A la Maison de la Nature de Salzbourg, un arbre est exposé avec ses racines. Le panneau indique : « L’arbre, une image fondamentale de la vie ! ». Quand nous comparons notre vie à un arbre qui doit donner de bons fruits, nous constatons que cet arbre de la vie n’est pas moins menacé que ceux qui font nos forêts. Sans doute, le danger ne vient pas tant des pluies acides que des vers nuisibles qui viennent en nombre attaquer ses racines et lui ravir sa force. Ces vers s’appellent Déception, Maladie, Souffrance et Deuil.

DES MENACES POUR NOTRE VIE

LA DÉCEPTION

     La déception, dans ses multiples gradations, fait partie de notre expérience quotidienne. Il suffit que le lait du petit déjeuner déborde ou que la voiture ne démarre pas. Il suffit que le fisc soit plus gourmand que prévu, ou que les vacances longtemps désirées tombent à l’eau. La déception est bien plus profonde quand le chômage pointe le bout du nez, quand un couple, uni depuis des années, fait naufrage ou quand les enfants prennent des chemins de traverse. Combien souvent ne sommes-nous déçus par notre prochain ou inversement : combien souvent ne décevons-nous pas notre prochain ?

Ce ver nommé Déception cause bien des dégâts à l’arbre de la vie d’un homme.

LA MALADIE ET LA SOUFFRANCE

     Un autre ver qui s’attaque aux racines de l’arbre de notre vie s’appelle Maladie ou Souffrance. Les ennuis de santé et autres épreuves sont les compagnons de route omniprésents de notre vie. Ils menacent d’assombrir toute notre existence. Il nous rendent conscients de notre vulnérabilité et de notre faiblesse. Que ce soient les affections aiguës qui ont le don de surgir dans notre vie comme un éclair dans un ciel serein, ou alors les maladies chroniques qui paraissent consumer nos forces vitales.

     Pour finir, il faudrait citer les souffrances physiques dans toutes leurs variantes et leur intensité, qui rongent, piquent, creusent, martèlent à tout va. Elles débarquent sans prévenir et s’installent insidieusement dans la durée.

     Oui, et on pourrait encore citer la souffrance psychique dans ses nuances infinies. Combien d’amertume ne provient de ces blessures psychiques qui ont été au fil des ans laissées à vif sinon entretenues par un refus de pardonner ! A cela s’ajoute la solitude et le sentiment d’inutilité chez des personnes âgées. Mais ce qui fait le plus souffrir, c’est bien ma propre culpabilité. Par exemple, quand je réalise devant la tombe d’un proche : « Je ne l’ai pas assez aimé, je ne l’ai pas assez remercié ! », ou que je regrette de ne pas lui avoir offert mes fleurs de son vivant.

LE CHAGRIN

     Un autre ver s’attaque avec une extrême violence à la racine de l’arbre de notre vie. Il se nomme Chagrin. Tout à l’heure, la vie suivait son cours habituel, et soudain notre monde a été plongé dans les ténèbres. La mort nous a arraché un être aimé ! Même les plus grands de cette terre sont impuissants face au pouvoir de la mort. La mort est l’amer point final d’une longue procession de déceptions, de maladies, de souffrances et de chagrins.

    Le contraire de la mort, c’est la vie. Et cette vie ne consiste heureusement pas seulement en expériences peu réjouissantes. Bien des choses positives font partie de cette vie, notamment la joie, le bien-être, les satisfactions, le bonheur. S’il n’en était pas ainsi, nous aurions en effet de quoi perdre courage. Mais une fois pour toutes, la souffrance fait partie de notre vécu, comme la marque d’une création déchue. Quand Dieu a créé le monde, il a porté cette appréciation : Tout est très bien ! Il n’y avait ni décadence, ni maladie, ni mort, ni virus, et certainement pas de radioactivité. La Bible nous apprend que tout cela est venu dans le monde par la faute de l’homme. Et tant que cette terre subsiste, nous devrons prendre en compte les tendances de mort qui l’habitent. Nous saluons tous les efforts de la science dans le combat contre la maladie. Mais ils ne pourront nous réintégrer dans le jardin d’Eden. Au contraire, tout se passe comme si la maladie était une hydre multicéphale. Que l’on coupe une de ses têtes, et deux autres repoussent à la place. Il n’est que de penser à la propagation des maladies cardiovasculaires, aux multiples formes que prend le cancer, ou à la récente épidémie de Sida.

