Deux formes de services complémentaires dans le Nouveau Testament
DANIEL LIECHTI1
Le point de vue exprimé ici est assumé personnellement par l’auteur. Les options ecclésiales présentées correspondent, dans une large mesure, à celles retenues par l’union Perspectives dont il est l’un des responsables. Elles diffèrent de celles de plusieurs autres dénominations protestantes évangéliques. Mais comme il ne s’agit pas d’un sujet fondamental de la foi, il y a place pour une présentation de la diversité des approches de la mise en œuvre des ministères dans l’Église et une réflexion théologique dans ce champ de la doctrine de l’Église.
Depuis l’origine, les Évangéliques ne veulent pas céder à la tentation d’organiser les Églises selon des critères pragmatiques seulement mais tendent à faire correspondre leurs communautés au modèle de l’Église primitive. Mais qu’en est-il en réalité de la structure des Églises du Nouveau Testament ?
Il serait naïf de penser que le texte biblique fournit un modèle unique, détaillé et intemporel, applicable urbi et orbi. Cependant, le cadre général est assez nettement donné, même si l’histoire des Églises de professants nous rappelle qu’il n’était pas toujours facile de le discerner de façon équilibrée.
Par leur sacerdoce commun, dès l’origine, tous les croyants participent à l’édification de l’Église, proclament le salut au monde, et offrent à Dieu leur louange (1 P 2.4ss). Ainsi dans le livre des Actes, nous voyons les premiers chrétiens former une communauté de disciples en mission qui vit, célèbre et annonce l’Évangile localement. Le témoignage de leur vie changée et leur service pour les autres participe à faire des disciples qui font d’autres disciples.
Dans ce bref article, il ne s’agit pas de présenter un modèle ecclésial complet2, mais d’aborder en particulier la question des deux formes de services dans le Nouveau Testament. Selon nous, celui-ci nous apprend qu’il n’y a pas qu’une seule ligne, mais qu’il en existe en réalité deux, en parallèle et complémentaires :
• le service des anciens ou conseillers pastoraux3 bénévoles4, établis voire enracinés dans un lieu donné,
• le service des pasteurs ou ministères pastoraux exercés comme activité exclusive ou principale pour un temps déterminé dans un lieu.
A. Le service des conseillers/responsables pastoraux (anciens) bénévoles : un rôle structurant important
Une des structures les plus évidentes des Églises de l’époque apostolique est celle du collège des anciens, appelé aujourd’hui souvent conseil pastoral. Les anciens ou conseillers/responsables pastoraux apparaissent dans l’Église de Jérusalem dès le chapitre onze du livre des Actes (11.30). Ils sont mentionnés systématiquement aux côtés des apôtres dans le déroulement et les décisions du synode de Jérusalem (Actes 15). Lors du premier voyage missionnaire, Paul et Barnabas s’assurent de leur nomination dans chacune des communautés qu’ils viennent de fonder (Actes 14.23). Tite reçoit une consigne semblable lors de son envoi en mission en Crête (Tite 1.5). De passage près d’Éphèse, Paul les convoque pour leur recommander de prendre soin du troupeau confié à leur charge (Actes 20.17).
Il est significatif qu’ils soient généralement plusieurs dans une même Église locale à travailler ensemble, ils sont bien enracinés dans un lieu donné, a priori bénévoles. Ceux qui remplissent cette charge sont clairement reconnus comme tels dans les Églises : lorsque Paul appelle les anciens d’Éphèse à Milet, on sait fort bien qui envoyer (Actes 20.7), lorsqu’il recommande aux Thessaloniciens ceux qui travaillent parmi eux et qui les dirigent, on sait de qui il veut parler (1 Th 5.12-13).
Selon Émile Nicole, le terme « d’ancien » n’est en rien spécifique au Nouveau Testament, il renvoie à la structure de gouvernance de l’époque, en particulier dans la société juive. Les associations, à caractère religieux ou non, sont gérées par les membres les plus respectés en raison de leur âge (anciens) et de leur notoriété. La nomination d’anciens dans les communautés primitives correspond donc à la volonté d’organiser celles-ci selon un cadre reconnu. La structure de l’association 1901 de l’époque, en quelque sorte…
Qui sont-ils ?
