L’éducation théologique peut être définie comme l’ensemble de l’enseignement biblique et doctrinal, théorique ou pratique : ayant pour but la préparation du croyant, et surtout du responsable, à un ministère précis dans l’Eglise.

     Quels sont les éléments composant l’éducation théologique parmi les Protestants en Amérique Latine aujourd’hui ? Le but de cette première partie est d’évaluer la formation traditionnelle prédominante, à la lumière de la réalité de la situation en Amérique Latine, et considérer quelles autres alternatives existent, tout particulièrement en ce qui concerne l’Education Théologique par Extension.

     Jusque dans les années 60, l’éducation théologique en Amérique Latine cherchait à reproduire le modèle l’Américain et Européen – avec de légères variations selon l’origine du groupe missionnaire.1

     En général, ce modèle de formation consistait à retirer de leur environnement familial de jeunes célibataires volontaires, sans expérience, pour la plupart des hommes, et de les former dans une institution centrale, où ils séjournaient pendant une période d’environ trois ans. On leur enseignait les matières de la théologie classique, la plupart du temps en cours magistraux. Cet enseignement se faisait la plupart du temps par des professeurs missionnaires, secondes par quelques nationaux travaillant à mi-temps. Cette formation académique était accompagnée de travaux pratiques dans les églises locales, avec un degré de surveillance variable. Après trois ans, ces jeunes gens étaient déclarés aptes au ministère pastoral, et obtenaient leur diplôme, à condition d’avoir gardé un comportement qui restait dans les limites décrétées par l’organisme sponsorisant l’institution ou la dénomination, et s’ils n’ont pas promulgué d’hérésie.2

     Parce qu’un tel modèle était accepté comme normatif, les avis venant des différents regroupements ecclésiastiques recherchaient toujours une amélioration des procédures éducatives, plutôt qu’une réévaluation du modèle traditionnel, malgré le fait qu’un tel modèle ait eu ses origines uniquement vers 1800, aux Etats Unis, et n’ait été considéré comme modèle normatif qu’à la fin du dix-neuvième siècle. Jusqu’à cette époque, il existaient plusieurs modèles différents d’éducation théologique.

     1) Traces laissées par la perspective historique

     Un examen de la diversité théologique fait ressortir trois modèles différents de formation pour le ministère, qui ont fini par être remplacés par les Facultés de théologie. Il s’agissait pourtant de modèles valables d’éducation théologique à un moment ou à un autre dans l’histoire du développement de l’Eglise Protestante en Amérique du Nord. Une étude de ces autres modèles dans leur contexte historique peut nous fournir des indices importants pour la formation des pasteurs en Amérique Latine au vingtième siècle. Ces modèles peuvent nous aider à répondre à la question : Quelles sont les formes d’éducation théologique valables, vu le stade de développement du Mouvement Protestant en Amérique Latine ? Les modèles que nous examinons sont les stagiaires des Congrégationalistes, la formation au cours du ministère parmi les Méthodistes, et les «faiseurs de tentes parmi les Baptistes, surtout dans le Sud.

a) Les Stagiaires

     En accord avec leur héritage puritain, les Eglises congrégationalistes et Presbytériennes d’origine anglaise ou écossaise ont mis beaucoup d’importance sur le haut niveau d’éducation des membres du clergé. Ainsi, avant de commencer une période de stage, une éducation générale très étendue était nécessaire pour le pasteur, qui —

était souvent appelé à servir de maitre d’école aux enfants de la paroisse, et pouvait même utiliser son temps libre à enseigner aussi les adultes… Et il était assez habituel que le pasteur ait un diplôme en médecine, et souvent, même sans diplôme, on s’attendait à ce qu’il ait un livre de «médecine» à portée de main, et que sa femme cultive un jardin d’herbes médicinales, afin d’aider en cas d’urgences. De la même manière, il devait avoir au moins une connaissance élémentaire du Droit. Etant la personne instruite de la communauté, on faisait souvent appel à lui en matière de droit, pour écrire des documents légaux, et souvent même pour juger des litiges. De plus, pour subvenir à ses propres besoins, il devait avoir des connaissances moyennes en agriculture, et dans certains cas, devait savoir manier une charrue et une pelle raisonnablement bien.3

     C’est justement un tel souci qui aboutit à la fondation de l’Université de Harvard, en 1636, sur le portail duquel il est écrit «… une des … choses que nous désirons, et recherchons, c’est d’avancer dans l’instruction et la laisser à la postérité, craignant de laisser un ministère pastoral illettré aux églises lorsque nos pasteurs actuels reposeront dans la poussière. »4

     Même si, durant la période de colonisation, les Eglises puritaines exigeaient d’avoir des pasteurs lettrés, elles n’ont pas placé la prouesse académique comme seule condition à la consécration pastorale. Après ses études universitaires, où un homme recevait une formation libérale, complétée par des études théologiques, il devait se présenter devant des responsables nommés par l’Eglise afin d’obtenir son certificat, l’autorisant à prêcher. Son certificat obtenu, il recherchait une congrégation qui l’appellerait comme pasteur. Une fois appelé, il était « consacré », et commençait son travail dans la communauté qui l’avait appelé, probablement durant le restant de sa vie.

    L’examen pour l’obtention de son certificat n’était pas une affaire de routine. Le candidat devait présenter, en plus de son diplôme universitaire, plusieurs prédications écrites aux examinateurs, et il devait soutenir non seulement ses prédications, mais l’ensemble de son système théologique. Ainsi, peu de gens se présentaient à l’examen immédiatement après leurs études. La plupart d’entre eux passaient trois années supplémentaires à l’université, sous la surveillance d’un tuteur, ou résidaient dans une ferme, servant de maître d’école, ou d’adjoint au pasteur, tâchant en même temps de maitriser le contenu de la Bible, et le système théologique, écrivant des prédications sous forme de dissertations théologiques.

     Avec le temps, le système de stagiaires devenait normatif. Un «…examen approfondi prouve que les Universités coloniales ressemblaient davantage aux pensions d’école, et qu’une formation précise pour le ministère avait lieu après la formation universitaire, dans un genre de «stage» : les diplômés allaient vivre chez un pasteur….»5

     Le candidat cherchait à vivre avec un pasteur respecté et efficace. Il lisait ses livres, le suivait dans ses visites, discutait avec lui, acceptait la cuisine et les conseils de la femme du pasteur, (quelquefois recevait aussi en mariage la fille du pasteur), et accomplissait le ministère sous la surveillance attentive du pasteur, jusqu’à être considéré apte à servir sa propre communauté. Puis il se présentait au comité d’examen.

     Comme de plus en plus d’étudiants s’adressaient à des hommes qui avaient prouvé leur valeur de «mentor», les demandes à de tels pasteurs devenaient un tel fardeau que ces derniers ont fini par être désignés pour la seule tâche de former à plein temps les étudiants qui se regroupaient autour d’eux. Ainsi sont nées ce qu’on appelait les «écoles des prophètes». En même temps, les universités étaient de moins en moins influencées par la théologie, et de plus en plus destinées à préparer des hommes pour des métiers autres que le ministère. Ces «écoles des prophètes» ont donc grandi, et sont devenues des facultés de théologie des différentes dénominations.6

b) La formation au cours du ministère

    Un autre système de formation au ministère était celui des Méthodistes, donnant un certificat de prédicateur à des hommes ayant eu peu de formation académique, à condition que ces derniers manifestent la ferveur spirituelle requise. Il y a un siècle. aux Etats Unis, la voie normale à une préparation au ministère parmi les Méthodistes n’était pas uniquement une affaire de formation académique.

     Un candidat au ministère chez les Méthodistes, pour une formation livresque, n’avait aucune obligation de passer trois ans dans une Faculté de Théologie. La structure ecclésiastique – la conférence – présentait des études, avec des textes prescrits, et l’élève devait étudier indépendamment, puis passait un examen complet.7

     La formation théologique méthodiste était une «formation continue» pendant l’exercice du ministère. En dépit des exigences du temps passé sur les routes pour couvrir leur «circuit», on exigeait des prédicateurs Méthodistes cinq heures d’étude par jour, ils recevaient une liste d’oeuvres théologiques solides, qu’ils devaient lire. Dans de nombreux cas, il fallait fournir des rapports, et passer des examens. Même Peter Cartright, connu plus pour son éloquence «sur le tas» que pour sa formation académique, écrivait que William M’Kendree, son ancien, et sous la direction duquel il avait commencé son ministère —

     «avait établi pour moi une série de lectures et d’études. Il avait choisi des livres, de littérature, et de théologie, et à chaque visite trimestrielle, il examinait mes progrès, et corrigeait mes erreurs…. Sa joie était de m instruire dans la grammaire anglaise.»8

     Les itinérants Méthodistes servaient pendant qu’ils étudiaient, et étudiaient pendant qu’ils servaient. Chacun était en réalité un petit évêque sur les congrégations de son «circuit», chacune était sous la responsabilité d’un responsable laïque, qui faisait parti de la communauté dans laquelle il habitait.

