Jean-Paul REMPP, Israël : Peuple, Foi et Terre. Esquisse d’une synthèse, Charols, Excelsis, 2010, 153 p.
Cet article a été publié dans Théologie Evangélique vol.10 n°3, 2011. Nous le reproduisons avec l’aimable autorisation du Directeur de publication.
Jean-Paul Rempp, pasteur à Lyon de l’Église qu’il a jadis fondée (avec M. Jacques Buchhold) dans la ville de saint Irénée, a beaucoup investi dans l’étude «sympathique» du judaïsme contemporain et dans le dialogue avec lui. Après la faculté de lettres et la Faculté de Théologie Évangélique, il a poursuivi auprès des plus prestigieux spécialistes de la tradition et des penseurs juifs à l’École Pratique des Hautes Études et dans l’Institut universitaire d’études juives Élie Wiesel. Il offre au public évangélique (mais d’autres pourront en profiter) mieux qu’une «esquisse» : une véritable synthèse, riche d’information quoique brève, et qui semble équilibrée sur un sujet qui rend la chose rare.
Trois questions dominent les débats, et nul ne devrait contester le choix qu’en fait M. Rempp pour traiter de son sujet : celles du peuple, de la foi et de la terre d’Israël. Il consacre trois chapitres aux deux premières, centrés sur le thème de l’identité juive. Qui mérite d’être appelé «juif» ? Les plus hauts responsables religieux et culturels (écrivains, philosophes, politiciens) ne s’accordent pas. M. Rempp fait ressortir l’extrême diversité d’opinion ou conviction qui prévaut au sein du judaïsme aujourd’hui (et depuis longtemps), diversité dont beaucoup de chrétiens n’ont pas le moindre soupçon. Quant à la relation entre Israël et l’Église, il rejette à la fois la théologie de la substitution (l’Église a remplacé Israël), à laquelle on réduit souvent les perspectives classiques (et qu’on accuse d’avoir fomenté cet horrible phénomène de la chrétienté, l’antisémitisme), et la théologie des deux alliances parallèles et concomitantes (l’Alliance avec Israël continuant séparément de l’Alliance en Jésus-Christ, et permettant aux Israélites une autre voie de salut), théologie populaire dans les cercles «œcuméniques». La deuxième moitié du livre, en deux chapitres substantiels, s’attaque au problème épineux entre tous de la Terre promise et du sionisme. En annexe, suivent des résumés fort utiles, dont on ne trouverait pas facilement l’équivalent ailleurs, sur les rapports spécifiques entre protestants français et juifs, à travers les siècles, sur le prosélytisme juif (dont on ne mesure pas, en général, l’ampleur historique), sur les sépharades et leur histoire récente. Finalement, le livre reproduit la Déclaration de Willowbank (dont Fac-Réflexion a publié la traduction française en 1989) : M. Rempp, qui la cite souvent, se tient dans la même ligne; il n’a pas eu le temps d’inclure des références à celle de Berlin, 2009, destinée à «ré-actualiser» celle de Willowbank (je signale que le livre contenant les études de la Consultation de Berlin-Woltersdorf, dont la Déclaration est issue, vient de paraître en anglais).
Trois traits méritent qu’on les mette en relief. Le livre, d’abord, est plein de citations admirablement choisies, la plupart d’auteurs juifs faisant autorité. Elles sont si habilement tissées dans le discours que le livre reste aisément lisible mais leur poids cumulatif est remarquable. Pas de banalités vagues, mais des renseignements précis autant que précieux. On apprend, ainsi, que le traité talmudique Megilla 13a pose la définition : «Est juif quiconque n’adore pas les idoles» (27s.) ; qu’un rabbin sépharade, Yehouda Haï Alkalaï, a déjà défendu dans ses écrits «l’essentiel des propositions de Theodor Herzl» (78 n.28) ; que la Cour suprême de l’État d’Israël a reconnu, dans un arrêt du 16 avril 2008, le droit des «Juifs messianiques» au retour au pays, l’aliya (70; le mot signifie «montée» ; je le transcrirais ‘aliyyâ). Quand il traite de questions controversées, second trait, le livre donne l’exemple de la prudence et de l’irénisme. Il évite les passions partisanes, et laisse bien percevoir que beaucoup, en Israël, se posent de sérieuses questions sur la nature, les politiques et le devenir de l’État – avec la part qu’y joue la religion, c’est-à-dire le judaïsme orthodoxe. Il n’anesthésie pas le sentiment éthique : son amour pour Israël ne rend pas M. Rempp aveugle devant le sort des Palestiniens ; il fixe d’ailleurs très bien les idées sur la «démographie» des trois groupes de «croyants en Jésus» dans le pays aujourd’hui (115s. : les Juifs messianiques, les Israéliens arabes chrétiens évangéliques, les Arabes palestiniens chrétiens évangéliques, environ 7 000 pour chaque groupe). Il rappelle à ses lecteurs comment, sur fond d’accord sur l’essentiel de l’espérance évangélique, des interprètes compétents peuvent différer dans l’exégèse de points particuliers – paisiblement, on l’espère (101s. n.34 sur Es 66.21, comparant la Bible d’étude de John MacArthur et celle du Semeur). M. Rempp mentionne sans agressivité le dispensationalisme, et prodigue des conseils de bon sens pour une étude respectueuse des textes. En troisième lieu, le livre fait une grande place aux caractéristiques originales de la situation française. Il rappelle les «affinités électives» (119) entre protestants et juifs français, depuis Calvin et Théodore de Bèze : avoir été la cible de persécutions semblables a favorisé une attitude de solidarité, qui s’est encore manifestée au cours de la Sho’â (22, 119-122). Il note la prédominance des sépharades, en particulier depuis l’exode des «pieds-noirs» d’Afrique du Nord : d’où convergence avec Israël (alors que la France a le plus grand nombre de juifs après les États-Unis et Israël, il y a «autant de Juifs francophones en Israël qu’il y a de Juifs en France», 127). Ces faits importent pour la juste interprétation. Je n’ai repéré qu’un mot mal employé : «prosélyte» pour celui qui fait du prosélytisme (123) ; le mot n’a pas ce sens (actif) mais désigne celui qui a été persuadé et gagné (passif) par l’activité prosélytique, celui qui est venu à la nouvelle communauté (c’est le sens étymologique). Comme souvent dans les publications (plus souvent que le contraire), la transcription des mots hébreux n’est pas strictement conséquente (shin devient sh ou ch)… Mon seul vrai regret, c’est qu’on ait laissé l’artiste déployer son «astuce» sur la une de couverture : il a voulu imiter le dessin des lettres hébraïques – le I d’ISRAEL est tordu comme un waw, le S un lamed, le R un dalet à l’envers, le A un demi-alef, le E un pê inversé. Cela plaira à certains, hélas ! Le contenu vaut mieux que l’étiquette !
HENRI BLOCHER