La doctrine de la trinité est l’un des trésors de la foi chrétienne. Si le mot «Trinité» n’appartient pas au vocabulaire du Nouveau Testament, il décrit très justement ce que la Bible enseigne de la personne de Dieu. Comme le souligne Henri Blocher : « Si la Trinité est une doctrine difficile à saisir, elle s’impose à nous par l’Écriture même. »

Le premier article de la confession de foi du Réseau FEF résume ce que la Bible enseigne sur la personne de Dieu, notamment quant à la Trinité : « Nous adorons un seul Dieu, qui existe en trois personnes de toute éternité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Tout en partageant pleinement la même et unique nature divine, les trois personnes demeurent distinctes et des rôles distincts leur sont appropriés. Le Père communique éternellement l’être et la vie au Fils. L’Esprit reçoit éternellement l’être et la vie du Père et du Fils. Le Père conçoit les projets divins et accomplit ses œuvres envers la création par la médiation du Fils. Le Père et le Fils sont présents au monde et y agissent par l’Esprit. »

Un seul Dieu, trois personnes – voilà qui est incompréhensible à nos esprits finis ! C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de Dieu : il dépasse l’entendement (Ésaïe 40 : 18). Dieu est incompréhensible, c’est-à-dire qu’il échappe à une description humaine exhaustive de son être, de sa volonté et de ses œuvres. Aucune « boîte théologique » ne pourra cerner Dieu pleinement, comme le remarque Jules-Marcel Nicole : « Le mystère de la Trinité nous dépasse, et c’est normal. Il faudrait être comme Dieu pour le comprendre pleinement. Cela ne signifie pas que nous devions être dans le vague à ce sujet. La révélation que le Seigneur dans sa bonté nous a donnée de lui-même nous permet d’avoir des notions précises, même si elles sont au-dessus de notre portée1. »

Or, si vous avez parlé à un musulman, un témoin de Jéhovah ou un mormon, vous avez sans doute discuté de la Trinité ou de la divinité de Jésus. Ils ont chacun leurs arguments pour tenter de démontrer que ces doctrines chrétiennes fondamentales sont contraires à la logique ou à la Bible. On appelle « unitariens » ceux qui croient en l’existence d’un Dieu unique, mais qui rejettent toute notion de Trinité. Après avoir recensé quelques perspectives unitariennes actuelles, cet article propose plusieurs jalons pour repérer l’appui biblique de la doctrine de la Trinité.

SURVOL DES PERSPECTIVES UNITARIENNES

Les unitariens indépendants du Christianisme

Le judaïsme se réclame d’un monothéisme strict qui exclut toute Trinité : « Le monothéisme est le second des treize articles de foi de Maïmonide […]. Le Chema Israël [Deut. 6 : 4] est, sans nul doute, un acte de foi monothéiste inconditionnel.2 » Ce verset, selon un site populaire de défense de la culture juive, montrerait que « l’adoration d’une divinité en trois parties est considérée comme une forme d’idolâtrie – l’un des trois péchés capitaux dont un Juif doit se garder même au péril de sa vie3. »

L’Islam se réclame également d’un monothéisme « strict ». La sourate 112 du Coran porte le titre de « monothéisme pur » et contient ces quatre versets :
« Dis : « Il est Allah, Unique. Allah, Le Seul à être imploré pour ce que nous désirons. Il n’a jamais engendré, n’a pas été engendré non plus. Et nul n’est égal à Lui4. » » Deux sourates exhortent ainsi les chrétiens à renoncer à leurs conceptions5. Un site islamique au nom trompeur (aimerjesus.com !) propose d’ailleurs douze arguments pour montrer que la doctrine de la Trinité est illogique et non fondée6.

On comprend que ces religions, privées du Nouveau Testament, arrivent à de telles conclusions. Il est plus surprenant de trouver ces mêmes idées dans des mouvements qui déclarent s’inspirer de celui-ci.

