Cet article fait suite à celui paru dans l’InfoFEF n° 117 traitant de l’aspect universel de l’Église depuis son origine jusqu’au 11e siècle. Par la poursuite d’un survol de l’histoire du 16e siècle à nos jours, nous engageons chacun à prendre du recul par rapport à notre réalité d’aujourd’hui et à bien comprendre le sens historique des mots. L’article est un extrait de l’intervention orale de Neal Blough lors de RIMÉ 2008. Il conserve le style parlé du discours.

Les schismes dans l’Église chrétienne à partir du 16e siècle

Après nous être arrêtés au schisme entre l’Église d’Orient et d’Occident au 11e siècle, passons au 16e siècle. Puisqu’on considère toujours à l’époque que ce sont les conciles qui peuvent guérir les schismes, Luther en demande un. Mais une fois les séparations faites, voilà qu’un problème se pose puisqu’en Europe, quatre Églises se considèrent comme « seules et vraies » : l’Église catholique romaine, l’Église luthérienne, l’Église réformée, l’Église anglicane et les quelques anabaptistes qui survivent. Alors que faire?

On peut bien affirmer le principe du « sola scriptura»… Mais dans le contexte des débats d’alors, ce principe signifie d’abord que l’Église peut se tromper et qu’elle n’est pas une institution auto-justifiante: l’Écriture est au-dessus de l’Église. Il faut alors approfondir et se poser la question de comment résoudre les différences de lecture biblique. Luther affirme que Jésus est corporellement présent dans le pain et le vin et Zwingli affirme que ces éléments sont des symboles. Luther, Zwingli et Calvin disent qu’on peut baptiser les enfants et tueront des gens qui disent le contraire… Comment résoudre ces questions ? Quelle est l’instance reconnue pour régler les débats, pour dire la vraie doctrine? Ainsi, alors qu’avant le 16e siècle, l’orthodoxie catholique est réglée par les conciles et la hiérarchie, c’est par des confessions de foi qu’aux 16e et 17e siècles que l’orthodoxie se définit: confessions d’Augsbourg, de La Rochelle, confession Helvétique et les 39 articles de l’Église Anglicane. L’Europe se transforme donc en un patchwork de confessions différentes, alors que la logique ancienne de Théodose et de Constantin perdure parallèlement. Ainsi, chaque Église est-elle liée à un territoire avec son roi ou son prince qui soutient l’orthodoxie conforme à son territoire: à Genève, on est réformé et pas luthérien; dans la Nord de l’Allemagne, on est luthérien et pas réformé; en France, on est catholique, sinon on vous tue… Ainsi les identités se construisent-elles désormais les unes contre les autres, et ce, dans des contextes extrêmement conflictuels : les guerres de religions dureront jusqu’au milieu du 17e siècle. On fait de la théologie dans les universités, sur les champs de bataille… On élabore des confessions de foi, on oblige les gens à se déplacer et… on met à mort des hérétiques, les transformant en martyrs : des catholiques, des réformés, des luthériens, des anabaptistes sont mis à mort au nom de la seule vraie foi. L’orthodoxie des 16e et 17e siècles est donc polémique et guerrière.

C’est un appel à réfléchir à notre manière de construire notre identité. Personnellement, je sais depuis toujours, par ma naissance dans le milieu mennonite, que je ne suis pas catholique et que les catholiques ont tort. Je sais que les luthériens ont tort, au moins sur le baptême, et les réformés aussi… Nos théologies d’Occident se sont construites les unes contre les autres. C’est une manière d’affirmer : «nous avons raison et nous ne sommes pas comme les autres ». Nos confessions de foi auto-justifiantes ont été écrites dans le sang, que nous nous en souvenions ou non Et ce n’est pas sans conséquence sur notre époque. Il nous faut être conscient que toutes nos Églises sont nées dans le schisme: nos identités théologiques comportent donc des éléments de polémique et de stigmatisation de l’autre.

Examinons maintenant une autre rupture de catholicité, après celles du 11e siècle et du 16e siècle.

