III. La prophétie dans les Églises du Nouveau Testament

        Troisièmement, on voit apparaître dans les Églises du Nouveau Testament un ministère prophétique beaucoup plus courant. Paul nous apprend qu’une activité nommée prophétie avait sa place dans la vie des Églises du Nouveau Testament, notamment au cours de leurs réunions (Rm 12.6 ; 1 Co 12- 14 ; Ép 4.11 ; 1 Th 5.20s). Il semble s’agir d’une activité plus courante, à Corinthe en tout cas, que celle des prophètes comme Agabus. En effet, elle est mentionnée à côté de la prière (1 Co 11.5) et il s’agit d’une activité pratiquée de manière habituelle lors du culte. Paul voit même le besoin de limiter à deux ou trois les interventions de prophètes au cours d’une même réunion, ce qui indique qu’elles avaient tendance à se multiplier (1 Co 14.29-30). Cothenet note que ces prophéties ne sont pas là nécessairement le fait d’un groupe déterminé de prophètes, investis d’un ministère prophétique officiel, mais sont sans doute apportées par divers membres de la communauté1. En même temps, ce n’est pas une activité à laquelle tous les membres de la communauté prennent part : tous ne sont pas prophètes en ce sens (1 Co 12.29).

        Pour ce qui est de leur contenu, il s’agit de paroles qui édifient, exhortent, encouragent (14.3), instruisent (14.19,31 et cf. v. 6). Cela n’indique pas grand chose quant à la nature du phénomène, car toute parole d’exhortation, d’encouragement ou d’instruction n’est pas nécessairement une prophétie. Dans le contexte corinthien, il n’est en tout cas pas question de prédictions du genre de celles qu’apportait Agabus. Un certain nombre d’indices montrent que cette prophétie en Église a un statut inférieur à la prophétie apostolique ou à une communication directe de la part de Dieu :

        1) En Romains 12.6b, Paul recommande à ceux qui ont pour ministère la prophétie d’exercer ce ministère « selon l’analogie de la foi », une expression qui signifie : en accord avec la doctrine chrétienne (la Bible du Semeur traduit : « en accord avec notre foi commune »). Autrement dit, le prophète doit exercer un contrôle doctrinal sur sa parole. S’il recevait sa parole directement de Dieu, il n’aurait pas besoin d’exercer ce contrôle. Il s’agit plutôt, semble-t-il, d’une parole qui ne s’impose pas au prophète avec une pleine autorité, mais sur laquelle il doit exercer un certain contrôle pour veiller à son orthodoxie. C’est une parole qui risque de ne pas être en accord avec la doctrine vraie, et donc une parole qui n’est pas infaillible.

        2) La parole des prophètes doit être soumise à évaluation (1 Co 14.29). Cette évaluation peut avoir pour but de déterminer si la prophétie vient authentiquement de Dieu ou non, mais il peut aussi s’agir d’un tri à effectuer au sein même d’une prophétie, pour n’en conserver que ce qui est bon (1 Th 5.19-21). Lorsqu’Ésaïe ou Jérémie parlaient de la part de Dieu, ou encore lorsqu’un apôtre enseignait, on devait se soumettre à leur parole de manière inconditionnelle. Nous avons vu que la parole apostolique doit être reçue sans réserve, elle s’impose aux auditeurs comme une Parole de Dieu qui demande une soumission inconditionnelle et ne souffre aucune remise en question (Ga 1.8s ; 2 Th 2.15 ; 3.6, 14 ; Ap 22.6s). Il en va autrement ici. Même les prophéties d’Agabus n’ont pas fait l’objet d’une évaluation mais ont été reçues comme Parole de Dieu. Cela suppose vraisemblablement qu’Agabus était depuis longtemps reconnu comme un vrai prophète, énonçant des messages de la part de Dieu. Peut-être parce qu’on avait constaté antérieurement que ses prédictions se réalisaient.

        3) Aux chrétiens de Corinthe (1 Co 14.29-32), Paul recommande de limiter à deux ou trois les prises de parole des prophètes au cours d’une réunion de l’Église. En outre, un prophète doit s’interrompre si un autre veut prendre la parole. Si un prophète est en train de transmettre une communication qu’il a reçue directement de Dieu, on imagine mal qu’on puisse l’inviter à se taire pour laisser parler quelqu’un d’autre. Paul n’aurait certainement pas la même attitude vis-à-vis de la parole apostolique, vu l’autorité qu’il lui attribue, et l’on ne conçoit guère qu’il recommande ainsi de se taire à quelqu’un qui, comme Agabus, apporterait une révélation qui se présente comme déclaration du Saint- Esprit.

