L’Évangile est-il une bonne nouvelle pour les homosexuels ? Tel était le sujet débattu lors de l’Assemblée Générale du Réseau FEF le 25 janvier 2014.
Ce hors-série de Réseau FEF infos présente l’ensemble des interventions faites ce jour-là.
Le ton oral des conférences a été conservé pour rapporter le plus fidèlement possible le contenu des conférences.
Introduction
Je ne suis pas un spécialiste de la « pastorale des homosexuels », mais un modeste « pasteur », « serviteur à plein-temps » comme on dit parfois dans les milieux de frères. Je fais partie d’une génération qui, de diverses manières, doit s’interroger parce qu’elle se trouve confrontée à la réalité de l’homosexualité, dans sa diversité, au travers de débats, de rencontres, sous la forme d’un mode de vie assumé voire caricatural, ou d’un vécu plus discret.
Ensuite, je me réjouis beaucoup de ce que la question de l’homosexualité puisse être abordée sous cet angle « missionnaire ». Les débats récents sur le mariage dit « pour tous » ont amené les églises à prendre une position ferme, et à juste titre. Mais, le refus de considérer l’homosexualité comme une alternative acceptable à l’hétérosexualité ne peut rendre compte de l’ensemble du discours chrétien sur la question. L’Évangile appelle des pécheurs à la repentance et à la foi, et l’église se doit d’aborder les personnes homosexuelles dans l’esprit de l’Évangile de grâce.
L’Évangile est-il une bonne nouvelle pour les homosexuels ?
Une approche pastorale de cette question nécessite, me semble-t-il, de la préciser. Oui, les homosexuels sont des candidats au salut que Dieu offre à tous en Jésus-Christ par le moyen de la repentance et de la foi. Mais où et comment les homosexuels goûteront ils à la grâce offerte ? La question de départ me pose implicitement d’autres questions :
Le discours et l’attitude des chrétiens (dans leur témoignage individuel) et de l’Église (en tant qu’ensemble) permettent-ils de manifester le fait que l’Évangile est une bonne nouvelle pour tous, y compris les homosexuels ?
La tension entre le jugement sévère de l’Écriture sur cette pratique et sa banalisation dans le contexte contemporain nécessite-t-elle une approche particulière ? Dans le cadre de cette tension, l’Église a-t-elle parfois elle-même un comportement répréhensible en n’ayant pas su ou voulu aimer les personnes homosexuelles ?
la pensée principale que je voudrais communiquer dans cette introduction est très simple : L’Évangile est par définition une bonne nouvelle pour tous, donc également pour les personnes homosexuelles. Il devient concrètement une bonne nouvelle pour les homosexuels quand, dans la vie de l’Église, l’Évangile est concrètement une bonne nouvelle pour les chrétiens. Les distinctions théologiques proposées dans l’exposé d’Alain (Nisus) m’aideront à développer cette pensée.
Heureuses distinctions
Nous avons besoin d’un vocabulaire approprié et nuancé pour penser et ensuite expliquer la démarche chrétienne, et l’intégrer dans notre pratique pastorale.
1) La distinction entre tendance, conduite et discours
a) Le péché, les péchés
Les clarifications sur le concept biblique de Péché, dans sa dimension sotériologique (tout péché mène à la condamnation Rm 3,23) et sa dimension existentielle, où tous les péchés n’ont pas les mêmes implications, les mêmes conséquences (existentielles, sociales, ecclésiales), et donc pas la même gravité, sont importantes. La sexualité a un caractère tout à fait particulier quant à ses implications existentielles, sociales, et ecclésiales. J’ai trouvé importante l’idée que l’homosexualité constitue aujourd’hui encore le paradigme d’une confusion entre l’esclavage (des tendances) et la liberté. Nous avons là un modèle du chaos que provoque le péché par rapport à l’ordre bon et sain de la création. Sans niveler les péchés, on peut voir des liens entre eux, et constater que réfléchir à la manière d’aborder pastoralement les personnes homosexuelles renvoie à la manière d’accompagner – ou confronter – les personnes succombant à d’autres péchés.
