Charles Hodge (1797-1878), théologien presbytérien, a décliné en 1869 l’invitation du pape Pie IX d’envoyer des délégués de l’église presbytérienne en Amérique à Vatican I, tenu à Rome en 1869-70. C’est à ce concile que l’infaillibilité papale fut déclarée concernant les annonces futures de dogmes catholiques prononcés ex cathedra.

La lettre fut publiée en sa langue d’origine (anglais) dans la revue « Banner of Truth » (Bannière de la Vérité), N°415 (avril 1998). Banner of Truth a accordé à Info-FEF l’autorisation de le publier et pour laquelle Info-FEF lui est vivement reconnaissant.

En vue de l’invitation générale au congrès eucharistique qui sera organisé à Rome en l’an 2000 par le pape Jean-Paul Il pour célébrer le jubilé catholique, nous pensons que le contenu de la lettre de Charles Hodge est pertinent pour les évangéliques aujourd’hui.

(Afin de rendre un texte si dense plus lisible, nous nous sommes permis de proposer quelques sous-titres. Ne faisant pas partie du texte original, nous les avons placés entre parenthèses et en couleur).


Au pape, Pie IX, évêque de Rome,

Par votre lettre encyclique datée de 1869, vous invitez les Protestants d’envoyer des délégués au concile appelé à siéger à Rome au mois de décembre de la même année. Votre lettre a été étudiée par deux Assemblées Générales de l’Eglise presbytérienne des Etats-Unis d’Amérique. Ces Assemblées représentent quelques 5 000 pasteurs et un nombre encore plus important d’églises locales.

Croyant, comme nous le faisons, que c’est la volonté de Christ que son Eglise sur la terre soit unie, et reconnaissant en conséquence le devoir de faire tout ce que nous pouvons pour promouvoir la charité et la communion chrétiennes, nous considérons juste de vous présenter les raisons qui interdisent notre présence aux délibérations du prochain concile.

(Vis-à-vis des conciles oecuméniques des premiers siècles : )

Ce n’est pas que nous ayons renoncé à aucun article de la foi catholique. Nous ne sommes pas hérétiques. Nous recevons cordialement toutes les doctrines contenues dans le Symbole connu sous le nom du Credo des Apôtres.

Nous acceptons que toutes les décisions doctrinales des six premiers conciles oecuméniques sont en accord avec la Parole de Dieu, et grâce à ceci, nous les recevons comme l’expression de notre foi. Nous croyons donc à la doctrine de la Trinité et à la personne de Christ telles qu’elles sont exprimées dans les symboles adoptés par le concile de Nicée en 321 et par le concile de Chalcédoine en 451. Nous croyons qu’il existe dans la divinité trois personnes, le Père, le Fils et le Saint-Esprit : et que ces trois personnes ont la même substance (essence) et sont égales en puissance et en gloire.

Nous croyons que le Fils éternel de Dieu devint homme en prenant pour lui-même un vrai corps et une vraie âme. Ainsi, il a été, et continue d’être éternellement, à la fois Dieu et homme, une personne mais avec deux natures distinctes. Nous croyons que notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ adorable est le prophète qui devait venir dans le monde et que nous sommes tenus de croire à son enseignement. C’est sur ses promesses que nous nous appuyons. Il est le souverain Prêtre dont la satisfaction – infiniment méritoire – à la justice divine, et l’intercession toujours efficace, sont les seules bases pour la justification du pécheur et son acceptation devant Dieu. Nous le reconnaissons comme notre Seigneur, non pas seulement parce que nous sommes ses créatures mais aussi parce que son sang nous a rachetés. Nous devons nous soumettre à son autorité, nous confier à ses soins, et c’est à son service que toute la création dans le ciel comme sur la terre devrait se consacrer.

Nous recevons toutes les doctrines qui se rapportent au péché, à la grâce et à la prédestination, connues comme « augustiniennes », doctrines qui ont été reçues non pas seulement par le concile de Carthage et par d’autres synodes régionaux, mais aussi par le concile d’Ephèse en 431, et par Zozime, évêque de Rome.

On ne peut donc pas nous considérer comme hérétiques sans condamner également toute l’Eglise primitive.

