Il est plus fréquent de devoir démontrer la divinité de Jésus-Christ que son humanité. Ce qui est normal au regard des discussions avec les Témoins de Jéhovah et les Musulmans, qui sont prompts à contester la doctrine de la Trinité, et la divinité de Jésus. Plusieurs des articles précédents ont démontré le caractère biblique et fondé de la divinité de Christ et de la doctrine de la Trinité.
Aujourd’hui, on ne rencontre pratiquement personne qui conteste que Jésus était humain. Cela n’a pas toujours été le cas. Le docétisme (un mouvement gnostique qui, entre autres, considérait la matière comme mauvaise et la sphère de l’esprit et de l’âme comme seule digne d’intérêt) soutenait que Christ paraissait détenir un corps humain. Mais son enveloppe était ce que nous appellerions un fantôme : il leur était impossible d’imaginer qu’un «maître» aussi noble ait des fonctions aussi basses qu’un transit intestinal !
D’autres ont bien vu que Jésus-Christ avait aussi une nature humaine, mais en adoptant des positions problématiques quant à son rapport avec la nature divine. Les nestoriens considèrent que les deux natures sont deux individus, deux personnes coexistant côte à côte sans union entre elles, et Eutychès (monophysisme) voyait la nature humaine de Jésus comme étant absorbée par sa nature divine.
La formulation retenue au concile de Chalcédoine (451 ap. J.-C.) et qui reflète l’ensemble de l’enseignement biblique, affirme que Jésus-Christ est une personne ayant deux natures subsistant sans confusion, sans transformation, sans division et sans séparation entre elles. Divers ouvrages d’introduction à la théologie permettront de comprendre plus finement cette description1.
Les discussions sur l’humanité de Christ ont été ravivées ces dernières décennies par diverses œuvres profanes qui ont retenu l’attention du grand public. Le film de Scorsese, La dernière tentation du Christ (du roman éponyme de Níkos Kazantzákis), a suscité un scandale notoire parmi les chrétiens de tous bords. Ce Jésus, qui n’avait rien de divin, cédait à des tentations bien humaines.
Plus récemment, le Da Vinci Code a soulevé la question d’un possible mariage de Jésus. Le mélange des genres (quelques bribes historiques largement modifiées par l’imagination et la spiritualité ésotérique de l’auteur) a créé un Jésus plausible aux yeux de nos contemporains : un homme, marié, père de famille, comme le dépeint Dan Brown2.
Ces productions appellent des précisions concernant la nature humaine du Fils de Dieu. En quoi Jésus nous ressemble-t-il ? En quoi son humanité estelle différente de la nôtre ? A quel point devons-nous lui ressembler ? Quelle a été son expérience au cours de sa vie terrestre ? L’exhortation populaire «que ferait Jésus à ma place ?» s’appliquet-elle à toutes les situations que nous rencontrons ?
L’article 5 de la confession de foi du Réseau FEF affirme ceci :
Nous croyons que Jésus-Christ est le Fils unique et éternel de Dieu et qu’il s’est fait homme pour notre salut. Conçu du Saint-Esprit et né d’une vierge, Marie, il est à la fois réellement homme et réellement Dieu. Il est le Messie promis par les prophètes. Tout en s’étant volontairement abaissé, le Fils de Dieu a manifesté une entière perfection dans le domaine du vrai et dans le domaine du bien. Tenté comme nous en toutes choses, il est demeuré parfaitement saint. Ayant reçu l’Esprit saint en vue de son ministère, il a parcouru le pays d’Israël pour y apporter son enseignement et accomplir de nombreux miracles attestant l’origine divine de sa mission. Dans sa vie comme dans sa mort, il a pleinement accompli la volonté de Dieu, exprimé sa pensée et manifesté l’immensité de son amour.
Nous croyons que Jésus-Christ a volontairement souffert et qu’il est mort sur la croix. Pour satisfaire à la justice divine, il a offert sa vie en sacrifice expiatoire pour les pécheurs et a ainsi subi à leur place le châtiment qu’ils méritaient.
