Lors de la dernière Assemblée Générale du Réseau FEF, une partie de la journée a été consacrée à la question du renouvellement des vocations pastorales. Sylvain Romerowski a ouvert les travaux par un exposé à partir du dossier biblique. Nous publions ici le contenu de son intervention qui paraîtra en 2 parties.
1ère Partie : le volet biblique
Voilà un sujet important pour la vie de nos Églises. Bien que nous nous en référions tous à l’Écriture, il n’est cependant pas abordé par tous de la même manière. Peut-être cet article remettra-t-il en question certaines idées des uns ou des autres. Que chacun suive alors l’exemple des gens de Bérée qui vérifiaient dans les Écritures pour voir si les propos de Paul étaient exacts. Et si l’article peut apporter une pierre à l’édification de nos Églises, il n’aura pas été inutile…
La méthode adoptée pour appréhender l’enseignement biblique sur le sujet de l’organisation des Églises joue un rôle important et déterminant dans les conceptions de chacun. C’est pourquoi il est nécessaire de commencer par examiner ce point.
Qu’en est-il de l’organisation des Églises selon le Nouveau Testament ?
Une approche courante dans certains milieux évangéliques consiste à rechercher quel est le modèle d’organisation de l’Église locale du Nouveau Testament pour le reproduire aujourd’hui. On rassemble alors l’ensemble des données du Nouveau Testament sur ce sujet, on en élabore une synthèse systématique et l’on aboutit au modèle suivant : l’Église est dirigée par un collège d’anciens assistés par des diacres. En outre, on invoque certains textes pour en déduire que, dans le Nouveau Testament, pasteur et ancien sont équivalents.
Je crois cependant que cette manière d’aborder les choses est problématique. Pour trois raisons.
1) Il n’y a aucun texte dans le Nouveau Testament indiquant qu’un modèle particulier d’organisation de l’Église locale serait normatif pour toute Église en tout lieu et en tout temps. Les textes sont descriptifs et non pas prescriptifs pour ce qui concerne l’organisation des Églises : les textes indiquent, de manière très partielle d’ailleurs, comment certaines Églises étaient organisées, ils ne commandent pas de les organiser pareillement1.
2) L’approche repose sur le présupposé que toutes les Églises du Nouveau Testament étaient organisées selon le même modèle. Cela conduit à prendre les données glanées dans le Nouveau Testament concernant les diverses Églises pour construire un modèle unique. Mais si, au contraire, on considère chaque Église du Nouveau Testament séparément, on s’aperçoit qu’il n’y a aucune preuve que toutes les Églises étaient organisées selon le même modèle. Après tout, on rencontre aujourd’hui une grande diversité en la matière. Qu’est-ce qui prouve que ce n’était pas déjà le cas à l’époque apostolique ? En fait, lorsqu’on considère chaque Église séparément, le premier constat frappant, c’est qu’on ne sait pas grand chose de la plupart d’entre elles. Ensuite, le Nouveau Testament laisse déjà apparaître une certaine diversité.
À Jérusalem, l’Église est d’abord dirigée par les apôtres (Ac 6.4 ; 11.1). À un moment donné, les apôtres s’adjoignent sept hommes chargés d’organiser l’aide aux démunis au sein de l’Église (Ac 6). Notons que c’est le besoin qui crée la fonction. Et cette fonction est restée très temporaire. Philippe, par exemple, exerce par la suite un tout autre ministère. La fonction a été créée pour répondre à un besoin temporaire. Elle n’a probablement pas été pérennisée. Voilà un point intéressant : l’organisation de l’Église doit s’adapter aux besoins et varier en fonction des besoins. Plus tard, c’est sans doute parce que la persécution a obligé les apôtres à quitter Jérusalem que l’on a nommé des anciens pour diriger l’Église de Jérusalem (ils apparaissent en Ac 11.30).
À Antioche de Syrie, à l’époque où Paul et Barnabas y sont présents, l’Église compte des prophètes et des enseignants (Ac 13.1), mais pas d’anciens. Cela ressort de la façon dont sont décrites les relations entre l’Église de Jérusalem et celle d’Antioche en Actes 14 et 15 : à Jérusalem, les anciens sont mentionnés plusieurs fois, à Antioche jamais, et les anciens de Jérusalem s’adressent aux frères d’Antioche (Ac 14.27- 28 ; 15.2,4,6,22,23,30,32,33). Il semble bien ne pas y avoir à Antioche de pendant aux anciens de Jérusalem.
