Introduction

«Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux» (Mt 18.3).

La formule qu’emploie Jésus est frappante. Elle est appuyée par le célèbre : «En vérité je vous le dis». Elle insiste sur la nécessité de la conversion. Elle la compare à un retour à l’enfance, ce qui pourrait évoquer la simplicité, la confiance, l’humilité, la vulnérabilité, la dépendance des enfants.

Mais qu’est la conversion ?

Le sens des mots

L’usage français

Le dictionnaire Larousse, dans son édition de 2010, ne donne pas moins

de dix définitions du mot «conversion». Si on peut parler de conversion ou de reconversion industrielle, l’usage le plus courant, et premier dans la liste du Larousse, c’est «l’action de se convertir à une croyance, et particulièrement d’abandonner une religion pour une autre». Le Larousse ajoute : «passage de l’incroyance à la foi religieuse». Mais cela nous laisse sur notre faim.

Mots et expressions dans l’Ancien Testament

Les prophètes ont souvent lancé au peuple d’Israël des appels à revenir à Dieu. Joël dit, par exemple : «Maintenant encore, déclare l’Éternel, revenez à moi de tout votre cœur, avec des jeûnes, avec des pleurs et des lamentations. Déchirez votre cœur et non vos habits, et revenez à l’Éternel, votre Dieu, car il fait grâce, il est rempli de compassion, lent à la colère et riche en bonté, et il regrette le mal qu’il envoie» (Jl 2.12-13)1. La conversion n’est pas simplement un signe extérieur de regret et un effort de réformation morale. Les prophètes israélites insistent sur un changement de cœur, intérieur et sincère, qui se fonde sur une réelle connaissance du caractère de Dieu et de ses actes2.

Ce changement profond est parfois comparé à une circoncision du cœur (Dt 10.16 et Jr 4.4). Ézéchiel utilise une autre image : «Faites-vous un cœur nouveau et un esprit nouveau» (Éz 18.31). Dans les deux cas, c’est à l’homme d’agir pour que son cœur change.

Mots et expressions dans le Nouveau Testament

Pour parler de la conversion, le Nouveau Testament utilise deux groupes de mots. Le verbe epistrephô et des termes proches donnent lieu à des traductions comme se tourner vers, se diriger sur, se tourner, retourner, revenir, se convertir. Le verbe metanoeô donne lieu à des traductions comme changer, changer d’avis, changer d’attitude, se repentir. Pour ce dernier groupe, les traducteurs récents abandonnent souvent se repentir et repentance, dont le sens est jugé trop restreint, au profit de termes parlant de changement. Mais, de nouveau, changer d’attitude est souvent jugé trop faible. Nous trouvons ainsi : changer de vie, changer radicalement, ou : changer, tout simplement.

Quand Jésus dit à Pierre qu’il reniera son maître, il annonce aussi que Pierre se ressaisira : «Quand tu seras revenu (epistrephô) à moi, affermis tes frères» (Lc 22.32). Pour parler de la repentance ici, Luc emploie le verbe que nous traduisons souvent par «se convertir». Après la guérison de l’homme boiteux de naissance, Pierre demande à ses auditeurs de «se repentir» (metanoeô) et de «se convertir» (epistrephô) ou, selon d’autres traductions, de «changer» et «se tourner» vers Dieu (Ac 3.19). On le voit bien, les deux concepts sont proches, se recoupent parfois, sans qu’on puisse toujours les distinguer de façon tranchée.

Ainsi, lorsque Jésus dit : «En vérité je vous le dis, si vous ne vous convertissez pas (strephô) et si vous ne devenez pas comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux» (Mt 18.3), certaines traductions préfèrent d’autres nuances. La TOB et la Bible en français courant disent : «Si vous ne changez [pas]…» ; la Nouvelle Bible Segond : «Si vous ne faites pas demi-tour…» ; la Bible du Semeur : «Si vous ne changez pas d’attitude…».

