DE QUELLE FAÇON PROCÉDER ?

À cette question nous aurions pu consulter bon nombres d’ouvrage de « spécialistes » traitant du sujet ; cependant qui mieux que le Christ, saurait nous enseigner cette difficile matière ? Apprenons donc de lui, et particulièrement le cas de personnes contactées « à l’improviste »…

Son approche, en son temps, est remarquable.

Dans l’évangile de Jean (ch. 4), la femme samaritaine, à n’en pas douter, devait être très attirante. En effet, aurait-elle eu autant de succès si elle n’avait pas été belle femme ? Cinq maris ! Imaginez ! Il s’agissait en fait d’une femme malade de sa beauté, mais aussi de sa solitude… Sa vie agitée avait fini par l’isoler, ce qui explique qu’elle se rendait au puits de Jacob à midi, heure qui n’est couramment pas celle de la corvée d’eau en pays orientaux. Elle voulait être certaine de ne rencontrer personne en chemin voilà tout ! Elle était aussi malade de sa race, parce que Samaritaine (v.9), malade de sa religion qui ne lui avait pas fait connaître Dieu (v.24) ; enfin, malade de son péché.
Comment l’aurions-nous approchée et évangélisée ? Admirons le Christ dans sa façon d’agir, d’autant que tant d’obstacles se situaient entre elle et lui, pourtant…

• L’obstacle de la distance géographique

Jésus prit la peine de se rendre vers elle, au puits de Jacob, en Samarie, et les textes précisent que c’est bien fatigué qu’il y arriva (v.6).

C’est la première leçon : le Seigneur ne ménageait ni sa peine, ni ses efforts pour atteindre ceux et celles de sa génération qui avaient besoin de lui.

Évangéliser requiert du dynamisme, un esprit d’initiative. de conquête et de sacrifice, autrement dit, beaucoup d’efforts et de peine. N’est-ce pas ce qui explique tant d’hésitations souvent de notre part ? Pourtant, si le Christ n’était pas allé vers elle, serait-elle venue jusqu’à Lui ?

• L’obstacle des disciples

Sachant qu’il allait avec elle aborder des questions délicates et confidentielles touchant à sa vie privée, Jésus prit soin de se séparer quelques heures de ses disciples, craignant de leur part des réactions pouvant nuire au contact. Il les envoya donc acheter des vivres en ville (v.8)

Quelle sagesse, quel tact de sa part ! Or, très souvent, c’est le tact qui crée le contact ! Sans tact, point de contact ! C’est la deuxième leçon !

• L’obstacle de la question sociale

Cette femme était tombée au plus bas et Samaritaine de surcroit; lui était d’En-Haut (Jean 8:23): comment faire qu’ils se rencontrent ?

Le Christ se plaça à son niveau pour engager avec elle un contact humain en ces termes: « Donne-moi à boire » (v.7), tandis qu’il aurait pu se passer d’elle et de bien d’autres. Comment ce jeune Juif, apparemment bien sous tous les rapports, pouvait-il solliciter les services d’une femme samaritaine, pécheresse de surcroît ? Pourtant, c’est ainsi que le contact put se faire, ouvrant la porte au message.

Le Christ se plaisait à demander des services, pour « accrocher » avec l’homme ou la femme de sa génération : à l’un il demanda sa barque (Luc 5:3), à l’autre sa maison (Luc 19:15), à un autre son âne (Mat. 21:2-3), à la Samaritaine un peu d’eau (Jean 4:7)… Il s’était rendu volontairement dépendant, dans le souci d’un contact humain indispensable au témoignage.

S’il le jugea nécessaire pour lui, à plus forte raison pour nous !

Et puis, n’avons-nous pas remarqué que ceux qui nous entourent apprécient que nous leur demandions des services plutôt que nous nous obstinions à vouloir leur en rendre quand ils n’ont besoin de rien pourtant ? Solliciter un service est une question de confiance et le temps d’une conversion est généralement égal au temps nécessaire à la création d’un climat de confiance entre nos contacts et nous.

Ah, la confiance, n’est-ce pas là tout le problème du contact personnel ?

• L’obstacle du langage

La femme s’était rendue au puits par nécessité. Jésus sachant tout ce que l’eau pouvait signifier pour elle, saisit l’occasion pour lui parler d’eau, d’une autre eau, pour rester à son niveau, en usant de termes accessibles pour dire son témoignage. C’est autour de Lui que le Seigneur prenait ses illustrations, les véhiculant dans un vocabulaire simple, à la portée de tous. Qui ne pouvait comprendre, autour de Lui, les enseignements de la pièce de drap neuf sur un vieil habit, du vin nouveau dans de vieilles outres, etc (Marc 2:21-22) ? Voyez-vous Jésus entrer dans un débat théologique ou doctrinal avec la Samaritaine ? Pour ce qui nous concerne, sommes-nous accessibles ou hermétiques dans le témoignage que nous délivrons ? Un langage qui passe et fait passer le plus beau des messages, tel doit être également notre souci en évangélisation.

Un exemple: l’Evangile peut-il se dire en des termes de révolution dans un siècle qui en a le goût ? Certainement ! Le mot « révolution » vient du latin « revolvere » qui signifie: « revenir au point initial« . Y-a-t-il meilleur langage pour expliquer l’Evangile ? Il cherche à ramener l’homme à Dieu, l’Être initial à l’origine de toute chose et dont nous vivons séparés.

Nicolas Berdiaev l’avait compris en son temps quand il écrivit dans son ouvrage « Christianisme et Révolte sociale » (1934): « Le Christianisme est une révolution dans son essence la plus profonde, beaucoup plus révolutionnaire que toutes les révolutions ». Pourquoi donc hésiter quand l’occasion se présente ?