C’est Paul qui prendra l’habitude de nommer des anciens dans les Églises fondées par lui (Ac 14.21-23), en imitation du modèle d’organisation de la synagogue. Autrement dit, Paul a repris un modèle de sa culture. Pourquoi pas un autre aujourd’hui ?
Il est question d’Épaphras qui exerce un ministère auprès des Églises de Colosses, de Laodicée et de Hiérapolis : un ministère en réseau (Col 4.12-13). C’est là un autre type d’organisation. Il s’agit sans doute de petites Églises et rien ne dit qu’il n’était pas le seul responsable dans certaines de ces Églises. Il y a bien Archippe, le fils de Philémon, qui exerce un ministère à Colosses, mais on ignore lequel (Col 4.17 ; Phm 1.2).
Quant aux diacres, ils sont rarement mentionnés (il y en a à Cenchrées, à Philippes et à Éphèse : Rm 16.1 ; Ph 1.1 ; 1 Tm 3.8-13) ; rien ne prouve qu’il y en avait dans toutes les Églises. On remarquera que Paul parle des anciens et des diacres dans la première épître à Timothée, mais qu’il ne mentionne pas de diacre dans l’épître à Tite, alors qu’il charge ce dernier de nommer des anciens. En outre, aucun texte du Nouveau Testament n’indique en quoi consistait leur fonction ; même pas Actes 6, car les sept hommes désignés pour servir aux tables n’y sont pas appelés «diacres».
3) L’équivalence pasteur ancien n’a pas de fondement, tout simplement parce que le titre de pasteur n’existe pas dans le Nouveau Testament. Qu’en est-il cependant d’Éphésiens 4.11 ?
Voici le texte dans la version Semeur 2015 : C’est lui qui a fait don de certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme prédicateurs de l’Évangile2, et d’autres encore, comparables à des bergers, comme enseignants.
Le mot grec habituellement traduit ici par «pasteur» n’a pas le sens que nous donnons aujourd’hui au mot «pasteur», mais il signifie «berger», c’est-à-dire quelqu’un qui garde et s’occupe de moutons. Il n’est pas ici question de pasteurs, avec tout ce que nous pouvons mettre sous ce titre, mais simplement d’enseignants qui sont comparés à des bergers : de même que le berger conduit son troupeau aux pâturages pour que les moutons s’y nourrissent, l’enseignant conduit les membres de l’Église vers la connaissance et la compréhension des Écritures pour que les membres de l’Église se nourrissent de la Parole de Dieu.
En fait dans ce texte, Paul ne mentionne que des ministères de la parole. Il insiste sur l’importance de ces ministères pour la croissance de l’Église. C’est dans cette perspective qu’il mentionne les enseignants en les comparant à des bergers. Ces enseignants peuvent être des anciens, mais pas nécessairement. L’image du berger est utilisée ailleurs pour des anciens. Mais elle n’est pas réservée aux anciens. Dans l’Ancien Testament, elle était utilisée pour les rois et les responsables politiques du peuple. Elle pouvait l’être aussi pour d’autres types de responsables comme les prophètes (És 56.10-11 ; Jr 17.16) et peut-être aussi les prêtres avec eux (Za 11.8). Dans le Nouveau Testament, elle est utilisée pour Jésus : l’accent est mis sur le fait qu’il donne sa vie pour ses brebis, un aspect propre au ministère de Jésus (Jn 10 ; Hé 13.20), et sur l’enseignement (les brebis écoutent la voix du berger, Jn 10). Jésus l’utilise encore à propos de l’apôtre Pierre, lorsqu’il prend celui-ci à part pour lui confier à nouveau son ministère, après son reniement (Jn 21.15-17) : or, dans l’évangile de Jean qui nous rapporte cet épisode, le ministère apostolique consiste essentiellement à porter à la connaissance du monde et de l’Église ce que Jésus a fait et enseigné au cours de son ministère, et à porter ainsi une parole qui sera normative pour les croyants (Jn 14.26 ; 15.26-27 ; 16.12-15 ; 17.14-20)3. En Actes 20 et 1 Pierre 5, l’image est utilisée à propos du ministère des anciens : il y est question de faire paître ou de prendre soin du troupeau. Les anciens sont donc comparés à des bergers. Mais le mot «berger» ne figure même pas à leur propos dans ces textes. Ce que l’on doit souligner ici, c’est que l’image du berger est employée pour divers types de ministères dans l’Écriture. Ce n’est pas parce qu’elle l’est pour des anciens dans deux autres textes qu’il faut en déduire qu’il serait question d’anciens en Éphésiens 4 : il s’agit là d’enseignants.
