É. Lhermenault

Sollicité par la pastorale FEF d’Île-de-France pour parler du thème «Un ministère qui dure», Étienne Lhermenault a abordé sous différents angles la question des abandons dans le ministère. InfoFEF livre ici la deuxième partie de son intervention dans laquelle il analyse les causes d’abandon dans le ministère. La première partie consistait en une réflexion sur la notion de durée et sur l’impératif de vigilance dans le ministère. Vous la trouverez dans Les Cahiers de l’Institut Biblique de Nogent (Octobre 2009 – no 145).

 

La triste série de suicides au sein de l’entreprise France Télécom a rendu l’opinion attentive à une réalité de plus en plus préoccupante, les effets dévastateurs du stress au travail. Pour être précis, il faudrait dire « les effets dévastateurs de l’excès de stress au travail ». En effet, chacun sait que le stress n’est pas mauvais en soi, pourvu qu’il reste à un niveau supportable. C’est son excès, dans une société où les exigences de rapidité et de performance s’accroissent, qui conduit les travailleurs à l’épuisement ou pire, au désespoir. Bien que le pasteur ne soit pas un « travailleur » ordinaire et qu’il n’ait pas d’obligations de résultat, il n’échappe pas totalement au climat social. Un indice de cette solidarité avec la société globale, c’est le nombre d’abandons enregistrés ces dernières années dans le ministère pastoral. J’ai été frappé, pendant les onze années où j’ai été secrétaire général d’une union d’Églises, par les abandons fréquents et souvent affligeants du ministère pastoral. La situation est suffisamment préoccupante pour que le RESAM (Réseau de soutien au ministère) consacre sa session de mars 2010 au thème Pour un ministère qui dure… avec en sous-titre Pourquoi certains quittent-ils le ministère pastoral ? Après avoir évoqué, chiffres à l’appui, la réalité des abandons, je vous propose de réfléchir à la nécessité urgente d’une prévention en la matière.

Les abandons, une réalité préoccupante

Avant de pouvoir quantifier la réalité des abandons, je l’ai ressentie de façon intense quand j’ai vu peu à peu les rangs de ceux qui avaient partagé les mêmes bancs que moi à l’Institut Biblique se clairsemer. Cette impression, quoique moins angoissée, s’est trouvée renforcée lorsque j’ai eu des responsabilités nationales au point que j’ai fait part de mon inquiétude lors d’une intervention à la séance de clôture de l’Institut Biblique de Nogent en juin 2004 sur le thème: «Bergers, où fuyez-vous ?1 » L’invitation de la pastorale Ile-de-France de la FEF m’a conduit à tenter de cerner d’un peu plus près la réalité qui m’était facilement accessible, à savoir celle de l’union d’Églises dont j’ai été le secrétaire général de 1997 à 20082 . Le constat, c’est que les chiffres sont alarmants.

Chiffres alarmants

Mon enquête a porté sur quinze années (1994-2008) et a concerné la quasi-totalité du corps pastoral (y compris les aumôniers) de mon union, à l’exception des missionnaires étrangers dont les départs dépendaient prioritairement de décisions prises hors de France. Je suis arrivé à la conclusion qu’il y avait en moyenne 3,2 abandons par an sur un effectif pastoral moyen compris entre 120 et 140 pasteurs pendant la période considérée. Le chiffre paraît modeste en valeur absolue, mais il l’est moins si vous prenez en compte le total, 49 abandons, et il l’est encore moins quand vous pensez à la souffrance traversée par chacun de ces collègues.

Pour ce qui est des départs du ministère, j’ai pris en considération trois réalités :

– ceux qui ont abandonné le ministère pastoral: ils sont au nombre de 34 dont 5 à titre temporaire;

– ceux qui ont choisi une autre orientation (aumônerie ou travail social) faute de pouvoir poursuivre un ministère pastoral en Église locale, ce qui peut donc s’apparenter à un abandon de cette forme de ministère: ils sont au nombre de 11;

– ceux qui ont choisi de changer d’union d’Églises, généralement pour échapper à une discipline jugée trop rigide et qui ont donc abandonné une certaine conception du ministère pastoral et de l’Église: ils sont au nombre de 4.

L’autre façon d’approcher cette réalité, c’est d’en évoquer les causes. Je le fais avec une certaine subjectivité dans la mesure où, si j’ai une large connaissance du corps pastoral de l’union d’Églises dont j’ai été le secrétaire général, je n’ai pu interroger les personnes pour leur faire préciser les causes exactes de leur abandon.