• L’obstacle de la race

Non des moindres : Lui était Juif, elle Samaritaine ! Juifs et Samaritains s’évitaient, se boudaient en ce temps-là (v.9), nous disent les textes de Jean 4. Que de problèmes aujourd’hui touchant à la race, et que de sang versé ! Partout ou l’homme vit sur la terre, et quelle que soit la couleur de sa peau, sa race est la meilleure. C’est là tout le tragique de l’affaire : l’orgueil nous dresse les uns contre les autres. Le Christ ne fait acception de personne : Il bouscule la barrière de la race pour atteindre cette femme en crise. Pourtant, aux yeux des Juifs et parce que de sang et de religion mêlés, cette femme, comme tout Samaritain, était de race dégénérée, à la limite malpropre. Pour Jésus, elle était une personne, au même titre que les autres qu’Il était venu sauver,

Puissions-nous répugner à distinguer entre les hommes dans notre pays où vivent tant d’étrangers, tant de « Samaritains »

• L’obstacle de la religion

La femme de Samarie n’était pas sans traditions religieuses, loin de là, bien que son culte était entaché d’idolâtries. Elle pratiquait sa religion, malgré sa vie morale bien agitée, comme c’est souvent le cas. Imaginez ! Ceci fait la preuve que péché et religion peuvent cohabiter sans gêne, pour autant que la religion ne consiste qu’en traditions, qu’en formes, qu’en rites….

Jésus lui fit remarquer qu’elle adorait ce qu’elle ne connaissait pas (v.22) ; cependant, son souci fut d’éviter avec elle la dispute religieuse, la controverse. En effet, que d’occasions de témoignage manquées pour avoir versé dans le conflit religieux qui creuse les fossés pour en faire des gouffres. Comment le Christ dût-Il manoeuvrer pour éviter cela !

La femme lui parla des traditions de ses pères, de son lieu de culte, ce Mont Garizim, de ses croyances, bref de son héritage religieux auquel elle adhérait et qui ne pouvait aller sans « grincer » avec sa vie de péché.

Pour Jésus, la seule façon de ne pas entrer en conflit avec elle a été de lui parler de Quelqu’un en retour, en l’occurrence de Lui-même (v.10 et 26). Pourquoi cela ? Parce qu’évangéliser, c’est avant tout présenter une personne, celle du Sauveur mort et ressuscité pour le pécheur. Et puis, parlons de Jésus à un Catholique, à un Protestant, à un Musulman, ils écouteront. Parlons du Messie à un Juif, il tendra l’oreille. Je ne dis pas qu’ils acquièceraient jusqu’au bout, mais la personne de Christ est si fascinante qu’elle inspire admiration et respect. Alors pourquoi parler d’autre chose ?

• L’obstacle de son péché

Problème autrement plus délicat que les autres…

Les hommes n’apprécient pas, en général, que l’on touche à la corde sensible de leur conscience. Leurs réactions peuvent être très vives. Le Christ connaissant à fond cette Samaritaine, tant dans son passé que dans son présent, aurait pu, d’entrée de jeu, évoquer son péché. Dans un premier temps, il s’en garda pourtant, afin de ne pas ajouter aux difficultés du contact. Il lui fallut cependant le faire, mais comment ? Il éveilla d’abord sa curiosité en ces termes (v.13) : « Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : donne-moi à boire, tu lui aurais toi-même demandé à boire er il t’aurait donné de l’eau vive. Quiconque boit de cette eau aura encore soit, mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. »  Littéralement « accrochée » par ces mots, la femme lui dit: « Seigneur, donne-moi de cette eau…« 

Autrement dit, Jésus commença par lui faire désirer ce qu’il avait pour elle et. une fois sa curiosité éveillée, s’en prit alors et très délicatement à sa conscience. lui disant en substance : Tu veux de cette eau ? C’est d’accord mais quelque chose fait barrage : appelle ton mari et viens ici (v.7)…

Telle était la psychologie de son approche dans le cas de personnes qu’il abordait « à l’improviste », d’abord la curiosité, ensuite la conscience. Il convient en effet de commencer par faire désirer le Christ à nos contacts en éveillant leur curiosité et leur intérêt pour en arriver à atteindre leur conscience. Inverser, c’est mettre la charrue avant les boeufs.

Qu’est-ce qui fit grimper Zachée sur son arbre ? (Luc 19:1-10) ? Il voulait voir qui était Jésus, lequel en profita pour lui demander l’hospitalité. Cette situation permit dans un deuxième temps l’éveil de sa conscience dans un face à face inoubliable.

Par contre, il est vrai qu’il n’en fut pas de même avec Nicodème (Jean 3:1-13) ou avec le jeune homme riche (Mat. 19:16-26) : ceux-ci étant venus au Christ avec questions et problèmes, Jésus est allé droit au but.

CONCLUSION

Pour évangéliser l’homme de notre génération, qu’il soit jeune ou âgé, homme ou femme, il convient de nous imprégner de l’exemple de Christ, et ce jusqu’à la moëlle des os. Il convient aussi d’être animé de Ses sentiments (Philip. 2:4) et surtout rempli d’amour (2 Cor. 5:14) et de compassion quelles que soient les situations au sein desquelles se débattent nos interlocuteurs.

Au terme de notre réflexion, comment ne pas nous poser cette question : les vrais obstacles au témoignage chrétien ne sont-ils pas plutôt chez nous qu’en face ?

Alain CHOIQUIER