Ajoutons ici une remarque sur le texte de 1 Pierre 5 que nous venons de mentionner. On cite parfois le verset 1, où Pierre écrit : «moi, Pierre, ancien parmi les anciens», pour en déduire qu’il ne peut y avoir rien de plus qu’un ancien, et qu’un pasteur ne peut être qu’un ancien comme les autres. Ce texte enseigne en réalité le contraire : car Pierre n’est pas un ancien comme les autres, il n’est pas qu’un ancien, il est un apôtre et c’est éminemment plus qu’un simple ancien (d’ailleurs, il se présente aussi dans ce même texte comme un «témoin des souffrances de Christ», ce qui, généralement dans le Nouveau Testament, est un titre apostolique). Ce que Pierre veut dire, c’est qu’il s’applique à lui-même ce qu’il va dire aux anciens dans la suite. Mais Pierre n’est pas qu’un ancien parmi les anciens.
Comment considérer le ministère pastoral moderne à la lumière du Nouveau Testament ?
La première section de cet exposé avait pour but de déblayer le terrain. S’il n’y a pas de modèle normatif d’organisation d’Église, s’il n’y a pas de modèle unique dans le Nouveau Testament, si le titre de pasteur n’existe pas dans le Nouveau Testament, il faut aborder la question du ministère pastoral d’une tout autre manière. Par «pasteur», on désigne ici quelqu’un qui exerce un ministère pastoral lui tenant lieu d’activité professionnelle, et qui n’est pas nécessairement issu de l’Église au sein de laquelle il exerce ce ministère. Normalement, il l’exerce à plein temps, bien qu’il arrive, pour des raisons diverses, souvent d’ordre financier, qu’il ne l’exerce qu’à temps partiel. Normalement, il est rémunéré par l’Église pour son ministère.
Ce modèle pastoral a été hérité des Églises de la Réforme, qui étaient des Églises de multitude. Dans son cahier sur les ministères, Alfred Kuen s’oppose surtout au ministère pastoral vécu comme une monarchie absolue et qui prive le reste de l’Église de l’exercice de responsabilités et d’activités dans l’Église4. Mais le ministère pastoral n’a pas besoin d’être exercé de cette manière, et il n’est de loin pas toujours exercé de manière autoritaire, heureusement.
Comment aborder la question à partir du Nouveau Testament si le terme de pasteur ne s’y trouve pas ?
On peut se demander si le ministère pastoral tel que nous le connaissons de nos jours correspond à quelque chose dans le Nouveau Testament. Mais il faut encore ici nuancer. S’il n’y a pas de modèle normatif dans l’Écriture, si nous ne sommes pas appelés à calquer exactement ce qui s’est fait à l’époque du Nouveau Testament, la question n’est pas de savoir si le ministère pastoral tel que nous le connaissons actuellement existait de façon exactement semblable à l’époque du Nouveau Testament, mais si c’est une manière adaptée, et analogue aux exemples du Nouveau Testament, de répondre à des besoins, voire à des nécessités pour les Églises, qui sont signalés dans le Nouveau Testament ; ou encore si c’est une manière adaptée à notre situation moderne d’assumer un ensemble de fonctions et d’accomplir un ensemble de tâches que le Nouveau Testament invite à assumer et à accomplir.