Usage catholique et évangélique

L’usage des deux groupes de mots dans le Nouveau Testament ne nous renseigne pas sur le sens que le mot «conversion» a pris de nos jours. Nous verrons que l’usage est différent selon qu’on se situe dans la tradition catholique ou dans la pensée évangélique.

En théologie évangélique, nous réservons le mot «conversion» pour la rencontre initiale et décisive avec Dieu. C’est le mouvement humain qui correspond à l’œuvre de Dieu qu’est la nouvelle naissance ou régénération, et qui en est indissociable. Le modèle typique de la conversion est celle de Saul de Tarse sur la route de Damas. Mais on reconnaît que tous ne vivent pas des conversions aussi spectaculaires et que la date de ce mouvement déterminant vers Dieu n’est pas toujours connue. Après la conversion, le chrétien sera appelé à progresser dans sa vie de disciple, à grandir dans la foi et dans la connaissance de Christ. Ces progrès sont appelés sanctification. Si quelqu’un s’éloigne de Dieu puis revient, on parlera de réveil, de repentance, de renouveau, et pas de conversion.

En milieu catholique, on connaît bien sûr des conversions comme celle de Paul. Mais le mot est employé pour tout élan par lequel on se détourne du péché pour se tourner vers Dieu. Un document du Groupe des Dombes s’intitule même «Pour la conversion des Églises». Très couramment, nos amis catholiques parleront de conversion au quotidien. Certainement, la place du baptême des petits enfants dans la pensée catholique favorise ce vocabulaire. Mais, de nos jours, de plus en plus de personnes se font baptiser adultes, et l’emploi du mot conversion rejoint parfois l’usage évangélique.

Nous pouvons dire ici que catholiques et évangéliques reconnaissent et valorisent le fait qu’il faut se détourner du péché pour se tourner vers Christ, une première fois, puis mille fois après. Le problème est avant tout une question de vocabulaire. Si nous ne sommes pas d’accord sur le rôle de l’Église et des sacrements dans la conversion, nous pouvons tous affirmer que la démarche de conversion, dans tous les sens du mot, dépend de l’action du Saint-Esprit et est favorisée par l’annonce de la Parole.

Paradoxalement, la façon catholique de parler de la conversion peut sembler par moments plus proche des usages du Nouveau Testament, parce que plus large. Mais l’usage évangélique est d’une plus grande précision théologique et permet plus facilement de faire le lien avec ce que Dieu accomplit quand quelqu’un se confie en Christ pour son salut et s’engage à le suivre : il le fait passer de la mort à la vie, le fait naître de nouveau, le fait entrer dans son peuple.

Une démarche personnelle

La vision du Nouveau Testament diffère de la pratique sociologique du christianisme. Lorsqu’une personne, par tradition, fait partie d’un système religieux, la réalité de l’engagement personnel peut être obscurcie par des processus qui ne garantissent pas une soumission personnelle et assumée à Jésus-Christ. Trop souvent dans l’histoire du christianisme, on a remplacé la réponse personnelle à Christ par un système institutionnel, qu’il soit évangélique, protestant, orthodoxe ou catholique. Ceci nous éloigne de la conversion biblique. En toute rigueur, soit on appartient à Jésus-Christ, soit on ne lui appartient pas. Soit on cherche à lui donner la première place dans sa vie, soit on ne le fait pas.

Tous les êtres humains sont appelés à se convertir. Ce n’est surtout pas une expérience particulière réservée à une élite spirituelle, ni même à une élite inversée de grands pécheurs, supposés pires que les autres.

Jean-Baptiste, Jésus et les apôtres ont très souvent lancé des appels directs : Repentez-vous ! Revenez à Dieu ! Changez radicalement ! Croyez à la bonne nouvelle ! Vous devez ouvrir vos yeux, recevoir la Parole de Dieu en vous, naître d’en haut – c’est-à-dire de Dieu (voir Jn 1.13 ; 1 Jn 3.9 ; 5.1,18), ou encore naître de nouveau, c’est-à-dire être régénérés. Au début de l’Évangile de Marc, nous lisons que Jésus proclamait la bonne nouvelle du royaume de Dieu en disant : «Le moment est arrivé et le royaume de Dieu est proche. Changez et croyez à la bonne nouvelle !» (Mc 1.14-15). La responsabilité de la conversion repose donc clairement sur les humains.

