De la liberté religieuse proclamée à une liberté religieuse contrôlée – Par Nancy Lefèvre

Notre foi chrétienne accorde une place importante à l’annonce de l’Évangile. Dans le cadre d’une laïcité souvent mal appliquée dans notre pays mais aussi devant la montée des préoccupations religieuses dans l’actualité internationale notamment, il est opportun de s’interroger sur le cadre juridique français du prosélytisme. Certes le terme de «prosélytisme» revêt souvent aujourd’hui un caractère péjoratif. Les termes de propagande, colportage, endoctrinement, manipulation mentale… y sont associés, quand il s’agirait pour les chrétiens de « témoignage, d’évangélisation, de mission…». Nancy Lefèvre, juriste de la commission juridique mixte FEF/ADD reprend ici certains éléments de son intervention au Centre Évangélique 2008 à Lognes.

Donnons une définition neutre: le prosélytisme1 consiste à faire connaître sa pensée ou ses convictions, pour convaincre autrui de leur bien fondé et obtenir son adhésion. Dans le domaine religieux, il vise la conversion religieuse d’autrui2 .

Ainsi le prosélytisme religieux consiste-t-il en la manifestation et la propagation des croyances, vers les non croyants. Il peut être direct (discussions, enseignement, porte à porte, publication, distribution de tracts, utilisation des médias…) et indirect (comportement, port d’un signe, proposition de services sociaux, relation d’aide, soutien psychologique, aide humanitaire) ou plus personnel via la générosité, l’écoute, la disponibilité, le choix d’une éthique de vie… Il se caractérise par l’intention du croyant de convaincre autrui de modifier ses convictions pour se rallier aux siennes.

Comment le droit français appréhende-t-il le prosélytisme? Existe-t-il un droit à «évangéliser » ?

Il n’y a pas de référence expresse au «prosélytisme» dans nos textes juridiques. Le prosélytisme religieux est une facette de la religion, dans sa manifestation extérieure. Il s’apprécie sous l’angle de la liberté de religion et d’expression. Nous traiterons ici de l’aspect spécifique lié à la liberté religieuse. Le prosélytisme sera envisagé premièrement sous l’angle de la liberté religieuse, proclamée mais aussi limitée dans sa manifestation extérieure. Dans notre contexte de laïcité à la française, nous évoquerons ensuite les limites posées au prosélytisme dans différentes sphères de la vie: famille, vie professionnelle, service public, école. Nous nous intéresserons enfin à la question du «prosélytisme collectif ». Nous constaterons que d’une liberté proclamée, le prosélytisme se voit, sous le prisme de la laïcité, devenir une liberté contrôlée.

1. PROSÉLYTISME RELIGIEUX : DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE PROCLAMÉE

11. UNE LIBERTÉ RECONNUE MAIS RELATIVE

111. La liberté de religion est reconnue par de nombreuses sources du droit, notamment:

− internationales : Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, 10/12/1948 (art.18) ; Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 23/03/1976 (art.18) ; Convention internationale des droits de l’enfant, 20/11/1989 (art.14).

− européennes : Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, 4/11/1950 (CEDH3 ), (art. 9).

− communautaires : Charte européenne des droits de l’Homme, (art.104 ).

− constitutionnelles : Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, 26/08/1789 (art. 10), Constitution Française, 4/10/1958 (art. 1).

− législatives : Loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des églises et de l’état (art. 1).

− jurisprudentielles : Cour Européenne des Droits de l’Homme, Cour de Cassation, Conseil d’État…

Elle est conçue par tous ces textes comme relative, lorsqu’il s’agit de la manifestation de la religion. À cet égard, l’alinéa 2 de l’article 9 de la CEDH est représentatif:

CEDH Article 9 – Liberté de pensée, de conscience et de religion:

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

112. Selon ces textes fondateurs, la liberté religieuse dans sa manifestation extérieure peut souffrir des limites pour respecter d’autres intérêts. S’agissant du prosélytisme religieux, il y a trois intérêts en présence :

− intérêt du croyant « source» : le croyant veut se voir garantir la liberté de manifester sa croyance, pour pouvoir la propager. C’est la liberté religieuse dans le for extérieur.

