucoup plus discrète consisterait à voir l’homosexualité comme un simple péché ou un simple symptôme parmi une longue liste d’autres péchés29. Nous avons montré qu’il est tout à fait pertinent de considérer l’impureté, l’homosexualité, et la longue liste de péchés des v. 28-32 comme des symptômes de la rébellion humaine. Mais l’homosexualité joue un rôle particulier, ne serait-ce déjà que la place accordée à ce thème : deux versets entiers sur les quatorze de cette section. Nous approuvons le commentaire de Simon Légasse : « Parmi les effets pervers de l’idolâtrie, pour montrer comment l’impureté en découle (v. 24), voici des exemples que Paul va chercher dans ce qu’il considère de plus répugnant et de plus coupable dans le domaine en question : les rapports homosexuels »30.
6) Une dernière forme d’atténuation apparait par exemple dans la déclaration du 17 mai 2015 de l’Eglise Protestante Unie de France. Elle consiste à prendre un certain recul sur les déclarations bibliques : « Sans figer les Écritures dans la lettre d’une loi immuable, elle (l’EPUdF) entend être fidèle à l’Évangile de Jésus-Christ et à son exigence, fondement de sa foi et de son espérance » (1.4). Par crainte de « figer les Écritures », une partie du protestantisme se distancie dangereusement du contenu de la Bible. On découvre un raisonnement proche de celui des Sadducéens, à l’époque de Jésus, qui ne croyaient ni aux anges, ni à la résurrection (Mc 12.18-27). Leur « raison » et leur « sagesse » étaient placées subtilement au-dessus de la révélation biblique. Pas étonnant que Jésus leur réponde : « N’êtes-vous pas dans l’erreur, parce que vous ne comprenez ni les Écritures, ni la puissance de Dieu »31.
Quelques nuances possibles
Paul ne ménage donc pas ses mots en abordant l’homosexualité. Faut-il, pour cela, en faire le péché principal ?
1) D’abord, le « péché » le plus condamnable dans ce chapitre n’est pas l’homosexualité, mais l’idolâtrie ou le rejet de Dieu (v. 18-25).
2) A partir du v. 28, pour la troisième fois, Dieu livre l’être humain, cette fois, à une mentalité réprouvée pour commettre des choses indignes. Une longue liste de graves péchés, principalement sociaux, est énumérée : « Ils sont remplis de toute sorte d’injustice, de perversité, de cupidité, de méchanceté, pleins d’envie, de meurtres, de querelles, de ruse, de dépravation, diffamateurs, médisants…». L’impureté et l’homosexualité des versets 25-27 sont complétées par ces nombreuses transgressions permettant de relativiser, au moins en partie, la place de l’homosexualité.
3) On pourrait ajouter que Paul traite de la « pratique homosexuelles », et non de la tentation, voire même, peut-être, d’une certaine orientation. Pour prendre un domaine légèrement différent, celui de l’adultère (tout autant condamné d’ailleurs dans le reste de la Bible), on remarque que la tentation est différente du regard rempli de convoitise, et à plus forte raison, de l’acte. Beaucoup auraient une orientation « adultère », mais ne succombent pas nécessairement aux « convoitises » ou aux fantasmes, ni aux actes. De la même façon, certaines personnes peuvent lutter contre la tentation homosexuelle, peut-être avec une « certaine orientation », sans tomber dans la convoitise qui est déjà considérée comme « péché », ou, à plus forte raison, à la pratique.
Et la Bonne Nouvelle ?
Si Paul décrit cette spirale de dégénérescence dans les trois premiers chapitres de l’épitre aux Romains, c’est pour montrer le besoin universel de salut. Ce sont les malades qui ont besoin de médecins dit Jésus (Lu 5.31), soulignant par-là que ceux qui ne voient pas leur problème ne risquent pas de chercher des solutions. Si toute l’humanité est coupable devant Dieu (selon Rm 3.9-19), la Bonne Nouvelle, c’est-dire l’Évangile, révèle « la justice Dieu » en enseignant que le coupable a la possibilité d’être acquitté de la condamnation qui repose sur lui et qu’une relation nouvelle peut être instaurée entre Dieu et lui. Les conditions d’accès à ce salut sont simples : être suffisamment humble et honnête pour reconnaître ses torts et placer sa confiance en lui (Rm 3.21-26) : « Tous ont péché, sont privés de la gloire de Dieu, mais sont gratuitement justifiés par sa grâce, en vertu de la délivrance accomplie en Jésus Christ » (Rm 3.23-24).
Le Nouveau Testament ne présente pas le péché comme une réalité indépassable, mais là où la faute a abondé, la grâce de Dieu surabonde par le pardon que Dieu accorde, mais aussi par la puissance de vie nouvelle qu’il transmet par son Esprit
REYNALD KOZYCKI
NOTES
1 Des remerciements particuliers aux suggestions pertinentes de plusieurs relecteurs comme Jacques Nussbaumer, Éric Waechter et surtout Sylvain Romerowski.
2 Voir par exemple le Monde, Hors-série : L’histoire de l’occident : Declin ou métamorphose ? juin 2014. Ce dossier mentionne à côté de la Bible, le droit romain et la cité grecque.
3 Douglas MOO écrit à propos de cette colère : « L’expérience présente de la colère de Dieu est un avant-goût de ce qui arrivera au jour du jugement », The Epistle to the Romans, New international Commentary on the New Testament, Eerdmans, 1996, p. 101. Nous citerons plusieurs spécialistes du Nouveau Testament dans la suite de l’étude ; la traduction sera personnelle.