Les deux mouvements de la conversion

La conversion comprend deux mouvements, la repentance et la foi, qui sont l’expression d’un changement radical.

Par la repentance, on se détourne de sa manière de vivre sans Dieu. Cela nous impose de reconnaître que sans Jésus, nous allions dans une mauvaise direction. Comme si nous avions pris une autoroute dans le mauvais sens. Le verbe grec metanoeô exprime ici une réalité intérieure qui touche le cœur, un changement d’attitude, un changement de manière de penser et de vivre.

Par la foi, on se donne entièrement à Jésus-Christ, on place sa confiance en lui, on se remet entre ses mains pour la vie présente et pour la vie future. Comme si, ayant pris conscience que nous roulions sur l’autoroute dans le mauvais sens, nous lui demandions de nous montrer la bonne direction, en nous engageant à le suivre. Croire en lui nous oblige à comprendre certains éléments qui le concernent : qu’il est le roi envoyé par Dieu, qu’il est venu se donner pour nous libérer des conséquences de nos fautes.

Parce qu’il est le Roi divin, mort pour nos fautes et ressuscité physiquement pour vaincre la mort et le mal à notre place, il mérite cet abandon de soi que le Nouveau Testament appelle la foi. Mais une certaine forme de croyance purement objective est insuffisante, car les démons croient au Dieu unique et ils tremblent (Jc 2.19) : ils n’aiment pas Dieu et ne veulent à aucun prix se soumettre à lui. La vraie foi, objectivement conforme à l’enseignement des apôtres (cf. 1 Co 15.1-4, Ga 16-9), doit produire des actes.

La conversion et la croix

Le double mouvement de la conversion unit le converti à Jésus, le libérant ainsi de la condamnation divine que mérite sa rébellion contre Dieu. Il lui garantit, par l’intermédiaire de l’Esprit saint3, une vie présente en communion avec Dieu et la résurrection à venir. Ce retour vers Jésus est possible grâce à la croix. En mourant, Jésus a souffert la condamnation divine que nous méritons pour avoir rejeté l’autorité de Dieu. Il est mort à la place des injustes, afin que ceux qui sont injustes devant Dieu puissent, en se tournant vers Jésus, être comptés comme justes, réconciliés avec Dieu. Par la repentance, le converti se reconnaît pécheur et décide de se détourner du mal. Par la foi, il s’approprie l’œuvre de Christ et reçoit le pardon, pour vivre d’une manière nouvelle.

L’action de Dieu

D’un point de vue psychologique, la conversion est clairement un choix humain. Mais la Bible enseigne que derrière ce choix, il y a une réelle action de Dieu. C’est Dieu qui donne aux humains de se convertir. C’était déjà le cas avant la venue de Jésus : si le peuple est capable de revenir à Dieu, c’est que Dieu l’en rend capable. Le prophète écrit dans le livre des Lamentations : «Fais-nous revenir vers toi, Éternel, et nous reviendrons !» (Lm 5.21).

Cet article n’entend pas explorer la relation entre la souveraineté de Dieu et la responsabilité humaine. Mais nous devons au moins noter que l’action humaine de se convertir est indissociable de l’action de Dieu. Si Jean parle de ceux que Dieu fait naître de sa propre autorité, sans faire intervenir une puissance humaine quelconque (Jn 1.13), il indique au verset précédent que cette naissance est accordée à ceux qui reçoivent Christ, la Parole incarnée, et qui croient en lui. Au chapitre 3 de son Évangile, il insiste encore sur la souveraineté de l’action de l’Esprit qui opère la naissance d’en haut, tout en plaçant Nicodème et ses semblables devant un impératif : «Il faut que vous naissiez d’en haut».

