Le très grand problème posé à l’Eglise romaine du XVIe siècle par le moine augustinien, Martin Luther, lors de sa proclamation de la doctrine biblique de la justification du pécheur devant Dieu par la foi seule, se solutionne de nos jours assez facilement.

Scandinavie, en 1989

     Un grand pas a été accompli lors de la visite de Jean-Paul Il en Scandinavie – à majorité protestante- en 1989. Lors d’une question posée au pape concernant une levée éventuelle de l’excommunication de Luther, Jean-Paul II a habilement répondu que toute excommunication prend fin avec la mort de l’intéressé. Non pas que, du même coup, le frère Martin serait bientôt béatifié – bien que certains luthériens l’aient demandé, fin 1994, lors de leur visite au Vatican ! –  mais le conflit s’est évidemment beaucoup atténué. La preuve ? Dans le journal catholique, « La Vie », du 17 janvier 1991, un article porte le titre « Luther, un prophète pour l’Europe » et, dans les lignes qui suivent, le père Daniel Olivier déclare qu’aujourd’hui il y a accord sur l’essentiel entre catholiques et réformés sur cette question de la « justification ».

Jean-Paul Il en Allemagne

     Cependant, sans aucun doute, l’influence passée de Martin Luther et son heureuse insistance sur la justification du pécheur par la foi seule ont contribué à rendre difficile la récente visite de Jean-Paul Il en Allemagne. Bien plus large d’esprit que le catholicisme, le protestantisme allemand pousse les citoyens catholiques de ce pays à demander « l’ordination des femmes, le mariage des prêtres, l’abandon des interdits sur la contraception ou l’homosexualité ». C’est à cause de ces protestations que le pape, semble-t-il, a dû raccourcir plus d’une de ses allocutions. Le fait aussi que dans la nouvelle Allemagne les protestants sont maintenant légèrement majoritaires pouvait avoir quelque incidence.

     D’ailleurs, en signe de protestation contre l’étroitesse actuelle du pape, Eugen Drewermann, dont les écrits ont été condamnés il y a quelque temps, et Mgr Jacques Gaillot, l’ancien évêque contestataire d’Evreux, devaient organiser à Padernborn « une réunion oecuménique alternative »…

     En même temps, Jean-Paul II et le chancelier allemand Helmut Kohl, se tenant côte à côte à Berlin, devant la porte de Brandebourg, réouverte depuis la chute du mur et donc symbole de l’Allemagne réunifiée, offraient sans doute un beau spectacle aux yeux du monde…

Document : Eglise et justification

     L’automne 1993 a vu paraître un texte : « Eglise et justification ». Ce travail a été édité par la Commission mixte catholique-luthérienne et est donc signé par la Fédération Luthérienne Mondiale (Genève) et par le Conseil Pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens (Rome). Puis, en janvier 1995, a paru un autre écrit intitulé : « Pour aider à la réception du document ‘Eglise et justification' » Il est à l’intention des paroisses et groupes oecuméniques ».

     Nous relevons un certain nombre d’insistances dans ce document, mais nous voulons d’abord rappeler ce qui s’est passé au XVIe siècle.

Au seizième siècle

     Tourmenté par son péché dans les années 1516-1517, le docteur de théologie catholique, qu’était devenu le moine Martin Luther, apprit par l’Ecriture sainte et le Saint-Esprit que la justice de Dieu n’était pas seulement pour condamner le pécheur impénitent, mais surtout pour lui être imputée, s’il se repentait. Ceci à condition que celui-ci ait aussi mis sa foi en Jésus-Christ, mort à sa place sur la croix. Le futur réformateur a témoigné à ce moment-là : « J’ai alors saisi que la justice de Dieu est cette justice dont, par grâce et miséricorde pure, Dieu nous justifie par la foi. Là-dessus, je me sentais renaître et être passé par les portes ouvertes du paradis ».1

     La réponse doctrinale officielle de Rome vint en son temps, lors des dix premières sessions du Concile de Trente (1545-1549), sous l’autorité du pape Paul III. Après une introduction et seize courts chapitres, trente-trois canons, définissant la justification selon Rome, prononcent l’anathème à l’encontre de celui qui ne veut pas les accepter. Malgré la finesse du langage, parfois plutôt ambigu, le Canon IX précise que « si quelqu’un dit que l’impie est justifié par la seule foi, en sorte qu’il entende par là que, pour obtenir la grâce de la justification, on n’a besoin d’aucune autre chose qui y coopère, et qu’il est nécessaire en aucune manière qu’on s’y prépare et qu’on s’y dispose par le mouvement de la volonté, qu’il soit anathème » Le Canon XII annonce encore que: « Si quelqu’un dit que la foi justifiante n’est autre chose que la confiance en la divine miséricorde, qui remet les péchés à cause de Jésus-Christ, ou que c’est par cette seule confiance que nous sommes justifiés, qu’il soit anathème ».2

     Tout l’argument des autres canons fait ressortir que le Concile de Trente insiste sur le rôle de l’Eglise dans la justification par la foi. Rome a surtout refusé le fait que le salut est par la foi individuelle seule, car « la justification de l’impie »… ne peut se faire sans « l’eau de la régénération », c’est-à-dire, sans le sacrement du baptême.3

« Eglise et justification »,
« à l’attention des paroisses »…,
rédigé en 1995

     Dans le document sous nos yeux nous constatons la même insistance que celle élaborée par le Concile de Trente. D’ailleurs, dans les dialogues bilatéraux, organisés de 1991 à 1995 entre les luthériens et les catholiques4, les théologiens ont parlé de l’Eglise et la justification et non pas tant de la doctrine de la justification seule.