− intérêt de la personne cible : le droit de croire ou de ne pas croire, librement. C’est la liberté religieuse dans le for intérieur. Elle est définie dans les textes comme absolue. La liberté intérieure doit être protégée contre toute tentative de violation du for intérieur : ainsi contraindre un individu à abjurer sa foi ou à adhérer à une religion ou convictions est un acte condamnable, que ce soit par l’usage de la force, de la menace, par l’endoctrinement ou la sanction pénale ou par tout autre procédé.

− intérêts de l’état, dans son rôle de maintien de l’ordre public et de la paix religieuse, du possible exercice des droits de chaque individu… Notons que l’état n’est autorisé à restreindre la manifestation de la croyance qu’à plusieurs conditions, selon les textes (notamment l’article 9 de la CEDH) :

− la restriction doit être prévue par la loi

− la mesure doit être nécessaire dans une société démocratique

− elle doit poursuivre des buts précisément énoncés : sécurité publique, la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou protection des droits et libertés d’autrui.

− la mesure doit être proportionnée au but visé.

L’état ne peut donc imposer de contraintes à sa guise, sans lui-même tomber dans l’illégalité.

Ainsi la manifestation de la religion du croyant par le prosélytisme souffre la double limite du respect des libertés de la personne cible et des contraintes de l’État. Suivant l’intérêt favorisé et le contexte, le périmètre autorisé du prosélytisme sera différent. Les équilibres sont relativement complexes dans ce triangle «croyant, personne cible, État ».

À l’heure actuelle, c’est la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui fournit un premier guide en la matière.

12. LE DROIT DE PROPAGER SES CROYANCES ET LE PROSÉLYTISME ABUSIF

La jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme apporte une bonne nouvelle: il existe un «droit d’essayer de convaincre son prochain». Mais aussi une moins bonne: la notion floue de «prosélytisme abusif ».

121. « Le droit d’essayer de convaincre son prochain»

Dans un arrêt Kokkinakis c/ Grèce en 19935 , la Cour a considéré le prosélytisme comme une activité protégée par la liberté religieuse.

En l’espèce, il s’agissait d’un témoin de Jéhovah qui avait fait du porte à porte pour témoigner de ses convictions. Interpellé et condamné en application de la loi grecque contre le prosélytisme, il osa remettre en cause la légalité de la loi grecque en portant un recours contre l’État grec devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, sur le fondement de l’article 9. La Cour estima que la loi grecque contre le prosélytisme ne violait pas l’article 9 mais que son application, en l’espèce, était disproportionnée car les juridictions grecques n’avaient pas relevé en quoi les actes de M. Kokkinakis pouvaient être qualifiés d’abusifs. La Cour condamna donc la Grèce pour violation de la liberté de religion de M. Kokkinakis.

Pour la première fois est reconnu au sein de la liberté religieuse un «droit d’essayer de convaincre son prochain». La Cour établit que: «aux termes de l’article 9, la liberté de manifester sa religion ne s’exerce pas uniquement de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi: on peut s’en prévaloir individuellement et en privé; en outre elle comporte en principe le droit d’essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d’un enseignement, sans quoi du reste la liberté de changer de religion ou de conviction… risquerait de demeurer lettre morte. »

Selon la Cour, le prosélytisme religieux n’est pas fautif en soi. Il est même protégé au titre de la liberté religieuse, en tant que manifestation de la croyance. Il n’est condamnable que s’il est abusif.

122. La notion de prosélytisme abusif

Dans l’arrêt Kokkinakis, la Cour, en posant la notion de «prosélytisme abusif », introduit deux écueils :

– Emprunte de culture chrétienne, elle distinguait en 1993 le témoignage chrétien du prosélytisme abusif. Elle se départit ensuite de cette approche chrétienne mais manqua de définir objectivement la notion. Elle laissa le soin aux États membres et à leurs juridictions d’apprécier in concreto le prosélytisme abusif.

– La Cour concevait le prosélytisme abusif comme une «activité offrant des avantages matériels ou sociaux en vue d’obtenir des rattachements à une Église ou exerçant une pression abusive sur des personnes en situation de faiblesse ou de besoin. » Elle met ainsi en péril bien des activités sociales, humanitaires, de bienfaisance organisées par des mouvements religieux.

Pour cerner la notion, la doctrine suggère pourtant de retenir 5 indices :

1. nature de l’acte de prosélytisme: est-il offensif de la personne cible ?