Nous parlons donc de la conversion en termes humains sans jamais oublier l’action de Dieu.

La conversion soudaine, datable

Les conversions évoquées dans le Nouveau Testament peuvent être spectaculaires comme celle de Paul sur le chemin de Damas4. C’est même le modèle classique de la conversion dans la pensée évangélique. Certaines conversions du Nouveau Testament peuvent être relativement paisibles comme celle du haut fonctionnaire éthiopien et celle de Lydie5. Mais la nécessité de la conversion n’est pas l’invention récente de certaines sectes. Jésus lui-même en parle clairement, tout comme les auteurs du Nouveau Testament, avec leurs propres mots, employant chacun son ou ses images particulières pour exprimer les diverses facettes de cette réalité spirituelle.

À un moment précis, il faut prendre une décision précise : se confier en Jésus au point de le suivre, ou pas. Le Nouveau Testament contient plusieurs récits de personnes qui ont choisi de ne pas suivre Jésus. Le choix de se tourner vers Christ n’est pas un processus mais un engagement face à une alternative : soit on se convertit, soit on ne le fait pas. Que ce choix soit précédé par des mois, voire des années de réflexion et de préparation, et suivi par des années de croissance parfois hésitante, ne remet pas en cause la réalité d’un choix décisif.

Les expériences humaines s’inscrivent dans le temps, dans des périodes qui peuvent être plus ou moins étendues. Jules-Marcel Nicole disait qu’avant l’âge de 14 ans, il n’était pas converti, qu’à 17 ans il l’était, et qu’il ne pouvait pas préciser davantage le moment de sa conversion. Puisque par la conversion on passe de la mort à la vie et qu’on entre ainsi dans la famille de Dieu, il y a forcément un moment précis où la transition s’opère. Mais tous ne sont pas en mesure d’en indiquer la date précise.

Comme nous l’enseigne l’image de la naissance, ce ne sont pas les neuf mois de grossesse qui précèdent, ni les années de croissance qui suivent, qui peuvent remettre en cause l’importance de la naissance elle-même. Soit on est né, soit on ne l’est pas.

Les suites de la conversion

La conversion dans la pensée évangélique est un événement unique. Mais elle inaugure une nouvelle vie dans laquelle le nouveau-né va chercher, avec l’aide de Dieu, à vivre en cohérence avec son nouveau statut de personne graciée et de membre du royaume de Jésus-Christ. Un converti n’est pas une personne parfaite qui plane au dessus de la souillure du monde, c’est plutôt quelqu’un qui est en même temps pécheur et pardonné, comme disait Luther. Car tous ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, quelle que soit leur capacité à vivre selon sa volonté, sont justifiés, c’est-à-dire qu’ils sont libérés de la condamnation et reçoivent les mêmes droits que s’ils avaient toujours obéi à Dieu. Un converti s’efforce de se soumettre à Jésus en toutes choses, malgré ses échecs. Les convertis vivent un conflit plus ou moins déclaré entre le désir de faire la volonté de leur Seigneur et le désir de continuer à gérer leur vie comme bon leur semble. Tous ceux qui suivent Jésus le font imparfaitement, cependant tous le font dans l’espoir certain d’un avenir glorieux.

Dans le Nouveau Testament, la conversion est étroitement associée au baptême. Après la prédication de Pierre le jour de la Pentecôte, les auditeurs qui se repentent et qui se tournent vers Christ sont baptisés. Et cela se passe ainsi dans tout le livre des Actes. Le Nouveau Testament ne connaît pas de converti non baptisé, car refuser le baptême équivaut à ne pas reconnaître Jésus comme le Messie. Le lien entre conversion, salut et baptême est si étroit que certains en sont venus à penser que le salut dépendrait du baptême. Mais une théologie plus rigoureuse reconnaîtra que de nombreuses personnalités bibliques ont été sauvées sans baptême (Abraham, dans la Genèse, le brigand repenti en Luc 23…) et que dans les exposés les plus complets (par exemple en Jean 6, Romains 5-8, ou Éphésiens 2), la vie éternelle dépend uniquement de la foi en Christ et de la grâce de Dieu.