     Cartright lui-même croyait que «…cette manière de former au cours du ministère, où les hommes pouvaient apprendre, et appliquer ce qu’ils avaient appris chaque jour…» était plus avantageuse que «toutes les Universités et Instituts Bibliques de tout le pays.»9

     Même en 1879, Alfred Brunson, un contemporain plus jeune de Cartright, venu au Wisconsin dans les années 1830, n’était pas encore convaincu qu’il existait quoi que ce soit qui puisse être supérieur à notre ancienne manière de former des prédicateurs au cours de leur ministère, au lieu de les préparer pour l’oeuvre.»10

c) Les faiseurs de tentes

     Les Baptistes, au début, surtout ceux du Sud, n’avaient ni système de stagiaires comme les Puritains, ni formation au cours du ministère, comme les Méthodistes. Comme pour les Mennonites et d’autres groupes profondément influencés par l’aile gauche de la Réforme, la congrégation locale choisissait tout simplement parmi eux la personne la plus douée pour servir comme pasteur. Avec ou sans consultation avec les autres communautés baptistes, elle le consacrait au ministère. Le pasteur continuait à gagner sa vie en totalité, ou en partie au moyen de son travail séculier, à moins que la congrégation ait grandi au point de pouvoir l’appeler à plein temps. Parce que ce genre de ministère «à mi-temps» était employé par l’apôtre Paul, qui complétait les dons qu’il recevait des Eglises en fabriquant des tentes, on appelle une telle manière de faire les «faiseurs de tentes.»

     Parce que les Baptistes n’avaient pas un système de vie d’églises reliées entre elles, comme les Méthodistes, les pasteurs comptaient sur des études dirigées par eux-mêmes – (la plupart du temps, la Bible et un recueil de théologie) – pour leur formation théologique. Toutefois, dans les villes et les villages plus grands, lorsqu’un homme aspirait au ministère à plein-temps, au lieu d’être faiseur de tentes, un pasteur expérimenté le prenait comme stagiaire pendant un temps, avant qu’il ne présente sa candidature à une congrégation sans pasteur.

     Dillenberger et Welch racontent comment chacun de ces modèles de formation théologique se développait pendant l’expansion du protestantisme aux Etats Unis.

     … L’influence des églises était faible aux frontières. Les villages de frontière étaient petits et isolés. Il était impossible de pourvoir aux besoins de tous, en pasteurs et en églises. Les Congrégationalistes et les Presbytériens, qui exigeaient un clergé au haut niveau d’études, étaient particulièrement gênés par la situation…. Les Méthodistes avaient plus de succès, en général puisqu’ils organisaient de petits groupes, appelés «classes», avec un responsable laïc, comme l’avait fait Wesley. Les classes» et les communautés méthodistes recevaient les visites d’un pasteur méthodiste, qui parcourait le grand circuit de ces communautés. Mais c’étaient les Baptistes qui avaient la meilleure situation. En plus de leur combat pour la liberté politique et religieuse, ils n’avaient pas le fardeau d’un ministère qui exigeait de hautes études. Un prédicateur Baptiste se sentait «appelé». Une fois la décision prise, il pouvait commencer à prêcher. De plus, de tels prédicateurs appartenaient à la même classe sociale que ceux auxquels ils prêchaient.11

     Résumé :

     Ce petit survol de la formation théologique révèle que les stages, la formation dans le ministère, et les ministères de «faiseurs de tentes» étaient des modèles très répandus aux Etats Unis, à un moment ou un autre, en effet, le modèle principal pendant un temps était la formation en cours de ministère, au lieu d’une formation en vue du ministère. De plus, c’étaient justement les dénominations qui reconnaissaient, consacraient et équipaient les responsables naturels qui étaient les plus aptes à répondre aux turbulences à la mobilité et à la pauvreté de la frontière américaine. Avec le temps, les Méthodistes et les Baptistes du Sud, avec leurs modèles de formation flexibles et pertinents, sont devenus les groupes dominants sur le continent Nord-Américain, au lieu des Congrégationalistes et des Presbytériens.

     Untel aperçu donne des indications. non seulement sur la formation théologique en Amérique Latine, mais sur la formation théologique dans beaucoup de pays en voie de développement. La tendance de la formation théologique Nord-Américaine la plus répandue dans les pays de l’Atlantique Nord est de vouloir imposer ces mêmes vues aux autres nations, au lieu d’explorer des modèles valables dans ces mêmes pays, lorsqu’ils devaient faire face, historiquement aux mêmes genres de problèmes qu’ont les pays du tiers monde aujourd’hui. Alors que la solution pour une église stagnant dans un milieu riche et intellectuel où le nombre de pasteurs équivaut au nombre de congrégations peut être d’améliorer les connaissances du clergé, il est évident que ce n’est pas la solution pour une église qui grandit, dans un milieu pauvre et illettré où il y a plus de cinq communautés pour chaque pasteur.

     Ainsi, parlant du Chili, Christian LaVive d’Epinay écrit : «… les institutions éducatives et les méthodes applicables en Europe ou aux Etats-Unis, ne sont pas idéales pour les besoins du Chili… »12

     Il faut oser se poser la question : Ne vaut-il pas mieux que beaucoup d’églises aient des responsables avec une formation modeste, plutôt que quelques églises aient des responsables hautement qualifiés, et d’autres, pas de responsables du tout ?

     Une telle question n’est pas limitée aux églises. Dans les villes bourgeonnantes du tiers monde, on trouve une abondance de personnel médical, équivalent à celui des nations de l’hémisphère du nord, mais il leur manque une partie de l’équipement, et la spécialisation extrême nécessaire pour soigner des maladies très rares. Dans les régions rurales, par contre, où l’on trouve la majorité de la population, il n’y a presque pas de médecins, pas d’avocats, pas d’infirmières, et peu de professeurs. Par exemple, au Guatemala, pays à prédominance rurale, 1025 des 1 208 médecins pratiquants exercent dans la capitale. Il ne reste plus que 183 médecins pour tout le reste du pays ! Et la majorité de ceux-là est concentrée dans quelques villes importantes !13 Cependant, dans le but de «maintenir la qualité», peu de programmes, si programme il y a, sont développés pour former du personnel paramédical, para-légal, ou para-éducationnel, afin de combler au moins un peu les besoins d’une population grandissante.

     En effet, la perspective historique nous oblige à soulever de telles questions haut et fort : Est-il possible, dans la situation actuelle en Amérique latine, que la formation théologique traditionnelle ne soit pas la réponse aux besoins de formation de responsables dans la communauté protestante latino-américaine ? Est-il possible que les modèles de formation au ministère dans les nations en voie de développement, utiles dans le passé, mais délaissés maintenant, arrive à nous donner une bonne compréhension, voire même des modèles sur lesquels construire une formation théologique adaptée à la situation actuelle dans les églises des nations en voie de développement, et tout particulièrement en Amérique Latine ?

     2) Trois questions

     Avec les indices apportés par la perspective historique, examinons la formation théologique traditionnelle selon les critères théologiques, numériques et culturels.

a) Peut-on défendre une telle position théologiquement ?

     Au début du vingtième siècle en Chine, un jeune missionnaire anglican posa une question «inconfortable» sur la formation théologique. A la question souvent soulevée de son temps, «Le modèle d’une formation académique plein-temps d’un clergé professionnel est-il possible à une large échelle dans les jeunes églises ?», il a ajouté brutalement, «Est-ce même souhaitable ?». Comme ses contemporains PT. Forsyth, en théologie systématique, et James Denney en études bibliques, Roland Allen était un homme en avance sur son temps. Ce n’est que depuis la dernière décennie que ses écrits, restés longtemps hors édition, ont été largement republiés, – étrangement, par ceux qui ne partageaient pas nécessairement ses opinions ecclésiastiques.