        4) La parole de l’apôtre prime sur celle des prophètes. Les prophètes doivent se soumettre à la parole apostolique (1 Co 14.37). C’est donc que leur parole a un statut inférieur à celle des apôtres.

        Il est vrai que Paul utilise à propos de l’activité prophétique à Corinthe le terme de ‘révélation’ (1 Co 14.30). Mais il ne faut pas s’y tromper. Par révélation, on entend couramment une communication directe faite par Dieu à un individu. Mais dans le Nouveau Testament, le mot se réfère à des types plus divers d’expérience. Il peut certes désigner la réception d’une communication directe de la part de Dieu, mais ce n’est pas toujours le cas. Par exemple, au cours de son ministère, Jésus a adressé cette prière à Dieu : « Je te loue, ô Père, de ce que tu as caché ces vérités aux sages et aux intelligents et de ce que tu les as révélées à ceux qui sont tout petits » (Mt 11.25). En utilisant le verbe révéler, Jésus ne veut pas dire que Dieu a parlé directement à ceux qu’il désigne comme les « tout petits » et qu’il n’a pas parlé directement « aux sages et aux intelligents ». En fait, les uns comme les autres ont été exposés à la parole de Dieu par l’enseignement de Jésus. La différence entre ces deux groupes a résidé dans la manière dont l’enseignement de Jésus a été perçu et reçu par les uns et par les autres. Les sages et les intelligents, c’est-à-dire les gens instruits, n’ont pas reconnu la véracité de l’enseignement de Jésus, ils n’ont pas reconnu que cet enseignement venait de Dieu même, et ils l’ont rejeté. Tandis que les « tout petits », les gens sans grande instruction, ont reconnu la véracité de cet enseignement, l’ont reçu avec foi, en ont tiré les implications pour euxmêmes et pour leur vie, et sont ainsi venus au bénéfice de l’oeuvre de Christ. Le verbe révéler se réfère ici à l’action de Dieu pour que ces « toutpetits » reçoivent la parole de Jésus avec foi.

        En Éphésiens 1.17 de même, dans la prière qu’il adresse à Dieu pour ses lecteurs, Paul emploie le mot « révélation ». Mais ce qu’il entend par là n’est pas une communication directe reçue par chacun de ses lecteurs de la part de Dieu. En effet, le but de cette révélation est une meilleure connaissance de Dieu, une meilleure compréhension et assimilation du contenu de notre espérance, et de la puissance que Dieu a mise en oeuvre en ressuscitant Jésus-Christ (Ép 1.17- 20). Tout cela, les lecteurs de Paul ne l’ont pas appris par une communication directe de la part de Dieu. Mais ils en ont connaissance par l’Ancien Testament et par l’enseignement de l’apôtre relayé par ses disciples. La révélation dont Paul parle ici, c’est cette oeuvre du Saint-Esprit qui fait reconnaître l’enseignement biblique et l’enseignement apostolique comme vrai, comme parole de Dieu, qui fait qu’on y adhère avec foi, qu’on le reçoit pour soi, qu’on se l’approprie pour en tirer les implications pour soi. À partir de ce texte, on utilise en théologie le terme d’illumination pour désigner ce type d’oeuvre de l’Esprit (« qu’il illumine votre intelligence », Ép 1.18).

        Il est important de prendre en compte cet usage du mot « révélation » dans le Nouveau Testament, et en particulier chez Paul dans l’Epître aux Éphésiens, pour bien comprendre en quoi consiste l’activité prophétique mentionnée en 1 Corinthiens. Lorsque Paul parle de révélation dans ce contexte, il ne pense pas nécessairement à la réception par le prophète d’une communication venant directement de Dieu. Les quatre considérations que nous avons fait valoir ci-dessus favorisent au contraire un sens plus faible2. Le mot « révélation » en rapport avec la prophétie en 1 Corinthiens 14 doit s’entendre comme une compréhension ou perception particulière de quelque chose, sans que cela implique une communication directe de la part de Dieu. Cette compréhension ou cette perception sont produites par l’action de l’Esprit. Mais cette action relève de l’illumination et non pas de l’inspiration. C’est une forme particulière d’illumination, à un degré plus élevé que dans l’ordinaire de l’ensemble des chrétiens.