 

COMMENT VIVRE DANS CES CONDITIONS ?

     Dans ce contexte, la question se pose: comment vivre malgré tout ? Souffrance, Maladie et Déception, ces vers insatiables, laisseront-ils s’épanouir sur l’arbre de notre vie les fruits de la Joie et du Contentement ? Chacun d’entre nous recherche avec raison ce qui est bon, agréable et qui réjouit sa vie. Alors ?

     Pour l’homme d’aujourd’hui, il est évident qu’une vie satisfaisante n’est possible qu’en l’absence de tout problème. Il fait du plaisir le principe de sa vie. Il pense que le bien-être extérieur entraine automatiquement la satisfaction intérieure. Je qualifierais cette mentalité de mythe moderne de l’homme de confort. Nous les citoyens des pays industrialisés occidentaux, nous devrions être en effet les gens les plus heureux et les plus satisfaits, car nous avons tout ce qu’il nous faut, ou presque. Sur le marché, nous trouvons des produits de consommation de toutes sortes. Et quand nous tombons dans des difficultés, le filet de l’assistance sociale amortit notre chute, au moins dans un premier temps. En principe, chacun est libre de se réaliser. Alors pourquoi, malgré tous ces progrès, rencontre-t-on si peu de gens heureux ? Le nombre de divorces, de dépressions et de suicides n’a jamais été si élevé que de nos jours !

LA GRANDE ILLUSION

     Ce n’est tout simplement pas vrai que le comportement intérieur dépend des circonstances extérieures. Il dépend bien plus d’autres mots : je peux laisser le mauvais temps gâcher mon humeur, mais je n’y suis pas obligé. Je peux aussi y voir une occasion de ranger ma cave, ou de mettre de l’ordre dans mon courrier. Comme nous ne pourrons jamais bannir de notre vie les expériences négatives, ce qui importe, c’est comment nous cherchons à les maitriser. Ces épreuves nous posent des questions. Comment allons-nous y répondre ?

     Je voudrais, dans ce qui suit, décrire trois stratégies parmi les plus courantes, pour triompher des difficultés. Elles sont très populaires, mais inefficaces, voire nuisibles. J’ai nommé la fuite, la révolte et l’ignorance délibérée.

     J’aimerais illustrer les mauvaises et les bonnes stratégies par une histoire :

     Voici deux frères, le plus jeune et le plus faible asperge son frère avec son pistolet à eau. C’est naturellement très désagréable pour l’aîné. Comment va-t-il essayer de dominer la situation ?

     Stratégie numéro 1 : li se détourne pour ne pas recevoir le jet d’eau en pleine figure, et il prend la fuite. Cela ne l’aide pas beaucoup, car son frère le poursuit et arrose son dos, jusqu’à ce que le fuyard soit acculé dans un coin

     Stratégie numéro 2 : De guerre lasse, il supplie son frère d’arrêter, puis il peste contre lui, alternant menaces et reproches. Mais cela n’empêche pas son frère de l’arroser de plus belle.

     Stratégie numéro 3 : Finalement, il ne trouve plus rien d’autre à faire que de se rouler en boule parterre, la tête dans les bras, pour offrir le moins de prise possible à l’agresseur.

     Considérons encore une fois ces trois essais de dominer une situation. Peut-être nous rendons-nous compte à présent que c’est ainsi que nous avons réagi à des expériences douloureuses.