Le baptême est l’un des signes qui annoncent le salut et qui témoignent de la conversion. Mais bien plus importante est une vie empreinte d’amour pour Dieu et pour le prochain. L’épître de Jacques dit clairement que la foi sans les actes est morte.

Annoncer la conversion

Un des défis dans l’évangélisation, c’est bien de parler de la conversion. Il y a au moins deux raisons à cela.

Premièrement, notre monde est bien éloigné de celui de l’époque biblique. La lecture de la Bible oblige nos contemporains à faire un saut en arrière de deux mille, ou trois mille ans et plus. Ils rencontrent des notions, comme par exemple celle de péché, qui ne font pas partie de leur horizon ou qui ont été déformées. Les préoccupations premières de nos concitoyens ne sont guère d’ordre spirituel.

Deuxièmement, il y a l’obstacle de la peur des sectes, la peur légitime de la manipulation mentale et d’autres abus. «Vous voulez me convertir ?» Cette question comporte à notre époque un reproche musclé : «Comment osez-vous me traiter ainsi ?» Parler de la conversion est au minimum malpoli.

Mais parler de la conversion, et appeler à la conversion, restent non seulement possibles mais nécessaires.

La prière est essentielle. Nous devons tenir le cap biblique de la prière et de la confiance dans l’œuvre de Dieu : c’est lui qui fait briller la lumière de Christ dans les cœurs. Tout en cherchant à transmettre le message et à présenter la personne de Jésus-Christ, nous devons prier sans cesse pour que Dieu amène des personnes à se convertir à Christ.

Ce que nous visons, ce n’est jamais la gloire de notre Église ou la renommée de notre chapelle, mais la gloire de Jésus. Nous appelons les humains à se convertir à Lui seul, et non à notre Église ou au protestantisme évangélique. Nous devons être explicites à ce sujet avec ceux qui sont prêts à nous écouter : notre but n’est pas le rayonnement de notre courant religieux, mais l’avancement du royaume de Jésus-Christ. Une personne qui se convertit à Christ est toujours libre de vivre sa vie avec Jésus où elle veut – en cherchant cependant à être soumise à l’enseignement de la Parole de Dieu, la Bible.

Nous devons travailler notre langage, nos images, notre communication, afin de rendre l’Évangile aussi accessible que possible, sans en perdre le contenu. Ce n’est pas un équilibre facile. Pour bien faire ce travail de communication, nous cherchons à bien comprendre notre époque, sa pensée, et les vraies idoles de cœur de nos contemporains. Mieux nous comprenons notre culture, plus il sera facile de trouver les mots justes, les images puissantes pour toucher des cœurs.

Timothy Keller, pasteur et évangéliste à New York, utilise une image saisissante pour suggérer comment se faire comprendre à notre époque. Imaginons un ingénieur qui doit construire une route. Un énorme rocher barre la route. Une bonne approche consiste à forer un trou jusqu’au cœur du rocher, à y placer de la dynamite, et puis, avec une charge bien ajustée, à faire exploser le rocher tout entier. Si cela est fait avec intelligence, on fait exploser le rocher entier avec moins de dynamite que si on s’y prend bout par bout, à partir de la surface du rocher, sans percer de trou auparavant. Percer, c’est le travail de compréhension de la culture, des valeurs, du langage, de la pensée de nos contemporains. Souvent, nous n’arrivons pas à percer au cœur du rocher de la culture contemporaine, et notre dynamite explose près de la surface, faisant des éclats, sans faire exploser le rocher entier.

Un autre piège consiste à bien percer, bien entrer dans la pensée de l’époque, mais à le faire si bien que l’on oublie la dynamite à l’extérieur du rocher : la contextualisation mène alors à une perte de l’Évangile biblique dans toute sa puissance. À l’inverse, le travail de «forage «peut être négligé ou demeurer insuffisant, ce qui réduit sensiblement l’impact de l’explosion. Quand l’Évangile explose dans le cœur d’un humain, alors on peut dire qu’il y a conversion.