Au 18e , l’arrivée du siècle des Lumières s’enracine dans des causes multiples. On considère d’habitude que les «grands méchants » de cette période sont la science et la philosophie, les intellectuels rejetant la foi chrétienne. Même si c’est juste, ce n’est pas complet. En effet, en 1750, l’Europe est fatiguée de la guerre entre chrétiens, lassée de cette orthodoxie guerrière. La description de la piété populaire en Grande Bretagne ou en Allemagne au début du mouvement piétiste montre très nettement cette lassitude: on ne veut plus de religion imposée ou polémique. Le premier piétisme naît contre l’orthodoxie polémique. Quand Spener écrit sur les controverses entre chrétiens, il est très dur. Ainsi, un début de rupture, de rejet du christianisme, naît-il dans la culture occidentale. Les Églises en portent une responsabilité certaine…

Ce rejet va influencer la théologie des 18e , 19e et début du 20e siècle pour produire la théologie libérale. Les sciences nouvelles et l’approche critique mettent en question les dogmes traditionnels de la foi chrétienne, d’où de nouveaux schismes dans le monde protestant: luthériens et réformés se divisent entre libéraux et traditionnels, de même chez les anglicans et aussi chez les catholiques au début du 20e siècle. Autant de nouvelles sources de rupture entre chrétiens qui se réclament du Christ mais n’ont pas même manière de formuler leur théologie. Ainsi en France et en Europe, l’image publique de la religion est-elle celle du conflit et de l’intolérance.

Les efforts pour retrouver une l’unité

L’unité brisée va contribuer à faire naître le mouvement dit œcuménique. Il faut savoir que les efforts modernes pour l’œcuménisme trouvent leur origine dans le monde évangélique du 19e siècle. Le terme évangélique, à cette époque, pouvait décrire une bonne partie du monde protestant. Et ce monde évangélique est le fruit de plusieurs familles protestantes : on se réclame de Luther, de Calvin, du piétisme, des réveils et de la Mission…

C’est l’élan missionnaire de la fin du 18e siècle et du 19e siècle qui constitue une des premières sources de l’œcuménisme. Les missions sont inter-dénominationnelles, par exemple avec Carey. Dans la Société Missionnaire de Londres, en 1795, on trouve des anglicans, des presbytériens, des baptistes et des congrégationnalistes : c’est là la marque «évangélique». En plus de ces missions, voient le jour des sociétés d’évangélisation, des sociétés bibliques, des organisations sociales engagées contre l’esclavage, la pauvreté… Les diaconesses de Reuilly font partie du monde évangélique d’alors, implantées dans le but d’évangéliser les filles de la rue. Ce monde évangélique cherche à motiver la jeunesse et met en place des unions chrétiennes de jeunes gens (UCJG). Ces actions de type inter-protestant marquent le Réveil. À la première conférence universelle des UCJG, à Paris en 1855, les délégués adoptent « la base de Paris » qui stipule que « les UCJG ont pour but de réunir dans une même association les jeunes gens qui regardent Jésus Christ comme leur Sauveur et leur Dieu, selon les Saintes Écritures, veulent être ses disciples dans leur foi et leur vie et travailler ensemble à étendre parmi les jeunes gens le règne de leur Maître. » Les origines du mouvement œcuménique sont donc dans le monde évangélique et dans l’appel et l’action missionnaires.

L’Alliance Évangélique est fondée pour rassembler le monde évangélique au-delà des divisions. C’est ainsi qu’en 1846, Adolphe Monod utilise pour la première fois le mot «œcuménisme» : il parle d’œcuménisme évangélique. André Thobois raconte l’histoire: «La salle était pleine à craquer, 4000 personnes avaient entendu l’invitation pour fonder l’unité évangélique, des représentants de 50 dénominations du monde entier étaient là. » On visait une Alliance non pas entre Églises ou dénominations, mais entre individus : il n’y avait pas de visée structurelle. Les journaux de l’époque reflètent l’enthousiasme et la motivation tout comme ce participant qui a écrit: «C’est ainsi, en nous réunissant, que les plaies de l’Église pourront se fermer peu à peu. Il faut en effet travailler pour faire disparaître l’esprit de secte; il faut imprimer aux controverses religieuses un caractère de douceur, de fraternité. Ce ne sont pas tant les différences dogmatiques qui élèvent une barrière entre les Églises que l’esprit sectaire, l’exclusivisme, l’intolérance. Et c’est contre ce mal qu’il faut agir. Ils sont malheureusement encore en grand nombre dans toutes les communions, ces hommes qui défendent ce qu’ils appellent l’orthodoxie avec un grand fracas de paroles et en lançant force anathème à droite et à gauche. Ils peuvent en imposer à quelques esprits par leur ton positif et tranchant, mais chez beaucoup d’autres, ils ne produisent aucune conviction. Ils repoussent plutôt. Ils réussissent à arracher quelques mauvaises herbes, mais leur main de fer écrase bien des plantes utiles et gracieuses. Ce qu’il faut à l’Église, c’est la rosée douce et fertilisante de la charité. ».