Notons en premier lieu qu’il y a des exemples néo-testamentaires de ministères à plein temps qui se rapprochent du ministère de pasteur actuel. Les apôtres se consacrent pleinement à la prière et à l’enseignement (Ac 6.4). Paul a tantôt travaillé, tantôt s’est consacré totalement au ministère (Ac 18.3 puis v. 5). Paul est resté longtemps à Corinthe, puis à Éphèse, où il a fait œuvre de pionnier puis de pasteur au sens moderne, en dispensant un enseignement suivi et en apportant un soutien pastoral aux deux Églises (Ac 18.11 ; 19.9 ; 20.20,2627,31).
À Philippes, il est question de celui que Paul nomme son «fidèle collègue » (Ph 4.3) et Archippe exerce un ministère à Colosses (Co 4.17 ; Phm 2). Nous ne savons pas quel était leur rôle exact. Mais cela montre justement que, dans la mesure où il y avait plus à l’époque apostolique que ce que nous connaissons de façon certaine, on ne peut pas rejeter le ministère pastoral moderne sous prétexte que le Nouveau Testament ne le mentionnerait pas clairement.
Rappelons encore le cas d’Épaphras, qui exerce un ministère en réseau sur trois Églises : Colosses, Laodicée et Hiérapolis. Ce sont sans doute de petites Églises et il est possible qu’il ait été le seul responsable dans certaines d’entre elles.
Ensuite, lorsque le Nouveau Testament parle d’anciens, on s’aperçoit qu’ils ne sont pas tous situés sur le même plan. Certaines distinctions apparaissent en effet parmi les responsables d’Église. À Jérusalem, l’Église est dirigée par un collège d’anciens, mais, parmi eux, Jacques, le frère du Seigneur, a une certaine prééminence. Il est l’ancien en chef, ou le président du collège. Il jouait un rôle qui est souvent celui du pasteur moderne, ayant pour fonction de présider le conseil des responsables.
À Éphèse, une partie des anciens enseignent, mais d’autres anciens n’enseignent pas (1 Tm 5.17). Ce point est important. Dans certaines Églises, on insiste pour que tous les anciens enseignent. Or certains qui font de très bons anciens sont de piètres prédicateurs ou de piètres enseignants (lorsqu’il s’agit de prendre la parole «du haut de la chaire»). Notez que les anciens d’Éphèse sont rémunérés pour leur ministère, et Paul précise que les anciens, et en particulier ceux qui enseignent, doivent recevoir un double salaire5.
Ainsi, là où il y a une pluralité d’anciens, il arrive qu’un ou plusieurs se distinguent d’une manière ou d’une autre.
À Éphèse encore, Paul laisse Timothée pour enseigner l’Église, redresser les choses alors que des mauvais enseignants ont sévi et ont peut-être même entraîné des anciens dans l’erreur. Timothée va y rester un ou deux ans. Et quand Paul lui demande de le rejoindre à Rome, il envoie Tychique pour remplacer Timothée à Éphèse (2 Tm 4.9-13). G. Fee souligne que Timothée et Tychique ne sont pas des pasteurs mais des délégués apostoliques6. Certes. Cependant, ce sont des personnes extérieures à l’Église. L’un va y rester un certain temps et sera ensuite remplacé par l’autre. Et l’on peut ajouter que cela se passe dans une Église majeure, qui a une dizaine d’années d’existence. Cela s’approche tout de même du ministère de pasteur tel que nous le connaissons aujourd’hui…
Proposons maintenant un second axe de réflexion : il s’agit de considérer quel aspect du ministère est revêtu de la plus haute importance pour les Églises d’après le Nouveau Testament. Les apôtres délèguent les tâches matérielles, pour se consacrer à la prière et à l’enseignement (Ac 6.4).
En Éphésiens 4, Paul mentionne quatre ministères nécessaires à la croissance de l’Église : ce sont tous des ministères de la Parole. C’est lui qui a fait don de certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme prédicateurs de l’Évangile, et d’autres encore, comparables à des bergers, comme enseignants. Il a fait don de ces hommes pour que les membres du peuple saint soient rendus aptes à accomplir leur service en vue de la construction du corps de Christ. Une autre traduction du verset 16 est possible et peut-être préférable : Il a fait don de ces hommes pour que ceux-ci œuvrent par leur ministère au perfectionnement des membres du peuple saint en vue de la construction du corps de Christ7. Aux Corinthiens, Paul indique quels ministères sont à ses yeux les plus importants pour la vie de l’Église, puisqu’il précise : premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des enseignants (1 Co 12.28).