Stratégie numéro 1 : La Fuite

     Comme le frère aîné avait cherché son salut dans la fuite, ainsi beaucoup de personnes choisissent de fuir les difficultés. L’aversion de la souffrance est une des caractéristiques de l’homme moderne. Sa devise : Accoucher sans douleur, éducation sans douleur, mort sans douleur et, avant tout, vie quotidienne sans douleur. Nous sommes bien entendu reconnaissants pour les progrès de la médecine dans les soins palliatifs. Il existe de nos jours des cliniques qui se sont spécialisées dans ce domaine. Des patients qui ont des souffrances chroniques peuvent recevoir des aides déterminantes. Je ne pense pas à de telles aides quand je parle de fuite. Je veux parler avant tout d’une esquive de n’importe quelle expérience désagréable, par exemple, au moindre désagrément, le recours prématuré à la pharmacopée. Pour beaucoup de nos contemporains, il est devenu banal de résoudre leurs conflits psychiques par des médicaments. Le matin, au lever, on a besoin de stimulants pour combattre la fatigue et le manque d’entrain au travail. Le soir, il faut des tranquillisants contre l’irritation, l’énervement et la mauvaise humeur. Contre le plus petit accès de migraine, on prend des anti-douleurs, et le sommeil n’est plus possible sans chimie… Ou ce qui parait encore plus répandu : on se facilite la vie avec l’ami et le consolateur qu’est l’alcool. On fuit dans l’étourdissement qu’il procure. Mais cela n’a jamais résolu aucun problème.

     La drogue n’est qu’un chemin de fuite parmi d’autres, même s’il est le plus dangereux. Beaucoup de gens fuient dans le travail, devant la télévision ou les consoles de jeux, dans la boulimie, dans la frénésie d’achat ou dans les distractions. Tous ces chemins de fuite prennent fin dans une impasse, dans une dépendance maladive. Car derrière chaque dépendance (en allemand : Sucht) se cache une aspiration (Sehnsucht) qu’elle ne peut satisfaire durablement. Mais la fuite a encore d’autres conséquences négatives : elle affaiblit notre capacité de résistance à des pressions psychiques.

     J’aimerais le montrer en prenant l’exemple de notre musculature. Avez-vous déjà eu une fracture osseuse ? Votre jambe était pour un certain temps dans le plâtre, et quand le plâtre a été enlevé, vous avez remarqué que la jambe était devenue plus maigre : les muscles se sont quelque peu atrophiés. Pourquoi ? Parce qu’ils n’étaient plus mis à contribution.

     Quand nous évitons toute pression, nous devenons de plus en plus incapables de supporter la moindre pression. Notre « musculature psychique » s’atrophie. Si nous prenons systématiquement la fuite, nous nous retrouvons bien vite acculés dans un coin, sans pouvoir si facilement nous en dégager.

Stratégie numéro 2 : La Révolte

     Combien de personnes se révoltent contre la souffrance, la maladie, les douleurs, la perte d’un être cher ! Elles font comme le frère aîne qui croit se faire entendre par ses imprécations et ses menaces. Elles se posent, avec colère et amertume, les questions : Pourquoi ?! Pourquoi justement moi ?! Pourquoi cela devait-il arriver dans ma vie ?! Et ne s’est-on de sa vie jamais préoccupé de Dieu, on se souvient brusquement de lui. Et au lieu de s’incliner devant son Créateur, on se met à l’accuser. On le rend responsable de ses malheurs – seulement, tant que tout allait bien, personne n’a eu l’idée d’en remercier Dieu.

     C’est le principe des vignerons de Tübingen. Quand l’année viticole a été bonne, et les raisins sucrés, ils sont fiers de leurs plants. Que l’année ait été mauvaise et les raisins amers, ils disent : « C’est ainsi que le bon Dieu les a laissés pousser ! ». Les réussites, nous les portons à notre crédit, et les échecs, nous les imputons à Dieu ! N’oublions pas: beaucoup de fruits amers qui poussent dans notre vie sont de notre plant ! Nous ne pouvons-nous en prendre qu’à nous-mêmes.

     Bien sûr, je dois reconnaître que nombre de souffrances dans ce monde ne sont pas le fruit de mauvaises actions. Dans un tragique accident, une mère est prise brutalement à l’affection de sa famille… Un bus scolaire bourré d’enfants percute un train… Les journaux regorgent de telles nouvelles. Récemment, lors d’une visite à l’hôpital, j’appris à connaitre une femme qui est passée par pas mal d’épreuves. Atteinte d’un cancer, affaiblie par son opération et ses rayons, elle était dans une forme épouvantable. En plus, elle venait d’apprendre que son mari allait être amputé des deux jambes. On peut aisément comprendre la révolte et les accusations d’une telle femme.