L’action de l’Alliance Évangélique va pourtant être freinée par le contexte du 19e siècle. En effet, en 1846 aux USA, le fait que des membres d’Églises aient encore des esclaves va créer d’importantes difficultés. Cependant, partout, l’élan pour l’unité et pour la mission se développe. Il traverse le milieu européen et américain et nous sommes héritiers de cette histoire.

Un autre phénomène vient influer sur cette évolution: l’organisation des familles confessionnelles sur plan mondial. Ce sont les anglicans qui commencent vu l’expansion coloniale et l’extension de l’Église d’Angleterre. Ils élaborent des documents doctrinaux et fixent les éléments fondamentaux pour permettre l’unité: l’Écriture, le symbole de Nicée – Constantinople, les deux sacrements (baptême et cène), l’épiscopat comme structure d’Église, lequel remonte au 2e siècle. Les luthériens font de même en 1868 et considèrent l’Écriture et Nicée – Constantinople comme fondements de la foi. Mais ils y ajoutent la confession d’Augsbourg. Puis suivent l’Alliance réformée mondiale en 1875, les méthodistes en 1881, les baptistes en 1905, les mennonites en 1925: apparaît donc la conscience d’appartenir à une famille mondiale et donc universelle. La Mission, d’ailleurs, y contribue fortement.

C’est d’ailleurs elle qui, en 1910, va jouer un rôle important pour stimuler les chrétiens à l’unité, selon Jean 17. Les organisations missionnaires avaient l’habitude de se réunir pour parler mission, stratégie… Et c’est lors de la rencontre missionnaire d’Édimbourg, en 1910, que commença un très important cheminement vers la conscience œcuménique. 150 missions et 1200 délégués sont présents, essentiellement britanniques et allemands, ainsi que français et suisses avec quelques chrétiens issus des Églises non européennes et non américaines. Une commission travaille sur la coopération dans la mission et sur l’unité. On y discute des collaborations entre sociétés de missions et on envisage la création d’un mouvement fédératif missionnaire pour aller à l’encontre des divisions. La conférence est marquée par les jeunes Églises de Chine et d’Inde qui demandent aux Églises d’occident de dépasser leurs divisions. Ces déclarations «électrisent » la conférence. Voici l’appel à l’unité que lança un chrétien chinois : «Le mouvement en faveur de l’unité des chrétiens occupe une part centrale pour les Églises en Chine et les chrétiens de Chine attendent la décision de la conférence relative à cette importante question. Nous espérons voir dans un proche avenir une Église chrétienne où auront disparu toutes les dénominations ecclésiastiques particulières. Peut-être cet espoir paraîtra-t-il exagéré, mais n’oubliez pas de nous juger de notre point de vue si vous ne voulez pas que le peuple chinois reste un peuple mystérieux. L’Église est universelle et elle n’a rien à faire avec les dénominations et pas davantage avec les nationalités. Vous apportez chez nous vos divisions et ce n’est pas une bonne chose. » Ainsi la Mission produit-elle des Églises qui à leur tour interpellent les sociétés missionnaires. En 1910, les missions et sociétés missionnaires partagent cet optimisme: «Au cours des deux générations qui suivent, on va évangéliser le monde tout entier. »

Mais arrive 1914, le grand choc que personne n’attendait… L’Europe «chrétienne» se déchire…, choc dont nous ne pouvons guère imaginer l’impact. En 1918, beaucoup de chrétiens, scandalisés, se demandent comment un tel drame a pu arriver dans ces pays réformés, luthériens, catholiques… Comment rendre à nouveau crédible le témoignage des Églises en Europe? C’est alors que deux mouvements importants voient le jour : Vie et action, et Foi et constitution. Voyons leurs motivations respectives sachant qu’elles se retrouvent dans nos milieux aujourd’hui.