Je retiens trois causes principales d’abandon ou de réorientation du ministère.

Causes des abandons

Des Églises difficiles

La première cause des échecs dans le ministère se situe dans la relation Église/pasteur très souvent conflictuelle (53 % des abandons). Ceci dit, il est assez difficile de démêler les responsabilités. Est-ce le pasteur qui, par son caractère3 , déclenche les hostilités ? ou est-ce l’Église qui, par ses exigences ou son intransigeance, génère le conflit ? En tout cas, 56 % de cette cause d’abandon relève de l’inadéquation structurelle (la personne n’est pas faite pour le ministère) ou conjoncturelle (la personne n’a pas un ministère adapté à l’Église locale dans laquelle elle se trouve) du pasteur à l’Église avec laquelle il entre en conflit. Voici deux situations typiques :

– Par crainte de se retrouver sans pasteur, une Église recrute dans la précipitation une personne qui n’a pas fait ses preuves dans le ministère et sur laquelle la commission des ministères de l’union émet des réserves. Après quelques mois de présence au sein de la communauté, des signes de dysfonctionnement apparaissent (personnes blessées par manque de tact, changements initiés au forceps qui créent la division, autoritarisme compensant le manque d’assurance…). Le plus difficile pour un responsable d’union d’Églises, c’est d’être pris en tension entre une Église locale qui a fait valoir son autonomie de façon orgueilleuse pour recruter et qui exige de façon impérieuse l’intervention de la structure nationale au motif de la solidarité!

– Un collègue présente une ou deux faiblesses de caractère (manque de souplesse, indécision) ou de fonctionnement (dispersion, changement de cap constant) qui finissent, au bout de quelques années, par user l’Église. Ce scénario se répète avec une ou deux Églises, ce qui conduit la commission des ministères à recommander au collègue de faire un travail sur soi avant de poursuivre le ministère en un troisième ou quatrième lieu. Malheureusement – et c’est le cas le plus fréquent – le collègue n’entend pas les conseils et refuse d’entrer dans cette démarche.

Parmi les conflits pasteur/Église qui aboutissent à une fin ou à une réorientation de ministère, il y a encore:

dans 23 % des cas, les évolutions personnelles en cours de ministère (échec conjugal, options théologiques) qui créent de vives tensions,

dans 23 % des cas, l’usure du pasteur qui finit par jeter l’éponge (dépression ou ras-le-bol)

et dans 7,5 %4 des cas seulement, les dérives doctrinales. Ce chiffre rejoint donc l’observation que les conflits sont moins théologiques que relationnels dans nos communautés.

Ce que j’observe, c’est que trop souvent les Églises sont impitoyables avec leur pasteur. Pour faire simple sans être trop caricatural, elles veulent payer leur pasteur à mi-temps tout en exigeant de sa part une complète disponibilité; elles font la grève des offrandes quand les orientations du pasteur leur déplaisent; et elles le mettent à la porte du jour au lendemain sans aucun égard pour sa subsistance quand il chute. Autant dire que leur conscience sociale est quasi inexistante ce qui me paraît peu cohérent avec l’Évangile qu’elles professent. Je n’ose penser ce que les membres de ces communautés diraient si leur patron les traitait avec le dixième de leur propre intransigeance.

Une pression sociale forte

La deuxième cause d’abandon ou de réorientation du ministère, dans 28,5 % des cas, est liée à la vie conjugale. Derrière ce chiffre, il y a 4 réalités distinctes : l’opposition du conjoint au ministère (env. 21 % de cette cause d’abandon), l’échec conjugal qui ne paraît pas lié à une infidélité du pasteur (env. 25 %), l’adultère hétérosexuel qui n’aboutit pas toujours à un divorce mais qui porte atteinte au ministère (env. 39 %), l’adultère homosexuel (env. 14 %).

Les questions conjugales et sexuelles sont donc génératrices d’un nombre non négligeable d’échec dans le ministère. Ce n’est certainement pas une nouveauté, mais cela témoigne d’une pression sociale forte sur nos familles.