b) L’identité
Bibliquement, l’homosexualité ne constitue pas le fondement de l’identité d’une personne, même si elle l’affecte. Il est utile de creuser un peu cette dimension-là du point de vue pastoral. On le sait par ailleurs, certains péchés peuvent prendre une telle place dans les vies qu’ils paraissent définir la personne, en affectant à tel point la façon de se percevoir et la façon de vivre qu’ils deviennent centraux. Et on observe que cette tentation d’associer un péché/une tendance pécheresse à l’identité peut prendre des chemins différents :
La personne peut s’y enfermer elle-même, en revendiquant une tendance comme faisant partie de « ce qu’elle est ». C’est évidemment l’un des angles d’attaque des militants LBGT. Il serait inhumain de rejeter une personne pour ce qu’elle est, ce qui lui est donné d’être. J’aimerai observer que cette tendance à associer une tendance à l’identité constitutive de la personne n’est pas limitée à la question de l’homosexualité. J’ai pu rencontrer ce phénomène, chez l’un ou l’autre particulièrement enclins à la médisance et à un usage « toxique » de leur langue. Confronté à la réalité, la réaction consistait à dire « je suis comme cela, je ne vais pas changer » sous-entendu « à mon âge»). Si un péché, une tendance pécheresse fait partie de l’identité et de la constitution fondamentale de la personne, il est incurable. S’il ne relève pas de l’identité fondamentale, il relève de la responsabilité et est l’objet de la grâce par la transformation qu’accomplit l’Esprit Saint.
La deuxième manière d’identifier le péché et la personne peut venir de l’extérieur, des autres, de l’enfermement dans un jugement : « c’est un menteur ! »… « C’est un homosexuel ! ». L’esprit de jugement conduit facilement à « cataloguer » l’autre en fonction d’un péché plus marqué chez lui. Là aussi, si la personne est et reste identifiée principalement selon une tendance qu’elle exprime/a exprimé, on l’enferme dans cette « non-identité ». L’Église a pu, par manque de sensibilité à l’Évangile, stigmatiser et enfermer des personnes homosexuelles dans un sentiment écrasant de perversion, sans montrer de voie praticable pour en sortir.
Deux choses donc, du point de vue pastoral : la réaffirmation de l’homosexualité, non pas comme identité, mais comme une pratique pécheresse est la condition nécessaire pour la mise en oeuvre de l’Évangile.
c) La tendance
Réaffirmer la responsabilité du pécheur, ce n’est pas l’enfermer dans la culpabilité, mais ouvrir une voie – parfois longue, difficile, douloureuse – vers une possible liberté. La solidarité de l’humanité pécheresse fait que nous partageons – hélas – au-delà de la frontière entre chrétien et non chrétien une appétence pour le péché, qui s’exprime dans différents péchés. La différence entre le croyant et le non croyant n’est pas dans le fait même de ne pas être attiré par le péché, mais dans la manière dont l’Évangile affecte cette appétence. Le chrétien, se sachant sans ressources par lui-même, puise dans l’Évangile de la grâce la force de combattre le péché dans sa vie. Avec l’aide de l’Esprit de Christ, il peut laisser sa vie être (progressivement) ré-formée par la Parole.
Oui, dans nos Églises, il y a des frères et soeurs qui luttent contre une « orientation », une « attraction » vers les personnes de même sexe. Un collègue parlait un jour « d’homophilie » pour distinguer la tendance de la pratique (le mot n’a pas forcément été retenu). Cela nous incite donc à prendre de front la réalité concrète de ce qu’est la lutte contre le péché, le « faites mourir les passions » (Rm 8,13 ; Col 3,5), « dépouillez le vieil homme » (Éph 4,22) de l’apôtre Paul. Pour que l’Évangile soit une « bonne nouvelle » aussi pour les homosexuels, il faut qu’il soit vraiment une « bonne nouvelle » dans la vie des chrétiens qui la leur annoncent.
Alain (Nisus) a déjà dit tout le mal que je pense des discours par trop triomphalistes qui laissent espérer une victoire définitive et rapide sur la persistance même de certaines tentations. Heureusement, certains témoignages plus récents soulignent davantage la dimension de lutte dans le temps, les aspérités du chemin de sainteté fait de victoires et de défaites, de périodes de paix et de périodes de chute et de doute. Une lutte nourrie de l’espérance que nous avons pour l’avenir. Si notre pensée est structurée par cette pensée que le Saint-Esprit travaille habituellement avec patience dans le temps, un certain nombre de conséquences pastorales sont inévitables dans nos pratiques. Nous les connaissons déjà je crois : dans nos milieux, nous avons pris conscience de l’emprise de la pornographie sur notre population masculine. Pour la majorité des frères que j’ai rencontré, c’est un poids, une honte, un écueil dans le couple, et pas une « liberté »… Mais quelque chose change vraiment lorsque l’on trouve un frère pour en parler et lutter ensemble dans la prière. La puissance du péché est souvent déjà ébranlée lorsque sont rompus la solitude, l’isolement l’enfermement que suscite le péché. Mais, dans l’esprit de ce que dit Bonhoeffer (La vie communautaire), la confession du péché à un frère doit se vivre « sous la croix » : ce n’est pas un pécheur venant chercher de l’aide chez un « moins pécheur », mais deux pécheurs qui, sur les mêmes questions ou sur des questions différentes, veulent lutter ensemble et chercher l’aide de Celui qui a vaincu le péché.