Vie et action plonge ses racines dans le christianisme social du 19e siècle. Ce phénomène protestant avait déjà le souci d’une présence chrétienne dans la société. Mais il veut maintenant tenir compte de l’échec de la guerre. D’ailleurs, pendant la guerre elle-même, une alliance s’est formée pour demander l’arrêt du conflit. Elle n’a malheureusement pas abouti. Ensuite, la guerre terminée, ce mouvement se structure dans le but de guérir les plaies entre chrétiens. En effet, les blessures ne sont plus seulement dogmatiques : la haine s’est installée entre les nationalités… Sous l’impulsion d’un pasteur suédois luthérien, une stratégie d’unité se développe: «Nos divisions nous séparent; agissons ensemble, mettons nos divisions en sourdine; l’unité vient de la collaboration pratique. » On pose une base dogmatique minimale: c’est une démarche spirituelle et non institutionnelle. L’unité est dans l’action; on ne se soucie guère des structures. Et puis apparaît une ouverture inattendue. Alors que jusqu’ici, la recherche d’unité touchait uniquement les protestants (les catholiques en étant totalement absents), une nouvelle famille vient s’ajouter : du fait de la Révolution russe, des Églises orthodoxes d’Alexandrie, de Bucarest, de Sofia, de Belgrade, acculées par les circonstances, cherchent de l’aide auprès d’autres chrétiens. Les Russes, eux, ne peuvent pas se déplacer. Et ainsi, les orthodoxes apportent leur… orthodoxie là où il n’y avait au départ que peu de soucis dogmatique! Lors du 16e centenaire de Nicée – Constantinople, les orthodoxes clôturent en récitant ensemble le symbole. Vie et action ne l’aurait pas fait seul… Ainsi la vieille orthodoxie du 2e siècle se rappelle-t-elle à leur bon souvenir ! Ce mouvement Vie et action s’adresse au chômage, au problème de la licence des mœurs, à l’horreur de la guerre…, l’enjeu majeur étant de mettre ses convictions à l’épreuve de l’action. Le principe en est simple: c’est dans l’action qu’on trouve l’unité.

Mais à la même époque, d’autres protestants prétendent quant à eux que sans unité doctrinale, rien ne peut être fait ensemble. Un groupe international, Foi et vie, constitué de protestants et d’orthodoxes, tente donc de régler les questions de doctrine. Les anglicans mettent sur la table 4 points : les Écritures saintes, Nicée-Constantinople, le baptême et la cène, l’épiscopat historique. Ces points ne choquent pas les orthodoxes. Pour les protestants, c’est plus difficile… On décide donc de cheminer ensemble pour trouver des accords de doctrines. Mais comment faire quand on sait déjà que les différences sont importantes ? En 1916, on propose une stratégie: Foi et vie, devenue Foi et constitution, ne demande à aucune Église de renoncer au « trésor particulier qu’elle a reçu de la plénitude du Christ ». On vient à la table avec ce que l’on est, sans être obligé de renoncer à son identité. Mais «chaque Église est exhortée à développer sa vie non dans le sentier étroit de son sillon confessionnel mais dans le chemin royal de l’Église unique et unie du Christ ». La première grande conférence de ce mouvement se tient à Lausanne en 1927: pour la première fois, de multiples confessions confrontent directement leurs divergences théologiques et ecclésiologiques. Il s’y dessine deux grandes familles :

celle prônant l’épiscopat et celle pour qui la structure de l’Église ne fait pas partie de l’unité. À l’issue de cette rencontre, l’avis est unanime: « l’Esprit de Dieu a été au milieu de nous. Nous ne serons jamais plus ce que nous avons été auparavant. » On propose à la discussion six critères permettant de reconnaître l’Église depuis le temps des apôtres : elle possède et confesse la Parole de Dieu selon les Écritures, professe la foi en Dieu que Jésus-Christ a révélé et dont il est l’incarnation, accepte le mandat du Christ de prêcher l’Évangile à toute créature, pratique des sacrements (mais ne dit pas combien), reconnaît un ministère (pas seulement le ministère épiscopal), réalise la communion fraternelle par la prière, le culte, les sacrements, la poursuite de la sainteté et le service du prochain. (Foi et constitution de 1927). On peut difficilement ne pas être d’accord et en même temps, voilà tout un programme de confrontation! C’est une stratégie: on vient à la table sans mettre en sourdine ses particularités et on essaie de voir ce qu’on peut dire ensemble.

