Lors de la pastorale Île de France du Réseau FEF, le 18 juin 2012 à l’Église Évangélique de Nogent-sur-Marne, Thierry Huser, pasteur de l’Église du Tabernacle à Paris, a donné un enseignement sur la vie spirituelle du responsable. Voici la dernière partie de son exposé.

SOIGNER NOTRE VIE SPIRITUELLE EST UNE QUESTION D’INTÉGRITÉ

Notre société sépare très nettement la vie publique et la vie privée. Ce que l’on est dans le privé, peut être très différent de ce que l’on est dans le public et «ne regarde que nous». Pourvu que l’on tienne son rôle public.

Le ministère chrétien demande une intégrité, une authenticité. Nous avons notre vie privée, nous y avons droit et nous avons le droit d’y vivre ce que nous aimons. Mais il nous faut, avec l’aide de Dieu, être intègre et en harmonie avec ce que nous faisons. Nous ne pouvons pas faire du ministère un simple «rôle». L’authenticité de notre relation avec Dieu est l’un des éléments de cette cohérence.

Eugène Peterson a des mots assez terrifiants dans son ouvrage «Les trois angles de la croissance dans le service chrétien»1. Il écrit : «Je ne connais pas d’autre profession dans laquelle il est aussi facile de tricher que dans la nôtre […]. Il est facile de se parer de l’image du pasteur dans ce que les gens attendent de nous. Nous pouvons nous glisser dans l’habit d’un pasteur sans l’être réellement.» On peut «jouer cette comédie devant les autres et être applaudis». Un peu plus loin, il poursuit : «Il nous suffit d’adopter une attitude de circonstance, de parler sur un ton pontifiant, de glisser de temps en temps un mot comme ‘eschatologie’ […] pour être considérés sans contestation possible comme les détenteurs des mystères. La plupart des gens, notamment ceux qui nous sont les plus proches, savent en effet que nous évoluons environnés de profonds mystères : la naissance et la mort, le bien et le mal, la souffrance et la joie, la grâce, la miséricorde, le pardon. Une insinuation ici, un geste là, un soupir de sympathie, un toucher compatissant, tout cela laisse clairement entendre que nous nous y connaissons dans ces domaines complexes»2. Peterson est allé jusqu’à imaginer un cours permettant à toute personne de bon niveau intellectuel de devenir un pasteur satisfaisant pour n’importe quelle Église, même la plus exigeante3.

C’est effrayant, mais c’est vrai. Face aux multiples pièges du paraître, l’antidote est de cultiver ce qui se passe dans le lieu secret de notre relation avec Dieu. Notre intégrité se joue, là, devant Dieu d’abord. Personne ne le voit. Très peu de personnes nous le demandent. Mais c’est là que se joue l’intégrité de nos ministères. Toujours dans le même ouvrage, Peterson propose une image assez intéressante à l’aide d’un triangle. Il y a les côtés : ce sont les aspects visibles du ministère : prédication, administration et enseignement. Et puis, il y a les angles : la vie spirituelle, la prière, l’étude et la direction spirituelle. Les angles lient les cotés du triangle. Si le côté demeure indépendant de l’angle qu’il forme avec un autre côté, il peut prendre n’importe quelle longueur ou partir dans n’importe quelle direction. Unis par les angles, les côtés forment un tout qui se tient. Une fois les angles bien définis, le triangle se construit facilement4.

Donner et recevoir

L’une des difficultés de la vie spirituelle du pasteur est la «fatigue spirituelle». Lorsque nous ouvrons notre Bible, nous «bossons» sur le texte. La prière peut, aussi, être un lieu où s’installe la fatigue : situations bloquées qui nous dépassent avec parfois le constat de l’impuissance…

Nous nous trouvons dans la double situation d’être bien fatigués, avec en plus la mission d’apporter quelque chose : une parole, un encouragement, savoir «mettre des mots» sur les maux ou dire l’espérance. C’est notre devoir. Dieu souvent pourvoit. Mais quel épuisement ! C’est ici l’équilibre entre «donner» et «recevoir» qui est en cause. Comment résoudre cette difficulté ?