Il y a d’une part la pression sexuelle avec un environnement qui brouille les repères et qui génère des tentations auxquelles un pasteur surinvesti dans le ministère peut céder par trop grande proximité avec une personne dont il s’occupe ou pour combler un sentiment de solitude. Dans ce domaine, les deux situations d’homosexualité avérée se sont révélées dramatiques pour la famille, pour le ministère et plus généralement pour le témoignage des Églises.

Il y a d’autre part la pression sociale qui s’exerce sur la famille qui supporte difficilement les absences du père auxquelles s’ajoute une certaine5 modicité du salaire.

Des pasteurs fragiles

La dernière cause que je voudrais faire valoir, c’est l’usure ou burnout6 qui peut engendrer la dépression. J’ai repéré ce problème dans 16 % des cas pour ce qui est de l’abandon du ministère, mais il est présent de façon récurrente chez plusieurs de ceux qui continuent à servir. Cela nous alerte sur une double réalité que nous ne prenons pas assez en compte:

– La première est quasiment aussi vieille que l’humanité, les serviteurs de Dieu ont des limites et ne peuvent les ignorer sans mettre leur vie en danger. Nous tendons à oublier ce principe simple parce que nous vivons dans une société de la performance qui exige le dépassement de soi et déteint sur les pasteurs que nous sommes, ne serait-ce que parce que nos frères et sœurs vivent sous cette pression et nous communiquent leur stress.

– La deuxième, c’est que les pasteurs sont, à l’image de la majorité de leurs contemporains, fragiles. Nous œuvrons dans une société composée de nombreux individus déstructurés par manque de repères familiaux ou en raison d’enfance ou d’itinéraire chaotique. Cela rend le travail pastoral complexe et fatigant, mais cela atteint aussi les pasteurs qui viennent pour une bonne part de milieux difficiles.

Il est évident que nous ne pouvons rester sans rien faire devant ce tableau préoccupant. Il en va de la santé des Églises et donc du témoignage. Je vous propose maintenant quelques suggestions d’actions préventives en forme de solutions.

La prévention, une nécessité urgente

Prendre soin de sa vie de famille

Si la personne du pasteur, ses qualités relationnelles sont primordiales pour le ministère, alors l’une des choses les plus importantes qu’il puisse faire pour son Église est d’aimer sa famille (pour imiter Théodore Hesburgh qui dit à propos du couple: «La chose la plus importante qu’un père puisse faire pour ses enfants est d’aimer leur mère»). J’en suis le premier convaincu dans le discours sans être pourtant très performant dans la mise en pratique. Je juge pour ma part qu’il s’agit là d’une des choses les plus difficiles dans l’exercice du ministère. Je compare volontiers cela à un exercice d’équilibriste: on ne tient debout qu’en avançant et en y mettant toute son énergie. Trois choses m’ont été d’un grand secours à titre personnel:

L’exemple d’aînés qui ont su allier heureusement vie de famille et ministère. Mon grand-père, pasteur baptiste, était de ceux-là et avait pour slogan: «Ma première paroisse, c’est ma famille! » Nous avons besoin d’exemples encourageants parmi ceux qui nous précèdent pour avancer comme nous avons besoin d’être des exemples encourageants pour ceux qui nous suivent.

L’impératif de l’Écriture d’aimer Dieu et son prochain. Ainsi, j’ai compris, dans les moments de grande tension où j’aurais volontiers sacrifié l’un à l’autre (la famille au service ou le service à la famille), que je n’avais pas à choisir l’un ou l’autre mais que j’étais «condamné» à aimer l’un et l’autre si je voulais rester fidèle au Seigneur.

L’aide de frères et sœurs qui m’ont conseillé dans ce domaine. Ce fut pour une large part mon épouse elle-même qui a su me rappeler, aux moments décisifs, l’importance de notre vie de famille. Ce peut être aussi la consultation de conseillers conjugaux, aujourd’hui nombreux et bien formés dans le monde évangélique, pour ne pas rester seuls lorsque notre couple traverse une crise.