     En face de telles situations, la même question surgit toujours de nouveau : le Dieu qui permet cela est-il un Dieu d’amour ? C’est certain, en face de telles tragédies, il est difficile de croire en un Dieu d’amour. Nous devons porter notre regard sur celui qui a souffert par notre faute, Jésus-Christ. En considérant le Crucifié, nous pouvons parler d’un Dieu d’amour, car Dieu ne pouvait exprimer son amour d’une manière plus claire : « Dieu a tant aimé le monde, qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ! » (Jean 3:16). C’est ce que nous devons toujours avoir à l’esprit quand nous sommes tentés d’accuser Dieu.

     Le conflit avec son destin, qui est en définitive toujours un conflit avec Dieu, cette révolte produit chez l’homme une profonde amertume qui débouche sur la dépression. Je voudrais affirmer ici que personne n’a jamais réussi à maîtriser sa souffrance par la révolte. Bien plus, elle ne s’en trouve que multipliée.

Stratégie numéro 3 : L’Ignorance délibérée

     Quand la souffrance et la douleur sont devenues incontournables, on peut choisir de les ignorer délibérément. Le frère aîné de notre histoire a tenté, en se mettant en position foetale, d’offrir moins de prise à l’assaillant. De la même manière peut-on, par fatalisme ou par apathie, essayer de limiter les dégâts des expériences malheureuses. Selon cet adage de la sagesse hindoue : « Si tu désires, tu vas souffrir ! » Comme recette contre la souffrance, il est recommandé de ne plus avoir ni désirs, ni souhaits, ni revendications. C’est une recette séculaire, qui a déjà été appliquée par l’école philosophique des Stoïciens. Un homme qui se blinde de la sorte contre tout ce qui est désagréable, ne sera sans doute plus affecté par aucune douleur, mais il restera aussi imperméable à toute joie et à tout bonheur.

     Martin Luther, le réformateur, s’est élevé avec raison contre un tel idéal d’insensibilité à la douleur. Il disait : « Ils veulent faire de nous de simples pierres et des billots, pour que nous puissions assister l’oeil sec à la mort du père et de la mère, du fils ou de la fille. Mais c’est là une vertu fabriquée, et non la volonté de Dieu ». La stratégie de l’ignorance délibérée comprend également la tentative de nier la réalité de la maladie, de la souffrance et de la mort. C’est le cas de beaucoup de gens, qui font appel à la psychotechnique de la « Pensée Positive ». Cela rappelle également les essais de la prétendue « Science Chrétienne », une secte religieuse, qui est tout autre que chrétienne. Cependant, la stratégie de l’ignorance conduit tôt ou tard à des troubles mentaux et émotionnels non négligeables, ainsi qu’à des déformations significatives de la personnalité.

LES PROCÉDURES APPROPRIÉES

     A présent, venons-en aux procédures appropriées pour faire face aux souffrances et aux déceptions. Je voudrais tout d’abord les induire de notre parabole de tout à l’heure.

Rappelons-nous la situation : le plus jeune frère asperge de son pistolet à eau son frère aîné. Comment ce dernier peut-il faire face d’une autre manière ?

     Stratégie numéro 1 : Il ne prend pas la fuite, mais reste sur place et accepte dans un premier temps de recevoir de l’eau en pleine figure. Il se dit que c’est son unique espoir de se dépêtrer de cette situation désagréable.

     Stratégie numéro 2 : Il trouve même un sens à tout cela. C’est pour lui l’occasion de montrer au petit qui est le plus fort.

     Stratégie numéro 3 : Il va vers son frère et lui confisque le pistolet à eau.

     Que s’est-il passé ? Eh bien, l’aîné a appliqué trois stratégies appropriées. Dans un premier temps, il a reconnu la réalité, et a tenu ferme. Puis, il a cherché à discerner le sens profond de l’expérience désagréable. Finalement, il a pu faire bouger les choses.