La thèse de Wayne Grudem

        Il faut encore mentionner ici la thèse de W. Grudem3. Pour ce théologien, une prophétie est basée sur une révélation et est communiquée à d’autres. Le terme de révélation peut avoir un sens large, comme nous venons de le signaler. Dans le cas de la prophétie, Grudem pense que la révélation peut simplement consister en quelque chose que Dieu « fait venir spontanément à l’esprit » du prophète et que le prophète rapportera ensuite dans ses propres termes. Ainsi, sa parole ne doit pas être considérée comme Parole de Dieu mot pour mot. De plus, il considère que le prophète peut mal interpréter la révélation et donc que la prophétie peut être plus ou moins entachée d’erreur. Timothée Minard reprend aussi ce point en l’appuyant sur 1 Corinthiens 13.12, où il remarque que l’expression « au moyen d’un miroir » se dit en ainigmati qui pourrait signifier « par énigme ». Il souligne alors que la révélation peut être difficile à comprendre pour le prophète4.

        Grudem s’appuie sur les indices que nous avons relevés en 1 Corinthiens 14 et qui montrent que la prophétie corinthienne a un statut inférieur à celui de la parole apostolique. Il en déduit qu’une prophétie de ce type n’a pas l’autorité de Dieu et n’exige pas l’obéissance. Grudem cite encore la prophétie d’Agabus qui, selon lui, ne se serait pas réalisée (Ac 21.10-11) et la prophétie des disciples de Tyr à laquelle Paul ne se serait nullement senti tenu d’obéir (Ac 21.4). Grudem prend l’exemple d’une prophétie selon laquelle telle jeune fille devrait épouser tel jeune homme : selon lui, la jeune fille n’est pas tenue d’y obéir5.

        La thèse de Grudem a le mérite d’attirer l’attention sur le statut de la prophétie en 1 Corinthiens 14, en particulier sur la manière dont elle diffère de la prophétie apostolique. Mais la synthèse théologique des données du Nouveau Testament effectuée par Grudem pose divers problèmes.

        Tout d’abord, s’il y a révélation réelle de la part de Dieu, avec un contenu informatif, ce qui est révélé doit être obéi et a l’autorité de Dieu. Ce que Dieu « fait venir à l’esprit » du prophète a l’autorité de Dieu et le prophète devrait s’en tenir, dans sa communication prophétique, au contenu informatif donné par Dieu. La prophétie selon laquelle telle jeune fille devrait épouser tel jeune homme, ou bien vient de Dieu et la jeune fille doit y obéir, ou bien elle n’est pas tenue d’y obéir et il n’y a pas lieu de parler de révélation ou de « ce que Dieu fait venir à l’esprit d’un prophète ». Dans un cas comme celuilà, la distinction établie par Grudem entre une révélation ayant pleine autorité et une révélation à laquelle on n’est pas tenu d’obéir paraît artificielle. Pour le dire autrement : ou bien Dieu a révélé au prophète que la jeune fille doit épouser le jeune homme et elle est tenue d’obéir. Ou bien le prophète a réfléchi à la situation de la jeune fille en mettant en oeuvre son intelligence et sa sagesse particulière sous la direction du Saint-Esprit (donc cela ne lui vient pas spontanément) et il formulera un simple conseil à l’adresse de la jeune fille, par exemple : « As-tu pensé à ce jeune homme ? ». Il vaudrait d’ailleurs mieux qu’il s’adresse au jeune homme, en lui disant : « As-tu pensé à cette jeune fille ? ». Mais alors il ne dira pas à la jeune fille : « Dieu m’a fait venir à l’esprit cette pensée que tu devrais épouser ce jeune homme ».

        De son côté, Henri Blocher a aussi critiqué Grudem pour l’idée selon laquelle la prophétie à la corinthienne consisterait en quelque chose que Dieu fait venir spontanément à l’esprit : « L’accent sur le caractère spontané se justifie difficilement par le Nouveau Testament, qui ne le met jamais en relief »6.

