Lors de l’assemblée plénière du CNEF, le 20 mai 2014, Etienne Lhermenault a dressé un bilan après 4 années de fonctionnement. Voici son texte.

Pas contre la chair et le sang

Il m’appartient de situer le CNEF et son action en cette fin de quatrième année d’existence depuis sa constitution et ce, pour esquisser quelques perspectives d’avenir.

Si je devais, en une phrase, forcément lapidaire, résumer la situation, je dirais ceci : «Le CNEF est en crise». Et j’ajouterais immédiatement cela : «mais il prend la chose au sérieux et ne manque pas de perspectives».

Avant d’expliquer ce que recouvrent ces affirmations, permettez-moi de préciser deux ou trois choses :

– Toute crise n’est pas mortifère. Ou, pour être plus exact, la plupart des crises sont des passages obligés, et positifs, dans la vie d’une personne ou d’une institution. Il n’y a donc pas lieu de dramatiser. Par contre, toute crise est une excellente occasion de remise en question et donc de progrès.

– Identifier les difficultés en cours ou à venir est indispensable à la bonne marche d’une institution. Or, en la matière, nous avons le privilège d’être au bénéfice des compétences d’un excellent directeur en la personne de Clément Diedrichs. Non content de piloter la barque du CNEF au quotidien, il s’est préoccupé des conditions du voyage au long cours et a pressenti avant les autres des difficultés qui n’ont pas manqué d’apparaître.

– Enfin, bien analyser les causes et les conséquences d’une étape difficile est un préalable pour pouvoir rebondir de façon constructive. Et là, nous sommes au bénéfice des services d’un consultant, Patrice Leguern, qui nous aide à poser un bon diagnostic.

Autant dire qu’une partie de ce que je vais partager doit beaucoup à l’un et à l’autre … pour le bien de tous, je l’espère.

1. Une crise de croissance

La première chose à dire, c’est que le CNEF traverse une crise de croissance, dite encore crise d’autonomie. C’est-à-dire qu’il n’a plus tout à fait les moyens de faire tout ce qui est attendu de lui. Certaines missions prennent une ampleur grandissante. Ainsi par exemple en est-il de la « concertation » qui nous a conduit à mettre l’accent sur l’évangélisation, une tâche à la fois urgente et infinie ou encore sur la mutualisation des moyens entre les membres, et pour laquelle il est question d’outils de communication, de programmes de formation, d’optimisation des actions sociales… Sans compter les services toujours plus nombreux que nous rendons aux membres en matière de conseil juridique, de logistique administrative, d’accompagnement dans la représentation…

Or tout cela se fait à moyens constants autant sur le plan financier que sur le plan humain. Alors que le coût de la vie augmente d’année en année, le montant des cotisations reste identique. Ce qui signifie que, s’il n’y avait quelques progrès du côté du nombre d’adhérents et du taux de recouvrement des cotisations, nous devrions insensiblement voir notre capacité financière s’éroder. Du côté du personnel, nos effectifs restent très modestes : 5 personnes sont employées pour 3,2 ETP (équivalents temps plein). Ce qui signifie que nos permanents, tout en criant stop devant la surcharge de travail, continuent d’assurer avec dévouement mais s’épuisent à la tâche. Vous comprenez qu’il serait coupable de se réjouir de la croissance des activités sans discerner la crise qu’elle provoque. On peut aussi être victime de son succès !

Ce que nous n’avons pas suffisamment mesuré en tant qu’institution, c’est que ce qui était adapté à une phase de fondation ne l’était plus à une phase de croissance et d’expansion. Et il n’est pas ici question que de moyens financiers et humains, mais aussi de fonctionnement.

J’aimerais donc attirer votre attention sur deux des remises en question auxquelles nous allons devoir faire face dans cette situation de crise.

2. Deux remises en question

Un accroissement de moyens : il est évident que, si nous avons quelque ambition pour notre maison commune, nous ne pourrons continuer à travailler à moyens constants. Et pour moi la question n’est pas d’abord celle de nos moyens financiers respectifs, mais de notre volonté commune. Nous avons bien compris en tant que bureau qu’il était prématuré de revoir les cotisations des membres du CNEF à la hausse. Mais nous ne pouvons nous résoudre à un simple constat d’impossibilité pour plusieurs raisons :

1) L’histoire des Églises et des missions nous apprend que les œuvres les plus audacieuses et les plus nécessaires n’ont pas été menées en raison des moyens immédiatement disponibles, mais de la conviction, généralement partagée par quelques-uns, qu’il s’agissait d’accomplir la volonté du Seigneur ici et maintenant. Nous le savons et nous l’avons vécu dans la plupart, sinon dans toutes nos Églises et toutes nos œuvres. Pourquoi donc en irait-il autrement quand il s’agit de faire fructifier l’œuvre de réconciliation que le Seigneur a opérée entre nous par l’Esprit ?

