Lors de l’assemblée plénière du CNEF, le 28 mai 2013 à Nogent-sur-Marne, Etienne Lhermenault a dressé un bilan des trois années d’existence du CNEF depuis sa création en 2010. Nous en publions les principaux extraits.
En cette fin de premier mandat du comité représentatif, je vous propose de jeter un coup d’œil en arrière, moins pour faire l’inventaire du travail accompli que pour mesurer le chemin parcouru. En effet, au-delà des actions menées, il y a des relations nouées, une confiance engagée, un état d’esprit développé, des difficultés surmontées, bref une histoire commune qui se construit.
Et je voudrais rappeler que l’histoire du CNEF n’a pas commencé en juin 2010 avec sa constitution, mais à la fin des années 1990 avec le rapprochement des instances de l’AEF et de la FEF. Si vous me permettez d’avoir recours à l’image de la construction, les dix à quinze ans qui ont précédé la constitution officielle du CNEF ont vu la recherche d’un terrain… d’entente, l’élaboration de plans de construction et le creusement des fondations. Le privilège de cette période préparatoire, c’est qu’au bénéfice de l’action du Saint-Esprit nous avons pu établir ce projet de construction sur de solides bases par l’échange de pardons et la mise en route de réconciliations.
L’assemblée constitutive, tenue il y a bientôt trois ans, a permis de couler les fondations. Et depuis lors, nous construisons lentement mais sûrement l’édifice appelé à rendre plus visible et plus lisible le protestantisme évangélique auquel nous nous référons. Voici un bref état des lieux de la construction.
1. DE NOUVELLES RELATIONS
La première réalité du CNEF à la fois dans l’histoire de sa mise en place au niveau national et dans l’actualité de son organisation au niveau local, ce sont les relations nouvelles qui se tissent entre nos unions d’Églises, nos Églises locales et nos œuvres. À ceux qui sont tentés de ne voir que le verre à moitié vide et qui s’émeuvent des difficultés, réelles, rencontrées sur le terrain, j’aimerais faire valoir deux choses :
• La réconciliation qui suit les échanges de pardon est un processus qui s’inscrit dans la durée. C’est pourquoi, si vous avez été attentifs, j’ai parlé non de réconciliations avant 2010 mais de mise en route de réconciliations. En effet, on ne passe pas en un instant de l’indifférence, la méfiance et autres jugements à une collaboration joyeuse sans prendre d’abord le temps de se connaître pour se comprendre et de s’apprécier. Pour le dire autrement, si l’unité en Christ nous est donnée, la confiance mutuelle qui est appelée à l’accompagner ne se décrète pas, elle se construit patiemment et a besoin qu’un esprit d’ouverture se manifeste et des gages de sérieux soient donnés pour s’installer.
• La distance à couvrir pour entrer dans de nouvelles relations a été objectivement longue entre certaines de nos familles. Souvenons-nous que les convictions pentecôtistes et charismatiques ont divisé le milieu évangélique pendant des décennies. Que les questions eschatologiques ont fait à une époque, heureusement révolue, des ravages. Que l’ouverture œcuménique reste toujours une question délicate entre nous. Et que je ne sais quel qualificatif utiliser pour évoquer la question du ministère pastoral féminin. En d’autres termes, nous revenons de loin et même, nous n’avons pas fini de revenir ! Mais une chose a profondément changé : nous avons posé les bases d’un vrai dialogue qui permet, non d’uniformiser nos convictions, mais de les assumer plus sereinement et de nous respecter mutuellement.