Stratégie numéro 1 :
Reconnaitre la réalité et tenir ferme

     Il est d’une importance capitale que je commence par accepter toutes les souffrances qui me touchent en moi-même, dans mon voisinage, comme dans toute la création, les accepter comme une réalité incontournable. Elles font tout simplement partie de ce monde.

     La souffrance est réelle et présente, elle est blessante, dure, cruelle et destructrice. Nous ne pouvons pas changer cet état de fait. « Tu es poussière, et tu retourneras à la poussière ! » Cette parole implacable, Dieu ne l’a pas encore retirée.

     Aujourd’hui, la mort est le plus souvent refoulée. L’homme est de moins en moins confronté avec le mourant, car la mort a été reléguée dans le ghetto des cliniques et des centres de soins. C’est ce qui permet à chacun de vivre comme s’il n’était pas menacé par la maladie, la vieillesse et la mort. Les autres oui, mais pas lui ! On vit tout simplement comme si cela n’existait pas du tout. Bien sûr, personne ne voudrait mourir jeune, mais en même temps, personne ne voudrait devenir vieux ! Quel paradoxe ! Mais que ce soit bien clair : Le refus de voir la réalité en face est déjà une malédiction qui nous prive de la possibilité de maitriser cette réalité. Par conséquent, il est incontournable de regarder la réalité dans les yeux, et lui tenir tête. Tenir tête signifie renoncer à toutes les échappatoires mentionnées plus haut. Résister aux pressions. Supporter les tensions et les conflits. Endurer les souffrances. Accepter le voisin qui nous pose problème. Tout cela nous confère une force intérieure.

     Je reviens à l’exemple de la musculature. Le « body building » est très populaire actuellement. N’est-ce pas surprenant qu’on puisse travailler ses muscles aussi intensivement ? Comment ça marche ? Le principe est simple : il s’agit de solliciter le muscle jusqu’à la douleur, à la limite de la défaillance. Ce n’est que cela qui le fera croître. S’arrête-t-on trop tôt, fait-on une pause, et le processus de croissance ne se met pas en branle.

     Nous ne pouvons bâtir notre musculature intérieure que si nous montrons plus de disponibilité à souffrir. Je voudrais vous encourager, vous qui êtes passés par une grande souffrance, à « rester debout » à l’endroit où vous avez été placé. Cela vous sera difficile, mais cela vous aidera à résoudre valablement vos problèmes personnels.

Stratégie numéro 2 :
Discerner le sens de la souffrance et l’accepter

     Si je connais le sens de ce qui est désagréable, cela m’aide à le supporter. Si je me soumets à de douloureux soins dentaires, je puis supporter un certain mal, car je sais qu’il a un sens, qu’il est indispensable à la guérison… C’est pour cela qu’il est important de chercher à découvrir cette signification, pour toute expérience douloureuse.

     Je vais jusqu’à soutenir qu’il n’existe pas de souffrance qui n’ait de sens. Toutefois, ce sens ne peut être discerné et saisi que par celui qui est directement touché. Nous ne pouvons expliquer par des généralités la souffrance dans le monde. La question de la souffrance agite l’humanité depuis qu’il y a des hommes. Et aucune réponse globalement satisfaisante n’a été trouvée jusqu’ici. Nous ne sommes pas les secrétaires particuliers de Dieu. Nous ne savons pas tout et n’avons pas besoin de tout savoir. Malgré cela, je suis persuadé que chaque souffrance a sa signification. Celle-ci n’est habituellement pas évidente au premier regard. Elle doit être découverte, et nous devons nous y employer activement. Je dois me poser les questions : Pourquoi ce malheur est-il arrivé dans ma vie ? Que doit-il produire ? A quoi peut-il servir ?

