Nul doute que ce thème, qui était aussi celui du séminaire REMOP* édition 2001, ait d’emblée intrigué certains. Aussi, les conférences et échanges qui ont eu lieu pendant trois jours, à l’occasion de cette plate-forme annuelle des « implanteurs », ont été animés et stimulants.
Ce dossier spécial apporte l’essentiel des conférences et ateliers pratiques, revus et enrichis à l’occasion de cette publication.
Loin d’apporter des recettes toutes faites, ces réflexions invitent à des prolongements et à des échanges futurs. Elles cherchent à distinguer l’éphémère de l’immuable, et invitent à tirer profit des opportunités du temps présent, au lieu de se résigner.
Daniel Liechti
* La Rencontre Évangélique des Missions et les Pionnières. Elle est proposée par la Commission d’implantation d’Églises Nouvelles de la FEF (CIEN) et se déroule tous les ans ou mois de mars a St-Albain (71).
Le monde change. Que devient l’Église ? « Colonne qui rappelle la vérité, lieu où elle est fermement établie1 » (1 Tm 3.15), comment s’adaptera-t-elle à la situation actuelle sans dénaturer le message qu’elle porte ? L’exemple des Églises du Nouveau Testament peut aider à répondre à ces questions.
L’ÉGLISE : DU VIN NOUVEAU DANS DE VIEILLES OUTRES ?
Certes, c’est dans de nouvelles outres que le Seigneur a versé le vin de la Pentecôte (Lc 5.37-38), car une alliance nouvelle y a été inaugurée. Mais ce vin nouveau a le goût capiteux du vin vieux, conservé dans les tonneaux séculaires d’Israël (5.39). C’est la loi des temps anciens que l’Esprit a inscrite dans les coeurs (Jr 31.33; Éz 36.27) : l’outre neuve hérite de l’outre des temps passés.
L’ÉGLISE DE JÉRUSALEM
Le Seigneur avait laissé fort peu d’instructions précises concernant la communauté messianique, l’Eglise qu’il allait créer. Les premiers croyants, tous Juifs convertis à Jésus-Christ, ont donc spontanément vécu à Jérusalem les réalités de la nouvelle alliance au sein de celles de l’ancienne. Ils se réunissaient entre eux pour prier, prendre la cène et être enseignés par les apôtres (Ac 2.42; 4.32), mais ils continuaient à fréquenter le Temple (2.46; 3.1, 3, 11; 5.12, 42). Certains spécialistes ont rapproché leurs pratiques de celles des esséniens : tirage au sort après délibération pour désigner le successeur de Judas (1.21-26); partage des biens (2.44-45; 4.32, 34; 5.1-11); vie communautaire intense (2.42, 44; 4.32) que manifestent les repas fraternels (2.46; 6.1). Par ailleurs, selon certaines données archéologiques, il se pourrait que la communauté chrétienne de Jérusalem se soit implantée dans ce que plusieurs pensent avoir été, à l’époque, le quartier essénien de Jérusalem, près de la porte que Flavius Josèphe appelle « la porte des esséniens »2 Cependant, les différences entre les pratiques esséniennes et les pratiques chrétiennes sont au moins tout aussi frappantes: partage des biens non obligatoire (5.4), admission immédiate dans la communauté, après confession de la foi (2.41), baptême unique, larges contacts avec le reste des habitants de Jérusalem (2.47; 3.3-4, 11; 5.12), piété peu soucieuse de pureté rituelle, etc. Les dissemblances soulignent l’originalité du christianisme qui n’est pas, contrairement à la formule de Renan, un essénisme qui a réussi. Les parallèles, en revanche, suggèrent que la toute jeune communauté de la nouvelle alliance à Jérusalem s’est, d’une certaine manière, « coulée dans l’outre » de l’une des formes du judaïsme ancien, respectant ainsi le principe divin de l’incarnation. Ce même principe d’incarnation est à l’oeuvre lorsque les apôtres décident de nommer « sept hommes réputés dignes de confiance, remplis du Saint-Esprit et de sagesse » (6.3) pour répondre aux tensions qui avaient surgi « entre les disciples juifs de culture grecque et ceux qui étaient nés en Palestine » à l’occasion des distributions quotidiennes de nourriture aux veuves de ces deux origines (6.1). Car ce sont tous des chrétiens juifs portant des noms grecs, qui ont été choisis pour cette tâche. Le passage du relais de l’autorité dans l’Eglise de Jérusalem entre Pierre et Jacques, que signale peut-être Actes 12.17 (« Faites savoir tout cela à Jacques et aux autres frères. Puis Pierre partit et se rendit en un autre lieu »3) illustre à nouveau ce principe. Car on assiste alors, d’un point de vue sociologique (Max Weber), au passage d’une autorité « charismatique » (Pierre) à une autorité dynastique » (Jacques, frère de Jésus)4, ce qui inscrit la vie de l’église dans le temps5.
