NOS RELATIONS
Réflexions sur le dialogue, la communion, la collaboration…
ON DEVRAIT PENSER, a priori, que nous, les chrétiens évangéliques, connaissons bien la question des relations. Nous avons découvert le privilège d’une relation personnelle avec le Dieu créateur et rédempteur, et nous aimons en parler. Nous jouissons d’une qualité relationnelle dans nos assemblées, facteur majeur de leur croissance, et nous sommes persuadés de l’efficacité d’une évangélisation qui privilégie les relations naturelles et amicales.
Individuellement, chacun de nous est impliqué dans un faisceau de liens et le vit de manière assez heureuse comme une bénédiction et un défi. Tel n’est plus le cas lorsque nous quittons le niveau de collaboration de l’église locale pour envisager des relations avec d’autres églises. Lorsque nous considérons certaines églises évangéliques « assez proches » de nous au niveau doctrinal, nous avons parfois du mal à établir des relations. Cela se complique à mesure que nous nous éloignons théologiquement (en allant vers « l’extérieur » de notre cercle de convictions). Comment envisager par exemple les relations avec les Églises protestantes dites « de multitude » dont le temple se trouve peut-être à quelques centaines de mètres de notre lieu de culte ? Et que dire de l’Eglise catholique ? Nos hésitations dans le langage en disent long sur notre désarroi. Quel nom faut-il donner à nos relations avec nos différents voisins : dialogue, collaboration ou oecuménisme ? Surtout pas ! Car tout est dans les mots. Et ceux-ci comportent tous une charge explosive. L’emploi des termes pèse lourd; ces mots sont vite associés à compromission (coupable), à infidélité et nous avons peur de « tomber dans le piège ». N’est-ce pas bien souvent la raison pour laquelle nous préférons ne pas avoir du tout de relation et nous sentir bien entre nous ?
NOUS AVONS LE CHOIX
NOUS NOUS TROUVONS BIEN devant un choix. Oui, nous prenons très au sérieux l’injonction des Écritures de rester fidèle au Seigneur et à sa révélation biblique : « Ne vous laissez pas modeler par le monde actuel » nous rappelle Romains 12:1. Nous ne voulons pas succomber à l’air du temps qui est à l’unification et la fusion. Mais, devons-nous réellement choisir entre l’option du repli craintif et celle de la perte d’identité dans un ralliement au plus grand nombre? Non. Le choix se situe ailleurs. Comme sur un plan individuel, nous faisons partie naturellement d’un tissu de relations (à moins d’avoir coupé avec tout le monde, signe évident d’une dérive sectaire). Nous sommes déjà en relation aussi sur un plan communautaire. La question n’est donc pas, s’il est possible ou non d’entrer en relation avec une telle église, mais plutôt quel genre de relations nous souhaiterions entretenir. S’ignorer mutuellement est aussi une forme de relation qui relève d’un choix. Seulement, en avons-nous le droit ? Est-il toujours préférable de ne pas se parler, de ne rien savoir de l’autre, de s’occuper essentiellement des « affaires de l’intérieur » ?
C’est une banalité de dire que nous vivons à l’ère de la communication. Que cela nous plaise ou non, nous ne pouvons plus prétendre ignorer que l’autre existe, même si les nombreux moyens de communication ne facilitent pas forcément de vrais échanges.
Aujourd’hui, les sollicitations « de collaboration » se font de plus en plus pressantes. Il est devenu indispensable de se positionner. Que disons-nous à ceux qui nous interpellent à l’occasion de rencontres de prières pour la paix ou de déclarations communes de « tous les hommes de bonne volonté » ? Ne leur devons-nous pas d’explications claires quant à notre attitude, quelle qu’elle soit ?
Encore une fois, à mon sens, il ne s’agit pas de devoir trancher entre contact coupable et pureté louable. Le défi consiste à choisir parmi toutes les nuances d’une réalité qui est loin d’être simplement en noir et blanc. En tant qu’Églises évangéliques nous devons déterminer quelle forme et quel contenu nous décidons de donner à nos relations avec ceux qui nous entourent.