2. lieu: Le récepteur est il captif ou libre d’aller et venir ? est-il venu de lui-même ou s’est-on imposé à lui (domicile, chambre d’hôpital, au travail…) ?

3. relation entre la source et la personne cible: Y a-t-il un rapport de force, hiérarchique, d’autorité ?

4. personne cible: est-elle vulnérable physiquement, psychologiquement, intellectuellement ?

5. la capacité à quitter le mouvement religieux

Comme le droit français intègre la Convention Européenne des Droits de l’Homme et la jurisprudence de la Cour, il existe bien un droit au prosélytisme. Mais les limites prévues par la loi y sont nombreuses.

2. À LA LIBERTÉ RELIGIEUSE CONTRÔLÉE

21. PROSÉLYTISME RELIGIEUX ET LAÏCITÉ

Saluons l’absence de loi spéciale concernant le prosélytisme en France. Les États qui ont adopté de telles lois tentent ainsi de garder un pouvoir sur le domaine religieux. L’absence de législation spécifique relève d’une conception où l’individu est responsable, capable de débattre et de prendre des décisions autonomes. Le débat religieux et donc le prosélytisme sont nécessaires au pluralisme et à l’existence réelle de la liberté religieuse. Si les abus sont réprimés, c’est sous l’angle des infractions au droit commun.

La notion de prosélytisme abusif se retrouve à travers deux dispositions législatives particulières qui répriment la manière dont le consentement d’une personne a pu être vicié dans le domaine des croyances. Elle ne désigne donc pas le simple fait de propager ses croyances. L’article 31 de la loi du 9 décembre 1905 sanctionne d’une peine d’amende ceux qui, soit «par voies de fait, violences ou menaces contre un individu, soit en lui faisant craindre de perdre son emploi ou d’exposer à un dommage sa personne, sa famille ou sa fortune, l’auront déterminé à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte, à faire partie ou à cesser de faire partie d’une association cultuelle, à contribuer ou à s’abstenir de contribuer aux frais d’un culte. ». La loi du 12 juin 2005 tend à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. Elle condamne les pressions graves ou réitérées portées à la conscience d’autrui6 et créée un délit d’abus frauduleux de l’état d’ignorance ou de la situation de faiblesse.

En France, le principe constitutionnel de laïcité limite sévèrement l’activité de prosélytisme. Au-delà de la notion de prosélytisme abusif, le prosélytisme est un acte interdit, en tant que tel, dans certains domaines liés à la puissance publique. On constate que cette restriction tend à se répandre.

22. LE PROSÉLYTISME CONTRÔLÉ7

221. La famille

Lors de divorce ou de conflit autour de l’autorité parentale, le prosélytisme d’un époux ou d’un parent peut être avancé comme un élément à charge par l’autre. Généralement, les juges judiciaires ne condamnent pas a priori les actes de prosélytisme mais évaluent leurs incidences sur la vie conjugale et familiale. Si des excès ou des négligences graves au foyer ou auprès des enfants sont constatés, ces excès pourront être imputés à faute de l’époux ou du parent concerné.

S’agissant de la transmission des croyances des parents aux enfants :

– Rappelons que le choix de la religion de l’enfant est une prérogative de l’autorité parentale (art 371-1 Code Civil).

– Selon la Convention Européenne, les parents sont libres de donner à l’enfant mineur l’éducation religieuse de leur choix et de dispenser un enseignement conforme à leurs convictions.

– Néanmoins, l’enfant dispose également de la liberté de religion au terme de la Convention internationale des droits de l’enfant et les parents ne disposent eux que d’un droit de guider le mineur pour l’exercice de sa liberté.

– La liberté de religion de l’enfant doit donc être respectée mais jusqu’à sa majorité, cette liberté s’exerce sous le contrôle de l’autorité parentale.

– L’enfant doit être protégé du prosélytisme abusif, même au sein de la famille. Les tribunaux sont parfois sévères contre le parent immodéré dans la pratique de sa religion et prennent des précautions pour lutter contre un prosélytisme parfois excessif, pouvant entraîner un traumatisme sur l’enfant.