C’est probablement dans le domaine conjugal que se situe la pointe du combat pour l’avenir du ministère dans les prochaines décennies. Je livre à votre réflexion un extrait d’un livre qui fait réfléchir sur divers aspects de la vie et du ministère7 . Ici, il montre une des difficultés de la vie conjugale pour les femmes de pasteurs :

Il y a quelques années, j’ai reçu une lettre anonyme de la femme d’un dirigeant d’Église. Elle contenait un poème. Cette femme n’a jamais su le nombre de fois où je l’ai relue et où j’ai pleuré en pensant à elle. Cela m’émeut car je suis sûr que cette femme aime son mari mais que lui n’a aucune idée de l’impact de sa vie active sur leur relation. Elle s’écrie du tréfonds de son âme:

« Je désire que mon mari sourie à nouveau.
Je veux pouvoir lui parler après le dîner.
J’aspire à ce que notre famille fasse une marche ou sorte faire des achats le samedi.
Je veux être moi – et non la femme du pasteur.
Je désire écouter les annonces à l’église et décider de ce que j’aimerais faire.
J’aspire à ce que mon mari rentre à la maison le soir et se repose au lieu de juste recharger ses batteries pour disparaître à nouveau.
Je veux toujours fêter les anniversaires et non seulement quand il n’y a pas de rencontres d’Église.
Je veux pouvoir dire ce qu’ils sont aux gens centrés sur eux-mêmes et aux propres-justes.
Je veux qu’il rentre le soir et qu’il nous parle au lieu de s’effondrer dans un fauteuil et de revivre silencieusement la visite embarrassante ou difficile qu’il vient de faire.
Je veux que les gens arrêtent de me dire comme ce doit être merveilleux d’être la femme du pasteur pour se plaindre aussitôt de ne pas avoir reçu sa visite depuis des mois.
Je voudrais que les gens qui manquent régulièrement les réunions parce qu’ils ont eu une journée chargée nous laissent occasionnellement manquer une réunion parce que nous avons eu une journée chargée.
Je souhaite qu’il vienne de temps en temps avec moi voir notre enfant nager ou jouer au football.
Je veux qu’il soit mon mari au lieu d’être leur pasteur.
Et je voudrais ne pas me sentir coupable en pensant à toutes ces choses. »
PS: Ce soir, c’est une de ces soirées où c’en est trop pour moi. J’espère que vous lirez ceci et que peut-être, vous prierez pour nous, même si vous ne nous connaissez pas

Continuer à se former

L’expérience que nous faisons à l’École Pastorale à Massy8 renforce ma conviction que l’exercice du ministère ne peut se passer d’une formation continue organisée:

– D’abord parce que l’évolution de la société nous fait rencontrer des situations de plus en plus complexes en matière de théologie pratique;

– Ensuite parce qu’elle donne l’occasion de partager avec d’autres collègues les soucis du ministère et c’est précieux. Lors de chacune des sessions de formation (il y en a 6 par an) une soirée est consacrée à un temps de partage autour de situations pastorales difficiles rencontrées au cours du ministère. Exposer ses propres interrogations, laisser interroger par d’autres sa pratique est bienfaisant. On y trouve des idées utiles, on se sent moins isolé face aux difficultés et souvent on crée des liens fraternels bénéfiques ;

– Enfin, cela oblige celui qui accepte de se former à s’arrêter et à réfléchir sur ce qu’il fait, alors même que son agenda le pousserait à foncer sans jamais prendre de recul.

Ici le monde, qui sait consacrer des moyens et du temps à la formation, devrait pour une fois nous stimuler. Si bien des professions consacrent du temps à la formation continue pour être plus performantes pour les choses qui périssent, à combien plus forte raison devons-nous continuer à nous former pour les choses qui demeurent!

Former l’Église à prendre soin de ses conducteurs

Il nous revient, il vous revient de former la communauté dont vous avez la charge à prendre soin de ses conducteurs. Si elle ne le fait pas pendant votre ministère, préparez-la au moins à le faire pour le prochain pasteur qu’elle accueillera. Après quelques années de ministère et avec l’aide de personnes qui m’ont bousculé, j’ai réalisé que ma disponibilité et mon esprit de service ne servaient pas toujours ceux qui en bénéficiaient. J’étais par exemple spontanément prêt à faire le ménage dans l’Église quand personne ne se proposait pour le faire. Mon épouse m’a alors fait remarquer que si j’agissais ainsi les membres de l’Église ne réaliserait pas qu’il y avait un service à rendre et qu’ils n’apprendraient jamais à se mobiliser pour le bien de la communauté. Acquiesçant à la pertinence de son propos, j’ai rangé (avec une certaine culpabilité) le balai que j’avais sorti et je me suis demandé comment les gens aller réagir le dimanche. Le manque de propreté des lieux a suscité la désapprobation d’une membre fidèle à qui ma femme a gentiment dit que, pour remédier au problème, il suffisait de prendre un peu de temps pour venir faire le ménage pendant la semaine. La leçon a été salutaire pour les membres qui se sont mobilisés… et pour moi qui ai pu me consacrer davantage aux aspects fondamentaux du ministère: l’enseignement, l’accompagnement et la prière. Ce n’est que plus tard que j’ai pu mettre un nom sur ce dysfonctionnement aux apparences spirituelles dans un livre écrit par une collaboratrice de mon union d’Églises, Jeanne Farmer9 :