Les unitariens se réclamant du christianisme

Les plus connus sont les Témoins de Jéhovah. C’est Charles Taze Russell qui fonde ce mouvement aux États-Unis à la fin du XIXe siècle. Leur site officiel révèle qu’ils considèrent Jésus comme « le Fils unique-engendré », mais qu’ils « ne croient pas que l’homme Jésus était le Dieu Tout-Puissant incarné, la prétendue deuxième personne de la Trinité. Le dogme de la Trinité n’est pas biblique. D’après la Parole de Dieu, Jésus n’est pas l’égal de son Père »7. Le Saint-Esprit est considéré comme une force agissante ou active de Dieu.

Les Mormons – qui se qualifient « d’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours » – sont nés aux États-Unis d’une révélation accordée à Joseph Smith, leur prophète, et des livres de référence qui « complètent » la Bible8. Leur doctrine est d’autant plus confuse qu’ils cherchent à se faire passer pour des chrétiens authentiques. Leur confession de foi, assez vague, peut presque rassurer : « Nous croyons en Dieu, le Père éternel, et en son Fils, Jésus-Christ, et au Saint-Esprit9. »

Toutefois, ce Fils n’est pas unique comme nous l’entendons : « Jésus est la seule personne sur terre qui est née d’une mère mortelle et d’un père immortel. C’est pour cette raison qu’il est appelé le Fils unique10. » Créé un jour, il devient un Fils spécial par l’incarnation11, envoyé sur terre de préférence à Satan son frère12 pour réaliser l’expiation. Leur catéchisme nous apprend que l’Esprit « ne peut se trouver qu’en un seul endroit à la fois13 » ce qui lui ôte sa divinité au sens où nous la comprenons.

Signalons enfin quelques penseurs protestants – une dérive pentecôtiste14 et un groupe d’origine libérale, qui se réclame parfois de Michel Servet15. Ces unitariens seraient près d’un million de personnes réparties dans une cinquantaine de pays. Plusieurs associations tentent de faire vivre cette spiritualité, qui reste finalement fondée principalement sur le rejet de la Trinité et d’un attachement à l’entièreté de l’Écriture16.

Devant tant de perspectives humaines, il nous faut assurément prendre appui sur la Bible. Si la Trinité est une doctrine difficile à saisir, elle s’impose à nous par l’Écriture même. Devant l’indicible, Henri Blocher note que seule la Parole nous permet de saisir un peu du Dieu immense que nous aimons : « À toutes les étapes de notre parcours se montre mieux quel est notre seul recours : Dieu seul, par ce qu’il nous a dit, nous est guide sûr pour définir sa Tri-Unité et en appliquer les leçons. Notre théologie, si elle veut être saine, sera confession de sa Parole17 ». Nous allons tenter de démontrer que Dieu se révèle dans la Bible comme un Dieu unique et trinitaire.

LES INDICES DANS L’ANCIEN TESTAMENT

L’Ancien Testament contient plusieurs indices de la Trinité, ou du moins d’une pluralité de personnes au sein d’une unique divinité.

Dieu déclare : « Faisons l’homme à notre image » (Genèse 1 : 26). Le pluriel indique plusieurs référents et, avec Dieu, le plus proche est l’Esprit qui planait au-dessus des eaux (Genèse 1 : 2). Ce qui suggère l’idée d’une existence plurielle en Dieu (cf. Genèse 3 : 22).

Les dialogues « intra-Dieu » que nous trouvons dans l’Écriture constituent une autre série d’indices, notamment en Psaumes 110 : 1 : « Oracle de l’Éternel à mon Seigneur : Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied. » Manifestement, Dieu ne se parle pas tout seul, et le regard qu’il pose sur lui-même implique une pluralité de personnes.