Alors à ceux qui disent qu’il reste encore beaucoup à faire, je réponds trois fois oui. […]
2. UNE SOLIDARITÉ FINANCIÈRE
La deuxième réalité qui forge notre destin commun, ce sont les finances que nous avons acceptés de mobiliser pour accomplir les missions communes que nous nous sommes données. Le chiffre global est à la fois modeste et significatif. Modeste, parce qu’un budget de 200 000 € eu égard à ce que nous voulons faire d’une part et au nombre que nous sommes d’autre part, c’est assez peu. Nous rémunérons 5 permanents pour un total de 3,2 «Equivalent Temps Plein» et ils assurent, certes avec l’aide de bénévoles, un nombre grandissant de services et de missions. […] Budget modeste, disais-je, mais aussi significatif si l’on considère que mobiliser 2 €/personne adulte fréquentant régulièrement le culte n’est pas indolore pour les communautés locales. Et ce d’autant moins que certaines d’entre elles ne sont pas ou sont peu habituées à contribuer à un budget national. Ce qui veut dire que le CNEF, par la solidarité financière qu’il induit, est en train de modifier durablement les habitudes de notre milieu évangélique. […].
3. UNE PAROLE PUBLIQUE COMMUNE
La troisième réalité qui façonne l’image que nous renvoyons à l’extérieur, mais aussi celle que nous nous faisons de nous-mêmes, c’est la prise de parole publique de vos représentants au nom du CNEF. L’exercice recèle plusieurs difficultés :
• le choix du sujet abordé, donc le renoncement à d’autres puisque nous ne pouvons ni ne voulons parler sur tous les sujets. Certains se sont par exemple émus que nous n’ayons rien dit sur l’élection du pape François. Mais que pouvions-nous dire d’utile et pertinent sur un homme que nous ne connaissions pas ? Et fallait-il que nous nous ingérions ainsi dans les affaires d’une Église, certes chrétienne, mais qui a une logique bien différente des nôtres ?
• la formulation du communiqué pour que les choses soient dites de façon juste et respectueuse, tout en ayant un certain écho médiatique. L’équilibre est difficile à trouver sachant que nous ne voulons pas faire parler de nous à tout prix.
• le degré d’identification de notre public à ce que nous essayons d’exprimer. Attentifs à ce qui se vit et se dit dans notre milieu comme à l’actualité, la cellule de communication s’efforce d’être authentiquement «évangélique» dans ses prises de parole. Quant à savoir si elle y réussit, c’est une autre affaire. Chaque communiqué vaut au CNEF des interpellations plus ou moins fraternelles, mais je pense que c’est la loi du genre.
• Enfin, l’usage qu’en feront les médias n’est pas la moindre des difficultés. Et même si notre directeur de la communication, Thierry Le Gall, fait un excellent travail, nous ne pouvons jamais savoir à l’avance ce qui sera fait de notre parole. Jusqu’ici, nous n’avons globalement pas à nous plaindre, mais je gage que, dans un climat de plus en plus idéologique sur les questions de mariage, de sexualité, de parenté, de filiation, d’éducation et de fin de vie, notre parole sera l’objet d’un traitement orienté et parfois hostile.
Comme vous l’avez remarqué, deux éléments sur les quatre mentionnés échappent en réalité à notre contrôle, ce qui fait que toute entreprise de communication à l’heure de l’hypermédiatisation court le risque d’échapper au moins pour partie à ceux qui la mènent. Cela doit nous conduire à allier volonté et humilité en la matière. Volonté pour oser parler des choses importantes, même quand elles fâchent. Humilité pour éviter de croire qu’il suffit de parler pour être entendu et plus encore pour être compris. Au fond, nous contribuons par ce moyen à une image que nous espérons plus fidèle et plus juste de ce que nous sommes et de ce que nous croyons.
Ici, je voudrais vous faire part d’une préoccupation à l’égard des discours musclés et un rien triomphalistes qui agitent la blogosphère évangélique. Aux yeux de certains, les évangéliques devraient transformer leur nombre en force politique pour promouvoir des valeurs chrétiennes et ainsi freiner la corruption du péché. La rhétorique est séduisante et, à certains égards, compréhensible. Mais elle est aussi dangereuse. C’est ignorer que, dans l’histoire, le mélange Église et pouvoir n’a jamais fait bon ménage et s’est toujours fait au détriment de l’Évangile. C’est aussi oublier un peu vite ce que nos Églises doivent de liberté d’association et de culte à la séparation entre Église et État. C’est enfin risquer de passer à côté de notre mission essentielle qui est de faire des disciples du Christ en annonçant la Bonne Nouvelle et non de recruter les partisans d’une majorité morale en développant un programme socio-politique. Pour préciser encore, si je crois à la nécessité d’une parole prophétique des Églises dans une société qui se perd, je ne crois pas à la légitimité d’un engagement politique partisan. Veillons à garder, frères et sœurs, notre liberté de parole à l’égard de tous les pouvoirs pour ne nous soumettre qu’à celui du Seigneur !