(Vis-à-vis des grandes doctrines des Ecritures : )

Nous ne sommes pas non plus des schismatiques.
Nous reconnaissons avec joie comme membres de l’Eglise visible sur la terre, tous ceux qui professent ainsi que leurs enfants1 la vraie religion. Ce n’est pas que nous voulons seulement jouir de la communion chrétienne avec ces professants, mais nous le désirons ardemment, pourvu
qu’ils n’exigent pas, afin de jouir d’une telle communion, que nous professions des doctrines que la parole de Dieu condamne, ou que nous fassions ce que cette Parole interdit. Dans le cas où une Eglise prescrirait que la communion avec elle dépendrait de certaines conditions non-scripturaires, l’erreur et la responsabilité se trouvent chez cette Eglise et non pas chez la nôtre.

Cependant, quoique nous ne déclinions pas votre invitation parce que nous sommes hérétiques ou schismatiques, nous sommes néanmoins empêchés de l’accepter parce que nous tenons avec une confiance toujours grandissante à ces principes pour lesquels nos pères furent excommuniés et « anathémisés » par le concile de Trente, qui représentait, et qui représente encore, l’Eglise que vous présidez.

Les plus importants de ces principes sont :

Premièrement : que la parole de Dieu qui est les Ecritures de l’Ancien et du Nouveau Testament soit la seule autorité souveraine en matière de foi et de vie.

Pourtant, le concile de Trente prononce l’anathème sur tous ceux qui ne reçoivent pas l’enseignement de la Tradition pari pietatis affectu (avec affection égale) à celui des Ecritures, ce que nous ne pouvons faire sans amener sur nous la condamnation prononcée par notre Seigneur sur les Pharisiens, qui avaient annulé la Parole de Dieu par leurs traditions (Matthieu 15:6).

Deuxièmement : le droit personnel de juger.

Quand nous ouvrons les Ecritures, nous constatons qu’elles sont adressées au peuple. Elles nous parlent. Nous sommes ordonnés de les sonder (Jean 5:39) et de croire ce qu’elles enseignent. Nous sommes tenus personnellement responsables de notre foi. L’apôtre nous commande d’anathématiser l’apôtre ou l’ange du ciel qui enseignerait ce qui est contraire à la Parole de Dieu divine authentifiée (Galates 1:8). L’apôtre fait de nous des juges. Il a placé entre nos mains la règle de jugement et nous tient responsables de notre jugement.

De plus, nous constatons que l’enseignement du Saint-Esprit fut promis par le Christ, non seulement au clergé, et encore moins à un certain ordre clérical, mais à tous les croyants. Il est écrit : « Ils seront tous enseignés de Dieu » (Jean 6:45)2. L’apôtre Jean écrit aux croyants : « Vous avez reçu l’onction de la part de celui qui est saint, et tous, vous avez de la connaissance… Pour vous, l’onction que vous avez reçue de lui demeure en vous, et vous n’avez pas besoin qu’on vous enseigne : mais comme son onction vous enseigne toutes choses, qu’elle est véritable et qu’elle n’est pas un mensonge, demeurez en lui comme elle vous l’a enseigné (1 Jean 2:20, 27).
« Je vous ai écrit, non parce que vous ne savez pas la vérité, mais parce que vous la savez, et parce qu’aucun mensonge ne vient de la vérité » (1 Jean
2:21).

Le jugement personnel est donc un devoir, dont personne ne peut s’en décharger, ou en être déchargé par d’autres.

Troisièmement : nous croyons au sacerdoce universel des croyants.

Tous les croyants ont par le Christ accès par l’Esprit au Père (Ephésiens 2:18), et peuvent « s’approcher avec assurance du trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce en vue d’un secours opportun » (Hébreux 4:16).
« Ainsi donc, frères, nous avons l’assurance d’un libre accès au sanctuaire par le sang de Jésus, accès que Jésus a inauguré pour nous comme un chemin nouveau et vivant au travers du voile, c’est-à-dire de sa chair ; et nous avons un souverain Prêtre établi sur la maison de Dieu. Approchons-nous donc d’un coeur sincère, avec une foi pleine et entière, le
coeur purifié d’une mauvaise conscience et le corps lavé d’une eau pure » (Hébreux 10:19-22).