2) Dans notre élan, nous nous sommes donné quatre missions de représentation, de concertation, d’information et d’animation de projets qui ne manquent pas de pertinence, mais qui ne sont que partiellement accomplies. Ajuster la voilure pour ne pas risquer la déchirure ou pire le démâtage s’apparente à de la sagesse. Mais affaler la voile pour ne courir aucun risque s’apparenterait à de l’inconstance dans nos efforts et nous contraindrait à l’immobilisme.

3) Nous avons entraîné dans l’aventure des hommes et des femmes, je veux parler ici de nos permanents, qui ont cru à notre élan, l’ont accompagné de leur consécration et se retrouvent aujourd’hui d’une certaine manière au milieu du gué. Eu égard à leur engagement et à leur situation, nous leur devons une parole claire. Voulons-nous les accompagner et les soutenir dans l’effort qu’ils fournissent ? ou leur disons-nous qu’il vaudrait mieux qu’ils reviennent sur la rive ?

Pour moi, il ne fait pas de doute qu’il faut poursuivre notre route et nous donner les moyens de le faire. Mais cette volonté doit nous animer tous et il n’y a pas que les cotisations pour y parvenir. Comme vous le savez, nous avons mis en place, avec l’aide du pasteur Jérémie Deglon, une communauté d’investisseurs stratégiques qui soutient déjà quelques-uns de nos projets et nous croyons que nous pouvons et devons aller plus loin dans le domaine de la collecte de fonds pour développer l’œuvre que le Seigneur nous a confiée. Nous aurons l’occasion dans un avenir proche de vous en dire plus sur la question. Nous avons aussi l’intention d’employer notre directeur de la communication à plein temps pour qu’il puisse développer la communication du CNEF en général ainsi qu’un ministère spécifique auprès des parlementaires. L’idée, c’est qu’il puisse défendre auprès de ceux qui font les lois les convictions qui nous animent, et, parmi elles, la liberté de conscience et d’expression. Nous aurons l’occasion de reparler de son passage à plein temps ultérieurement

Une réflexion sur la gouvernance : un autre des domaines de remise en question, c’est celui de la gouvernance du CNEF. Nous avons privilégié, avec raison, la représentation des différents pôles dans nos instances pour veiller à l’équilibre des familles spirituelles. C’était indispensable pour la période de fondation et cela le reste pour l’assemblée plénière et le comité représentatif. Par contre, nous nous interrogeons sur la pertinence de ce fonctionnement au niveau du bureau. En effet, cela ne nous permet pas toujours de disposer de ceux qui ont à la fois les compétences et la disponibilité pour former un bureau. Dans la pratique, par manque de temps, nous avons laissé au directeur le soin d’assurer le travail de cette instance de telle sorte que le bureau tend à se comporter comme un conseil d’administration, et le comité représentatif comme une assemblée générale. Sans préjuger du résultat des discussions que nous allons avoir sur ce sujet en bureau en juin et en comité représentatif en septembre, il faudrait mettre à profit la suite de cette mandature pour réfléchir à l’amélioration ou à la modification de notre fonctionnement en vue de mettre l’une ou l’autre en place lors du passage au troisième mandat du comité représentatif et donc du bureau.

J’ai précisé qu’il s’agissait de deux des remises en question, car, comme vous l’avez compris, le travail de consultation et de réflexion est en cours. À vrai dire, l’une des tâches les plus importantes que nous nous sommes assignée en cette période de crise de croissance, c’est d’ajuster la voilure pour éviter la déchirure, c’est-à-dire de définir un plan d’action à trois ou cinq ans qui nous permettent de dégager les priorités de notre action.

3. Trois priorités

Le vrai défi de toute œuvre et de tout ministère, c’est de discerner, au milieu des mille choses qu’il serait légitime de faire, laquelle ou lesquelles sont vraiment nécessaires ici et maintenant. Ou pour le dire autrement, laquelle ou lesquelles correspondent à la volonté du Seigneur et répondent à son appel. Avouons-le, l’exercice de discernement n’est pas si facile. Nous peinons à le faire pour notre propre ministère, et plus encore quand il s’agit d’une œuvre commune. Le grand nombre des conseillers nuit parfois à la clarté !