L’Ange du Seigneur que Dieu envoie pour guider Israël hors d’Égypte porte « en lui » le nom du Seigneur, et Israël doit lui obéir (Exode 23 : 20-23). Or cet Ange reçoit l’adoration de Josué (Josué 5 : 13-15), et est identifié au Seigneur même qui juge et défend Zacharie devant les accusations de Satan (Zacharie 3 : 1-2). Quand le ciel s’ouvre devant Daniel, il voit « l’Ancien des jours » et « comme un fils d’homme » prendre place sur des trônes (Daniel 7 : 9-14). Enfin, le Messie promis est annoncé comme « Dieu puissant, Père éternel, Prince de la paix » (Ésaïe 9 : 5-6).

Quant à l’Esprit, il est omniprésent (Psaume 139), et est à l’origine de la vie (Job 33 : 4).

Ce faisceau d’indices lève une partie du voile : le Seigneur est un (Deutéronome 6 : 4) et pluriel. Le Nouveau Testament complète ce tableau en dévoilant pleinement la divinité du Fils et de l’Esprit.

L’ENSEIGNEMENT DU NOUVEAU TESTAMENT

On parvient à comprendre que Dieu est trinitaire en observant que les caractères propres à Dieu sont attribués au Fils et à l’Esprit, et en relevant que les trois personnes sont à la fois distinctes et de rang identique. C’est ce que nous allons développer.

La divinité du Père est admise par tous et n’est pas relevée ici.

La divinité du Fils

Pendant son périple terrestre, Jésus a accompli des œuvres de nature divine : le pardon (Marc 2 : 7), ou l’autorité sur la nature (Luc 5 : 8-9, Marc 4 : 39). Il a suscité et accepté l’adoration que Dieu seul peut recevoir (Matthieu 28 : 7, Jean 5 : 23, cf. 20 : 28). Ses propos ne laissent guère de doute sur la conscience qu’il avait d’être Dieu incarné : il affirme son unité avec le Père, déclenchant la colère des religieux (Jean 10 : 30-31), et lorsqu’il se présente à ceux qui l’arrêtent, il leur lance un « Je suis » qui rappelle le nom sacré du Seigneur (cf. Exode 3 : 14, Jean 18 : 6)

Les apôtres n’ont jamais hésité à affirmer la divinité de Jésus. Jean écrit que la Parole incarnée est Dieu18 (Jean 1 : 1, 14), Paul déclare explicitement que Christ est « Dieu béni éternellement » (Rom. 9 : 5), le Créateur (Col. 1 : 16), notre « grand Dieu et Sauveur19 » (Tite 2 : 13).). En Philippiens 2 : 6-7, il contraste la forme divine de Christ, égal à Dieu (adverbe d’équivalence), avec l’apparence humaine d’un serviteur qui n’attire pas le regard. Le Nouveau Testament attribue à Christ les caractères de Dieu : il est éternel (Hébreux 1 : 11, 12), omniprésent (Matthieu 28 : 20), immuable (Hébreux 13 : 8) – et il serait fastidieux de dresser la liste complète des textes et arguments20.

La divinité de l’Esprit

Le Saint-Esprit est également présenté comme Dieu. Pierre reproche à Ananias et Saphira d’avoir menti à Dieu, à l’Esprit saint (Actes 5 : 3-4). Paul identifie l’Esprit au Seigneur (2 Corinthiens 3 : 16-17) seul capable de sonder Dieu dans son immensité (1 Corinthiens 2 : 10), le Dieu qui habite l’Église, son peuple (1 Corinthiens 3 : 16-17). Les Témoins de Jéhovah ont suggéré que l’Esprit ne serait qu’une force agissante. Mais une force ne saurait intercéder (Romains 8 : 26-27), ni être attristée (Éphésiens 4 : 30), ni choisir d’accorder un don à un individu (1 Corinthiens 12 : 7, 11).

Jésus ne laisse planer aucune ambiguïté sur les qualités de l’Esprit qui vient. Cet « autre » Défenseur (NBS) que le Père envoie (Jean 14 : 16) est de même rang que Jésus. Il vient pour habiter les disciples (14 : 17), et permet aux apôtres de se souvenir des propos de Christ lorsqu’ils enseigneront puis rédigeront les Évangiles (15 : 25, 16, 13). L’Esprit préside ainsi à la rédaction de la Parole de Dieu (2 Pierre 1 : 21 ; 2 Timothée 3 : 16).