     Je voudrais avancer quelques possibilités : Dieu permet sûrement que certaines souffrances fassent irruption dans notre vie, pour nous inciter à changer de route. Car tant que tout va bien pour lui, l’homme ne veut rien savoir de Dieu. Je connais plus d’un qui n’a trouvé Dieu que par la maladie et la perspective de la mort. Encore une autre signification : ceux qui, par la grâce de Dieu, sont devenus Ses enfants, ceux-là expérimentent Son éducation et Sa correction, pour leur croissance. L’argent et l’or doivent être liquéfiés à haute température pour qu’ils soient purifiés de leurs scories. Les pierres précieuses doivent être taillées pour qu’elles reflètent la lumière et révèlent toute leur beauté. Et je pourrais indiquer encore d’autres possibilités. Mais ne pourrions-nous comprendre notre situation, ni la mettre en perspective, il n’en reste pas moins que ce qui importe, c’est que nous puissions l’accepter sans réserves.

     Si j’ai appliqué ces deux stratégies, donc, si je n’ai pas esquivé la souffrance, si j’ai découvert son sens et si j’en ai accepté le principe, c’est pour moi un fondement pour l’application de la troisième stratégie.

Stratégie numéro 3 :
Affronter la souffrance

     Revenons à notre parabole. Le frère aîné, après avoir fait face à la situation et l’avoir acceptée, est finalement allé vers son frère et lui a confisqué le pistolet à eau. Comme nous l’avons dit : une soumission fataliste n’est pas à sa place. Elle peut convenir à un hindouiste ou à un musulman, mais en aucun cas à un chrétien. Si j’ai dit « oui » à ma souffrance, alors j’ai le droit, et même le devoir, de tout faire pour soulager ou abréger cette souffrance. Si je suis malade, je dois accepter la maladie, mais je dois aussi tout faire pour en être débarrassé. L’acceptation de la souffrance et le combat contre celle-ci ne s’excluent en aucun cas. Néanmoins, le combat présuppose l’acceptation. Car je dois toujours intégrer que tous mes efforts risquent de ne pas changer grand’ chose à la situation. Mais si j’ai commencé par accepter cette situation, par exemple ma maladie, je ne tomberai pas dans la résignation ou le désespoir s’il s’avère qu’aucune guérison n’est en vue.

QUAND LA SOUFFRANCE DEVIENT UN TREMPLIN

     Rappelons le thème de cet article: « La souffrance et les déceptions: des impulsions à vivre ? Est-ce que ce qui nuit à notre vie peut devenir une impulsion à vivre ?

     Quel genre d’impulsions peuvent trouver leur origine dans des temps d’épreuves ? Quelles impulsions nous aident et nous rendent capables de mieux maîtriser la vie ?

     La plus importante consiste certainement en ce que nous réalisons la finitude de notre vie et notre responsabilité envers notre Créateur. Si cette réflexion nous amène à changer de mentalité, à nous remettre en question, à nous convertir, alors nous y avons beaucoup gagné. En fait nous sommes gagnants sur toute la ligne. Nous avons alors la réconciliation avec Dieu et la vie éternelle. Martin Buber, le philosophe de la religion a dit : « La grande faute de l’homme, ce ne sont pas les péchés qu’il commet – la tentation est grande et la chair est faible ! La grande faute de l’homme, c’est qu’il peut à chaque instant se convertir, et qu’il ne le fait pas ! ». Quand l’épreuve a pu conduire à la conversion, elle a atteint son but suprême.

     Une autre impulsion : l’épreuve nous aide à redéfinir nos priorités. Ce qui est vraiment important nous devient important et ce qui ne l’est pas cesse de l’être pour nous. Une de mes connaissances avait une tumeur dont elle ne savait pas si elle était maligne ou non. Elle dut attendre les résultats, et cette attente était très pénible pour elle. Pourtant, pendant ce temps, elle fit le bilan de sa vie. Elle reconnut qu’elle avait jusqu’ici gaspillé ses forces et son temps à des choses totalement futiles – et qu’elle avait négligé ce qui est important. L’épreuve nous aide à redéfinir nos valeurs.