Nous croyons que Jésus-Christ est corporellement ressuscité et qu’il a été élevé au ciel. Il siège à la droite du Père et partage sa gloire. Il intercède auprès de lui pour les siens ; il reviendra pour les prendre avec lui et pour établir le royaume de Dieu dans toute sa gloire. Il est le seul médiateur entre Dieu et les hommes. Il sera le juge des vivants et des morts. Il est le Sauveur et le Seigneur
L’objet de notre article est de recenser les caractéristiques de l’humanité de Jésus en les distinguant, chaque fois que nécessaire, des nôtres.
L’homme-Jésus est né d’une femme
Galates 4.4-5 : «Mais lorsque les temps furent accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d’une femme, né sous la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi, pour que nous recevions l’adoption».
Ce qui nous ressemble
Jésus est né d’une femme. La généalogie de Matthieu3 évoque «Joseph, l’époux de Marie, de laquelle est né Jésus» (Mt 1.16), qui est bien le premier-né de Marie (Lc 2.6-7). Naître d’une femme est l’expérience commune à tous les humains. En cela, Jésus ne diffère en rien du commun des mortels.
Ce qui nous distingue
Deux aspects rendent toutefois cette naissance particulière et différente.
L’existence préalable. Jésus est. Il se présente comme celui qui existe éternellement : «En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, moi, je suis» (Jn 8.58). Il existait «au commencement» (Jn 1.1), lui par qui Dieu le Père a créé l’univers (Col 1.16 ; Jn 1.1-3).
Sa conception comporte dès lors un mystère particulier : Dieu, infini, éternel, s’incarne dans un corps limité, qui est créé. Jésus, conscient de son existence autonome (à l’inverse de la nôtre, à jamais dépendante), s’est volontairement limité en s’incarnant et en se dépouillant de sa gloire éternelle (Ph 2.6-8 ; cf. Jn 17.5). Il ajoute à son essence divine un corps qui se «tisse» dans le sein de Marie et un esprit humain. Il passe de la gloire inimaginable du ciel à la dépendance d’un environnement biologique, d’un développement embryonnaire. L’expérience psychologique d’un tel abaissement a dû être sidérante : avoir participé à la création de l’univers, et se trouver dans l’incapacité d’émettre un son ou de bouger librement et concéder que sa nature divine ne vienne pas restreindre une véritable expérience humaine.
La question se pose de savoir d’où venait l’âme humaine de Christ. Ma perspective (dite tradutianiste) affirme que les parents engendrent aussi la partie immatérielle de l’être humain par la procréation4. Dans ce cas, on peut imaginer que le processus d’engendrement de l’âme de Jésus est accompagné de la puissance de l’Esprit, distinguant encore davantage Jésus des autres êtres humains.
La conception virginale. C’est l’affirmation catégorique de l’Écriture. Jésus est né d’une vierge, accomplissant ainsi la prophétie d’Esaïe 7.14 : une «jeune fille5» enfanterait un fils dont le nom signifie Dieu-est-avec-nous. Un nom prophétique adapté à l’identité de Jésus. Matthieu prend soin de souligner que l’ange rend visite à Marie «avant leur union» avec Joseph, qui d’ailleurs veut renoncer à l’épouser car il sait très bien ne pas être à l’origine de cet enfant (Mt 1.18-19) et Luc rapporte que Marie est «vierge» (Lc 1.27), ce qu’elle confirme en répondant à l’ange qu’elle n’a pas eu de rapports sexuels avec un homme (1.34)6.
Les conséquences de cette conception unique sont nombreuses. La conception miraculeuse dénote un cadeau du ciel dont personne ne peut se vanter. C’est également le signal d’une mission unique, d’une identité hors norme : «Le saint enfant qui naîtra sera appelé Fils de Dieu» précise l’ange (Lc 1.35).
Enfin, contrairement aux autres humains (cf. Ps 51.7) , il n’hérite pas d’une nature pécheresse. Cela ne veut pas dire qu’il tiendrait sa sainteté de ce seul fait (nous en parlerons ultérieurement), ni qu’il serait libre de la dégénérescence physique inhérente à la condition humaine. Mais que son rapport à Adam est tel qu’il pourra devenir le second Adam, le Père d’une seconde lignée humaine (1 Co 15.20-21). Jésus est déjà une nouvelle création, un nouveau commencement, inaugurant, de sa conception miraculeuse à sa résurrection, la nouvelle identité de ceux qui s’attacheront à lui.