– C’est l’intérêt de l’enfant qui préoccupera les juges, au-delà de la liberté de religion des parents. Au nom de l’intérêt de l’enfant, le parent peut ainsi se voir interdire d’emmener avec lui ses enfants dans ses activités religieuses, et particulièrement lorsqu’il fait du prosélytisme accompagné de ses enfants.

Ainsi la propagation de la croyance au sein du couple, de la famille doit-elle aussi être respectueuse de la liberté de chacun. Le prosélytisme « familial » peut être limité par les juges en cas de danger pour la liberté des membres visés, s’il constitue un abus d’autorité ou de pouvoir et s’il contrevient à l’intérêt de l’enfant.

222. L’entreprise privée

Dans l’entreprise privée, la liberté religieuse, dans sa manifestation externe est relativement restreinte. Si les salariés disposent de la liberté de religion et d’expression, l’employeur peut la restreindre dans les limites posées par l’article L. 120-2 du Code du Travail (restrictions justifiées par la nature de la tâche et proportionnée au but recherché). Ainsi l’employeur ne peut interdire dans le règlement intérieur, les simples discussions religieuses.

Les rares cas de jurisprudence concernant le prosélytisme sont marquants. Il en découle que le prosélytisme au sein de l’entreprise peut être considéré comme un acte fautif par l’employeur et justifier un licenciement et ce, que le prosélytisme soit abusif ou non.

Du côté de l’employeur, en dehors des entreprises de tendance (où est affichée et recherchée l’adhésion à une croyance), le prosélytisme peut être fautif. Du fait du lien de subordination entre l’employeur et le salarié, l’employeur se doit à une certaine réserve, ses actes de prosélytisme pouvant facilement être qualifiés d’abusifs.

Dans la sphère contractuelle, le prosélytisme religieux est par principe exclu. Il ne peut être admis que s’il est expressément prévu au contrat.

Le témoignage peut se faire en dehors des rapports professionnels, dans le plus grand respect de la liberté de l’autre, de préférence sur sa demande.

223. Le service public

La jurisprudence administrative précise que: « le principe de liberté de conscience… bénéficie à tous les agents publics », toutefois « le principe de laïcité de la République… qui a pour corollaire le principe de neutralité des services publics, fait obstacle à ce que les agents publics disposent, dans le cadre du service public, du droit de manifester leurs croyances religieuses ».

Il n’existe pas de droit de manifester ses croyances religieuses dans le service public, donc aucune place au prosélytisme. Les agents publics de l’éducation nationale, des forces de l’ordre, de l’armée françaises, des hôpitaux publics, du système pénitencier, de la justice, le personnel administratif… mais aussi les élus, les officiers d’état civil doivent s’interdire tout acte de prosélytisme, sous peine d’atteinte à leur devoir de neutralité. En principe tout signe d’appartenance religieuse leur est interdit car il est considéré comme un acte de prosélytisme silencieux.

Dans les hôpitaux publics, le prosélytisme est interdit, qu’il émane d’un patient, d’un visiteur, d’une personne bénévole ou du personnel8 .

Les usagers ne peuvent se livrer au prosélytisme au sein des services publics9.

Si un service «public» des aumôneries est prévu par la loi française pour permettre l’exercice de la liberté de culte dans les prisons, les collèges et les lycées, les hôpitaux, les armées, l’aumônier est responsable de permettre l’exercice du culte pour les personnes se réclamant elles-mêmes de sa confession ou sollicitant ses services. Le prosélytisme n’entre pas dans sa mission.

Le cas de l’éducation nationale et des universités

La laïcité de l’enseignement public10 impose le respect de la neutralité religieuse par les programmes scolaires et par les enseignants, ainsi que le respect de la liberté de conscience des élèves11. Cela implique l’interdiction de tout prosélytisme en classe et dans l’enceinte de l’école par les enseignants, le personnel encadrant mais aussi l’absence de discrimination religieuse dans le discours ou le traitement des élèves.

Les enseignants sont soumis au devoir de réserve des agents publics, qui exige la neutralité de leurs tenues vestimentaires et l’absence de tout signe marquant une appartenance religieuse.

Pour les élèves, l’avis du Conseil d’État de 1989 mentionne que la « liberté (de conscience) ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité»12. Mais si l’élève peut ainsi manifester sa religion, il ne peut pas faire de prosélytisme.