Surfonctionner veut dire réaliser à la place des autres ce qu’ils sont censés faire pour eux-mêmes. C’est le cas de la mère poule, qui surprotège ses enfants : elle pense pour eux, se soucie pour eux et les maintient dans une dépendance et une immaturité par la même occasion. C’est un fonctionnement qui a pour moteur l’anxiété. Le sous-fonctionneur, lui, devient paralysé par l’anxiété, il en fonctionne en dessous de ses capacités. Il oublie, ou remet à plus tard quand il devrait agir sur le moment. Il est en retard, et en général il manque régulièrement à ses responsabilités. Le sur-fonctionneur prend des responsabilités à la place de l’autre, et le sous-fonctionneur n’assume pas les siennes. Cela devient un cercle vicieux. Et chacun pense qu’il est obligé d’agir comme il le fait – le sur-fonctionneur pense que s’il ne fait pas une chose elle ne sera pas faite, et le sous-fonctionneur voit que s’il ne fait rien, les choses se font quand même. Ce fonctionnement peut être relativement paisible durant un temps, mais il débouche souvent sur un conflit, parce que le sur-fonctionneur fait les choses par sentiment d’obligation, et souvent avec du ressentiment, et le sous-fonctionneur estime, à juste titre, qu’on le traite comme un enfant ou un incapable. […]

C’est un phénomène très courant que, dans l’église, les pasteurs ou les prêtres et quelques responsables surfonctionnent régulièrement, et que la plupart des membres les laissent faire. Les uns sont en surmenage, et les autres sont démobilisés parce qu’on agit à leur place. Pour rompre ce cercle vicieux, c’est d’abord au sur-fonctionneur de changer son attitude [c’est nous qui soulignons], car il est plus motivé, puisqu’il porte son stress et celui du sous-fonctionneur. […]

Comment cesser de surfonctionner ? Il y a une réponse simple et mille façons de la mettre en pratique, toutes à imaginer par l’intéressé et toutes aussi difficiles les unes que les autres. La réponse consiste à définir pour soi et vis-à-vis des autres quelles sont ses propres responsabilités et n’assumer que celles-ci. On risque alors de voir certaines choses ne plus se faire – est-ce grave? Si le ménage dans l’église n’est pas fait, que se passera-t-il ? Les visiteurs auront une moins bonne impression de l’église, d’accord. Mais est-il vraiment préférable que l’église soit propre seulement grâce à un comportement de sur-fonctionnement pastoral ?

Nous avons donc un rôle à jouer dans la préparation de l’avenir, et en particulier dans l’accueil de nos successeurs pour qu’ils puissent bien fonctionner.

Accepter d’accompagner et d’être accompagné

La dernière chose sur laquelle j’aimerais insister, c’est la question de l’accompagnement. L’expérience nous a convaincu dans notre union d’Églises qu’il fallait rompre le cercle vicieux de l’enfermement de bien des pasteurs dans une solitude qui leur est souvent préjudiciable. Cette solitude n’est pas absolue, puisque, par définition, le pasteur est un homme de relations et qu’il ne manque a priori pas d’occasions de parler et d’écouter. Pourtant, à être toujours le pasteur des autres, il manque souvent lui-même d’un pasteur, d’un confident à qui il puisse dire en toute liberté ses doutes, ses déceptions, ses tentations, son besoin de soutien et de prière… et dont il puisse, après une écoute attentive, recevoir conseils, encouragements, soutien dans l’amitié et la prière.

Après avoir tenté, en vain, d’encourager l’ensemble des pasteurs à entrer dans une démarche d’accompagnement (par réticence de la plupart des pasteurs à rompre avec leur solitude relative et par difficulté à trouver des aînés suffisamment disponibles pour assurer l’accompagnement), la commission des ministères a décidé de la rendre obligatoire pour les étudiants en théologie qu’elle soutient. Voici comment les choses se présentent (extraits d’un document intitulé «L’accompagnement des étudiants ») :

Pourquoi un accompagnement ?