     De tous ces écrits, le plus important pour notre discussion est le livre The Case for Volontary Clergy (le cas d’un clergé volontaire)14 Allen ne souhaitait nullement l’abolition du clergé salarié à plein-temps, ou «à appointements fixes», comme il les appelait, mais il souhaitait ardemment la pleine reconnaissance d’un clergé volontaire comme ministres de l’Evangile. Ainsi, il demandait «la consécration… d’hommes qui se maintiendraient eux-mêmes dans leurs propres métiers.»15 En termes modernes, il souhaitait consacrer des «faiseurs de tentes». Allen ne perdit pas de temps pour mettre «cartes sur table» :

     «Ma thèse dans ce livre est que la tradition que nous maintenons, interdisant la consécration d’hommes engagés à gagner leur vie par ce que nous appelons des occupations séculières, rend nulle la parole de Christ et une telle idée est opposée à ses pensées lorsqu’il a institué les sacrements pour son peuple. C’est également en opposition à l’idée que les apôtres ont reçue de Lui, et à la pratique qu’avait l’apôtre Paul, de l’oeuvre dont nous avons reçu un compte-rendu complet, pour affermir les Eglises. Le système des appointements fixes est originaire des églises établies, et il est convenable pour des églises établies à certains moments, en revanche, pour l’expansion, et pour l’établissement de nouvelles églises, c’est la barrière la plus importante. Cela lie l’église dans des chaînes, et cela oblige à adopter des pratiques qui contredisent l’idée même de ce qu’est l’Eglise.» 16

     Allen continue, en condamnant le système des «appointements fixes» – la pratique d’avoir seulement un clergé professionnel, plein-temps – comme étant sans «autorité biblique et… pas selon la doctrine de l’Evangile…» mais, «…un fardeau».17

     Après avoir réaffirmé sa position que la consécration d’un clergé volontaire est «une vérité de Christ qui exige l’obéissance…», il se tourne vers un examen de passages bibliques tels I Timothée 3:2-7 et Tite 1:6-9, où il définit les «évêques comme étant synonymes «d’anciens et à qui il attribue l’office pastoral. Citant Actes 14:23, il observe que lorsque Paul et ceux qui le suivaient ont consacré des anciens dans chaque ville, les hommes qu’ils ont consacrés n’étaient pas d’un «bas clergé» élevés à un ministère plus élevé, mais c’étaient des hommes qui n’avaient jamais été consacrés à quelque ministère sacré que ce soit.

     Après analyse des passages bibliques mentionnés ci-dessus sur les critères des responsables spirituels, Allen est frappé par le grand poids mis sur les qualités morales du responsable :

      Des quinze qualités du premier passage, cinq sont des vertus personnelles, six sont des vertus sociales, une est une qualité intellectuelle morale, une dépend de l’expérience, et deux concernent la réputation Cinq sont des vertus personnelles : sobre, sense, pacifique, désintéressé. Six sont des vertus sociales : dirige bien sa propre maison, tient ses enfants dans la soumission, d’une parfaite dignité, hospitalier, en dehors aussi bien qu’à la maison ; non violent. Deux concernent sa réputation aux yeux des non-chrétiens. L’une est une qualité de force intellectuelle : apte à l’enseignement. L’autre est une qualité d’expérience : pas un nouveau converti.18

     Se référant au deuxième passage, Allen trouve que :
… il y a quatorze qualités, dont huit sont des vertus personnelles ; pas arrogant, ni coléreux, ni âpre au gain, mais ami du bien, sensé, juste, consacré, maître de lui. Trois sont des vertus sociales : mari d’une seule femme, hospitalier, non violent. L’une se réfère à sa famille : ayant des enfants fidèles, qui ne soient ni accusés de débauche ni indisciplines. L’une concerne sa réputation : irréprochable. L’autre est une qualité morale : attaché à la parole authentique, dont dépend le pouvoir d’exhorter selon la saine doctrine et de convaincre les contradicteurs.19

     Allen conclut que dans les deux passages la même insistance est mise sur l’importance des qualités morales, suivies par les vertus sociales, dans la maison et dans la communauté en général.

     Puis, dans l’un des passages les plus saisissants de son oeuvre, pour quelqu’un qui a servi l’Eglise outremer, il écrit «Quiconque a été sur le champ de mission reconnaîtra instantanément le portrait. L’homme vit devant nos yeux…»20 Allen continue, à dépeindre ce responsable spirituel, et il pense que l’église devrait le reconnaitre par sa consécration.

     C’est un homme mûr, un chef de famille. Il est marié depuis assez longtemps pour avoir des enfants en âge soit de croire, soit d’avoir opté pour la débauche ou la rébellion. Sa femme, ses enfants et son foyer sont bien dirigés et manifestent de l’ordre. C’est un homme occupant une certaine position dans la communauté. Les étrangers et les visiteurs, surtout les chrétiens en voyage, sont attirés naturellement vers sa maison, et il sait exercer l’hospitalité à leur égard. C’est un homme sobre, digne, dont les paroles ont un certain poids. Il est capable d’enseigner et de reprendre ceux qui ignoreraient les exhortations d’une personne moindre. C’est un homme d’un caractère moral fort, il peut diriger sans violence. Il n’est pas tenté d’asséner des coups, parce que son autorité morale est suffisante pour obtenir la soumission. Il est sensé et juste : il peut régler les conflits par un jugement respecté par autrui ; et il n’est pas prêt à accepter un «pot de vin.» C’est un chrétien d’une certaine stature. Il a appris l’enseignement des apôtres, et il y adhère en le maintenant. Il peut enseigner ce qu’il a appris, et lorsque quelqu’un enseigne une doctrine étrangère, ou poursuit une conduite morale douteuse, il peut dire : «ce n’est pas en accord avec ce que j’ai appris»; les hommes l’écoutent, et mettent en pratique ce qu’il dit. 21

     Allen a raison. Cet homme vit réellement devant nos yeux. Pendant mon séjour au Honduras, cinq congrégations nouvelles d’Eglises Réformées et Evangéliques ont été organisées. Et dans chaque cas, c’était surtout le genre d’homme décrit par Allen qui servait d’homme clé dans la naissance de la communauté. Il m’est arrivé de traduire en Espagnol la citation ci-dessus, pour la lire devant mes étudiants. Je leur ai demandé de faire une liste d’hommes qui leur venaient à l’esprit pendant ma lecture. Etonnamment, leurs listes s’accordaient parfaitement les unes avec les autres ! Et, fait plus significatif encore, leurs listes contenaient plus de responsables laïcs que de prédicateurs consacrés, la plupart de ces derniers n’étant même pas mentionnés par mes élèves.

     Qui étaient ces hommes ? Ils voyaient devant leurs yeux.

Reyes, de Las Vegas. A soixantedix ans, un peu sourd, intellectuellement, de niveau CE2, une seule année d’Ecole Biblique, et habillé humblement. Tout contredisait le fait que cet homme avait appris lui-même à jouer d’oreille de quatre instruments de musique, et qu’il pouvait interpréter la Bible avec une force de sincérité et de simplicité, par des illustrations pratiques, et ses expériences : son conseil était recherché par les vieillards et par les jeunes. Ils respectaient son intégrité et sa vie humble et disciplinée, qui, frôlant le sacrifice, leur parlait d’un engagement très profond et du fait qu’il était un véritable disciple. Dans une communauté minière très rude, parti de rien, il avait bâti une congrégation de 60 personnes, dont beaucoup étaient des jeunes, et dont plusieurs donnaient la dime. Ils avaient construit et payé le bâtiment coloré de leur église. Aujourd’hui ils paient une maison modeste pour leur pasteur, alors qu’une chambre lui servait auparavant de demeure.

     Ils ont vu devant leurs yeux Esteban – quarante ans et père d’une grande famille. Esteban était maçon dans un village rural avant d’obtenir le travail de concierge au lycée missionnaire. Modeste, maigre, pauvrement habillé, mais avec des yeux noirs perçants, brillants d’intelligence innée, Esteban, qui n’avait jamais fait d’études au delà du CM2, était la force motrice de son village très pauvre de San Buenaventura, en même temps qu’il gagnait une partie importante de sa grande famille à la cause de Christ. Beaucoup viennent l’écouter enseigner la Bible, et ses applications directes à leur vie quotidienne. Ils savent que la vie d’Esteban s’accorde avec ce qu’il enseigne. Il y a cinq ans, la congrégation a construit une chapelle, et il y a trois ans elle a ajouté un bâtiment d’école du dimanche au toit de chaume, il y a deux ans elle s’est constituée en assemblée reconnue, et reçue dans le Synode. A présent, l’église a pourvu et a assumé l’installation d’un système d’eau potable pour le village.