Le souci de Jacques de respecter la vieille outre de l’ancienne alliance s’est manifesté lorsque Paul est venu à Jérusalem pour y apporter la collecte patiemment recueillie dans les Églises pagano-chrétiennes d’Asie mineure, de Macédoine et de Grèce (Ac 24.17). L’apôtre, en effet, pour montrer qu’il demeurait un Juif fidèle aux prescriptions de la loi, a accepté, sur la demande de Jacques, de participer à la cérémonie de purification au Temple de quatre chrétiens qui avaient fait un voeu (21.23-24, 26)6. Ce désir de Jacques et de Paul de prouver que, pour les Juifs, la foi chrétienne ne s’opposait pas à leurs pratiques séculaires devait aussi être une expression de réalisme. Car l’on sait par Flavius Josèphe qu’à cette époque des Juifs intégristes, appelés zélotes, menaçaient la vie de tous ceux qui, en Palestine, pactisaient avec les Romains et abandonnaient la Loi7.
ET NOUS ?
L’identité évangélique française s’est, en partie, forgée « contre ». C’est en luttant contre le catholicisme que le protestantisme a pu survivre dans certaines régions françaises; c’est en combattant un protestantisme français attiédi et souvent peu tolérant que le protestantisme évangélique a pu gagner de l’influence lors du Réveil du siècle dernier; c’est en s’élevant contre le libéralisme que l’évangélisme français s’est maintenu en créant des instituts bibliques et des facultés de théologie. Pour de nombreux chrétiens évangéliques, la France est, en fait, une terre de mission qui n’a jamais connu l’Évangile. Pour eux, l’histoire du christianisme français débuterait avec la Réforme ou même la création de telle ou telle Église de professants ! Ils ignorent tout ou presque de l’évêque Pothin et de Blandine, morts en martyrs à Lyon en 175-177 avec une cinquantaine d’autres croyants; d’Irénée, nouvel évêque de la ville dont l’influence s’étendait dans tout le bassin méditerranéen; d’Anselme (1033-1109), abbé de l’abbaye du Bec en Normandie où le « Docteur Magnifique » rédigea son Proslogion8 que commenteront les plus grands parmi les philosophes et les théologiens; de Bemard de Clairvaux (1091-1153), le maitre à penser de son temps que le Français Jean Calvin ne cessera de citer de Thomas d’Aquin (1225-1274), professeur en Sorbonne, et de sa Somme théologique. Mais il faudrait encore mentionner les abbayes, les monastères et ces innombrables prieurés, avec leur vie d’inspiration évangélique, qui ont couvert le territoire français lors de ces siècles. La France n’est pas tant une terre de mission (qui ne connait pas l’Évangile) que de sécularisation (qui rejette l’Évangile).