La FEEBF croit utile que tout serviteur de Dieu bénéficie d’un accompagnement pour l’aider dans sa vie personnelle. Cette idée trouve une légitimité dans le fait que, dès les premiers temps de l’Église, un suivi pastoral des pasteurs se dessine dont rendent comptent certains écrits du Nouveau Testament, en particulier en ce qui concerne les relations entre Paul et quelques-uns de ses collaborateurs comme Timothée ou Tite (cf. les recommandations de l’apôtre dans les épîtres pastorales par ex. 1 Tm 4.12-16). Le but de l’accompagnement est de prévenir d’éventuelles difficultés et d’encourager la personne dans son service. […]

Nous parlons ici d’un accompagnement spirituel et fraternel tel qu’il est défini ci-dessous. De son côté, la CDM propose un suivi des études en rapport avec les bourses et les stages.

Qui peut être accompagnateur ?

– Une personne mûre dans la foi qui exerce ou a exercé un ministère pastoral dans le cadre de la FEEBF.

– Une personne prête à consacrer du temps pour la génération des futurs pasteurs et qui voit la valeur d’un tel travail.

– Une personne qui vit bien (ou a bien vécu) son propre ministère et qui a su gérer, sans garder d’amertume, des situations difficiles dans l’Église.

– Une personne qui a su prendre du recul sur ses propres expériences, tirer des leçons de ses échecs et de ses succès et sait en parler de façon équilibrée et constructive. C’est la condition d’un dialogue ouvert et d’un partage profond avec l’étudiant. Seul celui ou celle qui peut montrer ses propres cicatrices ouvre la voie au partage pour que l’autre puisse parler de ses blessures.

– Une personne qui aura fait un travail sur elle-même (type «profil de personnalité» …).

NB: La relation créée à cette occasion sera un enrichissement autant pour l’étudiant que pour l’accompagnateur.

Comment accompagner ?

– L’objectif premier est de permettre à l’étudiant de trouver un vis-à-vis qui l’écoute et qui est prêt à passer du temps avec lui.

– Concrètement, une à deux rencontres de visu sont nécessaires pour jeter les bases de la relation. À partir de là, des contacts réguliers sont nécessaires (1 à 2 fois par mois). Au cours de ces entretiens, l’accompagnateur devra:

> stimuler l’étudiant à poursuivre sa propre relation avec Dieu en lisant la Bible pour lui-même et non pas seulement pour ses études, et à avoir une vie de prière.

> poser des questions sur son ressenti, ses doutes, ses mises en question par les études, et son vécu à l’Institut Biblique ou à la Faculté de Théologie.

> Encourager l’étudiant à travailler sur lui-même quand il apparaît que tel ou tel domaine de sa vie pourrait constituer un obstacle pour son ministère futur. Le cas échéant, il recommandera à l’accompagné de mener des actions pour traiter la situation et veillera, pour son bien, à ce que cela ne reste pas lettre morte. Par contre, il n’est pas dans le rôle de l’accompagnateur de prendre des contacts en lieu et place de l’étudiant ni de rendre compte de ses difficultés à autrui.

En changeant ce qui doit l’être, ce modèle peut se mettre en place pour accompagner un pasteur en cours d’exercice du ministère. Une des règles d’or pour ce qui concerne l’accompagnement du pasteur, c’est que, en cas de conflit dans l’Église de la personne accompagnée, l’accompagnateur encourage son collègue à trouver des solutions, lui recommande d’aller en parler avec tel ou tel (union d’Églises, médiateur…) mais il s’interdit d’intervenir lui-même dans la situation.

Il est évident que l’accompagnement ne pourra trouver sa place et jouer un rôle positif que si plusieurs dans le corps pastoral montrent l’exemple en se faisant accompagner et si les aînés se rendent disponibles pour accompagner leurs jeunes collègues.