Paul et Pierre recommandent que ceux qui souhaitent ou envisagent d’accéder à la fonction de responsable pastoral remplissent un certain nombre de conditions (1 Tm 3.1-7 ; Tt 1.5-9 et 1 P 5.1-4). En regroupant les indications dispersées dans les trois passages bibliques, on peut les classer grosso modo en cinq groupes5. Ceux-ci sont d’importance inégale, les qualités spirituelles et morales étant bien plus nombreuses que les autres. Ce sont :
1) des qualifications spirituelles, comme posséder une certaine maturité spirituelle ;
2) des qualifications personnelles, comme la maîtrise de soi ;
3) des qualifications familiales, comme la fidélité conjugale et l’hospitalité ;
4) des qualifications sociales, comme le bon témoignage auprès des personnes hors de l’Église grâce au respect de la loi civile et morale et aux normes courantes du comportement ;
5) des qualifications propres au ministère, comme l’aptitude à enseigner, ou à exhorter et à réfuter les contradicteurs.
Encore une remarque : on a parfois, au lieu de les distinguer simplement, opposé inutilement la notion de don/charisme à celui de service/charge/fonction. Ou du moins dit des choses tellement compliquées que cela ne facilitait pas l’engagement… Alfred Kuen rapporte la citation éclairante suivante : « Le don est l’indice de la volonté du chef (le Christ) ; la charge est la marque de la reconnaissance du don par le corps (l’Église) ».
À quoi servent-ils ?
Paul recommande aux anciens de l’Église d’Éphèse de prendre garde à eux-mêmes et à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit les a établis « évêques », c’est-à-dire responsables, un terme qui, à la différence « d’ancien », évoque une fonction et non une situation. On sent bien ici l’effort pour contrebalancer les effets négatifs de la structure traditionnelle. Un peu comme s’il disait : il ne suffit pas d’être « vieux » pour être un bon « ancien ». Vous n’êtes pas seulement des notables, vous avez une fonction, un service à rendre à la communauté. C’est aussi sous le même terme « d’évêque » qu’il décrit pour Timothée et Tite les qualifications requises des responsables qu’ils sont chargés de mettre en place dans les communautés. La préférence de Paul pour le terme fonctionnel montre son intérêt pour la vie concrète de l’Église, pour son bon fonctionnement, la démarche inverse de ceux qui pensent par l’emploi d’un titre reproduire la structure de l’Église primitive.
La tâche centrale des conseillers pastoraux est de veiller sur la communauté. Elle implique principalement deux fonctions :
1) Un rôle de codirection, de guide des membres, de supervision et d’encouragement à faire la volonté de Dieu ;
2) Un rôle de berger qui peut se décliner en « diriger », « veiller », « nourrir » et « soigner ».
Selon notre compréhension du Nouveau Testament, c’est l’Église en tant que telle qui doit être apostolique, prophétique, évangéliste, enseignante, pastorale… C’est elle qui doit réaliser l’ensemble de ces facettes ministérielles.
Afin qu’elle puisse mettre en œuvre l’ensemble de ces actions, elle a intérêt à faire appel aux deux lignes de services : les conseillers/ responsables pastoraux bénévoles et les différents ministères pastoraux spécialisés (pasteurs).
La présence de cette double forme de service et la bonne articulation de celle-ci permet à l’Église de s’édifier et de remplir pleinement son ministère en faveur des chrétiens et, avec eux, dans le monde et pour le monde.