Le refus de certains évangéliques de toute dette historique envers la vieille « outre » du christianisme français se manifeste à des « détails » qui ont leur importance : manque de sensibilité architecturale ou esthétique dans la construction des lieux de culte, refus de toute marque extérieure de christianisme dans certaines églises (une croix p. ex.), abandon de la prière en commun du Notre Père (que, pourtant, Jésus nous a enseignée) ou de la confession commune de la foi au moyen du Symbole des apôtres. Avons-nous si peu le souci des personnes de culture catholique auxquelles nous désirons annoncer l’Évangile que nous faisons tout pour leur rendre l’intégration dans nos Églises la plus difficile possible ? Mais au-delà des détails se pose le problème crucial de l’enracinement de la foi dans l’histoire. Pour Jacques, le vrai Juif, fidèle à l’héritage vétéro-testamentaire, est le chrétien; de manière analogue, il est essentiel de comprendre que le protestantisme évangélique est l’héritier légitime du christianisme « orthodoxe » du Moyen Age et non seulement des quelques mouvements marginaux qui ont pu annoncer la Reforme (Jean Hus, Wycliffe, les Vaudois).
Avouons-le : il est quelque peu triste de constater que c’est le danger d’être classés parmi les sectes qui encourage, de nos jours, certains évangéliques à se rapprocher, par réalisme, du christianisme français plus officiel. Le réalisme de Jacques était orienté par un discernement théologique plus profond.
Après Jérusalem, cependant, le vin nouveau de l’Esprit a atteint Antioche de Syrie, où l’outre qu’est l’Église a manifesté toute sa nouveauté.
L’INCROYABLE NOUVEAUTÉ
RAPPEL DES FAITS
Selon la chronologie de la vie de Paul, que l’on peut tenter de reconstituer à partir des données des Actes et des Galates, l’apôtre s’est converti vers 34. C’est aussi à cette époque que des croyants, dispersés lors de la persécution à Jérusalem, se sont réfugiés à Antioche de Syrie, troisième ville de l’Empire romain quant à la population (env. 400 000 hab.). Quelque temps plus tard, certains d’entre eux annoncent l’Évangile à des païens, et l’on assiste à la création de la première Église pagano-chrétienne (Actes 11.20-21). Paul, que Barnabas va chercher à Tarse, arrive en 43/44 à Antioche où il exerce un ministère d’une année aux côtés de Barnabas (11.25-26). En 46-47/47-48, les deux hommes se rendent à Chypre puis en Galatie du Sud pour annoncer l’Évangile et fonder des Églises (ch. 13-14), puis ils retournent à Antioche (14.27-28). Finalement, en 48/49, ils montent à Jérusalem pour le premier « concile » de l’histoire de l’église (ch. 15).
UN SÉISME THEOLOGIQUE
Les païens se tournent vers l’Évangile ! Actes 11.26 précise que c’est à Antioche de Syrie que les croyants ont été, pour la première fois, appelés « chrétiens ». Il fallait, en effet, donner un nom à ces gens qui n’étaient ni païens ni juifs, mais des fidèles du « Christ ». Cette entrée des païens dans le peuple de Dieu a suscité la première grande crise théologique de l’histoire au sein de l’ensemble de l’Église. Au début, tout se passe bien (11.22-23). Lors de la visite de Paul et de Barnabas à Jérusalem (11.30; 12.25), qui étaient accompagnés par Tite (Ga 2.1), peut-être un pagano-chrétien d’Antioche, Pierre, Jean et Jacques expriment leur solidarité et leur accord avec les deux hommes (2.9)9 Pierre lui-même n’avait-il pas ouvert le royaume aux païens lors de sa visite chez Corneille (Ac 10) ? Cependant, après le retour de Paul et de Barnabas (Ac 14.27-28) à Antioche suite à leur tournée missionnaire à Chypre et en Galatie du Sud, on assiste à une première faille dans cette entente théologique. Pierre vient à Antioche, partage le repas (avec cène ?) des pagano-chrétiens de l’Église, mais après l’arrivée de « quelques personnes de l’entourage de Jacques », il s’esquive et se tient à l’écart, « à cause de ceux de la circoncision », au point d’entraîner Barnabas dans son sillage (Ga 2.11-13). L’interprétation de l’attitude de Pierre est discutée; elle dépend en partie de l’identité de ceux que Paul appelle « de la circoncision ».