Pour conclure

J’aimerais terminer en vous parlant de plomberie. Un des anciens de l’Église dont j’avais la charge au début du ministère était plombier-chauffagiste. En parlant avec lui, j’avais appris que la relève était difficile dans son métier. Quand je m’en étais étonné, il m’avait expliqué que, pressé par le travail, beaucoup d’artisans avaient renoncé à prendre des apprentis. Le gain de temps immédiat s’était transformé à terme en une difficulté plus grande: l’absence de main d’œuvre suffisamment qualifiée pour seconder d’abord les artisans et prendre ensuite leur relève. Il ne faudrait pas que, par un même calcul immédiat, nous aboutissions au même résultat: une absence de relève par manque d’accompagnement dans l’exercice du ministère. La cause que nous défendons vaut infiniment plus que celle du bâtiment. Il faut donc impérativement revoir nos priorités et prendre du temps pour entourer ceux qui se lèvent pour servir. Aucune méthode n’éliminera tous les échecs, mais nous pouvons certainement réduire leur nombre et arrêter ce qui s’apparente à un véritable gâchis. Je suis pour ma part attentif aux essais qui sont fait pour mieux accompagner ceux qui ont reçu un appel au ministère, et ce dès avant leur formation. Je pense par exemple à la méthode mise en place au Québec par SEMBEQ (Séminaire Baptiste Évangélique du Québec) où, selon sa propre présentation, la plupart des cours sont enseignés dans une Église locale. Dans cette perspective biblique, l’Église bénéficie de ses meilleurs éléments et l’étudiant est à son tour enrichi par le concours que lui apporte son assemblée dans sa croissance devant Dieu et devant les hommes. Un programme de coaching permet d’accompagner les étudiants et, autant que je puisse en juger de l’extérieur, la qualité de la formation ne semble pas sacrifiée mais elle dure plus longtemps. Selon Gilles Lapierre, Directeur de la formation et du coaching, ce type de formation ecclésiocentrique a permis de réduire de façon importante le nombre d’abandon dans les premières années de ministère. Y aurait-il là un exemple à imiter ? En tout cas, il vaut la peine de réfléchir à tout ce qui pourrait aider les personnes appelées au service à inscrire leur ministère dans la durée.

 Étienne Lhermenault


NOTES

1 Étienne Lhermenault, «Bergers, où fuyez-vous ? », Les Cahiers de l’École Pastorale, n° 53, 3ème trimestre 2004, pp. 3-9.

2 En l’occurrence, la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France ou FEEBF.

3 Comme le disait un collègue: on engage un pasteur pour ses compétences et on le remercie pour son caractère!

4 Si vous faites l’effort de compter, vous verrez que le total dépasse 100 %. Cela s’explique par le fait que certains abandons ont plus d’une cause possible.

5 Dans la pratique, le fait que bon nombre de pasteurs soient logés rend leur situation immédiate (ce n’est malheureusement pas vrai de leur retraite) plus confortable que le seul salaire net ne peut le laisser penser. Néanmoins, il apparaît que les pasteurs et leurs épouses peinent à prendre spontanément en compte sur le plan de la rémunération un avantage certes conséquent, mais qui leur est imposé et qui comporte aussi des inconvénients (absence de choix du logement, trop grande proximité du local cultuel, contraintes associées comme le «gardiennage» du lieu de culte…).

6 Le syndrome d’épuisement professionnel ou burn out est un syndrome d’épuisement qui fait partie des risques psychosociaux professionnels, consécutif à l’exposition à un stress permanent et prolongé. Ce syndrome est nommé Burn-Out Syndrome chez les anglophones et Karöshi ou «mort par la fatigue au travail » au Japon. D’après http://fr.wikipedia.org/wiki/ Syndrome_d’épuisement_professionnel#cite_ note-0

7 Rob Parsons, Ce que j’aurais aimé apprendre plus tôt, Saint-Légier (Suisse), Éd. Emmaüs, 2001, pp. 19-20.

8 L’École Pastorale (Les Cèdres, 17 voie de Wissous, 91300 Massy) se présente comme une «Formation permanente en Théologie pratique». Elle publie Les Cahiers de l’École Pastorale au dos desquels elle est présentée: Au service de l’Eglise et de sa mission, l’École Pastorale a pour objectif de contribuer à la formation pratique et au perfectionnement des pasteurs… Ouvertes à tous ceux qui exercent déjà un ministère, les sessions ont pour but des les aider à réfléchir théologiquement sur leur pratique et de leur proposer des outils destinés à enrichir leur manière de servir.

9 Jeanne Farmer, Le ministère pastoral: approche systémique de la gestion de l’Eglise, Paris, Empreinte temps présent, 2006, p.47-49.