Dans notre monde, la culture n’est pas uniforme. À chaque fois donc, c’est notre interlocuteur que nous devons essayer de comprendre au mieux. Jésus avait une connaissance parfaite de la culture des Samaritains. Mais lorsqu’il s’est adressé à la femme samaritaine, il ne lui suffisait pas d’utiliser un vocabulaire adapté ou d’aborder des thèmes de la vision samaritaine du monde. Jésus a fait exploser le rocher parce qu’il a mis le doigt sur le drame personnel de cette femme.

Le livre des Actes des Apôtres fournit de beaux exemples d’évangélisation adaptée au contexte culturel des auditeurs. S’adressant à des Juifs, l’apôtre Paul fonde son message sur les textes de l’Écriture et sur l’histoire d’Israël. Devant un public païen et plutôt rural à Lystre, il s’appuie surtout sur la bonté de Dieu dans la création et parle des saisons et des récoltes. Et devant des païens cultivés à Athènes, il cite des poètes grecs et tient un langage plus philosophique. Il faut en effet partir de ce que les gens savent, pour aller vers ce qu’ils ignorent encore. C’est la base même de la pédagogie.

Cet effort de communication doit être mené sans jamais «se conduire avec ruse» ou «falsifier la parole de Dieu», mais «en faisant connaître clairement la vérité»6. Un langage contemporain, sans jargon chrétien, fait partie de la vraie fidélité, car chercher à être compris, ce n’est que fidélité à l’Évangile.

Il nous semble que des expressions comme «se détourner d’une vie centrée sur soi-même» «renoncer à l’indépendance par rapport à Dieu» ou «se tourner vers Jésus-Christ en lui faisant confiance pour toute sa vie et en se soumettant à lui» peuvent nous aider à communiquer à notre époque ce que sont la repentance et la foi. L’image du demi-tour sur l’autoroute, déjà mentionnée plus haut, fait partie d’une famille d’images qui peuvent aider à rendre concrète la notion de conversion pour nos auditeurs. Le choix d’un conjoint peut aussi servir de parallèle et favoriser la compréhension : se marier, c’est faire à un moment donné un choix décisif que l’on va ensuite assumer au fil des années. On ne se marie pas en sachant tout ce que cela va impliquer, mais lorsqu’on en sait assez pour s’engager. Des thèmes comme l’endettement, la culpabilité ou la filiation peuvent encore fournir d’autres portes d’entrée pour parler du salut en Christ et de la nécessité de se convertir.

Conclusion

Terminons cette étude sur la conversion par une citation de John Newton. Un temps capitaine d’un navire qui faisait la traite négrière, participant de plein gré à ce crime contre l’humanité, il s’est converti de façon soudaine. Il est devenu pasteur, militant antiesclavagiste, et auteur, entre autres, du fameux cantique «Amazing Grace». Plus tard, en méditant l’œuvre de Dieu en lui et la réalité de sa conversion à Jésus-Christ, il a écrit ceci :

«Je ne suis pas l’homme que je devrais être ; je ne suis pas l’homme que je voudrais être ; et je ne suis pas l’homme qu’un jour je serai ; mais par la grâce de Dieu, je ne suis plus l’homme que j’étais».

 

EDOUARD NELSON

GORDON MARGERY


NOTES

1 Voir aussi Ésaïe 55.7 ; Ézéchiel 33.11 ; Jérémie 8.6.

2 Cf. J. I. Packer, «Conversion», Nouveau Dictionnaire Biblique révisé, Saint Légier, Éditions Emmaüs, 1992 p. 280-281.

3 Packer, op. Cit.

4 Cf. Actes 9.5s et Galates 1.11-17, mais aussi les conversions de Corneille (Ac 10.44s), et celle du gardien de la prison de Philippe (Ac 16.29).

5 Voir les chapitres 8 et 16 du livre des Actes.

6 2 Co 4.2.