     Horacio habite le petit village de montagne de Subirana, où lui et sa femme tiennent une petite trucha ou épicerie. Horacio fait souvent de longs voyages à travers les montagnes, pour vendre des vêtements de maison en maison. Ces dernières années il a acquis un peu de terrain et quelques animaux. Ayant presque la quarantaine. extrêmement soigné et beau d’apparence, il a gagné le respect des gens, non seulement de son propre village, mais aussi de ceux de toute la région montagneuse où il habite. Il démontre une aptitude à l’enseignement et à donner un conseil aux gens, aussi bien qu’un sens d’administration et des affaires qu’il a développé au contact de toutes ses relations en affaires.

     Et il y en a d’autres : Andres, un fermier et responsable laïque de Rio Chiquito dont le fils a terminé ses études avec mention, se prépare maintenant au ministère pastoral.

     Teofilo, lui aussi fermier, qui a souvent fait plus de 30 kilomètres à pied jusqu’à la route, afin de pouvoir suivre des cours à l’Institut de théologie le plus proche. Il a été le moteur pour la création d’une clinique médicale dans son village. Il a aussi établi un autre lieu de prédication non loin de chez lui.

     Ricardo, un forgeron de 60 ans, bien qu’en concurrence avec le pasteur de l’Eglise Centrale de Choloma, a construit de presque rien une Ecole du dimanche décentralisée, qui sera bientôt intégrée.

     Darias, un ex-communiste de 30 ans, qui travaille durement à l’organisation de cours de lecture, attachés à l’école du dimanche dont il a la responsabilité.

     Plusieurs des pasteurs ont aussi passé devant les yeux de ces étudiants ce jour-là, mais il est important de noter que beaucoup n’ont jamais été évoqués. Puis, la question a été soulevée : «Ne serait-il pas mieux pour la vie de l’église si certaines des personnes mentionnées étaient consacrées au ministère ? Il semblerait que les critères de consécration existants n’étaient pas les qualifications apostoliques, contenues dans des épitres pastorales, mais plutôt les critères académiques exigés par ceux qui avaient eu le privilège de recevoir une formation académique très complète.

Allen répéte :

     Là, sur le champ de mission, où les chrétiens sont éparpillés en petits groupes, un homme qui possède de telles qualifications ressort d’une manière qu’on ne remarque pas aussi facilement chez soi. Lorsque nous lisons la description de l’homme que l’apôtre désigne comme apte à une consécration au ministère, nous nous disons instinctivement : Nous connaissons cet homme.22

     Puis, ayant peint le portrait du « candidat parfait » pour la consécration, Allen continue, analysant les contradictions de la pratique habituelle.

     D’abord, il note qu’alors que les apôtres demandaient de la maturité et de l’expérience au candidat, nous consacrons ordinairement des jeunes inexpérimentés.

     Deuxièmement, il commente : nous ajoutons la condition que le candidat à la consécration pastorale doit renoncer à toute autre manière de gagner sa vie, en dehors du ministère, mais il n’y a aucune trace d’une telle condition parmi les qualifications apostoliques.

     Troisièmement, il observe qu’il y a un poids important mis sur le fait qu’un homme doit être personnellement convaincu de l’appel de Dieu, alors qu’en réalité c’est l’appel de la congrégation qui devrait être considéré comme plus important. En effet, l’appel du peuple de Dieu pourrait être un indice plus sûr de l’oeuvre de l’Esprit qu’un appel secret et mystique. Ainsi, il constate que l’église locale devrait être convaincue que le candidat est réellement l’homme de la situation. Ces mots «’Si quelqu’un aspire’ impliquent bien qu’il y a des hommes qui souhaitent être nommés, mais c’est une affaire bien différente d’un appel adressé aux hommes à être des volontaires»23. Allen était franchement critique du système traditionnel, qui invitait les gens à s’offrir avant que l’Eglise ne les ait appelés. Il aimerait renverser la procédure. L’Eglise devrait choisir celui qu’elle ressent comme étant celui appelé par Dieu, et si cette personne est également convaincue que l’appel de l’Eglise correspond à celui de Dieu, il répondra certainement. «Si l’appel de l’Eglise était mis à la première place», écrit Allen, «la vocation personnelle pourrait y répondre.»24

     Quatrièmement, Allen souligne, sur la formation au ministère, la valeur d’une formation spirituelle, pratique, que Dieu donne dans la vie et dans les expériences. Une telle formation a plus de valeur que la formation formelle de son époque, qu’il regardait comme n’ayant qu’un seul aspect.

     Cinquièmement, Allen dit que si des croyants désirent réellement le bénéfice d’une pleine participation à la vie de l’Eglise, alors, cela devrait être possible. Cela implique forcément la consécration du dirigeant du groupe. Alors qu’Allen définit le clergé volontaire comme étant ceux qui gagnent leur vie par le travail de leurs mains ou de leur «tête», et qui servent comme pasteurs sans rémunération, il est très clair qu’il ne parle pas de «responsables laïques», mais d’hommes consacrés, mis à part pour la prédication de la Parole et pleinement autorisés à administrer les sacrements, et dont la consécration est reconnue par tous. Allen reprend les groupements d’églises qui veulent donner à de telles personnes un «diplôme d’ouvrier», mais qui leur interdit le droit de donner les sacrements aussi bien que de pratiquer certains rites, comme le mariage ou la confirmation, mais qui leur permet néanmoins de prêcher, et de présider des services d’obsèques. De telles pratiques donnent un caractère irrégulier à la vie de la communauté chrétienne, l’obligeant à dépendre des visites peu fréquentes d’un homme consacré. Pourquoi, insiste-t-il, un homme sans formation, qui n’a pas la confiance pour maintenir l’ordre dans l’église, lisant une liturgie standardisée, reçoit-il quand même la responsabilité de la prédication de la Parole et l’enseignement de la Bible à un groupe de personnes qui manifestent leur entière confiance en son interprétation ?

     Deux illustrations de la théorie missionnaire d’Allen viennent à l’esprit à travers mon expérience en Honduras.

     L’une vient des Assemblées de Dieu. Ils ont demandé à une nouvelle communauté de choisir un homme parmi eux, ou dans une autre assemblée. Cet homme reçoit un certificat l’autorisant à administrer les sacrements aussi bien qu’à prêcher la Parole, et il est équipé par la suite pour ces tâches par la fréquentation à un Institut Biblique, pendant quatre mois chaque année, six années de suite. La congrégation s’engage à soutenir de son mieux ce pasteur et sa famille. Alors que l’idéal reste un ministère salarié, à plein temps, le groupe ne peut pas normalement pourvoir à son soutien complet. Ainsi, un tel homme poursuit son travail séculier à plein ou à mi-temps jusqu’à ce que l’Eglise puisse pourvoir pleinement à ses besoins. Les Pentecôtistes voient un clergé volontaire, ou des «faiseurs de tentes» comme un ministère nécessaire, mais non permanent, dans la progression vers un pastorat à plein temps.

     Un autre exemple, ce sont les Baptistes Conservateurs d’Olanchito. Yoro, un champ abandonné par l’Eglise Evangélique et Réformée il y a quelques années, comme étant une région dans laquelle il était impossible d’avancer. Une telle évaluation semblait être aussi exacte pour les Baptistes. Après 15 ans de travail, il n’y avait que deux communautés organisées de 35 membres en tout. Puis, à la fin des années 1960, un nouveau missionnaire, George Patterson, profondément influencé par la pensée d’Allen, a commencé à baptiser des croyants immédiatement après leur confession de foi en Christ. Il les a organisés en petits groupes. et leur a fait choisir leurs propres responsables, se basant sur les critères des passages bibliques des Epitres Pastorales. Ceux qui avait été choisis étaient dûment consacrés. Ils ont appris comment conduire l’adoration hebdomadaire, y compris la célébration hebdomadaire de la Sainte Cène, utilisant une liturgie établie sur beaucoup de passages bibliques. La plupart de ces nouveau pasteurs étaient capables de prêcher une fois par mois seulement. Des aides simples étaient employées pour eux, car leur niveau d’éducation n’atteignait pour la plupart que le niveau de CEI ou de CE2. La formation théologique avait lieu par des manuels de travaux guidés, et par des visites périodiques du missionnaire, dans quelques centres régionaux. Ici, un ministère de «faiseurs de tentes» n’était pas aperçu comme une question de théorie, mais une nécessité pratique pendant plusieurs années. Entre 1967 et 1971, de nouvelles églises ont été implantées, et le nombre de membres a augmenté de 35 à 600 dans la vallée. Elles continuent à grandir selon un pourcentage de 25% chaque année. Les pertes après le baptême sont très peu fréquentes.