LES FORMULES TRINITAIRES

Jusqu’ici nous avons vu que la Bible affirme la divinité de Christ et de l’Esprit. Si l’expression « Trinité » est absente en tant que telle, elle est légitime au regard des formulations trinitaires qui placent les trois côte à côte. La plus célèbre est sans doute tirée de la formule baptismale : « les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28 : 19). Père et Esprit étaient déjà présents et actifs lors du baptême de Jésus (3 : 1617), mais la formulation implique l’égalité des trois. Richard France note que « Jésus prend donc place, aux côtés du Père et de l’Esprit, pour être, avec eux, celui que les disciples adorent et envers qui ils s’engagent […] le singulier du mot « nom » (et non pas « noms ») souligne l’unité des trois personnes21. »

L’apôtre Paul associe les trois personnes de la Trinité dans deux de ses lettres. En Éphésiens 4 : 4-6, il propose aux chrétiens de s’unir avec piété, en s’inspirant de la « collaboration exemplaire » qui règne dans la Trinité (« un seul Esprit… un seul Seigneur… un seul Dieu »). Une logique que l’on retrouve dans son discours sur des dons de l’Esprit : « le même Esprit… le même Seigneur… le même Dieu » (1 Corinthiens 12 : 4) agissent pour coordonner l’œuvre de l’Église. Notre salut est l’œuvre d’un Dieu trinitaire : Dieu le Père nous a choisis avant la création du monde, Dieu le Fils nous a rachetés par son sang, et Dieu nous a scellés de l’Esprit (Éphésiens 1 : 4, 7, 13). En introduction à sa première épître, l’apôtre Pierre résume l’implication de chaque personne de la Trinité : nous sommes « élus selon la prescience de Dieu le Père, par la sanctification de l’Esprit, pour l’obéissance et l’aspersion du sang de Jésus-Christ » (1 Pierre 1 : 2). Signalons enfin la bénédiction trinitaire de 2 Corinthiens 13 : 13 : « Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous. » Les données bibliques révèlent donc bien « un Dieu unique, qui existe en trois personnes. »

LES FORMULATIONS THÉOLOGIQUES

La synthèse de ces affirmations bibliques s’est faite progressivement. Certaines formulations ont voulu souligner l’unicité de Dieu (au mépris de la Trinité) quand d’autres, plus rares, ont mis en avant la pluralité des personnes (au mépris de la singularité). C’est grâce à ces formulations erronées que la doctrine de la Trinité s’est affinée.

Les controverses

Pour souligner la singularité de Dieu, plusieurs ont imaginé que Dieu était Père au temps de l’Ancien Testament, Fils pendant les Évangiles, et Saint-Esprit dans la suite des temps. Un seul Dieu qui adopterait un « mode » d’action différent (d’où le nom de « modalisme » ou « sabellianisme » du nom de son défenseur, Sabellius, au IIIe siècle). Elle a encore des adhérents22, mais c’est une hérésie parce qu’elle nie la réalité de la distinction entre les personnes de la Trinité. D’autres, comme Arius (IVe siècle), ont pensé que le Père avait créé le Fils et le Saint-Esprit, en sorte que ces derniers ne pouvaient que ressembler au Père sans partager avec lui la même essence. Sa perspective a convaincu Eusèbe de Nicomédie qui la défendit devant près de trois cents évêques rassemblés à Nicée en 325 apr. J.-C. Lors des débats, rares sont ceux qui prirent son parti23, et l’assemblée exprima sa compréhension par le texte devenu célèbre sous le titre de Symbole de Nicée (cité ci-après). Il affirme que Père et Fils sont consubstantiels (ou « de même nature »)24. Les ariens auraient souhaité une formulation moins forte : de nature semblable au Père25. Notons que les Témoins de Jéhovah sont les héritiers de la doctrine arienne, considérée comme hérétique dès le début.