       Dans la pratique, Grudem risque de verser dans un dangereux mysticisme. Ainsi lorsqu’il recommande de rester en attente et de se mettre de la sorte à l’écoute de Dieu pour recevoir ce qu’il pourrait « faire venir à l’esprit »7.

        Nous avons discuté dans la première partie de cet article de l’analyse que fait Grudem de la prophétie en Actes 21. Si nos conclusions sont justes, la faille principale dans l’étude de Grudem consiste dans l’amalgame de tous les textes relatifs à la prophétie non apostolique dans le Nouveau Testament, sans distinguer au moins deux catégories différentes, la prophétie à la manière d’Agabus, et celle dont Paul parle en 1 Corinthiens 14 et 1 Thessaloniciens 5. La prophétie à la manière d’Agabus est plutôt à nos yeux communication inspirée, mais non canonique, de révélations spéciales. Dans les épîtres pauliniennes, il s’agit d’autre chose.

        De même, lorsque Timothée Minard cite 1 Corinthiens 13, il convient de noter que ce texte ne parle pas de révélation au sens strict du terme. Paul y traite de notre connaissance et de la prophétie, non pas d’une révélation au sens d’une communication directe de la part de Dieu. Chez Minard, la différence n’est pas suffisamment faite entre les deux.

Autres caractéristiques de la prophétie en Église

        Paul souligne le caractère intelligible de la prophétie, ce qui la distingue du parler en langues (1 Co 14.1-19).

        Dieu n’est pas un dieu de désordre et, par conséquent, l’esprit du prophète est soumis au prophète, le prophète demeure maître de lui et est capable de se taire pour laisser parler d’autres (1 Co 14.30-33). Un prophète ne doit pas monopoliser la parole à lui seul. Comme déjà souligné, cela en dit long sur la nature de la prophétie : ce n’est pas une parole impérieuse ; elle ne s’impose ni au prophète, ni aux auditeurs.

Peut-on préciser la nature de l’activité prophétique en Église ?

        Quelle est la nature de cette activité prophétique qui se déroule dans les Églises ? Il faut noter que la prophétie est souvent associée ou assimilée dans le Nouveau Testament à une forme d’enseignement (Ac 13.1). D’ailleurs, les faux prophètes du Nouveau Testament sont des gens qui enseignent de fausses doctrines et entraînent les chrétiens au mal, ou aux compromis avec le monde corrompu (2 P 2.1 ; 1 Jn 4.1-6 ; Ap 2.20). Par opposition, les bons prophètes sont ceux qui apportent un message selon la vérité et stimulent les chrétiens à la fidélité et à l’obéissance à Dieu. Il n’y a ainsi pas une différence très tranchée entre prophétie et enseignement. Le prophète instruit (1 Co 14.31). Les deux activités se chevauchent, se recoupent. Mais, sans doute, tandis que l’enseignement est plus axé vers l’explication des textes bibliques et l’exposition de la doctrine, la prophétie est davantage axée sur l’application concrète et pratique. En effet, comme les prophètes de l’ancienne alliance actualisaient la loi mosaïque et l’appliquaient à la situation de leurs contemporains pour les appeler à l’obéissance à Dieu dans leur situation concrète, les prophètes des Églises du Nouveau Testament indiquaient comment appliquer l’enseignement scripturaire et apostolique aux situations concrètes de leurs auditeurs.

        La prophétie est d’ailleurs parfois définie comme encouragement et exhortation. Ainsi, Jude et Silas, en tant que prophètes, ont exhorté et affermi les frères par de nombreux discours (Ac 15.32). Un élément mérite d’être ici remarqué : la signification donnée dans le livre des Actes pour le nom de Barnabas. Cette forme du nom hellénisée renvoie à l’araméen bar qui signifie « fils » et nabî’, le traduit par « fils d’encouragement » ou « fils d’exhortation » (Ac 4.36), ce qui donne une idée du sens large qu’avait pris le terme « prophète » parmi les chrétiens à l’époque du Nouveau Testament. De même, la prophétie en Église est présentée comme une parole qui édifie, exhorte, encourage (1 Co 14.3), et comme stimulant les auditeurs dans la foi (1 Co 14.31).