4 James DUNN, Romans, Word Biblical Commentary Vol. 38a, Thomas Nelson 1988.
5 Thomas SCHREINER, Romans, Baker Exegetical Commentary on the New Testament, 1998, sur Ro 1.21. Il ajoute aussi : « L’essence du péché est un rejet de la gloire de Dieu et de son honneur ».
6 Samuel BENETREAU, L’épitre aux Romains, T. 1, 1996, Edifac, p.71.
7 John STOTT, The message of Romans, The Bible speaks today, Vol 22, IVP 2001, Olive Tree, Ro 1.18.
8 Frédéric GODET, Épitre aux Romains, 1883. Edition numérique Soleil d’Orient 2009, p. 217.
9 Voir Je 2.5, ainsi que 2 Sa 17.15 ; Je 51.17. Trois fois sur sept, le verbe mataio est utilisé dans la LXX pour des idoles.
11 Chrysostome, Homélie sur Romains (Homélie III) : http://jesusmarie.free.fr/jean_chrysostome_commentaire_sur_la_lettre_aux_romains_1.html. On pourrait voir dans les choix des mots de Paul, un degré légèrement plus intense que notre verbe français « abandonner ».
12 Voir par exemple BAUER ARNT GINGRICH, « Akatharsia », A Greek English lexicon of the New Testament, University of Chicago, 1952 ; Samuel BENETREAU, Ibid ; C.E.B. CRANFIELD, The International Critical Commentary on the Epistle to the Romans, T.T. Clark, 1980, p. 122.
13 HAUCK,« Akatharsia », TDNT.
14 Jean CALVIN, Épître aux Romains, Editions Kerygma et Farel, 1978, p. 41.
15 John MURRAY, Epistle to the Romans, The New International Commentary of the New Testament, Eerdmans Publishing, 1968, T. 1, p. 44.
19 Ce texte est repris dans le Nouveau Testament en Mt 19.5 ; Mc 10.8 ; 1 Co 6.16 ; Ép 5.31.
21 Douglas MOO, Romans, NICNT, p. 115 ; il écrit aussi dans un autre commentaire : « Paul la voit (l’homosexualité) comme une illustration particulièrement claire de la violation de l’ordre créé » Douglas MOO, Romans : The NIV Application Commentary : From Biblical Text to Contemporary Life, Zondervan 2000, version Epub, Rm 1.27.
22 STOTT, Ibid, commentaire sur Ro 1.27.
23 On pourrait presque le rendre en français par « mâle et femelle » comme en Gn 1.27 (version TOB), mais si en anglais, ces mots se comprennent assez bien, en français, ils sont mal adaptés.
24 Chrysostome, prédicateur et évêque à Constantinople ou IVe siècle évoquait la pédérastie chez les Athéniens : « Ils ne voyaient point là d’infamie ; c’étaient une chose honnête, mais trop relevée pour un esclave et digne seulement d’un homme libre » Chrysostome, Homélie sur Romains (Homélie IV) . Voir aussi DUNN, Ibid. Jules César était surnommé « le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris ». Néron prend publiquement comme époux son esclave Sporus… Ce n’est qu’avec le code de Théodose en 390 que l’homosexualité sera condamnée, voir « L’homosexualité dans l’Antiquité » sur Wikipédia.
25 Voir par exemple Douglas MOO, Romans, NICNT, p. 116 ou Chrysostome, Homélie sur Romains, 1.27 : « Toutes les passions sont ignominieuses, mais surtout la sodomie, car l’âme souffre plus, est plus déshonorée par les péchés que le corps par les infirmités ».
26 Voir l’article d’Alain NISUS.
27 Alain NISUS dans l’article précédent répond déjà en partie à quelques arguments fréquents pour « atténuer, anesthésier la dénonciation biblique et légitimer l’homosexualité ».
28 Douglas MOO Romans : The NIV Application Commentary : From Biblical Text to Contemporary Life, Zondervan 2000, version Epub, Commentaire sur Ro 1.27. Il cite notamment les travaux de John Boswell, Christianity, Social Tolerance and Homosexuality : Gay People in Europe from the Beginning of the Christian Era to the Fourteenth Century, Chicago : Univ. of Chicago Press, 1980. Voir aussi les réponses précises et concises de Samuel Bénétreau, Romains.
29 Malgré la qualité de rédaction et surtout le réel souci pastoral de la décoration du Comité d’éthique protestante évangélique « Aimer mon prochain homosexuel », certaines phrases pourraient prêter un peu à confusion : « La pratique de l’homosexualité est donc, selon lui (Paul), une manifestation parmi d’autres, de la rébellion de l’humanité à l’encontre de son créateur… l’homosexualité n’est a priori pas « pire » que les autres actes mentionnés en Romains 1.29-31 (parmi lesquels se trouvent le meurtre, mais aussi des péchés souvent considérés comme moins graves : la méchanceté, l’avidité, la ruse, la diffamation, etc.) » (§ Bible et homosexualité).
30 Simon LEGASSE, L’épître de Paul aux Romains, Lectio Divina, Cerf, 2002, p. 140.
31 Nous renvoyons à notre analyse de la déclaration de l’EPUdF sur le site internet http://reseaufef.com/