L’homme-Jésus a grandi et a fait l’apprentissage de la vie
Luc nous rapporte que Jésus «croissait en sagesse, en stature et en grâce, devant Dieu et devant les hommes» (Lc 2.52). L’épître aux Hébreux affirme qu’il «a appris, bien qu’il fût le Fils, l’obéissance par ce qu’il a souffert» (5.7-8).
Ce qui nous ressemble
Jésus a grandi comme tout un chacun. Après sa naissance, il a dû être langé, nourri, protégé. Il a dû apprendre à parler, à compter, à lire. Il est plus que vraisemblable qu’il ait appris la profession de charpentier à l’instar de son père adoptif. Pour savoir si un figuier avait un fruit, il s’en est approché, comme tout un chacun (Mc 11.13).
Certains se demandent s’il s’était jamais trompé dans la fabrication d’une charpente, ou s’il avait pu se faire mal avec un marteau par inadvertance. La Bible ne répond pas à ces questions, mais il faut noter que la perfection de Christ touche au domaine éthique, au bien et au mal. Rien ne s’oppose, à priori, au geste qui procède d’une appréciation incomplète de l’environnement ambiant. Mais «appréciation incomplète» (Jésus ira voir si un figuier a des fruits) ne veut pas dire «appréciation erronée».
L’épître aux Hébreux nous apprend qu’il a appris «l’obéissance par ce qu’il a souffert» (Hé 5.8). L’expérience des difficultés et des épreuves apporte, à ceux qui les vivent dans la foi, cette sagesse particulière que l’on reconnaît à Jésus.
Ce qui nous distingue
L’ange décrit l’enfant qui naîtrait comme «saint» (Lc 1.35). Son apprentissage n’a jamais affecté sa perfection morale. Jésus n’a jamais péché, ni en pensée, ni en parole, ni en acte, ni par omission (1 Jn 3.5). Tenté comme nous, il n’a jamais succombé (Hé 4.15). Il a vécu et agi selon le Père (Jn 5.19, 8.28). Il a gardé ses commandements (Jn 15.10). Personne n’a pu lui reprocher la moindre faute (Jn 8.46). Aucune accusation n’a pu tenir lors de son procès. Il est véritablement l’agneau «sans défaut et sans tache» (1 P 1.19 ; 2.22), «celui qui n’a pas connu le péché» (2 Co 5.21), étant «saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs, et plus élevé que les cieux» (Hé 7.26).
Cette différence par rapport à nous s’est certainement manifestée dans la manière dont Jésus a fait son apprentissage. Bien apprendre comporte nécessairement une dimension morale, le rejet de la distraction, l’écoute de l’instruction, l’application dans la mise en pratique. On peut imaginer que Jésus apprenait parfaitement ce qu’il devait comprendre, connaître, et mettre en pratique. De quoi surprendre les maîtres qui l’ont entendu dans le temple, qui étaient manifestement surpris de sa maturité (cf. Lc 2.46-47).
Les écrits apocryphes7 rapportent d’étranges histoires sur l’enfance de Jésus : un enfant qui maudit ceux qui l’ennuient, ou qui donne vie en claquant des mains face à des oiseaux qu’il vient de sculpter dans la terre glaise. Si tel était le cas, Jésus serait moralement semblable à tous les autres enfants, usant de son pouvoir pour accomplir ses caprices. C’est en cela justement que Jésus est radicalement autre. Son apprentissage de la vie ne s’est jamais accompagné de la moindre faute morale. Aucun caprice, aucune méchanceté, aucune vengeance gratuite, aucune parole blessante, aucune convoitise qui témoignerait d’un esprit égoïste.
Avoir un frère parfait n’a pas dû engendrer que le respect des frères et soeurs ! On peut se représenter diverses formes de jalousie auxquelles Jésus a répondu sans pécher. Joseph et Marie n’ont pas été des parents parfaits (cela n’a jamais existé !) et Jésus a dû faire face à diverses formes d’injustice ou d’incompréhension avec la même maîtrise de soi.
L’homme-Jésus a connu les limitations humaines
«Ainsi donc, puisque les enfants participent au sang et à la chair, lui aussi, d’une manière semblable y a participé » (Hé 2.14).