        On peut donc penser que la prophétie en Église consiste avant tout en l’apport d’une parole qui applique l’enseignement apostolique ou scripturaire à la situation particulière des auditeurs avec un à-propos et une pertinence accrue. Ce pour exhorter les auditeurs ou les encourager, ou encore les reprendre, suivant les besoins. Le prophète est alors quelqu’un qui, grâce à l’oeuvre de l’Esprit en lui, a une sagesse particulière, une compréhension de l’Écriture, une intelligence des situations concrètes, et une bonne part d’intuition qui lui permettent de discerner comment appliquer l’Écriture aux situations concrètes de l’existence, quelle ligne de conduite adopter pour faire la volonté de Dieu dans telles circonstances, quel chemin emprunter pour dépasser des situations bloquées, ou encore qui lui permettent de trouver la parole qui va aider au bon moment, qui va encourager, relever la personne abattue, ou motiver les gens à l’obéissance à Dieu.

        La prophétie n’est donc pas l’apport par un prophète de ce que Dieu lui fait venir spontanément à la pensée, interprété et retransmis plus ou moins correctement, comme le veut Grudem, mais elle est mise en oeuvre de la sagesse.

        Paul envisage qu’un incroyant présent dans l’assemblée voit les secrets de son coeur dévoilés par la parole des prophètes (1 Co 14.24s) et l’on comprend parfois que le prophète lit dans les coeurs. Je crois plutôt qu’il est ici question de la seule efficacité de la prédication prophétique qui oblige l’incroyant à s’examiner luimême. Autrement dit, sans que les pensées du coeur de l’auditeur soient nécessairement révélées au prophète, celui-ci prononce un discours particulièrement approprié à la situation de l’auditeur, qui le touche profondément et lui montre de manière très claire son besoin de conversion. Il n’y a donc pas nécessairement révélation spéciale mais simplement une perception aiguisée de ce qu’il est approprié de dire dans les circonstances dans lesquelles on se trouve.

IV. Tous prophètes

        Dans quelques textes, tous les croyants sont considérés comme des prophètes (Ac 2.17s ; Ap 11.3- 10). Ils le sont en tant que témoins de Jésus-Christ. Dans la mesure où nous proclamons fidèlement le message de l’Évangile tel que nous le recevons des apôtres, nous faisons office de porte-parole de Dieu. Cela ne signifie pas que nous soyons inspirés et que notre parole soit infaillible. Mais lorsque nous annonçons l’Évangile dans la fidélité à l’Écriture, c’est bien la Parole de Dieu que nous proclamons. Nous sommes donc prophètes dans un sens large.

        De même, lorsque nous utilisons la parole de Dieu consignée dans la Bible pour encourager d’autres chrétiens, les exhorter, les stimuler à aller de l’avant dans la foi, et nous sommes tous appelés à faire cela les uns pour les autres de manière informelle, nous jouons un rôle prophétique. À côté de ceux dont c’est le ministère particulier et qui sont particulièrement doués pour cela, nous sommes tous appelés à jouer ce rôle (Rm 15.14 ; Col 3.16 ; 1 Th 4.18 ; 5.11 ; Hé 3.13 ; 10.24).

        Notre rôle prophétique est dérivé de la fonction prophétique des apôtres et des prophètes de l’Ancien Testament : c’est dans la mesure où nous reprenons fidèlement leur parole pour l’appliquer en notre temps que notre parole peut être prophétique (au sens large)8.

Conclusion

        La prophétie qui dépend d’une révélation et communique des informations reçues directement de Dieu par le prophète demeure sans doute exceptionnelle : nous avons normalement dans les écrits canoniques tout ce qu’il nous faut pour notre enseignement et pour que nous soyons équipés et préparés en vue de toute oeuvre bonne (2 Tm 3.16-17). Il est probable que la prophétie de type corinthien soit ce qui se rencontre le plus souvent de nos jours et ce que l’on est en droit d’attendre avant tout.