Je rêve que dans nos Églises, on puisse savoir qu’il y a des frères et des soeurs avec qui on peut lutter, pleurer avec ses chutes, se réjouir dans la victoire. C’est peut-être déjà le cas dans certaines, en tout cas en partie, mais il serait bon que cela caractérise l’Église de Jésus-Christ : non pas le « déballage public » du péché, mais la réalité de l’Évangile vécue ensemble sous la croix. L’Évangile devient concrètement une bonne nouvelle pour les homosexuels quand il est concrètement une bonne nouvelle pour les chrétiens qui luttent, un chemin de transformation « avec » les autres. Cela donne un sens particulier à l’Église comme « lieu » où la vie nouvelle s’apprend dans la communauté. l’Église doit être un « lieu », un espace de marche ensemble vers la sainteté dans la transformation de notre être (qui n’exclut pas d’autres accompagnements plus spécifiques)
C’est une bonne nouvelle de savoir que l’esclavage de nos tendances et de nos pulsions n’est pas une fatalité, mais l’objet d’une lutte assistée par l’Esprit de Dieu. C’est dans ces luttes mêmes (ici sur l’attraction envers les personnes de même sexe) que se manifeste la puissance de Dieu, en forgeant le caractère chrétien marqué par la persévérance, la fidélité, l’espérance dans une victoire à venir, dans le monde présent ou à venir (Col 1,11). Il me semble que nous sommes amenés à être plus attentifs à la valeur que Dieu accorde à la lutte elle-même dans la vie présente, et pas seulement à la valeur d’une éventuelle victoire totale et définitive. La notion de victoire mérite d’être enseignée avec précaution : elle ne réside pas dans la fin de la tentation, mais dans la marche fidèle. Pour une personne d’orientation homosexuelle, la victoire ne sera pas forcément l’hétérosexualité, mais la chasteté. Dans ce cadre, la « discipline » qui peut être nécessaire doit s’appliquer dans cet esprit de la pédagogie de Dieu pour inviter la personne à prendre au sérieux l’exigence de lutte de la foi chrétienne, peut-être aussi pour prévenir la confusion entre l’accueil du pécheur et l’approbation de la vie de péché.
d) Le discours
Il me semble que ces distinctions proposées nous aident dans le discours à tenir. Ici, je pense d’abord au discours « interne » à l’Église. Que ce soit envers l’Église dans son ensemble, ou envers la jeunesse en particulier, il est crucial d’avoir un discours clair sur l’ordre qui nous est révélé par la création. Je ne reviens pas sur le précédent exposé, mais la compréhension des implications de la doctrine de la création est fondamentale pour exposer à l’Église la « nocivité » de la pratique homosexuelle, que beaucoup ne perçoivent pas ou plus aujourd’hui. La pratique homosexuelle est l’illustration de l’idolâtrie de la liberté comme déclaration d’autonomie (=déclaration de guerre) vis à vis du créateur. C’est sur cet appui doctrinal que peuvent se greffer d’autres arguments plus pratiques sur la nocivité de la pratique homosexuelle : le risque d’une stabilité affective affaiblie, un risque accru d’exposition à certaines maladies liées au mode de vie (partenaires multiples) ou aux pratiques (infections)…
Envers l’extérieur (les non-croyants), il me semble que l’ancrage dans une pensée solide et nuancée peut aussi nous aider à avoir un discours de « vérité aimante » vis-à-vis des personnes « en recherche ». Je crois que les personnes véritablement « en recherche » sont plus sensibles à l’amour incarné et manifesté par l’accueil et l’écoute dans l’Église, qu’au risque d’être confrontées – avec amour – avec leur péché. Au vu de la force du témoignage biblique, il me semble que ceux qui seraient tentés de ne pas tenir une position ferme sur l’homosexualité comme péché peinent en réalité aussi avec la compréhension de l’accueil que l’Évangile fait au pécheur, qui associe l’amour et la sollicitude de Dieu au tranchant d’une vérité qui, au final, « rend libre »… Et il me semble que, dans nos milieux, nous voulons avec raison rester attacher à la vérité, mais avons besoin de découvrir, redécouvrir ou approfondir la disposition d’accueil dans laquelle elle se dévoile et s’ouvre comme chemin de liberté…
Jacques NUSSBAUMER,
pasteur des CAEF,
chargé de cours à l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne et
doctorant en théologie