S’agit-il des judéo-chrétiens arrivés à Antioche ou plus généralement des judéo-chrétiens de Jérusalem qui auraient pu être choqués par le « laxisme » de l’apôtre (voir Ac 11.2) ? Ou ces membres « de la circoncision » visent-ils des Juifs non chrétiens qui auraient pu, par représailles, s’en prendre aux croyants de Jérusalem ? Pierre, pris d’un vertige théologique, a-t-il eu un réflexe de panique en pensant aux conséquences de son ouverture à l’égard des païens convertis ? Quoi qu’il en soit, les choses semblent être rentrées dans l’ordre après cette première alarme : Barnabas et Pierre, en tout cas, ont reconnu leur erreur (15.2.7-11). Cependant, peu de temps plus tard, la crise éclate « tous azimuts ». Dans les Églises de Galatie du sud (Ga), à Antioche de Syrie et en Judée (Ac 15.1) : il faut exigent certains, que les pagano-chrétiens se fassent circoncire pour être sauvés ! Cette crise, qui a ébranlé toute l’Église, a suscité un renouvellement théologique et une innovation ecclésiologique.
UN RENOUVELLEMENT THÉOLOGIQUE, UNE INNOVATION ECCLÉSIOLOGIQUE
Il serait trop long de le prouver contentons-nous de l’affirmer. Il nous semble que la théologie judéo-chrétienne s’articule fondamentalement autour des deux notions de nouvelle naissance et d’obéissance (le commandement de l’amour) : c’est par l’Esprit que Dieu, dans sa bonté, change les coeurs grâce à l’oeuvre du Christ et donne la capacité de mettre sa Loi en pratique.
On trouve cette formulation de la vérité dans Jacques, Pierre et Jean10. Paul, quant à lui, structure sa théologie autour des deux notions clés de la justification par la foi en Christ et de la sanctification par l’Esprit. Son approche est plus juridique car il lui faut répondre au problème du statut des pagano-chrétiens : comment pourraient-ils avoir part, eux qui ne sont pas Juifs, à l’alliance établie avec Abraham ? Cet enjeu le conduit à redéfinir le statut de tout homme devant Dieu, tant juif que grec. C’est à la lumière de ce fait, nous semble-t-il, qu’il faut comprendre, entre autres, les formulations divergentes entre Jacques et Paul sur la justification. Car si le premier parle de foi juive et d’oeuvres chrétiennes, le second parle de foi chrétienne et d’oeuvres juives. Bien que la vérité fondamentale n’ait pas changé, la formulation s’est modifiée : l’entrée des païens dans l’Église a suscité un approfondissement théologique.
Ce renouvellement théologique s’est accompagné d’une incroyable innovation ecclésiologique, qui a tendu à relativiser les réalités qui divisent les hommes. Car en Jésus-Christ, « il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme »; tous, en effet, sont un (Ga 3.28). la manière dont Paul et l’Église ont cherché à appliquer ces vérités a dérouté plus d’un « traditionaliste » de l’époque.