B. Les pasteurs6 : ministères pastoraux spécifiques, exercés comme activité exclusive ou principale
Ces hommes (et quelques femmes) apparaissent en premier lieu comme les collaborateurs de l’apôtre Paul. L’accent n’est pas mis sur des titres particuliers, mais il est assez aisé de constater une belle diversité de dons et de ministères. Selon nous, il s’agit précisément d’une deuxième ligne de services, parallèle et complémentaire à la première. L’apôtre la développe dans la seconde phase de son ministère, en faveur des Églises précédemment créées et pour le lancement de nouvelles communautés7. Le livre des Actes et les épîtres permettent de la discerner aisément.
Il ne faudrait pas faire l’erreur de sous-estimer la portée de la distance temporelle qui nous sépare des temps apostoliques. Sans parler du contexte culturel, social, économique très différent aujourd’hui, ainsi que les 2000 ans d’Histoire de l’Église qui ont laissé des traces positives et négatives.
Il ne s’agit ici donc pas d’essayer d’imiter le fonctionnement de l’époque mais de s’en inspirer assez librement.
A quoi les ministères pastoraux servent-ils aujourd’hui ?
La principale mission des pasteurs, consiste, grâce à leur charisme, leur exemple, leur vision et leur enseignement, à faire grandir spirituellement et à développer le potentiel de chaque membre. « Il (le Christ) a fait don de ces hommes pour que ceux qui appartiennent a Dieu soient rendus aptes à accomplir leur service en vue de la construction du corps du Christ » (Ép 4.11).
Les pasteurs ainsi donnés à l’Église œuvrent, avec leurs dons spécifiques, à :
• aider l’Église par leur leadership à développer une vision biblique de sa mission,
• enseigner et former les membres en général et les responsables bénévoles de l’Église en particulier, chacun en fonction de ses dons,
• inciter les chrétiens à grandir en maturité spirituelle et en consécration, les encourager et si besoin les reprendre,
• aider chacun à trouver et à développer son ministère respectif, au sein de la communauté et dans le monde.
Il ne faudrait pas limiter le rayon d’action de ces ministères systématiquement à la seule structure locale de l’Église. Les ministères prennent parfois avantageusement une dimension supralocale et s’exercent alors au bénéfice de plusieurs Églises d’une région, tant au niveau dé l’implantation de nouvelles communautés qu’au sein d’Églises existantes disposant par ailleurs d’un groupe de responsables bénévoles.
Les pasteurs, dans la diversité de leurs dons8, présentés dans le Nouveau Testament comme des grâces-charismes que le Seigneur accorde à l’Église9, collaborent aux côtés des responsables bénévoles pour une durée déterminée.
Qui sont-ils aujourd’hui ?
Sans leur être supérieurs ou inférieurs, ils se distinguent des responsables bénévoles – comme on peut déjà le percevoir dans l’Église primitive – principalement par quatre traits distinctifs :
• ils bénéficient d’un appel au ministère pastoral et d’un engagement spécifique correspondant à leurs dons,
• ils sont reconnus non seulement par l’Église locale mais par l’union dans laquelle ils servent,
• ils sont relativement mobiles, alors que les responsables bénévoles sont en principe fixes. Dans notre contexte, la durée de leur ministère dans une ville ou une région est généralement d’une dizaine d’année et correspond à un besoin spécifique,
• ils sont formés théologiquement de façon soutenue10 alors que les responsables locaux ne peuvent bénéficier du même type de formation et mettent d’autres atouts en œuvre.
Leur action est déterminante pour l’implantation et le développement des Églises, leur cohésion doctrinale, leur organisation et unité, les synergies régionales et nationales.
La spécificité de l’époque apostolique tient donc selon nous à l’existence d’une double forme de services au bénéfice des Églises. Ce modèle est proprement néotestamentaire. Aussi risque-t-on de freiner inutilement les possibilités de rayonnement, de solidité et de pérennité, de croissance et de multiplication des Églises en optant pour des structures d’Églises incomplètes, déséquilibrées, manquant de clarté dans le leadership ou désarticulées, qui ne laisseraient pas toute la place à l’un des deux axes.