Admettre donc le sacerdoce du clergé seul, dont l’intervention est nécessaire pour que nous recevions la rémission de notre péché et d’autres bienfaits de la rédemption accomplie par le Christ, c’est renoncer au sacerdoce de notre Seigneur et à sa toute-suffisance pour nous réconcilier avec Dieu.

Quatrièmement : nous refusons la succession apostolique.

Puisque nul ne peut être prophète sans l’Esprit de prophétie, nul ne peut être apôtre sans les dons d’apôtre. Ces dons, selon l’enseignement des Ecritures, furent une connaissance plénière de la vérité, provenant de Christ par révélation immédiate (Galates 1:12), avec infaillibilité personnelle en tant qu’enseignants et dirigeants (de l’Eglise). Le sceau de l’apostolat, Paul nous le montre quand il écrit aux Corinthiens concernant lui-même :
« Les signes distinctifs de l’apôtre ont été vus à l’oeuvre au milieu de vous par une patience à toute épreuve, par des signes, des prodiges et des miracles » (2 Corinthiens 12:12).

En ce qui concerne les prélats qui se disent apôtres, et qui exigent une confiance semblable en leur enseignement et une soumission semblable à leur autorité, comme celle qui est due aux messagers inspirés de Christ, sans prétendre que nous-mêmes possédions les mêmes dons et signes apostoliques, nous ne pouvons accéder à leur demande. Autrement, cela serait rendre aux hommes pêcheurs la soumission due à Dieu seul et à ses messagers infaillibles et divinement authentifiés.

Et encore moins pouvons-nous reconnaître l’évêque de Rome comme vicaire de Christ sur la terre, revêtu de l’autorité sur l’Eglise et le monde qui était exercé par notre Seigneur pendant qu’il fut dans sa chair humaine. Il est évident que personne ne peut être le vicaire de Christ puisque nul n’a les attributs de Christ. Reconnaître l’évêque de Rome comme vicaire de Christ serait le reconnaître comme divin.

(Tenir ferme dans la liberté de Christ)

Nous devons donc tenir ferme dans la liberté par laquelle Christ nous a libérés. Nous ne saurons nous laisser déposséder de notre salut en mettant un homme à la place de Dieu, en accordant à un homme de la même nature que nous le contrôle de notre vie intérieure et extérieure, ce qui n’est dû qu’à celui en qui sont cachés tous les trésors de sagesse et de connaissance et en qui habite toute la plénitude de la divinité.

D’autres raisons encore, tout aussi pertinentes, pourraient être exprimées pour montrer pourquoi nous ne pouvons être en toute bonne conscience représentés au concile proposé. Mais, puisque le concile de Trente, dont les canons sont toujours en vigueur, prononce maudits tous ceux qui tiennent aux principes énumérés ci-dessus, rien d’autre n’est nécessaire pour montrer que décliner votre invitation est obligatoire.

Conclusion

Néanmoins, bien que nous ne puissions retourner à la communion de l’Eglise de Rome, nous désirons vivre dans la charité avec tous les hommes. Nous aimons tous ceux qui aiment notre Seigneur Jésus-Christ en sincérité. Nous regardons comme frères chrétiens tous ceux qui l’adorent, l’aiment et lui obéissent comme leur Dieu et Sauveur, et notre attente est d’être réunis dans le ciel avec tous ceux qui s’unissent à nous sur la terre, et qui disent: « A celui qui nous aime, qui nous a délivrés de nos péchés par son sang et qui a fait de nous un royaume de sacrificateurs pour Dieu son Père, à lui la gloire et le pouvoir aux siècles des siècles ! Amen ! » (Apocalypse 1:6).


(Signé de la part des deux Assemblées Générales
de l’Eglise presbytérienne des Etats-Unis de l’Amérique)

Charles Hodge
(traduction par P. Wheeler)


NOTES

1. Charles Hodge croyait à la théologie de l’alliance qui accepte que les enfants des croyants sont déjà sauvés (et peuvent être baptisés). Cette doctrine ne fait pas l’unanimité dans les milieux évangéliques.

2. Le texte de Charles Hodge dit : « Vous serez tous enseignes de Dieu ». sans donner de référence Nous avons du mal à croire que Hodge aurait mal cité la Bible…?