Le refus de l’apôtre de soumettre les pagano-chrétiens à la nécessité de se faire circoncire, de pratiquer le sabbat, d’observer les prescriptions alimentaires de la Loi mosaïque ou de dépendre de Jérusalem (Ga 5.2; 6.12-15; 4.10; 2.12-14; 4.21-28) s’est constamment accompagné d’un plaidoyer pour le respect des opinions et des consciences (Rm 14.1-5; 1 Co 8.7-13) : Juifs et païens, les ennemis d’antan, étaient appelés à vivre la paix établie par le Christ (Ep 2.14-17; Col 3.15). Pour les Romains, les esclaves étaient des « choses »; Paul les traite en êtres humains responsables (Ep 6.5-8; Col 3.22-25) et son attitude envers Onésime a dû en surprendre plus d’un (Phm). A Antioche, un Noir, Siméon, était l’un des prophètes ou docteurs de l’Église au même titre que Manaën, qui avait été élevé avec Hérode Antipas (Ac 13.1) ! Et que dire de la place si importante que Paul attribue aux femmes au sein de la communauté chrétienne ? Le contraste avec la pratique juive ou grecque est saisissant. Contrairement aux usages du temps, il nomme Priscille avant son mari Aquilas à plusieurs reprises (Ac 18.18; Rm 16.3; 2 Tm 4.19). Il la présente comme l’une de ses collaboratrices (Rm 16.3), de même qu’Évodie et Syntiche, qui « ont combattu côte à côte » avec lui « pour l’Évangile » (Ph 4.2-3). Par ailleurs, il loue Junia qu’il qualifie, selon l’interprétation la plus probable du verset, « d’apôtre remarquable » (Rm 16.7). Ces innovations ecclésiologiques ont marqué la pratique missionnaire de l’apôtre qui mettait un point d’honneur à être comme un Juif avec les Juifs et comme un Grec avec les Grecs (1 Co 9.19-23), on le lui a d’ailleurs reproché, l’accusant d’être hypocrite (Ga 1.10; 1 Co 9.3; 2 Co 4.2; etc.).
ET NOUS ?
Le pluralisme de notre époque – qui rassemble en un même lieu chrétiens catholiques, protestants ou orthodoxes, athées, sceptiques, musulmans, Juifs, bouddhistes, adeptes de la spiritualité « new age » matérialistes, intoxiqués de la télévision ou du football – ressemble beaucoup plus à ce que Paul a connu qu’à la situation de nos pays durant le Moyen Âge. Paganisme, judaïsme, stoïcisme, épicurisme, occultisme, cultes à mystères, hédonisme et jeux du cirque se côtoyaient au premier siècle. Ne nous faudrait-il donc pas, nous aussi, avoir le courage de reformuler la vérité de l’Évangile pour notre temps ? Il n’est pas certain qu’il faille toujours et obligatoirement annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus à la manière des Réformateurs du XVI siècle. Certes, a leur époque, les gens étaient particulièrement sensibles aux notions juridiques de culpabilité et de justification. Ne sont-ils pas plus sensibles, de nos jours, aux notions d’esclavage et de libération ? L’individualisme protestant, si important face à un catholicisme englobant et dominateur semble perdre de son attrait; le message de l’appartenance au peuple de Dieu pourrait trouver un écho plus favorable parmi nos contemporains. L’annonce du salut de l’âme des temps passés pourrait laisser la priorité à celle de la résurrection de ce corps auquel on voue un culte en notre temps. Avant de prêcher le salut, ne devrions-nous pas aider nos concitoyens à retrouver le sens de Dieu, de la création et de l’homme ? Car que sert-il de faire une expérience de « salut » si celle-ci ne s’accompagne pas d’une réelle compréhension de Dieu et de l’homme ?
Mais le courage théologique ne va pas sans courage ecclésiologique, car la théologie doit s’incarner dans le temps et les cultures. Ce sont les Églises de professants qui, dans le passé, ont eu l’audace de réformer l’Église jusqu’à revendiquer son indépendance par rapport au pouvoir temporel, lutte dont l’emblème a été le baptême des croyants. Jusqu’où devrait-on s’inspirer des pratiques du culte de la mosquée pour les adapter, dans certaines Églises, au culte chrétien en vue de mieux annoncer l’Évangile aux musulmans ? Tous les chrétiens se réjouissent de l’abolition de l’esclavage et jugent qu’il n’est pas nécessaire de le rétablir pour demeurer fidèles aux exhortations de Paul et de Pierre, adressées aux esclaves et aux maîtres dans ce que l’on appelle les « tables d’états temporels » (Ep 5.17-6.9; Col 3.18-4.1; 1 P 2.13-3.7). Nous acceptons tous de tenir compte des acquis heureux de l’histoire dans ce domaine pour interpréter les enseignements apostoliques. Ne devrions-nous donc pas aussi tenir compte des acquis de l’histoire concernant les relations entre l’homme et la femme pour interpréter les exhortations des apôtres visant leurs relations et qui appartiennent à ces mêmes « tables d’états temporels » ? L’exercice de l’autorité dans l’Église doit-elle nécessairement s’exercer de nos jours comme il y a quelques siècles ? Les notions de collégialité, de délégation, d’organisation en réseaux ne sont-elles pertinentes que pour le monde de l’entreprise ? Ne voudrait-il pas mieux réfléchir sérieusement aux nouveaux moyens de communication (les médias, le cinéma, etc.) plutôt que d’y avoir recours par « contagion » et sans discernement ?