Plus tard, des théologiens comme Johannes Philoponos (VIe siècle) ont émis l’hypothèse d’une sorte de trithéisme : Père, Fils et Saint-Esprit sont véritablement trois « Dieu », unis par leur objectif commun, mais sans partager une même essence. Si cette école de pensée ne subsiste guère, elle semble parfois tacitement présider le cœur de certains chrétiens qui prient consciencieusement chaque personne de la Trinité !

Toutes ces discussions ont visé à définir le lien unissant le Père au Fils et à l’Esprit. Le Fils est-il né du Père ? L’Esprit provient-il du Père et du Fils ? Qu’en est-il de leur existence propre ?

Engendrement

Deux expressions du Nouveau Testament ont suscité les premiers débats à propos de la personne de Christ.

Colossiens 1 : 15 affirme que Jésus « est l’image26 du Dieu invisible, le premier-né de toute la création. » Que veut dire « premier-né » (prototokos) ? Si le Fils a commencé à exister, il n’est pas Dieu… Or si l’adjectif fait parfois référence au premier enfant d’une femme (cf. Luc 2 : 7, Hébreux 11 : 28), il s’emploie aussi pour désigner la prééminence, la suprématie, la supériorité. C’est ainsi que Dieu déclare que David est le « premier-né » (Psaume 89 : 28, alors qu’il est en fait le cadet !), tout comme Éphraïm (Jérémie 31 : 9, pourtant né après Manassé). Les Colossiens étaient confrontés à une hérésie qui minait la suprématie et la suffisance de Christ. Le qualificatif de « premier-né » est totalement approprié pour souligner le supérieur, l’héritier, le dominant de toute la création (une position légitime, puisqu’il en est lui-même le créateur, cf. Colossiens 1 : 16) et de l’Église (dont il est le chef, la tête, cf. 1 : 18). En sorte que ce premier-né accepte l’adoration des anges (Hébreux 1 : 6), ce que nul autre que Dieu ne peut recevoir. L’expression évoque donc la suprématie.

Le verset favori des évangéliques (Jean 3 : 16 !) contient la seconde expression (dès 1 : 18 d’ailleurs). Jésus est « Fils unique » (monogénès27) de Dieu, suggérant pour certains qu’il est venu à l’existence. Or c’est précisément l’inverse que le mot suggère. Jésus est unique en son genre, d’une classe unique, puisque le rapport qui l’unit à Dieu n’est partagé par aucune créature. Plus généralement, la notion de « Fils de Dieu », dans un contexte oriental, exprime une réalité sensiblement différente de la nôtre. Un fils partage les caractéristiques essentielles de son père28, ce qui n’a pas échappé aux adversaires de Jésus qui ont voulu le lapider ou l’arrêter : en se disant Fils de Dieu, il affirmait être Dieu le Fils (cf. Jean 10 : 36-39). Jésus est Dieu ; il est Fils unique, premier-né – mais non créé. L’articulation de cet ensemble est bien exprimée par notre confession de foi : « le Père communique éternellement l’être et la vie au Fils ». De toute éternité, et pour toute l’éternité, Dieu le Père accorde au Fils d’avoir la vie en lui-même (Jean 5 : 26), selon une essence qui ne connaît ni changement ni variation (Hébreux 13 : 8).

Procession

Reste à définir le lien de l’Esprit aux autres personnes de la Trinité. Jean 14 : 26 affirme que le Père enverra son Esprit, et 16 : 7 affirme que c’est le Fils qui l’enverra. Ces propos pourraient ne correspondre qu’à la répartition des rôles au sein de la Trinité, mais plusieurs perçoivent là une réalité ontologique de l’Esprit (c’est-à-dire propre à l’être même). C’est cette conception qui a remporté, en Occident, l’adhésion de l’Église29. C’est ainsi que notre confession de foi note : « L’Esprit reçoit éternellement l’être et la vie du Père et du Fils ».