     L’Eglise Evangélique et Réformée de Honduras a toujours refusé, en revanche, de consacrer de tels volontaires. Des responsables laïques, oui ! Des ouvriers qui collaborent, oui ! Mais des «faiseurs de tentes». non ! Un homme est, soit un volontaire qui dépend entièrement du travail de ses mains ou de sa tête, soit un pasteur, entièrement soutenu. Il n’y a pas de choix possible entre les deux. La discipline présentée à l’étude devant le Synode interdit précisément aux pasteurs d’entreprendre un travail séculier. Une version précédente avait même déclaré qu’il était interdit aux femmes de pasteurs de travailler à l’extérieur. Apparemment, le sentiment existe qu’un tel travail serait dégradant par rapport à l’appel élevé du ministère pastoral.

     La thèse d’Allen est que, face au besoin criant de l’Eglise en expansion dans le monde, la consécration d’un clergé de volontaires doit compléter l’oeuvre des pasteurs «à plein temps» et entièrement soutenus. Car recevoir un salaire ou pas n’a pas grand chose à voir avec les critères bibliques et théologiques, en ce qui concerne le statut et les fonctions du pasteur.

b) Est-ce suffisant, numériquement parlant ?

     Pendant la dernière décennie, ceux qui favorisaient une mise à jour et une expansion de la formation traditionnelle de théologie (résidence dans un institut) en Amérique Latine ont été mis au défi. Un tel défi a été soulevé non seulement sur des fondements bibliques et théologiques, mais aussi dans le domaine pratique : le souci pressant des Eglises latino-américaines pour la formation de responsables dans une église grandissante. J. Herbert Kane écrit :

     Il y a quarante ans, John R. Mott a dit que la faiblesse la plus importante du mouvement missionnaire était notre incapacité de produire des responsables bien formés pour les églises nationales. Un demi-siècle est passé, et le problème est toujours là…. Un rapport du Fonds pour l’Education Théologique de 1964-1965 dit : «Des statistiques alarmantes montrent que le nombre de pasteurs sera totalement insuffisant pour remplir le nombre de postes vacants. »25

     Abordé d’une manière négative, le problème est que l’Eglise en Amérique Latine grandit tellement vite que les institutions actuelles ne sont même pas capables de former les dirigeants actuels du mouvement Protestant, alors, encore moins la vague de futurs responsables.

     Thomas J. Ligget a résumé un rapport de Read, Monterroso et Johnson, sur la croissance statistique du protestantisme en Amérique Latine.

     Au début du vingtième siècle le mouvement évangélique a commencé à acquérir de la force, et en 1916 la communauté protestante a atteint un nombre estimé à 122 000 personnes. En 1937 la communauté évangélique comptait 1 250 000 personnes, et en 1961, environ 10 millions. Dans une étude récente sur la croissance de l’Eglise en Amérique Latine, des statistiques sérieuses menées sur 17 pays montrent le nombre de personnes communiantes comme étant de 4 915 477. La même étude démontrait que le nombre de personnes au total dans la communauté évangélique serait d’au moins 15 millions en 1970.26

     L’importance capitale de la formation de responsables a été soulignée dans une étude faite par World Vision, lors d’une conférence de pasteurs en Colombie. Quatre cents hommes étaient présents, originaires de Colombie, de Panama, du Venezuela, et de l’Equateur. Ce sondage a démontré que 31% d’entre eux n’avaient jamais fréquenté d’école, 33% avaient été à l’école primaire, 32% avaient fini l’école primaire (CM2), 26% avaient fait quelques études secondaires, et seulement 6% d’entre eux avaient terminé leurs études au lycée. Certains dans ce dernier groupe avaient aussi été à l’Université, et une petite minorité d’entre eux avaient terminé des études universitaires.27

     Commentant de telles statistiques, Ralph D. Winter observe

     Aussi bas que puisse être le niveau d’études de ces pasteurs, il existe 3 000 pasteurs dans ces quatre pays qui remplissent d’une manière non officielle le rôle de pasteur, mais qui ne sont pas venus à la conférence. Ainsi, le niveau général d’études d’un pasteur actif moyen est sans doute encore beaucoup plus bas.28

     On estime qu’il y a environ 75 000 communautés protestantes en Amérique Latine, et qu’environ 5000 nouvelles communautés sont formées chaque année (dont la plupart ont deux ou trois lieux de prédication), Winters ajoute :

… il y a un minimum de 150 000 personnes présentant des dons de pasteur, et probablement 90% d’entre eux manquent de formation. Mais si seulement 100 000 d’entre eux ont besoin d’une formation théologique pour le ministère, c’est un défi immense, urgent. Pour relever un tel défi il existe 60 facultés de théologie, accueillant un nombre total de 1 000 étudiants, plus 300 Instituts Bibliques, pour un total de 12 000 étudiants. Même si on dit que tous ces étudiants vont devenir pasteurs, ou mieux encore, travaillaient déjà comme pasteurs, par ces méthodes de formation conventionnelles, nous aurons toujours un retard de 15 ans pour répondre à un tel besoin.29

     L’analyse de Winter parle du fait que dans la réalité, la plupart des Instituts Bibliques ont comme but de former des jeunes. qui ne se destinent pas forcément au ministère pastoral. Mais il omet de mentionner qu’environ 5 000 communautés nouvelles entrent en existence chaque année. Cela veut dire que la différence entre le nombre de responsables et le nombre d’églises croît, au lieu de diminuer. Tout cela souligne la dure réalité quelle que soit la manière d’évaluer la qualité de la formation théologique en Amérique Latine aujourd’hui, ce qui est fait est nettement insuffisant, même quantitativement parlant, et que le système traditionnel s’est montré inadapté pour pourvoir à un tel besoin, et de plus, est incapable de s’élargir pour donner un espoir d’y répondre dans le proche avenir, surtout en considérant la situation économique mondiale.

c) Est-il possible d’adapter un tel système à la culture ?

     Il devient de plus en plus évident que les structures de formation théologiques existantes ne sont pas suffisantes pour former les responsables actuels, ni les futurs responsables de mouvements Protestants, dont la croissance est rapide. Alors, certaines voix s’élèvent pour créer un programme intensif d’expansion du système de formation actuel. Mais d’autres voix s’élèvent pour remettre en question le système traditionnel de formation théologique. Elles disent qu’ils n’ont pas besoin de plus d’un même système, mais plutôt d’une approche totalement différente – l’Education théologique adaptée à la réalité en Amérique du Sud. Ce qui donne un poids supplémentaire à ce choeur de dissidents, c’est que James F. Hopewell, à ce moment-là directeur du Fonds de Formation Théologique, est gagné à leur cause. Cet homme est considéré comme l’un des hommes les mieux placés pour la formation théologique dans le monde. Et il a écrit : Si nous faisons table rase, pour retrouver une situation où nous ne connaitrons rien de la forme ou de la fonction des facultés de théologie telles qu’elles existent maintenant, nous ne créerons probablement jamais de structure de formation qui ressemble à une faculté de théologie.»30

     Maintenant, j’aimerais dire, du moins pour l’argumentation, que la plupart des facteurs qui forment notre compréhension d’une formation théologique typique ont été calculés pour éviter, sans en être conscient. le but fondamental de la mission chrétienne. Et je ne cherche pas à battre le rappel des anti-intellectuels contre une formation poussée. Ce qui préoccupe un nombre grandissant de critiques, c’est que l’instrument même de formation a été détourné pour accomplir une tâche plutôt médiocre, concernant une structure d’église de deuxième classe. A un moment où notre compréhension du ministère implique de plus en plus sa fonction dynamique et missionnaire, nous continuons à compter sur un système de formation qui, à la racine, est essentiellement statique et isolationniste.31

      Plus tard, parlant du besoin de former un ministère de «faiseurs de tentes» en Amérique Latine, Hopewell désespérait de l’option des méthodes traditionnelles de formation théologique pour former un clergé à mi-temps :

     Il devient de plus en plus évident qu’un grand nombre de pasteurs «faiseurs de tentes» ne peuvent pas être formés par les méthodes traditionnelles d’éducation théologique. L’étude personnelle et les stages d’un côté sont irréguliers et «atomisés». Prendre, de l’autre côté, n’importe quel nombre d’hommes mûrs et exiger d’eux la poursuite de cours pendant trois à cinq années de résidence dans une faculté de théologie, et en même temps, soutenir leurs familles, est un luxe que la plupart des églises dans ce monde ne peuvent pas s’offrir. Un parcours traditionnel de résidence a également d’autres désavantages.32

     Les craintes de Hopewell sont reprises en écho par beaucoup d’autres, qui voient le système traditionnel comme un genre de greffe peu adapté à l’Amérique Latine, sauf peut-être pour les classes urbaines professionnelles. Mais s’il y a beaucoup de critiques, elle sont fragmentées. De telles critiques peuvent être classées autour des points suivants : sélection des étudiants, diversité académique, désorganisation culturelle, mentalité cléricale, placement des diplômés, dépendance des étudiants, pourcentage de ceux qui laissent tomber, et coût économique.