Depuis la loi du 15 mars 200414, l’interdiction des signes religieux a été généralisée. En effet, si l’élève ne peut faire de prosélytisme «actif », il ne peut faire de prosélytisme silencieux par le port d’un signe religieux ou d’une tenue vestimentaire spécifique.

L’université n’est pas visée par le dispositif sur les signes religieux de la loi de 2004: le port des signes religieux par les étudiants est toléré, sous réserve qu’il ne trouble pas l’ordre public (un masque qui ne permettrait pas l’identification de l’étudiant serait interdit.) Le Code de l’éducation pose également le principe de laïcité, de neutralité de l’université15 et de respect de la diversité des opinions. Il prévoit que des locaux puissent être mis à la disposition des étudiants pour l’exercice de leur liberté d’information et d’expression (art. 811-1 du Code de l’éducation) et ce, par les CROUS.

Sur la liberté de culte, une jurisprudence du Conseil d’état (6/05/2008) fait état, pour les CROUS de la nécessité de prendre en compte la liberté de culte des étudiants, et le cas échéant de leur fournir les moyens de l’exercer. L’université se veut être un lieu de débat mais dans les faits, sur les questions religieuses, la laïcité y fait souvent obstacle. Les instances universitaires distinguent très subjectivement la libre expression du prosélytisme religieux.

224. Les activités collectives de prosélytisme

La liberté religieuse peut s’exercer collectivement, sachant que:

– Ce qui est interdit à l’individu l’est aussi au groupe. Ainsi seraient interdites des activités de prosélytisme d’un groupe d’élèves à l’école, d’un groupe de salariés au sein de l’entreprise, d’un groupe d’agents publics en service…

– La notion de prosélytisme abusif concerne aussi les groupes. Il convient donc de bien penser aux moyens utilisés pour propager la croyance, au lieu choisi, aux personnes visées, à leur éventuelle vulnérabilité, au plus grand respect de leur liberté de religion et de conscience.

– Pour toute activité de prosélytisme sur la voie publique, il convient de s’assurer du respect des conditions légales et de l’ordre public.

On peut déplorer qu’en France, le prosélytisme est une liberté sous contrôle, traquée par la laïcité qui veut parquer les croyances religieuses dans la sphère purement privée. Cette laïcité à la Française laisse peu de place au débat dans les sphères publiques pour s’accommoder d’une neutralité molle, favorisant le statu quo, gommant les différences plutôt que d’en faire la richesse du pluralisme. Mais grâce à la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, on peut affirmer l’existence d’un droit au prosélytisme, celui-ci étant une manifestation protégée par la liberté religieuse. Le chrétien, comme tout croyant a le «droit d’essayer de convaincre autrui ». Mais il ne doit pas abuser de ce droit au risque de tomber dans un prosélytisme abusif, irrespectueux de la liberté de conscience d’autrui.

Nancy Lefèvre


NOTES

1 Prosélyte est un mot d’origine grecque qui signifie «nouveau venu» dans le pays. Par extension, il a été utilisé pour décrire les païens convertis au judaïsme, «nouveaux venus » au sein du peuple de Dieu.

2 Définition tirée de «Le prosélytisme au regard du droit: une liberté sous contrôle», Vincente Fortier, Centre Interdisciplinaire d’étude du religieux. Les Cahiers n°3.

3 CEDH: Convention Européenne des Droits de l’Homme. Cette convention ainsi que la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme font partie de l’ordre juridique de la France. Le juge français est tenu d’appliquer la convention et de suivre la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

4 Dont le statut juridique est incertain.

5 Cette jurisprudence a été confirmée par la suite, notamment dans l’affaire Larissis c/Grèce en 1998.

6 Art. 223-15-2 Code Pénal.

7 C’est un tableau synthétique qui est brossé ici à l’aide de la jurisprudence française.

8 Circulaire DHOS/P1 no 2006-538 du 20 décembre 2006 relative aux aumôniers des établissements mentionnés à l’article 2 de la loi no 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

9 Le port du signe religieux par les usagers est toléré.

10 L’enseignement privé n’est pas lié par la neutralité religieuse.

11 Code de l’éducation, article L. 511-1 et suivants.

12 Article 511-2, Code de l’éducation.

13 Rapport du Conseil d’état de 2004, un siècle de laïcité.

14 Article L141-5-1, Code de l’éducation.

15 «Article L.141-6: «Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. »