Les formulations historiques

Le concile de Nicée, mentionné plus haut, est à l’origine de la première synthèse cohérente de la doctrine de la Trinité : « Nous croyons en un seul Dieu, le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, de toutes les choses visibles et invisibles ; et en un seul Seigneur Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu, engendré du Père avant tous les siècles, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré, non créé, consubstantiel au Père, par qui tout a été fait. Pour nous, les hommes, et pour notre salut, il est descendu des cieux ; par le Saint-Esprit il s’est incarné de la vierge Marie, et s’est fait homme ; il a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate ; il a souffert ; il a été enseveli ; il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures, il est monté aux cieux ; il siège à la droite du Père et il reviendra en gloire juger les vivants et les morts, lui dont le règne n’aura pas de fin ; et en l’Esprit-Saint, qui est Seigneur et qui vivifie ; qui procède du Père et du Fils ; qui ensemble avec le Père et le Fils est adoré et glorifié ; qui a parlé par les prophètes ; en une seule Église sainte, catholique et apostolique. Nous confessons un seul baptême pour la rémission des péchés. Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Amen30. »

Toutes les formulations ultérieures reprennent les éléments retenus à Nicée31.

Une œuvre conjointe

Les théologiens distinguent la Trinité ontologique (qui touche à son être, et que nous venons d’aborder) de la Trinité économique (qui touche à son activité) que notre confession de foi aborde ainsi : « Tout en partageant pleinement la même et unique nature divine, les trois personnes demeurent distinctes et des rôles distincts leur sont appropriés. […] Le Père conçoit les projets divins et accomplit ses œuvres envers la création par la médiation du Fils. Le Père et le Fils sont présents au monde et y agissent par l’Esprit. » Cette distinction des rôles est importante car elle souligne la distinction des personnes.

Ces différences fonctionnelles permettent d’expliquer des textes controversés. Lorsque Jésus dit que « le Père est plus grand que moi » (Jean 14 : 28), il parle dans son état d’humiliation, anticipant son retour auprès du Père, où il retrouvera la gloire qui était sienne (cf. 17 : 5).32 Et la soumission du Fils (1 Corinthiens 15 : 28) s’explique par une distinction de rôle de direction qui n’implique aucunement une infériorité de nature.

Le thème des ministères spécifiques des personnes de la Trinité sera développé dans un prochain article.

CONCLUSION

Nous avons parfois une intuition qui nous renvoie à la Trinité. Nous voulons acheter un beau stylo à plume, et nous avons de la peine à repérer le stylo qui correspond à nos rêves ; nous cherchons une voiture et nous aimerions acheter la voiture qui rassemble toute qualité ; nous savons reconnaître les arbres et nous peinons à décrire l’arbre ! Ce n’est certes pas une démonstration, mais une expérience qui témoigne de l’existence d’un motif unité-diversité, singularité-pluralité.

La doctrine de la Trinité est plus importante que ne le laissent entrevoir les fines distinctions pour lesquelles les théologiens des siècles passés se sont battus. Grudem recense six points atteints par la négation de la Trinité : l’expiation ne saurait avoir été achevée par un être créé ; la justification par la foi seule est difficilement tenable, car dépendante d’un être créé limité ; Jésus ne saurait être prié ou adoré ; le mérite de l’expiation retourne non à Dieu mais à un être créé ; la création est un peu le fruit de l’ennui de Dieu qui ne connaissait pas de relations interpersonnelles en amont ; il n’y a aucune unité dans la diversité de la création33. David Brown discerne également que la Trinité est source d’amour, de salut, de communauté, de communication, de cohérence34.