NOUS AVONS DES REPERES
NOUS NE VOULONS PAS tout mélanger et accueillir avec naïveté les déclarations : « Nous avons tous le même Dieu » ou « Nous avons plus en commun que ce qui nous sépare ». Heureusement que nous ne sommes pas dépourvus de repères. Rappelons-nous quelques textes-clé des Écritures qui détaillent le comportement de ceux qui appartiennent à Dieu » vis-à-vis de leurs frères et soeurs, de leurs églises et de ceux qui n’en font pas partie (Mt 18, Jn 17, 1 Jn 3, Jude 3). Les difficultés des premières communautés chrétiennes dans ce domaine nous ont valu des textes fondamentaux, comme par exemple Ephésiens 4. Les six premiers versets de cette déclaration de foi en sept points sont instructifs1 ! Lors du Congrès International pour l’évangélisation mondiale en juillet 1974 à Lausanne, le délégué français, Henri Blocher, a fait une intervention intitulée : « Notre unité selon la Bible ». Il commentait le texte en question. Selon son expression, « l’unité harmonieusement différenciée », fondée sur le modèle de la Trinité divine, est d’abord un don à garder pour nous qui « percevons la présence dans l’autre croyant du même Esprit qui habite en nous2 ». Cela implique néanmoins que cette unité invisible doive s’exprimer de façon visible et concrète. La suite d’Ephésiens 4 mentionne le rôle des ministères (4:11) ainsi que « la plénitude de l’accord doctrinal » (4:13-14). L’unité manifestée entre ceux qui se réclament du même Esprit, du même Seigneur et du même Père est donc aussi un but à acquérir ! H. Blocher dénonce clairement le discours pluraliste qu’il qualifie de « marchandise de contrebande qu’on veut couvrir du pavillon du Nouveau Testament ». « Pas d’unité en dehors de l’unique foi ! »
Mais il rappelle aussi la distinction nette de Paul « entre un accord fondamental nécessaire pour que les frères marchent ensemble, et des divergences, même entre chrétiens mûris, qui ne doivent pas empêcher l’expression de l’unité chrétienne (Ph 3:15) ». Comme première règle il suggère que celles-ci soient « proportionnelles à l’accord doctrinal réalisé » et propose l’aide visuelle de plusieurs cercles concentriques. Nous rendons ainsi compte de toute la graduation possible dans des relations plus au moins intenses. Au fur et à mesure que le consensus s’avère moins complet (vers l’extérieur) l’association serait plus lâche. Il importe de trouver des termes adéquats pour désigner les différents degrés d’intensité de nos relations ecclésiales (à partir du centre). Pourrions-nous parler de collaboration-coopération-concertation-contact ? Soyons encore plus clairs : est-ce qu’il s’agirait d’une association permanente, fréquente, occasionnelle ou exceptionnelle ? dans quel(s) domaine(s) précis : l’enseignement, la prière, l’évangélisation, l’éthique4 ?
NOUS AVONS DE L’EXPÉRIENCE
LA COMPLEXITÉ DE LA TÂCHE n’est aucunement inextricable. A écouter les uns et les autres, nous entretenons depuis longtemps sur le terrain des relations avec ceux qui nous entourent. D’abord au sein de notre fédération. Avec sa base doctrinale, elle permet une collaboration institutionnelle de 330 associations déclarées et près de 400 lieux de cultes évangéliques dans notre pays ! Voilà un bel exemple d’une unité dans la diversité comme point de départ. La collaboration régulière et fructueuse entre églises d’une même région a déjà abouti à la création de plus d’une pastorale FEF, de rencontres inter-églises, de conventions bibliques. Elle va se poursuivre dans la constitution de comités régionaux. A propos, ne devrions-nous pas essayer de convaincre les églises souvent isolées, puisque « indépendantes » à rejoindre notre famille ? Rappelons les services appréciés du séminaire annuel RÉMOP en matière de concertation et de stimulation pour « implanteurs » de nouvelles églises et qui dépassent le cadre de la FEF.
Passons au cercle un peu plus large, celui de la coopération, cette « action de participer à une oeuvre commune » (Le Petit Robert, 1992). Plusieurs églises de notre fédération participent déjà depuis des années aux rencontres de prière de l’Alliance Evangélique Universelle avec par exemple des frères et soeurs des Assemblées de Dieu ou de telle église de leur localité. Le témoignage évangélique commun dans une ville ou un département (par exemple vis-à-vis des autorités), s’en trouve souvent renforcé. Ne pourrions-nous pas aussi donner « la main d’association » dans quelques « efforts » ponctuels ? Une certaine concertation dans une région sur les moyens d’évangélisation pourrait être utile.
Lors de la célébration des 400 ans de l’Édit de Nantes, des expériences ont été tentées ici et là d’associer les églises protestantes (réformées et luthériennes) à une telle manifestation. Est-ce que les diverses expositions bibliques « culturelles » portées par une organisation plus large ont été concluantes dans l’objectif de promouvoir la liberté religieuse ou la pertinence culturelle de la Bible ?
Ne serait-il pas possible, dans un contexte de déchéance morale, de soutenir aussi des prises de positions éthiques sur le respect de la vie et de la famille avec des associations catholiques (comme cela s’est déjà fait sur le terrain) ?
Évidemment, comme le rappelle Roland Hauswald, vice-président de la FEF dans l’article suivant, il ne s’agit pas de s’ouvrir tous azimuts sans discerner les dangers de certains compromis malheureux.
Evaluons nos expériences, projetons différentes démarches à envisager, discernons ce qui conviendra dans la situation de chacune de nos églises locales. Bien sûr, il nous faut de la prudence, mais n’ayons pas peur de trahir nos acquis évangéliques. Pesons plutôt le pour et le contre de nos avancées, elles ne sont pas nécessairement une compromission. Poussons plus loin nos réflexions en tant que responsables d’églises, ou en tant que membres d’une même fédération. Et demandons à Dieu la sagesse indispensable de faire le bon pas au bon moment. Il a promis de nous diriger de manière sûre. Ne l’avons-nous pas vécu maintes fois ? Voilà le propre d’une communion réelle avec celui qui est le Maitre souverain.
Norbert LAFFIN
NOTES
1 Bible d’étude Semeur 2000, Excelsis p. 1814, Note de section (Ep. 4:1-16).
2 Henri BLOCHER, « Notre unité selon la Bible », Congrés international pour l’évangélisation mondiale, Lausanne 1974, page 2.
4 H. Blocher poursuit par l’énumération de cinq critères permettant « d’évaluer l’importance relative d’une question doctrinale en débat : a) le critère biblique, b) Le critère théologique, c) le critère pratique, d) le critère historique, e) le critère contemporain »