     Afin de montrer l’accent placé sur le rôle de l’Eglise, nous citons certains extraits de cet écrit.

     A la page 6, nous lisons que « Justification et Eglise sont par essence inséparables ». Ensuite, un peu plus loin, page 7, après ce qui paraît encourageant « catholiques et luthériens confessent ensemble le salut donné uniquement dans le Christ et uniquement par grâce et reçu uniquement dans la foi », il est aussitôt ajouté que « notre foi s’étend à la justification et à l’Eglise comme oeuvres du Dieu-Trinité… » Et « nous croyons à la justification et à l’Eglise comme mystère »… Et encore « beaucoup de gens ont du mal aujourd’hui à admettre que la foi n’est jamais individuelle, qu’elle est toujours foi en communion avec l’Eglise ».

     Cette dernière parole nous fait bondir ! Combien de fois les écrits johanniques insistent sur le « quiconque croit » ou « celui qui croit », ne parlant jamais d’une foi « collective » et « de l’Eglise », mais d’une foi personnelle et individuelle

     Finalement, dans ce document, l’Eglise devient plus importante que le Saint-Esprit et, en quelque sorte, le remplace. On prétend que même des chrétiens engagés voient l’Eglise seulement comme institution et « oublient facilement ce qu’est réellement l’Eglise, à savoir qu’elle reçoit du Seigneur la vie et le salut, qu’elle transmet aux fidèles cette vie et salut en fidélité au Christ et à la mission reçue de lui, et cela dans l’annonce de la Parole de Dieu et l’administration des sacrements » (page 17). « La prédication chez les païens se fait par les apôtres, et la foi qu’elle suscite est la foi de l’Eglise. L’Eglise est ainsi, précisément en tant que réceptrice du salut, celle qui en est la médiatrice » (page 18).

     Médiatrice ? Non ! Car le terme « médiateur » entend quelqu’un qui possède quelque essence des deux parties à reconcilier. C’est pourquoi, entre Dieu et l’homme, « seul Christ peut l’être car il est à la fois Dieu et homme » 5. C’est ainsi que l’Eglise ne peut jamais être médiatrice entre Dieu et les hommes, dans le sens où Rome l’applique, car l’Eglise ne participe pas à la fois à l’essence divine et humaine.

     Médiatrice ? Jamais ! Mais elle peut être messagère, à condition de rester fidèle à l’Ecriture.

Conclusion

     Le lecteur de ce texte constate – souvent, il est vrai, indirectement, mais c’est bien là, entre les lignes – le refus de reconnaitre que le pécheur est justifié par la foi individuelle (et non pas celle de l’Eglise), seule (sans le sacrement du baptême).

     De plus, l’oeuvre souveraine du Saint-Esprit qui convainc le pécheur de son besoin de salut et qui le régénère en réponse à sa repentance et à son acceptation de l’oeuvre de la croix, est remplacée par l’Eglise qui est sensée faire naître d’en-haut le pécheur par l’eau du baptême.

     Enfin, la place de la Parole de Dieu, qui nous annonce la justification par la foi, est tellement diminuée, qu’elle ne joue pratiquement aucun rôle. Si, dans le document, la Bible est citée – quels beaux versets ! – nous nous étonnons de ce que les grands textes de Paul concernant la justification, dans les épitres aux Romains et aux Galates, soient singulièrement absents. Et nous nous demandons pourquoi !

     Par ailleurs, nous nous étonnons de ce que de vrais protestants aient pu accepter et signer un tel texte.

     Mais…, au fait, sont-ce des vrais ?

     « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. Ils sont gratuitement justifiés par sa grâce, par le moyen de la rédemption qui est dans le Christ-Jésus. C’est lui que Dieu a destiné comme moyen d’expiation pour ceux qui auraient la foi en son sang, afin de montrer sa justice. » (Romains 3:23-25)

Pierre WHEELER


NOTES

1 R.H. Bainton. Here I stand. 1950. Mentor.

2 Si nous faisons référence au Concile de Trente, c’est que Rome n’a rien enlevé de ses fameux anathèmes. Les déclarations de Trente sont d’ailleurs souvent mentionnées encore par l’Eglise catholique.

3 Rohrbacher. Histoire universelle de l’Eglise catholique. 1903. Montréjeau

4 L’Eglise catholique a entrepris des « dialogues bilatéraux internationaux » avec bien des églises différentes pendant les années 1991 à 1995, dont les Eglises orthodoxe, anglicane, luthérienne, reformée, méthodiste, baptiste et pentecôtiste.

5 W.E. Vine. Expository dictionary of New Testament Words. Voir le terme « Mediator ». 1940. Oliphants Ltd.