En 1948, plusieurs Églises jugent sage de conjuguer ces deux approches : il faut mener des actions ensemble mais on ne peut négliger les questions de doctrine. Vie et action et Foi et constitution fusionnent pour former le Conseil Œcuménique des Églises. Le contexte est modelé par la deuxième guerre mondiale et le début de la guerre froide. Il est aussi influencé par la théologie de Karl Barth qui réagit contre la théologie libérale allemande du 19e siècle et appelle à revenir à la révélation transcendante de Dieu en Jésus-Christ. Dans un premier temps, le COE est resté dans cette ligne. Puis il s’est politisé (surtout dans les années 1960: théologie de la libération, lutte contre l’apartheid…). Il connaît actuellement une crise économique très importante à cause de la faiblesse des Églises protestantes en Europe.

Jusqu’au milieu du 20e siècle, le monde évangélique est très influencé par le fondamentalisme, très antilibéral et plutôt séparateur avec le souhait de rester pur : l’idée même de parler avec ceux qui ne partagent pas la même foi est vue comme une trahison. Puis, petit à petit, des personnes, appelées au début «néo-évangéliques », ne se satisfont pas de cette position: Carl Henry et Billy Graham aux USA. Tout en restant très orthodoxes sur le plan de la théologie, ils ne veulent plus rester à l’écart des débats de société et être vus comme sectaires et rejetant tout en bloc. C’est alors que recommence une recherche d’unité parmi les évangéliques et que prennent naissance l’Alliance Évangélique Mondiale et le mouvement de Lausanne et de Manille. «L’Alliance Évangélique Mondiale affirme et recherche l’unité du corps de Christ, l’Église. » Le mouvement de Lausanne et Manille rassemble des évangéliques qui viennent de tout le monde, réfléchissent ensemble et produisent des documents très utiles.

Quelle a été la position du monde catholique face à cette évolution?

Nous avons vu que les conciles et les documents conciliaires ont une importance énorme pour cette Église. Ils expriment la position théologique officielle. Au 16e siècle, le concile de Trente a inscrit une définition de la foi de l’Église catholique très anti-protestante: ce n’est pas pour rien que l’on parle de contre-réforme. Depuis le 16e siècle, une bonne partie de l’identité catholique est donc «contre» nous, comme une bonne partie de notre identité protestante est anti-catholique.

Quant au 19e siècle, c’est une période très dure pour l’Église catholique, surtout en France: la révolution française s’est en grande partie faite contre l’Église catholique. On a même essayé d’abolir l’Église, ce qui a réussi mais pendant un an et demi seulement. L’Église catholique va lutter contre les valeurs, l’esprit et la politique inspirés de la révolution, qu’elle associe en même temps au protestantisme. Elle réagit également contre la théologie moderniste et libérale. Comme au concile de Trente, la réaction renforce les idées. Un exemple: la modernité remet en question le surnaturel, les miracles. Pour la contrer, l’Église catholique insiste alors sur le caractère surnaturel de Dieu, sur les apparitions… Le côté marial de l’Église catholique, déjà très présent au 16e siècle comme notion antiprotestante, est rehaussé au 19e siècle. L’élément d’autorité de l’Église catholique également: puisqu’on remet en question les bases même de la connaissance humaine, il faut une autorité sûre. En 1870, lors de Vatican I, l’infaillibilité du pape est définie comme dogme officiel pour la première fois. Nous avons donc, au début du 20e siècle, une Église très catholique et plus romaine que jamais, ce qui fait dire à René Rémond, historien catholique, que l’autorité papale telle que nous la connaissons aujourd’hui remonte au 19e siècle.

Dans les années 1920, les catholiques sont invités aux conférences de Vie et action et Foi et constitution. Ils refusent et le Pape, en réaction, rédige en 1927 une encyclique (« les âmes des mortels ») pour préciser l’attitude catholique envers cet œcuménisme récent. «En vérité, nous ne savons pas comment, à travers une si grande divergence d’opinion, la voie d’unité de l’Église peut être ouverte quand cette unité ne peut naître que d’un magister unique, d’une règle unique de foi, d’une même croyance. » Et Pie XI de lancer une invitation aux protestants et aux orthodoxes à « revenir se confier à son magister et à son gouvernement ». C’est donc un refus catégorique, basé sur la théologie catholique du 19e siècle, hyper-catholique et hyper-romaine.