Ce qui nous ressemble
Jésus a connu les difficultés de la vie «sous le soleil» : la faim (Mc 11.12), la soif (Jn 19.28), la fatigue (4.6), la peur (Lc 22.24). On ne saurait diminuer la réalité des privations qu’il a endurées, dont l’expérience forme déjà une tentation pour celui qui aurait pu les éviter en usant de sa capacité d’accomplir des miracles, mais qui s’en est abstenu parce que cela n’entrait pas dans les œuvres que le Père avait préparées d’avance pour lui. Nous verrons ultérieurement qu’il a connu la tentation comme nul autre. Sa participation «au sang et à la chair» est entière. Il a été assujetti à tous les maux que connaît la chair, y compris le vieillissement, et donc la maladie, la fatigue, la douleur.
Ce qui nous distingue
Il me semble qu’il existe une particularité dans l’assujettissement à la faiblesse humaine de Jésus. Celle-ci se discerne dans la violence physique qu’il endure sans mourir. Un homme aurait dû mourir plus vite (la flagellation, le manteau arraché sur une plaie importante coagulée, la marche, la croix, etc.). Or, il ne rend son esprit que lorsqu’il le décide, l’expiation achevée (Jn 19.30 ; Lc 23.46). On pourrait voir dans cette endurance une relation unique entre Celui en qui était la Vie et son corps humain.
L’homme-Jésus a été tenté
«Car nous n’avons pas un souverain sacrificateur incapable de compatir à nos faiblesses ; mais il a été tenté comme nous à tous égards, sans (commettre de) péché. Approchons-nous donc avec assurance du trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, en vue d’un secours opportun» (Hé 4.15-16).
Ce qui nous ressemble
Ce texte biblique affirme qu’il a été tenté «à tous égards». Aucune tentation humaine ne lui a été étrangère. Il a expérimenté toutes les frustrations de l’existence, toutes les formes de désirs, la tentation d’ambitions malsaines, celle du découragement, sans toutefois qu’il y cède. Il a connu la consternation devant la mort d’un proche (Jn 11.33 – le verbe «frémir» rend mal l’émotion profonde de tristesse et de colère devant cet ennemi terrible qu’est la mort, cf. 1 Co 15.26). Cette situation de faiblesse personnelle lui permet de comprendre pleinement la nôtre (Hé 5.2-3). Son secours est d’autant plus pertinent qu’il s’accompagne de l’expérience de notre faiblesse. Nous pouvons venir à lui sans masque, confiant en sa grâce. Il connaît la difficulté de la vie. Nous pouvons venir à lui dans la prière, confiants dans sa compréhension et son secours.
Mais il n’a jamais cédé en quoi que ce soit à toutes formes de tentation. Il n’a pas employé ses attributs divins pour obtenir la victoire sur le péché : c’est en tant qu’homme qu’il s’est battu, et qu’il a gagné. Il s’est confié en Dieu par la foi, a utilisé la Parole de Dieu contre le menteur, a prié le Père pour son intervention. En cela, il est un exemple pour nous.
Ce qui nous distingue
Aucune désobéissance aux lois divines (c’est la définition même du péché, 1 Jn 3.4), aucun manquement dans son amour pour Dieu et du prochain (l’essence de l’obéissance, Mt 22.3440), aucune faute morale, ce que même ses opposants ne pouvaient réfuter (Jn 8.46). Il a accepté l’adoration aimante d’une prostituée sans l’instrumentaliser pour une convoitise charnelle (Lc 7.36s). Il a vécu en homme célibataire8 et vierge, maintenant une vie exempte de toute impureté morale (Hé 4.15 ; 1 P 1.19). Jésus a exprimé une confiance inébranlable en la souveraineté et la providence du Père, même lorsque le diable lui a proposé une autre manière de vivre (Mt 4.1-11), ou quand la foule voulait l’introniser pour de mauvais motifs (Jn 6.15s). Il a su obéir face au désir violent d’échapper à la croix (Lc 22.40-41), se soumettant à la douleur inimaginable d’une séparation d’avec le Père qu’il n’avait jamais vécue. La tentation de Jésus est source de longs débats : Jésus pouvait-il pécher9 ? La solution la plus sûre est de considérer qu’il était possible qu’il pèche dans son humanité (il en avait la capacité physique et psychologique) mais que sa divinité rendait impossible qu’il pèche (Dieu ne peut pas pécher). C’est ainsi que l’Agneau sans défaut a pu accomplir l’expiation : parce qu’il a été pleinement victorieux, en tant qu’homme, sur la tentation. Sa victoire sur la tentation a prouvé la perfection du Christ et a garanti l’efficacité de notre salut : «C’est bien un tel souverain sacrificateur qui nous convenait : saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs, et plus élevé que les cieux, qui n’a pas besoin, comme les souverains sacrificateurs, d’offrir chaque jour des sacrifices, d’abord pour ses propres péchés, et ensuite pour ceux du peuple. Cela, il l’a fait une fois pour toutes, en s’offrant lui-même. La loi en effet établit comme souverains sacrificateurs des hommes sujets à la faiblesse ; mais la parole du serment postérieur à la loi, a établi le Fils qui est parvenu pour toujours à la perfection» (Hé 7.26-28).