Lorsqu’il s’adresse aux anciens d’Éphèse, il souligne qu’il a enseigné tout ce qui pouvait être utile, tout le conseil de Dieu, sans rien passer sous silence (Ac 20.20, 27). Citons encore les recommandations que Paul adresse à Timothée : En attendant ma venue, consacre-toi à la lecture publique des Écritures, à la prédication et à l’enseignement…Prends ces choses à cœur, consacre-toi à elles, afin que tout le monde soit frappé de tes progrès. Veille sur toi-même et sur ton enseignement. Sois persévérant en cela. En agissant ainsi, tu assureras ton salut et celui de tes auditeurs (1 Tm 4.13-16). Et l’enseignement que tu as reçu de moi et que de nombreux témoins ont confirmé, transmets-le à des personnes dignes de confiance qui seront capables à leur tour d’en instruire d’autres (2 Tm 2.2). Efforce-toi de te présenter devant Dieu en homme qui a fait ses preuves, en ouvrier qui n’a pas à rougir de son ouvrage, parce qu’il transmet correctement la Parole de vérité (2 Tm 2.15).
L’Église est appelée à être, entre autres, une colonne qui proclame la vérité, un lieu ou la vérité est fermement établie (1 Tm 3.15), ainsi qu’une communauté qui vit selon la vérité. Elle ne peut être cela sans un enseignement solide et nourrissant.
Bien sûr, toutes les Églises du Nouveau Testament n’avaient pas de pasteur pour les enseigner, loin s’en faut. Mais Paul pouvait détacher des membres bien formés de son équipe pour dispenser aux Églises un enseignement nourri pendant un temps plus ou moins prolongé (Timothée puis Tychique à Éphèse, Tite en Crète). En outre, l’enseignement était assuré par des enseignants itinérants qui pouvaient demeurer pendant une période de temps relativement importante dans une même Église, ou revenir plusieurs fois, et être suivis par d’autres. Ces enseignants bénéficiaient de l’hospitalité de membres des Églises qui les accueillaient (voir par exemple 3 Jn 5-8).
Pour des raisons sociologiques, ce ministère d’enseignant itinérant n’est plus guère pratiqué aujourd’hui : notre mode de vie actuel fait qu’on voit mal un enseignant s’installer quelques mois dans une Église marseillaise, puis quelques mois à Bordeaux, etc., pour y dispenser un enseignement suivi pendant ces périodes. En outre, il ne serait pas bon que l’enseignement ne soit assuré que par des personnes extérieures à la communauté : celle-ci a aussi besoin d’un enseignement adapté à sa situation et répondant à ses besoins concrets et ses problèmes. Le ministère pastoral tel qu’il existe depuis la Réforme paraît être aujourd’hui le meilleur moyen de répondre au besoin de l’enseignement mis en avant par le Nouveau Testament. Car seul un ministère salarié, assis sur une formation biblique et théologique solide de plusieurs années dans un cadre bien évangélique, est à même de répondre aux exigences du Nouveau Testament concernant l’enseignement des Églises, un enseignement de qualité.
D’ailleurs, le texte de 1 Timothée 5.17 n’implique-t-il pas que, pour bénéficier d’un enseignement solide dans l’Église, on doit payer quelqu’un pour assumer cette tâche ? De même, en écrivant aux croyants de Galatie que celui qui est enseigné doit partager tous ses biens avec celui qui l’enseigne (Ga 6.6), l’apôtre montre qu’il considère que l’enseignement solide dont les Églises ont besoin n’est pas compatible avec une activité professionnelle à plein temps8.
Payer un pasteur n’est évidemment pas toujours réalisable. Dans certains cas cependant, c’est la volonté de s’en donner les moyens qui fait défaut… Quand ce n’est pas possible, il est souhaitable qu’une Église fasse appel à des intervenants extérieurs, enseignants ou pasteurs d’autres Églises par exemple.