     La sélection des étudiants. Le refrain que le programme traditionnel de résidence ne forme pas de bons étudiants est souvent repris. Hopewell se lamente que «la personne généralement présentée à la Faculté de théologie par l’Eglise semble être un jeune, probablement pas mûr, qui n’a eu qu’une expérience minimum dans la vie, autre que sa scolarité et la vie de l’église.33 James Emery dit que par la nature même de la formation pour le ministère au lieu de la formation dans le ministère, la faculté de théologie traditionnelle «…limite le nombre de candidats à un groupe relativement petit pour des raisons qui n ont rien à voir avec un appel ou l’efficacité dans le ministère pastoral : c’est à cause de l’âge, l’éducation, l’état civil (mariage) et pour des questions économiques» plutôt que «pour les qualités du responsable, la persévérance et les dons spirituels…»34 Ecrivant sur les mécanismes d’administration, Samuel F. Rowen ajoute :

     L’administration d’une école centrale est très limitée dans sa capacité de choisir les bons élèves, qui sont des leaders ou des leaders potentiels dans l’église… Ainsi, l’opinion générale est que parce que le besoin est si grand, quiconque désire se former pour l’oeuvre du Seigneur doit être envoyé à l’école. L’école acceptera la recommandation du pasteur et de l’église sur le caractère du futur élève. L’école dépend donc des références qu’elle reçoit quant à la qualité de vie de l’élève futur, et de son potentiel comme responsable. D’autre part, une fois qu’un étudiant arrive à l’école, et commence à laisser voir ses capacités, ou ses faiblesses, il est parfois difficile de le reconnaitre, tel que sa recommandation l’avait décrit. Les gens hésitent souvent à donner une évaluation objective, de peur de dire quelque chose contre une personne qui dit avoir été appelée par Dieu.35

     Rowen conclut que l’école centralisée, exigeant un séjour, est par sa nature même forcée à choisir ses étudiants sur des critères inadéquats.

     La diversité académique. La formation théologique traditionnelle semble être incapable de traiter simultanément les différents niveaux de formation nécessaire en Amérique Latine. Rowen résume le problème ainsi :

     Lancer un défi à l’excellent étudiant, et aider l’étudiant moyen est un défi permanent et universel. Mais un tel problème est intensifié dans les pays en voie de développement où il y a une plus grande différence entre la formation qu’ont reçue les étudiants – parfois une différence entre le CM2 et l’université.36

     Dans une telle situation, la tendance à viser au centre, à un niveau moyen donne comme résultat la médiocrité de l’enseignement-trop avancé pour les étudiants lents. et trop rébarbatif pour les meilleurs étudiants. J’ai découvert que la tentation qui m’était propre était de canaliser mes efforts vers l’enseignement des meilleurs élèves, ce qui avait pour conséquence que les plus lents se perdaient. «Et maintenir des niveaux différents d’enseignement veut aussi dire des heures supplémentaires de cours, des professeurs en plus, davantage de bâtiments, ce qui mène au surmenage.»37 Certaines dénominations ont créé des institutions séparées pour les différents niveaux d’études, mais le prix est si élevé que ces institutions ne pourraient pas exister sans l’aide importante venue de l’étranger.

     La délocalisation culturelle. Aux Etats Unis le gouffre entre les mentalités rurales et urbaines diminue rapidement. Mais un tel gouffre existe toujours en Amérique Latine. Intégrer une personne à la vie urbaine la rend souvent incapable de se réadapter à la vie au village, en milieu rural. Souvent la différence entre les régions rurales est suffisamment grande qu’il est nécessaire de les traiter comme des sous-cultures différentes. Il y a parfois même des différences de langue. Rowen donne l’observation suivante :

     Le campus… doit bien être situé géographiquement. Si le campus est dans une région rurale, ceux des centres urbains risquent de trouver dégradant socialement parlant de recevoir leur formation dans un milieu rural. De même, si le campus se trouve dans un centre urbain, ceux des régions rurales rencontrent une manière de vivre radicalement différente de la leur.38

     Alors qu’il est souvent très difficile pour des étudiants de milieu rural de s’adapter à la vie urbaine, après quelques années, il est encore plus difficile pour eux de se réadapter aux conditions primitives de la vie rurale. Une fois qu’ils ont goûté à l’abondance et aux occasions financières de la vie en ville, c’est une réelle tentation de ne pas retourner à la communauté d’où ils viennent.

     Lorsqu’un groupe met tous ses oeufs dans le même panier de la formation théologique classique, les problèmes peuvent être très graves. Un enseignant bien connu d’Amérique Latine a remarqué que des jeunes de 15 ans qui grandissent dans le mouvement et le bruit du port de Puerto Cortes, au Honduras, semblent être beaucoup plus mûrs que des jeunes de 20 ans qui ont grandi dans la région rurale du sud-ouest du pays. Willian J. Nottingham parle d’une faculté de théologie située en Argentine, pour former des Argentins et des Brésiliens, qui utilise l’allemand comme langue intermédiaire, au lieu de choisir entre l’espagnol et le portugais. Et plusieurs indiens Misquito, envoyés par les Moraves pour faire des études dans la capitale du Honduras, Tegucigalpa, ont eu des expériences traumatisantes. – sinon fatales -, lorsqu’il a fallu essayer de juger la distance et la vitesse des voitures, pour traverser la rue, parce qu’ils n’avaient jamais vu de voitures dans leur région.

     Commentant l’importance de la situation géographique, Hopewell se lamente :

     Une école importante de ma propre communauté (Episcopale), Faculté Théologique des Caraïbes, semble être située délibérément loin de tout; elle est loin de l’Université de Puerto Rico, dans les banlieues éloignées, à une grande distance de la Faculté Evangélique.39

     En leur faveur, il note aussi que certaines écoles «…ont cherché à se placer au centre ville, ou près de l’université, ou, à Mexico City, chacune sur un terrain contigu.». Mais il note que «…même dans ces exemples, il y a réellement très peu de preuves d’un échange qui porte du fruit entre les facultés et les quartiers dans lesquels elles se trouvent.»40

     Une dernière illustration de la délocalisation culturelle, ou du déracinement de l’environnement, comme on pourrait aussi l’appeler, c’est le cas des Disciples du Christ et des Congrégationalistes au Mexique. Ils forment les pasteurs de leurs petites congrégations rurales de la côte ouest du Mexique dans une Faculté Unifiée à un prix très élevé. Ces pasteurs habitent des bâtiments de luxe, ils mangent dans un réfectoire qui a coûté la somme de $85 000. et ont des W.C. en marbre – et tout cela se situe dans l’arrondissement le plus luxueux de Mexico City. Doit-on s’étonner «qu’en dépit d’une base très large ecclésiologique. un investissement énorme en bâtiments et professeurs, des bourses d’étudiants importantes, et des projets visionnaires pour une théologie sérieuse et oecuménique, les écoles membres… aient par la suite de grandes difficultés à placer ces étudiants dans leurs paroisses ?»41

     La mentalité cléricale. Emery dit que le système traditionnel de formation théologique «a tendance à produire une orientation professionnelle qui sépare le candidat des problèmes communs aux laïcs, le plaçant dans une catégorie artificielle d’autorité et de connaissances.»42 Rowen est encore plus clair dans son langage :

     Après qu’un individu a acquis une formation dans un domaine précis, il a souvent tendance à développer un sentiment de supériorité. Une fois qu’on a appris les bénédictions et les avantages d’une formation. il est souvent difficile d’y renoncer, et d’accepter la simplicité connue auparavant. Ainsi, on a tendance à s’élever au-dessus des autres.43

     Ce problème devient très grave lorsqu’il fait surface dans la vie de l’Eglise. En Amérique Latine il y a une mentalité cléricale très forte, et une nette séparation entre le clergé et les laïcs, entre le sacré et le séculier. Et les laïcs ont tendance à maintenir l’esprit clérical, tout en le dénonçant par leurs paroles.