L’homme Jésus est mort et ressuscité
Ce qui nous ressemble
Jésus a connu l’agonie de la mort, comme tout être humain la vivra un jour. L’apôtre Paul le dit ainsi : «Après s’être trouvé dans la situation d’un homme, il s’est humilié lui-même en devenant obéissant jusqu’à la mort, la mort sur la croix» (Ph 2.7-8). Il s’est rendu vulnérable à la haine des foules, à la violence et à la honte publique de son exécution. Il a démontré une parfaite confiance dans la providence du Père quant aux circonstances de sa mort.
Ce qui nous distingue
Jésus savait qui le ferait mourir et quand cela se produirait (Mc 9.31 ; Lc 18.31). Il ne prend pas de risques inconsidérés avant (Lc 4.9), il s’échappe quand cela est nécessaire (Jn 7.30 ; 10.39), il se laisse arrêter quand c’est le moment (Jn 18.11). Le temps précis de sa mort était fixé de toute éternité (Ac 4.28) pour s’accomplir dans l’histoire selon un calendrier précis (cf. Dn 9.26). Personne ne peut aborder sa mort ainsi !
Lorsqu’il lui fallut mourir, c’est lui qui rendit l’esprit, l’expiation achevée (Jn 19.30). Personne ne lui a pris la vie sans qu’il la donne de sa propre volonté (Jn 10.18).
C’est ainsi qu’il a écrasé «celui qui détenait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable» (Hé 2.14) : une victoire complète sur le péché, sur celui qui est à l’origine du péché, et sur la conséquence du péché.
L’homme-Jésus est-il «chef de file» ou modèle ?
La question «que ferait Jésus à ma place» est pertinente. Mais elle a ses limites.
Jésus comme être unique
Jésus n’a jamais été confronté aux conséquences d’un péché commis par lui. Il n’a jamais dû se relever d’une faute morale, ni connaître en lui-même le désastre du péché sur la conscience, ni expérimenter l’enfermement d’une addiction. Il peut les comprendre pour avoir expérimenté la condition humaine, pour les avoir rencontrés chez autrui au cours de son parcours terrestre et par son omniscience. Mais il ne sera jamais dans cette situation.
On peut imaginer également que sa perfection morale a engendré une liberté de conscience, une joie de vivre, une créativité libérée de tous les atermoiements de notre existence. Tout ce qu’il a appris, il l’a parfaitement appris, suscitant des capacités et des dons supérieurs aux communs des mortels.
Quand son ministère débute, accompagné de la plénitude de l’Esprit, il enseigne «avec autorité», et manifeste une sagesse et une connaissance qui n’ont pas manqué de surprendre. Il ne sollicite jamais l’avis des apôtres, et remet à sa place jusqu’à sa propre famille quand nécessaire. Il ne consulte personne. Il suit avec constance, sans jamais en dévier, la volonté du Père, en toute indépendance.
C’est ainsi que la question «que ferait Jésus à ma place ?» pourrait être dangereuse : aucun homme ne peut agir comme lui, car aucun homme n’est sans péché, comme lui, vivant une communion parfaite et éternelle avec le Père. Agir «comme Jésus» ne serait rien moins qu’un autoritarisme sectaire
Jésus comme chef de file
La perfection morale de Christ nous sera étrangère pendant le temps de notre chemin sur cette terre, nous qui n’avons «que» les arrhes de l’Esprit (2 Co 1.22).