En y réfléchissant, une parole de l’Écriture s’est imposée à moi comme une évidence : «nous n’avons pas à lutter contre des êtres de chair et de sang, mais contre les Puissances, contre les Autorités, contre les Pouvoirs de ce monde des ténèbres et contre les esprits du mal dans le monde céleste »(Ep 6.12, BS). Au terme d’une épître qui décrit admirablement l’unité, la diversité, la pureté et l’harmonie qui caractérisent la vie nouvelle et la nouvelle société chrétienne, l’apôtre Paul «nous ramène sur terre et aux dures réalités. Il nous rappelle qu’il y a une opposition. Sous les apparences, un combat spirituel invisible fait rage1». En quoi cela peut-il, doit-il orienter notre réflexion et éclairer nos choix ? À mon sens de la façon suivante :

1) Au-delà de toutes les considérations sages et pratiques, le Seigneur doit rester le premier servi. Seul à avoir vaincu par la croix les Puissances et les Autorités, il mérite toute notre obéissance et sa crainte doit l’inspirer. N’est-il pas dit avec insistance au début du chapitre 6 que le motif qui doit animer les relations entre parents et enfants et entre maître et esclaves, c’est l’égard dû au Seigneur lui-même (v. 1, 5, 7) ? À plus forte raison, les disciples doivent-ils agir par égard pour leur Seigneur et non pour plaire aux hommes, même si leurs choix paraissent à ces derniers décalés, voire insensés.

2) Au-delà de toutes les apparences, souvent trompeuses, les disciples que nous sommes doivent prendre en compte une réalité spirituelle à la fois rude et rassurante. Rude, parce que la vie nouvelle n’est pas sans combat et les ennemis ne manquent pas qui veulent faire échec aux projets du Seigneur dans lesquels nous sommes engagés. Ce qui veut dire que la facilité et le succès ne sont pas des critères pertinents dans l’œuvre du Seigneur. Non pas qu’ils ne soient jamais au rendez-vous, mais quand ils le sont c’est l’effet d’une grâce et non d’un dû ou d’un automatisme. Pour le dire autrement, nous ne choisissons pas telle ou telle voie de service parce qu’elle est en soi prometteuse, mais parce qu’elle correspond à ce que le Seigneur attend de nous. Elle est rude, disais-je, mais elle est aussi rassurante, cette réalité spirituelle. Contrairement aux apparences visibles qui voient le combat faire rage, nous savons que la victoire est déjà remportée. Ainsi nous pouvons avancer le cœur rempli d’espérance. Et tenir ferme dans l’adversité.

3) Au-delà des simplifications souvent binaires en matière de spiritualité, nous devons tenir ensemble cette double vérité d’une force qui se trouve uniquement en Christ et à laquelle nous devons puiser et d’un combat que nous devons mener avec énergie après avoir revêtu l’armure de Dieu. Comme le dit fort justement John Stott : Certains chrétiens sont si sûrs d’eux-mêmes qu’ils croient pouvoir se tirer d’affaire sans l’aide du Seigneur et sans son armure. D’autres se méfient tellement d’eux-mêmes qu’ils s’imaginent ne rien pouvoir faire pour remporter la victoire dans le combat spirituel. Ces deux types de chrétiens sont dans l’erreur. Paul enseigne la juste combinaison : Dieu rend capable de vaincre et l’homme participe à la victoire2.

Pour le dire autrement, il nous faut être à la fois actifs et attentifs, priant et agissant, soumis et audacieux. Et j’attire votre attention sur le rôle décisif que jouent ensemble la Parole et l’Esprit dans ce combat !

Il reste évidemment beaucoup à faire pour passer de ces priorités spirituelles à leur traduction opérationnelle et stratégique dans la vie du CNEF. Et c’est ce à quoi nous allons nous atteler dans les mois qui viennent.

Reste que nous avons sur le feu, trois missions qui me semblent bien correspondre aux priorités que je viens d’esquisser : 1) la mobilisation pour l’évangélisation ; 2) le combat pour la liberté de conscience et d’expression ; 3) l’interpellation de la jeunesse. Je vous invite à les porter dans l’intercession, à vous y engager avec détermination et à en faire part à vos membres et collaborateurs avec conviction.

ÉTIENNE LHERMENAUT


NOTES

1 John STOTT, La lettre aux Éphésiens, vers une nouvelle société, Mulhouse, Grâce et Vérité, p. 260.

2 Ibid., p. 265.