     L’étudiant en théologie entre dans une école comme laïc, et la quitte comme membre du clergé. Souvent, il se considère comme un professionnel, car il y a un prestige plus important à être professionnel en Amérique Latine. Et, comme «professionnel», il s’attend donc à un meilleur niveau de vie et à des occasions de formation, qui ne peuvent être offertes que par une église qui a l’habitude de dirigeants «professionnels». Ce syndrome produit des étudiants qui voient le ministère comme une ouverture vers la prospérité de la classe moyenne : ils recherchent le ministère pastoral dans une communauté urbaine, ou ils quittent le ministère pour le monde du commerce, leur formation en faculté les ayant bien préparés à cela.

    Un autre cas peut faire surface, non celui du professionnalisme, mais celui du dévot, si le candidat pastoral se voit comme absolument saint, avant renoncé à tout, et donc investi d’une grande puissance et d’une autorité, dans sa situation privilégiée. Estela de Horning dit à ce sujet «Nous avons rejeté une forme de hiérarchie, mais nous avons conservé son esprit.» 44

     Le placement des diplômés. En dépit du manque énorme de pasteurs formés en Amérique Latine, le placement des diplômés constitue souvent un problème très critique.

     Le sentiment le plus répandu chez l’étudiant est qu’une fois qu’il a terminé ses études, une église sera prête à le recevoir comme pasteur, et que cette église pourvoira à ses besoins. Il y a certes certaines églises sans pasteur à plein temps, dans lesquelles il pourrait servir, mais la plupart de ces églises ne peuvent pas soutenir totalement un pasteur, parce que ses membres eux-mêmes ont tout juste de quoi survivre.45

     L’école centralisée, qui oblige un séjour pour y étudier contribue à un tel problème de plusieurs manières.

     Premièrement, l’église exige que l’étudiant soit déraciné de son milieu et qu’il quitte son travail. Et parce qu’il faut qu’il retrouve une manière de gagner sa vie une fois ses études terminées, il pense que l’église qui l’a déraciné de son ancien travail, qui l’a formé, doit le soutenir financièrement.

     Deuxièmement, l’étudiant s’est habitué à dépendre de l’église pendant ses études. Le plus souvent, il a reçu une bourse qui couvre non seulement le prix de ses études, mais aussi ses voyages, ses soins médicaux, son logement et sa nourriture, et peut-être même ses livres et ses vêtements. Il est difficile de rompre avec une telle dépendance, surtout lorsqu’on y ajoute la mentalité de professionnel, qui le conditionne à s’attendre à ce que l’Eglise fasse tout pour lui.

     Troisièmement, son système de valeurs a été modifié par sa formation théologique : il considère comme un dû de satisfaire à certains des désirs réveillés en lui par le luxe qu’il a vu dans la ville et par le niveau de vie de la classe moyenne des missionnaires.

     Le dilemme de son placement après ses études a été bien analysé dans une lettre écrite par Herbert Schaal, à propos de son travail parmi les Congrégationalistes d’origine allemande en Argentine :

     Malgré le fait que notre faculté de théologie pouvait recevoir 12 étudiants, il y en a eu moins ces dernières années : notre situation financière totale ne permet pas de placer de plus en plus de diplômés dans le champ de mission sans un salaire suffisant. La plupart de nos diplômés vont au Brésil. pour servir au moins pendant un séjour missionnaire de six ans. Après, nous nous sentons moralement obligés de leur donner un poste ici en Argentine, or nous ne pouvons pas produire beaucoup de diplômés, puis, créer un travail et un soutien ici. 46

     Dans ce cas, le problème du placement est un problème de surproduction. L’offre est plus importante que la demande. Rowen traite directement de ce problème lorsqu’il met en garde contre le fait de former des responsables au-delà des capacités de soutien de l’église nationale. Il pense qu’il est impératif que ceux qui sont appelés à la formation des responsables donnent non seulement la meilleure formation possible, mais également les occasions pour exercer les dons de leadership.47

     La dépendance des étudiants. Malgré le fait que ce problème soit étroitement lié au développement de la mentalité cléricale et au placement, la création d’une mentalité d’assisté, faisant en sorte que ces étudiants sont incapables d’exercer la direction parmi leur propre peuple est un problème distinct. Il semble que les institutions qui forment des responsables, agissent dans un contexte qui rend la plupart du temps la personne en formation très dépendante non seulement de l’institution en tant que telle, mais aussi du directeur de l’institution, qui est souvent un missionnaire.

     Melvin Hodges donne une chronique de certains des résultats tragiques de ce syndrome, et expose certaines des causes.48

     Premièrement, l’ouvrier ne pourrait pas diriger l’église nationale, car les membres le voient seulement comme une façade qui permet au missionnaire de diriger. Ainsi. ils font constamment appel directement au missionnaire, sans en aviser l’ouvrier. A d’autres moments, s’ils souhaitent éviter l’autorité du missionnaire, ils l’évitent en faisant appel à un responsable laïque de la communauté.

     Deuxièmement, l’ouvrier peut manquer d’initiative. Il a pris l’habitude de se soumettre à la volonté du missionnaire, et peut continuer à attendre que le missionnaire le dirige dans son travail, jusqu’au point où c’est le missionnaire qui lui dira quand il faudra visiter un nouvel endroit.

     Troisièmement, il peut rencontrer des difficultés d’adaptation à l’humble condition de la communauté dans laquelle il oeuvre, car il «a dormi dans un lit. Maintenant c’est trop attendre de lui qu’il dorme à nouveau sur un tapis par terre».49

     Quatrièmement, il peut continuer à dépendre du missionnaire pour ses besoins matériels, et devient donc incapable d’avoir confiance en un Dieu qui pourvoit à tous ses besoins.

     Le missionnaire ferait bien de réfléchir au fait que de tels ouvriers nationaux ne sont pas entièrement responsables de leurs manquements… La formation de l’ouvrier depuis sa jeunesse a été en très grande partie sous l’influence de l’étranger, et dans des circonstances qui l’ont séparé de son environnement normal… De plus, il a reçu une formation occidentale, au lieu d’une éducation dans la sagesse de sa propre culture…. Et l’on peut admettre qu’il s’attend trop au missionnaire pour son soutien. Que peut-il faire d’autre ? Le missionnaire n’a-t-il pas toujours pourvu à ses besoins, d’abord à l’école, puis dans son poste en brousse, puis à la Faculté de théologie, et enfin, dans le ministère pastoral. La formation de toute sa vie a été une formation de dépendance du missionnaire.50

     Placer l’étudiant dans une institution où il dépendra complètement d’autres n’est pas la meilleure manière, en général, de préparer des personnes qui devront ensuite être capables de prendre leurs propres responsabilités.

     Les méthodes de formation. Une autre source de critiques dirigées contre les programmes traditionnels de résidence est l’insistance sur l’apprentissage passif – une dépendance des cours magistraux pour instruire. En dépit des avances dans la psychologie de l’éducation, sur la valeur d’une participation active dans le procédé de l’apprentissage, Emery dit, en généralisant :

     Traditionnellement, la Faculté de Théologie compte lourdement sur la méthode des cours magistraux pour la transmission des connaissances. Dans un tel système le professeur passe une grande partie de son temps à redonner le matériel contenu dans les textes. Il peut accorder du temps pour une discussion du sujet, pour clarifier les problèmes et répondre aux questions des étudiants.51

     Hopewell est encore plus mordant dans sa critique

     Il y a beaucoup de discussions pieuses sur le fait de délaisser l’apprentissage mécanique, mais sa pratique tend à réapparaitre d’une manière plus subtile dans la plupart des séries de cours pratiquées maintenant. La différence est que le professeur ne fait plus de pauses pour que ses étudiants notent chacune de ses paroles vertabim… Le principe des cours magistraux est encore «adoré» à un degré qui s’approche de l’idolâtrie…. On ne rencontre que rarement des séminaires honnêtes avec des projets de recherche. Les lectures obligatoires sont souvent considérées comme des obstacles sur lesquels l’étudiant doit passer avant de reproduire ses notes de cours, pour l’examen final.52

     Hopewell croit que la formation théologique efficace devrait «présupposer un système d’enseignement continu. qu’un homme poursuivra tout au long de sa vie, et qui capitalisera son expérience en croissant.»53 Mais une telle sorte de formation, qui apprend aux hommes à extraire la vérité, non seulement de la page imprimée, mais de toutes les expériences de la vie, n’est pas tellement stimulée par les méthodes passives de l’enseignement qui sont si répandues dans la formation théologique traditionnelle.