Son incarnation a pour vocation d’être le pont parfait entre Dieu et les hommes (1 Tm 2.5), et cette médiation, cette prêtrise, est inimitable. Le fondement de notre salut est la substitution (2 Co 5.21) : Jésus vit la vie parfaite que je ne vis pas, meurt pour la condamnation que je mérite, et ressuscite pour accorder une vie nouvelle et éternelle. C’est ainsi qu’il devient le chef d’une nouvelle humanité : tous ceux qui se tournent vers lui deviennent ses enfants (Jn 1.12), ses frères (2.11), qui héritent avec lui (Rm 8.17) de tout ce que la croix a conquis (Hé 2.15).
En cela, je ne peux pas vraiment l’imiter, mais simplement tenir compte de ce qu’il est ma vie, ma mort, mon espérance (Rm 5.18 ; 1 Co 15.22-47).
Jésus comme modèle
En même temps, Jésus demande à ses disciples de prendre modèle sur son amour (Jn 13.34). L’apôtre Paul exhorte les Philippiens à l’humilité en considérant l’incarnation de Jésus (Ph 2.1-5). L’auteur de l’épître aux Hébreux nous exhorte à courir l’épreuve de la vie, «les yeux fixés sur Jésus» (Hé 12.1-2). Paul exhorte les Corinthiens à l’imiter, comme luimême imite Christ (1 Co 11.1). Jésus est l’Homme qui peut inspirer tout homme, toute femme. Sa compassion, son souci des rejetés et des malades, son respect des enfants, sa manière d’entamer des discussions, doivent faire l’objet de notre méditation et de notre imitation.
Jésus est le Seigneur de gloire. Une gloire qu’il a choisi de masquer pendant son périple terrestre. Il a aimé notre humanité déchue, au point de s’y intégrer. Dieu et homme, il est l’unique pont qui nous permet d’accéder à Dieu. Avant de retourner vers le Père, il a prié que les élus soient auprès de lui. Nous pourrons alors contempler sa gloire, et nous émerveiller toute l’éternité qu’un Dieu si grand ait pu tellement montrer d’humilité. Il nous demande de le suivre maintenant comme Maître. Comment pourrions-nous répondre autrement que par une vie qui lui soit consacrée ?
FLORENT VARAK
NOTES
1 Alain Nisus, s. dir., Pour une foi réfléchie, La Maison de la Bible, 2014, p. 391s. Paul Enns, Introduction à la théologie, Éditions CLE, 2009, p. 238s.
2 La thèse n’était pas nouvelle. Lincoln, Baigent et Leigh l’avaient proposée dans un ouvrage d’enquête ésotérique, L’Énigme sacrée (1982). Dan Brown a popularisé l’idée, ancrant dans la conscience collective du grand public cette fable selon laquelle Jésus et Marie-Madeleine auraient été mariés.
3 On explique la différence de généalogie entre Matthieu et Luc en notant que Matthieu indique la généalogie politique ou messianique, tandis que Luc livre l’ascendance biologique. On propose ensuite, pour expliquer des noms différents pour les grands pères de Jésus, un second mariage, de type lévirat. D’autres explications ont été avancées.
4 Par opposition à la perspective créationniste qui soutient que Dieu créé une âme à chaque conception d’un enfant par ses parents.
5 calmah désigne une jeune femme non mariée, donc vierge selon les coutumes strictes de l’époque, cf. Gen. 24:16, 43; Ex. 2:8. Les traducteurs de la LXX ont bien vu en traduisant par parthenos, vierge.
6 Pour un traitement des objections, voir Nisus, op. cit., p. 382-385.
7 Ce terme désigne des textes associés à Jésus ou aux apôtres, mais que l’Église n’a pas retenus comme dignes de confiance. Ils ont été écrits entre 1 et 4 siècles après Jésus, souvent dans des milieux gnostiques, bien éloignés de la pensée judéo-chrétienne. Pour une analyse de cette question, voir Sylvain Romerowski, Qui a décidé du canon du Nouveau Testament ? Excelsis, 2013.
8 Voir Florent Varak, Le mariage de Jésus, Editions Clé, 2005, pour une discussion de cette question.
9 Voir Henri Blocher, La doctrine du Christ, Edifac, 2014, p. 154s pour l’analyse approfondie de cette question, un peu marginale par rapport au sujet de cet article.