• Il y a des temps où nous recevons : je pense ici à la lecture de la Bible. Nous ne pouvons pas toujours la lire en «théologiens ou pasteurs hyper pointus, créatifs, travaillant le texte jusqu’en son détail pour en faire sortir ce que personne n’a jamais vu.» Il y a des moments, où, simplement nous avons besoin d’être nourris soit par une lecture «naïve» de l’Écriture (sans se «casser la tête» – on souligne ce qui nous encourage, et on le prie), ou à l’aide de commentaires adaptés («The Bible Speaks Today»), par de livres de spiritualité ou encore des prédications audio à écouter.

• Certains se «boostent» en permanence (Jr 12 :5). Il le faut parfois. Mais nous pouvons, aussi, être un peu plus «doux» avec nous-mêmes. Accordons-nous des moments avec Dieu qui soient des oasis plutôt que des devoirs.

• Et que dire de la prière ? La prière est la respiration de notre âme. Il faut la préserver comme un joyau, intelligemment, selon ce qui nous correspond. Il y a les temps de prière mis à part, seuls devant la face de Dieu : «Dieu donne la prière à celui qui prie». On peut aussi penser au fractionnement de ces moments. Daniel prenait trois moments dans la journée pour vaquer à la prière. Il y a les temps qu’il est possible de mettre à profit comme au volant de la voiture ou encore les «petites pauses-prière» intermédiaires entre 2 activités. Les «veilles de la nuit» ou les moments «donnés» (prière en commun) sont autant d’opportunités pour prier Dieu.

Les ressources de l’action

Le titre est ambigu, volontairement. La spiritualité de type piétiste aurait tendance à se méfier de l’action au nom de l’activisme. Et de souligner qu’il faut absolument que la vie spirituelle, c’està-dire la relation avec Dieu, soit bien présente pour justifier l’action.

Je crois indispensable pour un ministère équilibré et ressourcé que nous intégrions l’action à part entière dans notre vie spirituelle et que nous mesurions tous les bienfaits qu’elle nous procure dans notre vie avec Dieu.

• L’action «pour Dieu» est l’une des expressions de notre amour pour lui autant que notre spiritualité et notre culte. L’appel de Rm 12.1 à «offrir notre corps comme un sacrifice vivant» est motivé «par les compassions de Dieu». Il en est de même en Rm 6.13 : savoir garder le sens du «je t’aime», au cœur de notre ministère, en relation avec notre action pour le Seigneur.

• Mais il faut aussi dire combien l’action est une ressource, une chance pour notre vie spirituelle. Les échéances ou les défis nous poussent à plus d’intensité avec Dieu, à plus d’attente, de prière et de dépendance à son égard. Les victoires, les expériences de soutien ou les fruits dans le ministère apportent force et vitalité à notre vie spirituelle. Tous ces bienfaits reçus lors de visites, de rencontres, ou d’encouragements stimulent notre foi.

Valorisons les ressources de l’action. Vivons-les dans la reconnaissance et la consécration en arrêtant un peu de nous faire plaindre ! C’est quand même beau et riche. D’ailleurs, l’expérience montre que c’est souvent durant les vacances que nous avons le plus de difficulté pour prendre le temps du ressourcement spirituel.

Se conserver purs

Je voudrais mentionner un dernier point important concernant notre vie spirituelle en tant que pasteurs et responsables. C’est un point que souligne Paul à Timothée :

2 Timothée 2:21 Si donc quelqu’un se conserve pur, en s’abstenant de ces choses, il sera un vase d’honneur, sanctifié, utile à son maître, propre à toute bonne œuvre.

Quel est le principe spirituel qu’énonce ce verset : un vase, pour être pleinement utile à son maître, doit se conserver pur. Si nous voulons être utiles pour le Seigneur, nous devons veiller à notre pureté intérieure.

C’est un sujet délicat à aborder, parce que très personnel. Mais nous le savons, les tentations ne manquent pas dans notre vie, ni les faiblesses. Certaines sont parfois lourdes à vivre, à assumer et à surmonter. On se sent parfois pitoyable quand on est tombé. Et c’est dur quand il faut «parler» malgré tout au peuple de Dieu !

1. Un enjeu : la «pureté» de notre vie retentit sur la liberté du Seigneur de nous rendre utiles pour son oeuvre (je ne parle pas d’efficacité, mais de liberté du Seigneur). Nous pouvons sérieusement limiter la capacité du Seigneur de nous utiliser en ne veillant pas sur nous-mêmes.