OSONS !
Héritage et tradition, liberté et innovation. Telles sont deux leçons essentielles que nous enseigne l’Église du Nouveau Testament. L’enracinement, qui produit la maturité, découle de la première d’entre elles. Il n’est pas de chrétien de Gaule ou du Groenland qui parvienne à la maturité chrétienne sans se savoir profondément et d’abord, fils d’Abraham.
La liberté et l’innovation favorisent l’incarnation de l’Évangile dans le temps et la culture. Ces deux leçons doivent se vivre ensemble, sous l’autorité bienveillante de la Parole du Seigneur, rendue vivante dans les coeurs par l’Esprit et dans l’Église par les ministères qu’il y suscite.
Jacques Buchhold
Professeur de Nouveau Testament à la Faculté libre de Théologle Évangelique de Vaux-surSeine, il a été collaborateur dans une oeuvre pionnière
NOTES
1 Traduction Bible du Semeur, qui voit en ce verset une allusion à la colonne commémorative et au trône. D’autres pensent à la métaphore du temple et de la muraille, l’Église étant la colonne et la muraille de la vérité.
2 Voir Christian Grappe, D’un Temple à l’autre. Pierre et l’Église primitive de Jérusalem, Paris, PUF, 1992, p. 52-66 (et 66-73).
3 Il faut noter que c’est dans ce v. que Jacques est mentionné pour la première fois dans les Actes, et que 12.20-25 (voir v. 25) assure la transition du cycle de Pierre (1.15-12.19) à celui de Paul (13-28).
4 Voir Grappe, op. cit., p. 18-29, 253-286.
5 Siméon, le successeur de Jacques à la tête de l’église de Jérusalem, pourrait être lui aussi de la famille de Jésus ainsi que Zoker et un autre Jacques qui ont exercé des responsabilités au sein du judéo-christianisme de Palestine au début du IIè s. (voir Richard Bauckham, The Relatives of Jesus, Themelios 21, 2 janvier 1990, p. 18-21). On a connu, de même, des « dynasties » de pasteurs au sein du protestantisme évangélique.
6 Cette cérémonie incluait l’offrande de sacrifices (21.26; voir Nb 6.1-21). La participation des croyants – et de Paul – à de tels rites peut paraître surprenante mais il faut se rappeler que les rites de l’A.T. n’ont de valeur que typologique : les sacrifices n’ont de sens que comme annonce ou rappel de l’oeuvre du Christ.
7 Voir Ga 6.12; Robert Jewett, The Agitators and the Galatian Congregation, New Testament Studies 17 1970-1971, p. 198-212. Jacques, lui-même, paiera de sa vie sa fidélité à l’Évangile en 62 lorsque le grand-prêtre Hanne le fera tuer contre l’avis même des pharisiens de Jérusalem.
8 Devenu archevêque de Cantorbéry en 1093, Anselme rédigera son Cur Deus homo? (Pourquoi Dieu s’est-il fait homme ?), dont la compréhension de l’oeuvre du Christ annonce celle des Réformateurs.
9 Pour les questions de chronologie concernant les diverses montées de Paul à Jérusalem, voir l’introduction à la lettre aux Galates dans la Bible d’étude Semeur 2000 (parution juin 2001).
10 Voir Je 1.18; 2.8-13; 1 Pi 1.3, 23; 3.8-12; 1 Jn 3.1-2; 4.7, 13; 2.3-6; 3.4-6.É