     Encore une impulsion : quand nous passons par des périodes pénibles, cela nous rend plus miséricordieux envers d’autres personnes, cela développe notre capacité de compassion. Combien il nous est plus facile de nous identifier à l’autre quand nous sommes nous-mêmes passés par là. Et combien avons-nous besoin aujourd’hui de chrétiens qui sachent écouter leurs contemporains !

     Une souffrance réellement insupportable fait également mûrir notre personnalité, lui donne plus d’assise, elle nous apprend la patience – et fortifie même notre capacité d’espérer. D’où le savons-nous ? Dans l’épître aux Romains, Paul écrit: « ..Nous nous glorifions même dans les tribulations, sachant que la tribulation produit la persévérance, la persévérance une fidélité éprouvée et la fidélité l’espérance. Or l’espérance ne trompe pas… » (Romains 5:3ss). Une parole intéressante, car elle nous montre le processus psychologique qui fait naître d’une souffrance correctement maîtrisée des impulsions vitales : la persévérance, la fidélité, l’espérance.

     Imaginons que nous voulions escalader une montagne. Si nous manquons d’entraînement, nous n’allons certainement pas nous mesurer d’emblée à un sommet de plus de 8000 mètres dans l’Himalaya. Nous commencerons plus probablement avec un sommet à 2000. Une telle expédition nécessite une certaine dose d’efforts et de sueur. Mais si nous n’abandonnons pas avant de nous être mis en marche, si nous persévérons en nous exerçant à la patience, nous finirons par atteindre le sommet, et nous aurons fait nos preuves. Ce succès nous donnera le courage de nous attaquer à d’autres montagnes, plus hautes et plus difficiles d’accès. Nous pouvons désormais espérer un jour vaincre un sommet de 3000 mètres.

     La montagne représente la tribulation, l’épreuve que nous traversons en ce moment. Tenir bon suppose beaucoup de force intérieure, de persévérance, de patience. Cela nous aide, non seulement à devenir plus patients, mais à finir par venir à bout de nos difficultés. Cette expérience nous porte à redoubler d’espoir en vue des épreuves plus difficiles qui nous attendent peut-être.

CONCLUSION

     La souffrance et les déceptions : des impulsions pour la vie ? Nous pouvons à présent répondre affirmativement à cette question. Mais cela ne se passe que si nous apprenons à bien manier ce fardeau qui nous est imposé. Ce qui veut dire, quand nous tenons ferme et ne prenons pas la fuite à la première difficulté, quand nous nous efforçons de découvrir le sens de l’épreuve et que nous l’acceptons, et quand nous entreprenons ce qui est en notre pouvoir pour faire évoluer la situation.

     En tant que chrétien, je suis soumis à l’expérience de la souffrance, des frustrations et de la maladie, comme tout autre être humain. Mes développements sur la résolution de ces conflits ne sont pas une théorie livresque que je me serais échafaudée, mais j’ai moi-même plus ou moins appliqué ces stratégies. J’ai essayé les fausses stratégies (avant tout dans la révolte) et j’en ai expérimenté les conséquences – et j’ai appris à appliquer les bonnes stratégies pour constater leur efficacité. C’est là que la foi est pour moi une aide déterminante. Avant tout, c’est une parole de la Bible qui est devenue une ancre pour ma vie. C’est un verset de l’épître de Paul aux Romains : « Nous savons du reste que toutes choses concourent au bien de ceux qui aiment Dieu ! » (Romains 8:28). Savoir cela m’est aussi une aide, même là où je ne peux voir aucun sens à mes difficultés.

     Une autre consolation substantielle, je la trouve dans une promesse qui a trait à l’avenir, à un temps où cette création chargée de malédiction va trouver sa fin : « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux, la mort ne sera plus, et il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses auront disparu. Celui qui était assis sur le trône dit : Voici je fais toutes choses nouvelles. » (Apocalypse 21,4 et 5).

Roland ANTHOLZER

Traduit par Francis SCHNEIDER, avec l’aimable autorisation de l’auteur et du magazine Ethos, de Berneck, en Suisse.