Puis arrivent communisme et nazisme qui poussent l’Église catholique, selon René Rémond, à considérer qu’il peut y avoir du bon dans les valeurs de la révolution et de la modernité. Jean XXIII convoque alors Vatican II dont les documents précisent jusqu’à nos jours la théologie catholique. Il serait bon que ceux qui disent qu’il n’y a pas eu de changement dans l’Église catholique lisent l’ensemble des documents conciliaires : ils découvriront le contraire. Les changements initiés par Vatican II n’ont pas tous été concrétisés, certes. Mais celui de Trente a nécessité 150 ans… Deux documents de Vatican II sont essentiels sur notre sujet: « le décret sur l’œcuménisme» et « la déclaration sur la liberté religieuse». Le décret sur l’œcuménisme, sur la base de citations bibliques comme Jean 17 ou Col 1 v. 18-20: «exhorte tous les fidèles catholiques à reconnaître les signes des temps et à prendre part active à l’effort œcuménique. (…) Il est, en effet, très important que les futurs pasteurs et les prêtres possèdent la théologie ainsi exactement exposée et non pas en termes de polémique, surtout pour les questions concernant les relations des frères séparés avec l’Église catholique. » C’est donc un changement important par rapport à l’encyclique de 1927. L’Église catholique s’engage dans le chemin de l’œcuménisme et porte une appréciation nouvelle sur les autres chrétiens. Certes, ça n’a pas atteint tous les catholiques ; certains pays sont plus avancés que d’autres, certaines régions de France plus que d’autres. (Ayons toujours à l’esprit que l’Église catholique est une machine globale, très complexe et très diverse selon les pays. Et prenons garde aussi au risque de comparer le pire de l’Église catholique avec ce que nous considérons comme le meilleur chez nous.) Alors qu’auparavant tout protestant était considéré comme hérétique, après Vatican II, « les autres chrétiens sont justifiés par la foi dans le baptême, incorporés au Christ, ont à bon droit l’honneur de porter le nom de chrétiens et sont reconnus avec raisons comme frère dans le Christ. » On ne peut donc pas passer sous silence cette évolution. Ayant dit cela, reste encore l’affirmation forte que la plénitude de l’Église se trouve dans l’Église catholique et que les autres chrétiens sont des « frères séparés ». Il faut aussi savoir que dans une de ses encycliques, Jean-Paul II a écrit: « Il faudrait que nous changions notre manière de concevoir le ministère d’unité de l’évêque de Rome. » Le statut du pape est effectivement une grande pierre d’achoppement. D’ailleurs les orthodoxes et les protestants disent clairement qu’aussi longtemps que l’Église catholique insistera sur l’autorité de Pierre, il ne peut être réellement question d’unité. C’est aussi pour cette question d’organisation épiscopale que l’Église catholique utilise le terme de «communautés ecclésiales » pour désigner les autres Églises. Pour cette même raison, elle ne fait pas partie du Conseil Œcuménique des Églises. Elle a cependant accepté le statut d’observateur, pour être présente aux réunions voire participer à des commissions.

La déclaration sur la liberté religieuse de Vatican II fait aussi évoluer les lignes. «Le Concile du Vatican déclare que la personne humaine a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience, ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres. » L’Église catholique renonce à être la seule Église d’un territoire donné. Connaître ces textes peut être utile dans nos discussions avec les autorités, au sujet des lieux de culte notamment. C’est d’ailleurs en grande partie à cause de ce texte que des catholiques traditionalistes ont quitté l’Église catholique.

Ainsi, le mouvement de rapprochement entre chrétiens divisés se fait en deux temps : d’abord le monde évangélique (19e siècle) et ensuite protestant et orthodoxe (20e siècle) qui aboutit au Conseil œcuménique en 1948. En 1962, les catholiques entrent dans la même ligne: ils constatent des différences, ils gardent des prétentions à la vérité mais considèrent qu’ils ne peuvent plus rester en dehors des discussions.

Extrait de l’intervention à RIMÉ 2008 de N. Blough,
Professeur d’histoire de l’Église à la Faculté Libre de Théologie de Vaux-sur-Seine