Le Seigneur nous invite à prier pour des ouvriers pour sa grande moisson. Permettons-leur de trouver leur place respective dans l’une des deux formes de service, en fonction de l’appel spécifique que le Seigneur leur adressera.
DANIEL LIECHTI
NOTES
1 Daniel Liechti est directeur du développement de l’union Perspectives. Des Églises, une mission (nouvelle union résultant de la fusion de France-Mission et de Vision-France). Il est professeur à la Faculté libre de théologie évangélique de Vaux-sur-Seine et enseigne également à l’Institut biblique de Genève et celui de Nogent-sur-Marne. Il préside la commission d’implantation d’Églises nouvelles du CNEF, initiatrice du projet « 1 Église pour 10 000 habitants ».
2 On trouvé dans le Nouveau Testament une variété d’organisations concrètes des Églises locales ainsi que des liens qu’elles entretiennent entre elles. Nous sommes donc face à un choix qui doit se fonder sur des principes bibliques (collégialité des responsables locaux, liens de communion entre Églises, ministères d’unité, etc.) et sur les convictions nées de l’histoire du mouvement évangélique, de l’histoire des unions d’Églises et des besoins actuels. Certaines traditions valorisent l’autorité des membres de l’Église locale (congrégationalisme), celle des responsables d’Église (modèle presbytérien), celle du synode (les délégués des Églises au sein d’une union) ou encore celle du ministère pastoral principal d’une dénomination (modèle épiscopal). La position de l’auteur et de l’union Perspectives est une compréhension du Nouveau Testament qui considère que l’autorité dans l’Église est placée au moins à deux niveaux. Le modèle privilégié est donc un modèle mixte dans la lignée du modèle presbytéro-synodal : l’assemblée générale de l’Église locale et son conseil pastoral d’une part, et l’assemblée générale de l’union (le synode et par délégation la direction nationale) d’autre part. Ce modèle mixte souligne et l’importance de l’Église locale et l’unité entre les Églises. Elle marque la coresponsabilité spirituelle, en particulier dans la reconnaissance commune des ministères pastoraux et le partage de ceux-ci au sein de l’union.
3 Une précision sémantique : l’appellation « conseiller ou responsable pastoral » nous paraît plus adaptée pour aujourd’hui que celui d’Ancien, plus compréhensible aussi pour les visiteurs non avertis.
4 Nous préférons le terme « bénévole » à celui, très usité dans d’autres milieux protestants de « laïcs ». En effet, notre compréhension du sacerdoce universel nous conduit à éviter la distinction non-opportune entre d’un côté un « clergé » et de l’autre de simples « laïcs ».
5 Cf. Alfred Kuen, Ministères dans l’Église, Éditions Emmaüs, 1989, p. 101-105.
6 Nous utilisons ici le terme « pasteur » de façon générique, pour tous les types de ministères pastoraux exercés comme activité exclusive ou principale.
7 Ils sont généralement jeunes, alors que la structure associative de l’époque portait aux responsabilités des personnes d’âge mûr. D’où les exhortations répétées de l’apôtre aux intéressés, comme aux communautés, de ne pas les mépriser à cause de leur jeunesse. Paul innove, il prépare et lance des jeunes en leur confiant des responsabilités très importantes.
8 Cf. Eph 4.11. La liste des divers ministères mentionnés dans ce passage n’est pas forcément exhaustive. Il faut souligner le besoin, aujourd’hui, de garantir une diversité de ministères pastoraux. Pour cela il est selon nous utile de discerner les spécialisations et de les valoriser : pasteur-implanteur ; évangéliste ; pasteur-berger ; pasteur-enseignant ; coordinateur ; assistant…
9 Théologiquement, nous considérons que les ministères pastoraux sont donnés à l’Église dans son ensemble et non seulement à l’Église locale. Sur le plan opérationnel, nous estimons que les pasteurs sont donnés à l’union d’Églises.
10 A l’époque de la première expansion de l’Église primitive, cette formation spécifique s’acquiert essentiellement par la participation intensive au ministère de l’apôtre Paul.