Nous concluons donc que le ministère pastoral tel que nous le connaissons actuellement correspond à diverses réalités que l’on rencontre dans les Églises du Nouveau Testament :
– La présence, dans certaines de ces Églises, d’un homme jouant un rôle particulier, plus important que celui des autres anciens.
– L’exercice, par un ou des individus, de tâches pastorales dans le cadre de ministères spécialisés.
– L’existence de ministères à plein temps et/ou salariés dans certaines Églises. En particulier, une telle formule paraît hautement souhaitable pour que l’enseignement soit assuré de façon satisfaisante.
Bien sûr, les tâches pastorales et l’enseignement peuvent être assumées par plusieurs personnes plutôt que par une seule. On cite souvent le modèle collégial d’Éphèse à cet égard. Mais si l’on veut suivre cet exemple de collégialité, qu’on le fasse jusqu’au bout, en en payant le prix ! Car à Éphèse, vraisemblablement, plusieurs personnes étaient rémunérées pour accomplir ces ministères (1 Tm 5.17). Dans le fond, plutôt que d’opposer le modèle collégial d’Éphèse au pastorat moderne, ne serait-il pas plus juste de reconnaître qu’il y avait tout bonnement plusieurs pasteurs à Éphèse ? Si une Église aujourd’hui peut avoir plusieurs pasteurs en les rémunérant décemment, qu’elle ne s’en prive pas ! Par contre, si d’autres Églises n’arrivent pas à faire face à une telle charge, qu’elles se consolent en considérant qu’à côté de l’Église d’Éphèse, d’autres sont mentionnées dans le Nouveau Testament au sein desquelles il est fort possible qu’un seul homme ait joué un rôle particulier.
La seconde partie de cet article traitera de la nature du ministère du pasteur aujourd’hui.
SYLVAIN ROMEROWSKI
NOTES
1 Gordon Fee l’affirme, à propos de la première épître à Timothée : «L’organisation de l’Église dans les épîtres pastorales», Hokhma, 36, 1987, p. 29.
2 Il ne s’agit pas ici de ce que nous nommons «évangéliste» puisque les personnes concernées exercent leur ministère en faveur des croyants, selon le v. suivant. Selon E. Best («Ministry in Ephesians», Irish Bible Studies, 15, Octobre 1993, p. 153-155, il s’agit plutôt de quelqu’un qui prêche ou enseigne les vérités de base de l’Évangile, aussi bien aux croyants qu’aux incroyants, – une sorte de catéchète pourrait-on dire (voir à ce propos notre Les sciences du langage et l’étude de la Bible, Excelsis, 2011, p. 319-323).
3 Voir «Apôtre», Le Grand Dictionnaire de la Bible, Cléon d’Andran, Excelsis, 2004, p. 112.
4 Alfred Kuen, Ministères dans l’Église, Saint Légier, Emmaüs, 1983.
5 En 1 Tm 3.2, Paul écrit qu’un ancien doit être capable d’enseigner. Au vu du texte de 1 Tm 5.17, on ne doit pas en déduire que tous les anciens doivent avoir un ministère d’enseignement. E. Clowney proposait de traduire «enseignables» plutôt que «aptes à enseigner». La traduction traditionnelle demeure cependant la plus probable. Mais il faut alors distinguer l’enseignement «du haut de la chaire» et l’enseignement informel, dans le un à un. Tout ancien n’est pas forcément apte à construire un discours structuré pour exposer l’enseignement biblique ou doctrinal en public. En revanche, un ancien devrait être capable d’exprimer ce qu’un chrétien doit croire, quels sont les principes qui régissent la vie de l’Église. Il devrait être capable de discerner les déviations importantes et de dire de manière informelle quelle est la saine doctrine : qu’il soit fidèlement attaché à la parole certaine, qui est conforme à ce qui lui a été enseigné. Ainsi il sera en mesure d’encourager les autres selon l’enseignement sain et de réfuter les contradicteurs (Tt 1.9).
7 Ainsi, Andrew T. Lincoln, Ephesians, Word BiBlical commentary, Waco, Word, 1990.
8 Le principe d’un ministère salarié étant établi par ces textes, on peut admettre que d’autres ministères que celui de l’enseignement soient rémunérés, comme par exemple pour une fonction d’administration et d’organisation de l’Église.