     Le pourcentage de ceux qui laissent tomber. Il est très élevé pour ceux qui ont été formés dans des institutions traditionnelles. De plus, à cause de l’investissement important que représente chaque étudiant et la situation embarrassante du renvoi d’un étudiant qui se dit être appelé par Dieu, une fois que ce dernier a commencé ses études «…on a tendance à essayer de le faire terminer son parcours, qu’il soit bon élève ou pas, qu’il ait ou pas le potentiel pour être un bon dirigeant dans l’Eglise.»54 Il existe toujours une tendance à continuer la formation de personnes non qualifiées. uniquement pour sauver la face.

     Le coût économique. Liée de prés à tout ce qui a déjà été dit apparait la question du coût. La formation lors d’un séjour coûte beaucoup, au niveau des dépenses et de l’investissement des capitaux, et encore plus quand il y a un rapport assez bas entre le nombre de professeurs et le nombre d’élèves. Ainsi, un personnel à plein temps qui pourrait servir davantage d’étudiants ne les a simplement pas sur le campus. Les revenus des frais d’inscription des étudiants sont minimes, le soutien des églises est assez petit, l’investissement par étudiant, par contre, très élevé. Le coût pour former un élève du secondaire en pension au Lycée Evangélique de San Pedro Sula, au Honduras, était de $500 par an, mais le coût de chaque étudiant en pension à l’Institut de Théologie de l’Eglise Evangélique et Réformée de Honduras était de $3 000 par an, même si ces deux établissement se situaient l’un en face de l’autre dans la même rue, et que les étudiants partageaient les mêmes dortoirs.

Conclusion

     «C’est ainsi que nous l’avons toujours fait» est-ce la meilleure approche de la formation théologique ? Le modèle traditionnel de pensionnat que nous avons si facilement exporté convient-il vraiment aux besoins des églises du tiers monde ? Le modèle est-il réellement biblique ? Les institutions traditionnelles peuvent-elles vraiment former le nombre important de responsables dont a besoin une église qui grandit rapidement ? Et ces institutions peuvent elle produire des leaders de qualité, qui seront des représentants authentiques de leur propre peuple, au lieu d’être les ombres de leurs professeurs missionnaires ? Ce sont des questions sérieuses que chaque formateur théologique, chaque missionnaire. chaque pasteur et chaque laïc intéressé par la mission globale de l’Eglise doivent se poser, et ils doivent en tenir compte pour tirer leurs propres conclusions.

Kenneth MULHOLLAND

Note de la rédaction :

     Cet article est extrait du premier chapitre du livre « Adventures in Training the Ministry » de Kenneth Mulholland, 1976, Presbyterian and Reformed Publishing Company – traduit en français par Henry OPPEWALL -, et fait partie des articles de lecture de la formation BILD-ITEA : «Church Based Program Development».

     Conscient de la « sensibilité » de certains de nos lecteurs, nous précisons que cet article concerne l’Amérique du Sud et qu’il est évident que personne ne songerait à l’appliquer sans nuance au contexte français.

     Savoir si certaines des carences des structures de formations traditionnelles en Amérique du Sud peuvent être observées en France… c’est à chacun de se faire une opinion… Mais en tous les cas, ITEA (itea-edu.com) est un programme qui présente une alternative à la formation traditionnelle des responsables, et non un programme militant contre les Instituts ou les Facultés… Il est aussi important de souligner que ce programme est appelé à former et des « faiseurs de tentes » et des « pasteurs plein-temps ».

     En bref, l’article très direct de Kenneth Mulholland veut simplement interpeller : puisque pas plus en Europe qu’en Amerique du Sud, les institutions actuelles ne peuvent former à elles seules tous les responsables répondant aux impératifs de l’Eglise de demain, trouverons-nous d’autres structures de formations ou répéterons-nous le vieux crédo : « C’est ainsi que nous l’avons toujours fait » ?


NOTES

1. Ceci est évident dans les écrits de Yorke Allen Jr.. A Seminary Survey (New York : Harper & Brothers Publishers. 1960), et aussi dans Wildred Scopes, ed. The Christian Ministry in Latin America and the Caribbean (New York : Commission of World Mission and Evangelism, World Council of Churches, 1962).

2. Ceci a été précisé de cette manière, par James H. Emery, lors de la réunion annuelle de l’Association des Ecoles Théologiques d’Amérique Latine -Région du Nord, à Managua, Nicaragua, en Janvier 1969.

3. H. Richard Niebuhr et Daniel D. Williams, et.a. The Ministry in Historical Perspective (New York : Harper & Row, Publishers, 1956), pp. 183-184.

4. Robert L. Kelley, Theological Education in America (New York : Charles H. Doran Company. 1924). pp.23-24.

5. Ralph D. Winter, «An Extension Seminary Manual», Theological Education by Extension, p.386.

6. Christopher Jencks et David Reisman, The Academic Revolution (New York : Doubleday & Company. Inc. 1968), p.208

7. Winter, op. cit. p.409

8. Niebuhur et Williams, op. cit. p.240

9. Ibid

10. Ibid, p.313. Cité dans une note.

11. John Dillenberger et Claude Welch, Protestant Christianity Interpreted through its Developement (New York : Charles Scribner’s Sons, 1954), p. 148

12. Christian La Vive d’Epinay, « The Training of Pastors and Theological Education : The Case of Chili ». The International Review of Missions LVI (1967), p.191

13. «Desproporcion Medica», Prensa Libre, Guatemala, le 11 Février, 1972, p.14

14. The Case for Voluntary Clergy, contenant plus de 300 pages, et très rare, a été édité en 1930. Il incorporait, en forme révisé, le contenu de deux livres précédents, Voluntary Clergy, et Volontary Clergy Overseas. La sélection sur laquelle je base ma thèse se trouve dans le livre édité par David M. Paton, The Ministry of the Spirit : Selected Writings of Roland Allen (Grand Rapids : William B. Eerdmans, 1960), et consiste en une sélection de citations des chapitres 1-3, 5-7, 10, 11, 13, 15, 18 et 22, de l’oeuvre originale.

15. David M. Paton, ed. The Ministry of the Spirit : Selected Writings of Roland Allen, p. 137.

16. ibid.

17. ibid.

18. ibid. p.139

19. ibid, pp. 139-140.

20. ibid, p.140

21. ibid.

22. ibid.

23. ibid, p.143

24. ibid. p. 144

25. J. Herbert Kane, «Why we are here», The CAMEO Workshop. Cette publication est incorporée dans une collection édité par Ralph D. Winter, Theological Education by Extension, p.265.

26. Thomas J. Liggett, Where Tomorrow Struggles to Be Born : The Americas in Transition (New York : Friendship Press, 1970), pp. 50-60. Cf. W. R. Reed, Victor M. Monterroso et Harmon A. Johnson, Latin American Church Growth (Grand Rapids : William B. Eerdmans, 1969).

27. Ralph D. Winter, «New Winds Blowing», Church Growth Bulletin III (July 1967) p.271.

28. Ibid.

29. Ibid, p.242

30. James F. Hopewell, «Mission and Seminary Structures», The International Review of Missions LVI (1967)

31. James F. Hopewell, «Preparing the Candidate for Mission», Theological Education by Extension, p.32.

32. James F. Hopewell, «Training a Tent-Making Ministry in Latin America», International Review of Missions LV (1966). p.333.

33. James F. Hopewell, «Preparing the Candidate for Mission», Theological Education by Extension, p.45.

34. Emery, op.cit p.222.

35. Samuel F. Rosen, The Resident Extension Seminary : A Seminary Program for the Dominican Republic (Miami : West Indies Mission, 1967), p. 12

36. Ibid. p.8

37. Ibid, p. 9

38. Ibid

39. James F. Hopewell, «Preparing the Candidates for Mission», Theological Education by Extension, p.44

40. Ibid.

41. Anonyme, «Extension Theological Training in Mexico», Theological Education Newsletter (Juin, 1970), p.2

42. Emery, op.cit.

43. Rowan, op.cit.

44. Estela de Horning. «Haciendo un Pastorado Adecuado para las Iglesias en El Ecuador», traduit par l’auteur d’une feuille polycopiée.

45. Rowan, po.cit. p. 11

46. Herbert Schaal, «September 1970 Revision of the Fact Sheet on Our Argentina Mission», Lettre circulaire non publiée.

47. Rowen, op.cit.

48. Melvin L. Hodges, On the Mission Field : The Indigenous Church (Chicago : Moody Press, 1953)

49. Ibid. p.50

50. Ibid.

51. Emery, op.cit. p.225

52. Hopewell, «Preparing the Candidate for Mission», Theological Education by Extension, pp. 46-47.

53. Ibid, p.42

54. Rowen, op.cit.