Méditer sur un Dieu unique et trinitaire accroît la richesse de notre expérience chrétienne. Je peux pleinement accepter la complémentarité de mes frères et sœurs de l’Église tout en maintenant l’unité avec eux – sur le modèle des relations entre les personnes de la Trinité. Je peux distinguer mon identité de mon activité – tout comme les personnes de la Trinité. Je peux accepter sereinement de suivre et de me soumettre à des frères sans craindre de perdre mon âme – comme le Fils est soumis au Père, et l’Esprit aux deux autres personnes au sein de la Trinité. Je peux assumer des fonctions de dirigeant sans pour autant m’élever au-dessus d’autrui – comme j’en ai l’exemple au sein de la Trinité. Je peux m’insérer dans les mondes où l’Évangile doit pénétrer sans m’appauvrir – comme la Trinité. Je peux également anticiper la richesse de nos relations fraternelles dans l’éternité : des gens de tous les peuples serviront d’un cœur unanime (Sophonie 9 ; Apocalypse 24 : 21). Mieux, glorifiés et accompagnés par l’Esprit, nous adorerons le Dieu qui est devenu humain comme nous, et qui nous a introduits à jamais dans la présence du Père.

Il est approprié de clore sur cette triple bénédiction de l’Écriture : « Que l’Éternel te bénisse et te garde ! Que l’Éternel fasse briller sa face sur toi et t’accorde sa grâce ! Que l’Éternel lève sa face vers toi et te donne la paix ! » (Nombres 6 : 24-26). 

FLORENT VARAK,
ENSEIGNANT À L’INSTITUT BIBLIQUE DE GENÈVE ET
MEMBRE DE LA COMMISSION THÉOLOGIQUE DU RÉSEAU FEF


NOTES

1 Jules-Marcel Nicole, Précis de doctrine chrétienne, Nogent-sur-Marne : Éditions de l’Institut, 1983, p. 47.

2 Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme, Paris, Robert Laffont, 1996, p. 696.

3 http://lamed.fr/index.php?id=1&art=524. Consulté le 9 août 2011.

4 http://www.coran-en-ligne.com/Sourate-112Al-Ikhlas-Le-monotheisme-pur-francais.html. Consulté le 9 août 2011.

5 Coran 4 : 171 (Sourate An-Nisa, verset 171) et 5 : 73-74 (Sourate Al-Ma-ida, versets 73-74).

6 http://www.aimer-jesus.com/12_arguments_ trinite.php. Consulté le 9 août 2011.

7 http://www.temoinsdejehovah.org/Page. aspx?REF=ce45c624-738f-4d0b-bc89709ba63d6fe8. Consulté le 9 août 2011.

8 Liste et lecture : http://scriptures.lds.org/fr/contents. Consulté le 9 août 2011.

9 http://www.eglisedejesuschrist.fr/a-proposde-l-eglise/nos-croyances/articles-de-foi.html consulté le 9 août 2011.

10 Les principes de l’Évangile, Salt Lake City, 1978 / 2009, p. 56.

11 http://mormon.org/learn/0,8672,802-6,00.html. Consulté le 9 août 2011.

12 Livre d’Abraham, 3 : 27 et Livre de Moïse, 4 : 1-2.

13 Les principes de l’Évangile, op. cit., p. 33.

14 Par exemple la Fédération des Églises Pentecôtistes Unies de France.

15 http://barbeyphilippe.jimdo.com/le-christianismeunitarien-en-france-une-etude-sociologique/.

16 Signalons à titre d’exemple « l’Église unitarienne francophone », le « Conseil des unitariens et universalistes français », ou « l’Assemblée fraternelle des chrétiens unitariens » dont le premier président fut Théodore Monod. Michel Baron signe un plaidoyer en leur faveur : Les unitariens, L’Harmattan, 2004

17 Henri Blocher « La Trinité, une communauté anarchique ? » Théologie Évangélique, Vol. 1, n° 2, 2002, p. 20.

18 Les Témoins de Jéhovah « traduisent » « la parole était un dieu » parce qu’en grec, le mot « dieu » n’est pas précédé de l’article. L’argument est invalide, car l’attribut du sujet ne prend pas l’article !