2. Une exigence : nous disons la «norme» de ce que Dieu attend de ses enfants. Nous prêchons la Parole, et non pas nos performances personnelles. Il y a donc immanquablement un décalage, et c’est normal, entre nos réalisations et notre prédication. Nous avons, aussi, une exigence d’intégrité. La question qui se pose est celle des seuils de rupture : à partir de quand y a-t-il trahison ou contradiction ? En sachant que nous sommes soumis à la faiblesse…

3. Une grâce : nous sommes revêtus de la justice du Christ (Zac 3). C’est le lieu auquel il faut revenir, sans cesse. Ne pas donner prise au diable plus que nécessaire : si nous sommes tombés, revenons le plus vite à Dieu. Remettons-nous en route sur la base de la grâce du Christ pour vivre «la grâce et l’apostolat».

4. Une question : sommes-nous «plus attaqués» en tant que responsables ? Je ne pense pas qu’il faille trop faire une paranoïa à ce sujet. Cela pourrait être une façon de nous faire «mousser». Ceci dit, il y a des attaques, des vraies. Elles sont souvent magnifiquement ciblées. La vigilance est donc indispensable. Mais pas la paranoïa. Car il y a aussi la protection du Seigneur sur les siens et toutes les prières dont nous sommes l’objet.

Immanquablement la recherche de la pureté dévoile nos faiblesses.

• Celles liées au ministère : l’orgueil, la suffisance, la griserie du pouvoir ou leurs opposés tels que le découragement, le ministère sans joie, la négligence, la paresse, la duplicité et l’hypocrisie…

• Celles liées à notre caractère : la colère, l’égoïsme, l’intransigeance (en particulier à l’égard des membres de notre famille), la médisance et les jugements.

• Celles que nous cultivons au fond de nous : «Qui es-tu lorsque personne ne te voit ?» révèle la réalité de ce que nous sommes : jalousies, rancœurs, insatisfactions qui répandent du fiel ou les faiblesses sexuelles telles que le voyeurisme, la pornographie et parfois même l’adultère et une double vie.

• Celles qui nous viennent de l’extérieur ; nous ne sommes pas à l’abri des séductions, des entraînements insensibles vers le mal et des aveuglements avec cette capacité à nous tromper par de faux raisonnements.

Nous partageons la grandeur et la misère de nos frères et de nos soeurs. Il ne faut pas nous le cacher. J’ai lu, il y a quelques mois, un article qui rapportait que lors d’une conférence pastorale, les pasteurs logeaient à l’hôtel et avaient la TV dans leur chambre individuelle. On a mesuré que 80 % étaient allés vers un programme érotique ou pornographique. Plus que la moyenne habituelle. Ce ne sont pas «eux» : c’est nous, nous corps pastoral, serviteurs de Dieu enclins à la faiblesse.

Nous avons à être vigilants. «Veille sur toi-même». Enfin soyons conscients de certains mécanismes spécifiques à l’exercice du ministère pastoral.

A. Nous pouvons développer une subtile tolérance des décalages : nous disons les normes bibliques. Mais en même temps, nous savons que nous sommes toujours en-deçà de ces normes. Cette habitude de «dire» et de «se savoir en-deçà» crée un espace pour la complaisance. Il y a là un vrai piège.

B. Nous pouvons développer de nombreuses compensations qui nous trompent en de «faux raisonnements» : la plus courante est celle de l’intransigeance publique qui rattrape les faiblesses personnelles (Par exemple : un évêque américain pourfendait l’homosexualité avec véhémence et la pratiquait régulièrement lui-même). Ce type de compensation exprime un malaise tout en essayant de le masquer.

C. Nous devons être attentifs aux lieux particuliers où nous sommes vulnérables : (1) les tensions du ministère suivies des moments de «décompression» (famille, congé) : «Enfin libre de toutes ces exigences du ministère !» Et on se «laisse aller», sans vigilance, parce qu’on a besoin de décompresser. (2) Les effets d’un certain «confinement pastoral» : à être uniquement dans la «bulle» pastorale et d’Église, on a besoin de chercher d’autres sensations ailleurs (remède = diversification du champ d’intérêt).

THIERRY HUSER
PASTEUR DE L’ÉGLISE DU TABERNACLE À PARIS


NOTES

1 En anglais : «Working the angles – The shape of pastoral integrity»

2 Peterson Eugene H., Les trois angles de la croissance dans le service chrétien, Québec, 1998, La Clairière Éditions, p.10.

3 Peterson, p.11-12.

4 Peterson, p.10.