        Le prophète, c’est, comme nous l’avons déjà dit, celui qui a une sagesse particulière, une intuition, une intelligence de la situation concrète qui lui permettent de discerner comment appliquer l’Écriture aux situations concrètes de l’existence, quelle ligne de conduite adopter pour faire la volonté de Dieu dans telle situation, qui lui permet aussi de trouver la parole qui va aider au bon moment. Le prophète, c’est l’homme ou la femme des paroles qui tombent à pic. Les prophéties, ce sont donc par exemple ces paroles de sagesse, ces exhortations qui tombent à point nommé, ces encouragements qui relèvent la personne abattue et la stimule à aller de l’avant, ces paroles qui font repartir la personne qui était en panne. Ce sont aussi ces suggestions qui permettent de débloquer des situations difficiles ou de découvrir un chemin à suivre auquel on n’avait pas pensé. Les comités de missions ou d’oeuvres, ou les réunions de conseil d’Églises sont des lieux où ce ministère est souvent précieux (cette remarque me vient d’Henri Blocher). La prophétie, c’est encore ce qui se produit lorsqu’un prédicateur apporte son message et qu’ensuite, quelqu’un vient lui dire : « C’était exactement ce dont j’avais besoin », ou encore : « Ton message m’a remis en question ; je vais changer tel comportement, telle manière d’agir, ou régler tel problème ». Le prophète, c’est celui qui sait discerner les besoins de l’Église et apporter une parole qui réponde à ce besoin. C’est celui ou celle qui va savoir motiver les gens pour les amener à obéir à la volonté de Dieu, ou les amener à s’engager dans tel projet pour Dieu. On n’appelle plus cela prophétie de nos jours et cela donne l’illusion qu’il n’y a plus de prophétie dans nos Églises. Mais c’est parce que l’on a une conception déformée de ce qu’est la prophétie. La prophétie existe toujours parmi nous, même si nous ne l’appelons plus « prophétie ».

        L’activité prophétique n’est pas nécessairement un ministère officiel ou reconnu. Ce n’était pas nécessairement le cas à Corinthe. Le ministère prophétique s’exerce souvent dans la relation d’un à un entre membres de l’Église, ou auprès d’un incroyant.

        Le ministère prophétique a parfois été assumé par des femmes : l’Ancien Testament offre l’exemple de Myriam, Déborah et Houlda et le Nouveau Testament celui des quatre filles de Philippe, et il est question de femmes qui prophétisent en Actes 2.18 et 1 Corinthiens 11.5.

        On comprend bien pourquoi le ministère prophétique occupe le deuxième rang en importance, après le ministère apostolique, dans la pensée de Paul (1 Co 12.28) : c’est parce qu’il vise directement l’application concrète, dans la vie de tous les jours, de l’enseignement apostolique. Or la parole apostolique, la parole de Dieu est une parole à vivre, et pas seulement une parole à assimiler intellectuellement.

        Donc, si nous comprenons bien ce qu’était la prophétie dans ces communautés de l’époque apostolique, l’Esprit oeuvre encore de nos jours en suscitant des prophètes parmi nous. Heureusement !

SYLVAIN ROMEROWSKI

Coordonnées du Secrétaire Général du Réseau FEF

Philippe Monnery

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Tel : 06 37 49 61 45

p.monnery@reseaufef.com


NOTES

 

1 « Prophétisme et Nouveau Testament », col. 1296.

2 Nous ne pouvons donc pas suivre Timothée Minard (« La prophétie chrétienne dans le Nouveau Testament : l’état de la question », Théologie Évangélique, vol. 12, n° 1, 2013, p. 23, 27-28, 38, 40) lorsqu’il définit la prophétie chrétienne comme « l’acte de transmettre, sous la forme d’un message intelligible, une révélation inspirée par l’Esprit du Dieu de Jésus-Christ » : cette définition est trop restrictive en ce qu’elle ne correspond pas à tous les types d’activités prophétiques que l’on rencontre dans le Nouveau Testament, et notamment pas à la prophétie en Église.

3 Wayne Grudem, The Gift of Prophecy in the New Testament Today, Wheaton, Crossway Books, 1988.

4 Timothée Minard, « L’inspiration de la prophétie dans l’Église : les données de la 1ère aux Corinthiens », p. 124-125.

5 The Gift of Prophecy in the New Testament Today, p. 167.

6 Henri Blocher, « La place de la prophétie dans la pneumatologie », Hokhma, 72 (1999), p. 96-97.

7 The Gift of Prophecy in the New Testament Today, p. 132.

8 Nous avons traité ce point de manière développée dans L’oeuvre du Saint-Esprit dans l’histoire du salut, Cléon d’Andran, Excelsis § Institut Biblique de Nogent-sur- Marne, 2005, p. 154-162.