19 L’analyse dans le N.T. de deux noms singuliers unis par « et » dont seul le premier est précédé d’un article défini, révèle que le second est une description supplémentaire du premier. Paul affirme donc que Jésus est Dieu et Sauveur, contrairement aux Témoins de Jéhovah qui « traduisent » : « du grand Dieu et du Sauveur… ». Cf. Granville Sharp, Remarks on the Uses of the Definitive Article in the Greek Text of the New Testament, Hopkins, 1807

20 Consulter Henri Blocher, La doctrine du Christ, Vaux-sur-Seine : Édifac, 2002 (p. 125-144) pour une démonstration complète. Ou encore Robert Schroeder, Le messie de la Bible, Montmeyran : Emeth Éditions, 2010.

21 Richard T France, L’Évangile de Matthieu, Tome 2, Vaux sur Seine : Édifac, p. 234.

22 Cf. notes 14 à 16. Et Grudem, Théologie Systématique, Éditions Excelsis, 2010, p. 249.

23 Contrairement aux fabulations devenues populaires de Dan Brown dans son roman, Da Vinci Code, Paris : Lattès, 2004, p. 291-293.

24 Une variante (le subordinatianisme) a correctement compris que Jésus n’avait pas été créé, mais s’est trompé en pensant qu’il était inférieur, dans sa nature même, au Père.

25 Les formules traduisant les différentes positions sont restées célèbres dans l’histoire : homoousios (« de même nature ») et homoïousios (« de nature semblable »).

26 Une image, pour nous, est un reflet en quelque sorte inférieur à une réalité ultime. Mais « dans la pensée grecque, l’image participait à la nature de l’objet, en était une émanation » Daniel Furter, Les épîtres de Paul aux Colossiens et à Philémon, Vaux-sur-Seine : Édifac, 1987, p. 97

27 Cf. Jean 1 : 14, 18 ; 3 : 18 ; 1 Jean 4 : 9 pour les autres utilisations se référant à Jésus. La forme verbale se retrouve en 1 Jean 5 : 18. Blocher observe que « Sur 1 Jean 5,18, nous observons qu’il ne s’agit probablement pas de la naissance virginale, car Dieu ne figure pas dans l’opération de la conception miraculeuse en qualité de géniteur, mais de Créateur (les formulations de Matt. 1 : 20 et Luc 1 : 35 diffèrent nettement de celle de 1 Jean 5,18). L’aoriste gennètheis convient au caractère éternel de la génération du Fils (selon le sens premier de l’aoriste, qui considère l’action comme fait pur, sans détermination temporelle) ». Henri Blocher, La doctrine du Christ, Édifac, 2002, p. 143.

28 Nous lisons par exemple que les fils de Zébédée reçoivent le surnom de « fils du tonnerre » (Marc 3 : 17), parce qu’ils en ont le tempérament !

29 Cette discussion est la raison officielle du schisme de 1054 apr. J.-C. qui a divisé l’Église Catholique et donné naissance à l’Église Orthodoxe. Cette dernière s’appuie fortement sur Jean 15 : 26 : «… l’Esprit de vérité qui provient [procède, TOB] du Père… » pour souligner un lien unique au Père (monopatrisme), tel que le Concile de Nicée l’avait formulé en 325 apr. J.- C. La formule « qui procède du Père et du Fils » (filioque, en latin), affirmée en Occident au concile de Tolède en 589, a été ajoutée au symbole de Nicée-Constantinople sous Charlemagne, alors qu’elle était rejetée par les Orientaux. L’Église Catholique a conservé cette compréhension affinée à laquelle se sont aussi ralliés d’emblée les Protestants.

30 http://www.fltr.net/__TEXTES.html#SYMBOLES DES APOTRES ET DE NICEECONSTANTINOPLE.

31 On peut citer par exemple la confession de foi de La Rochelle (1559).

32 Cf. Donald A Carson, The Gospel According to John, William B Eerdmans, 1991, p. 508

33 Wayne Grudem, op. cit., p. 255

34 David Brown, La Trinité : mystère futile ou réalité essentielle, Éditions Farel, 2006, p 45-63.