L’auteur est psychologue diplômé. Né en 1943, il a étudié la psychologie et la sociologie à l’université de Tübingen. Au cours de ses études, il s’est converti à Jésus-Christ. Il a longtemps travaillé parmi les enfants et adolescents présentant des troubles de comportement, et dans une clinique pour malades dépendants. Actuellement, il se consacre à un travail de formation pour la cure d’âmes (séminaires et conférences dans les pays germanophones et de l’Est européen). Roland Antholzer est l’auteur du livre « Psychothérapie ou cure d’âme biblique », paru aux éditions de La Maison de la Bible.


Lettre commune de médecins chrétiens à leurs malades

(UNE LETTRE DE 1983 TOUJOURS D’ACTUALITÉ)

Chers malades,

     Nous n’avons pas l’habitude de vous écrire… Vous êtes en droit d’attendre de nous la compétence professionnelle au service de votre santé. Mais c’est précisément en raison de notre devoir d’efficacité à votre service que nous avons pris la liberté de vous faire parvenir cette lettre amicale certes, lettre aussi que l’urgence d’une plus grande vérité nous impose.

1 – Il y a souvent un autre diagnostique à faire

     Très souvent, il nous arrive de penser qu’il y a un autre diagnostique à faire et que le mal dont vous souffrez est plus profond, plus global mais aussi parfois plus et la maladie que nous essayons de nommer et de soigner. Très souvent, il vous arrive de penser que nous soignons les effets sans déraciner les causes véritables de votre maladie.

2 – Moins de médicaments, plus de pardon

     Nous le savons maintenant, beaucoup de maladies ont pour origine les difficultés de relation. L’homme est un tout et notre corps enregistre à sa manière les fluctuations, les joies, les manques de nos relations avec les autres et avec nous-même.
Ainsi, pour votre santé, laissez-nous vous dire qu’il est encore peut-être plus urgent et nécessaire de vous réconcilier avec les autres et vous-même que d’acheter des médicaments !
Les manques de paix, les tensions, l’absence de confiance et de miséricorde… bref les carences de l’amour sont les véritables poisons de notre santé.
« Moins de médicaments et plus de miséricorde », voilà ce que nous vous souhaitons pour cette année qui vient.
Ecrire une lettre importante… faire paisiblement la vérité… se réconcilier… pardonner à sa femme, son fils ou son frère… prendre du temps pour s’écouter soi-même et accepter tel ou tel échec… voilà les ordonnances que nous osons faire.

3. « Laissez-vous réconcilier par le Christ »

     Parce que nous sommes médecins chrétiens et parce que nous souhaitons pour vous au-delà de telle ou telle épreuve physique, la santé de la totalité de votre être, nous voulons vous faire partager notre conviction profonde en vous disant à la suite de l’apôtre Paul: « Laissez-vous réconcilier par le Christ… » il est le médecin véritable !

4 – La prière

     Dans certains cas nous avons constaté que le jeune et la prière avaient plus d’efficacité que n’importe quel médicament. En particulier la prière de louange, celle qui consiste à se décentrer de soi-même pour se tourner vers ce Dieu qui est Père et qui nous ouvre dans la joie aux véritables dimensions de la vie.

     En espérant que vous nous pardonnerez notre audace, nous vous souhaitons Bonne Année et Bonne Santé.

Fraternité Médecins-Psychologues
(Week-end novembre 1983 – Paris)


JE TE PORTAIS !

Un jour, un homme arriva au paradis
et demanda à Dieu

s’il pouvait revoir toute sa vie,
aussi bien les joies que les moments difficiles…
Et Dieu le lui accorda.
Il lui fit voir toute sa vie
comme si elle se trouvait projetée
le long d’une plage de sable et que lui, l’homme,
se promenait le long de cette plage.
L’homme vit que, tout le long du chemin,
il y avait quatre empreintes de pas sur le sable,
les siennes, et celles de Dieu.
Mais dans les moments difficiles,
il n’y en avait plus que deux !
Très surpris, et même peiné, il dit à Dieu
« Je vois que c’est justement
dans les moments difficiles
que tu m’as laissé seul… »
« Mais non ! lui répondit Dieu,
il y avait seulement les traces
de mes pas à moi parce qu’alors…
je te portais dans mes bras… »