4. UN PROJET GLOBAL D’ÉVANGÉLISATION
La quatrième réalité qui donne du sens à notre aventure, c’est notre commune volonté d’évangéliser en implantant des Églises capables de se multiplier elles-mêmes. La tâche est primordiale, le champ d’action est immense et la cause vaut tous les sacrifices. Tout professeur de théologie que je suis, c’est l’annonce concrète de l’Évangile qui me fait vibrer parce que cette proclamation est le moyen choisi par le Saint-Esprit pour faire son chemin dans les cœurs et toucher les personnes à salut. Comme le dit fort pertinemment Jacques Buchhold, doyen de la FLTE, «il n’est pas de saine théologie évangélique qui ne brûle pour l’annonce de l’Évangile car le salut ne se trouve en aucun autre que Jésus-Christ de Nazareth (Ac 4.10, 12)»1. […]
Relations nouvelles, solidarité financière, parole publique commune et projet global d’évangélisation ne sont pas le tout de la construction du CNEF. On pourrait sans peine y ajouter la représentation auprès des autorités, les relations avec les autres chrétiens, les projets de convention et d’événement pour la jeunesse… Mais j’ai choisi de m’en tenir aux quatre piliers porteurs de notre maison commune. Reste à monter les murs en veillant à mettre portes et fenêtres aux bons endroits et à réaliser l’aménagement intérieur, autant dire des années de travail.
Je voudrais, en guise de conclusion, vous laisser trois mots d’ordre pour nous tourner vers l’avenir :
⇒ Soyons audacieux
Il a fallu de l’audace pour imaginer et lancer la construction du CNEF. Il en faut pour poursuivre sa construction. Les effets de la crise, les tentations identitaires et l’inertie institutionnelle pourraient facilement nous ralentir. Secouons ces jougs pour rester mobilisés et volontaires. Curieusement ou significativement, c’est souvent en temps de crise que l’œuvre du Seigneur a progressé.
⇒ Visons juste
Ne confondons toutefois pas audace et «gourmandise». Nous ne pouvons, et même ne devons pas tout faire. Nous ne voulons pas prendre la place des Églises et des œuvres, mais leur apporter un supplément de compétences et de dynamisme pour qu’elles remplissent leur mission avec joie et efficacité. Nous ne parlerons pas sur tout, nous n’implanterons jamais d’Églises locales et nous ne comptons pas multiplier les permanents et les services. Non, nous voulons surtout viser juste avec votre aide et, si possible, exceller dans ce que nous faisons. Pour y parvenir, il nous faudra réfléchir à un plan pluriannuel de développement sur lequel notre directeur compte bien nous faire plancher.
⇒ Restons fondés
Enfin, il faut que nous restions fondés sur le Seigneur en écoutant sa Parole et son Esprit qui nous le révèlent. Et c’est ici une responsabilité de tous. Comme l’ont énoncé les Réformateurs, l’Église doit toujours se réformer, c’est-à-dire qu’elle doit sans cesse éprouver ses traditions et ses décisions pour vérifier qu’elles sont conformes à l’Écriture. Il y a là une vigilance constante à exercer pour ne pas errer loin des prescriptions divines. Comme le disait le prophète Esaïe à un peuple d’Israël tenté par les pratiques païennes de la divination : «C’est à l’enseignement et à la parole du SEIGNEUR qu’il faut revenir. Celui qui ne dit pas cela ne verra pas la lumière du matin.» Esaïe 8.20 (PDV).
ETIENNE LHERMENAULT
NOTE
1 Jacques Buchhold, «Une Faculté pour l’Église», Fac-infos, janvier 2009, p. 2.