En juin 2014, la pastorale Réseau FEF Ile-de-France s’est penché sur le thème de la délivrance. Le pasteur Richard Morris a traité de la délivrance des liens occultes, le psychiatre Pascal Bourdois de la délivrance de la dépression, le psychothérapeute Roger Eykerman de la délivrance des dérives sexuelles. C’est ce dernier exposé que nous vous proposons en lecture. Vous pouvez écouter l’ensemble des enregistrements sur notre site reseaufef.com dans les Ressources (dossiers audio, Chemin de délivrances).
La sexualité est un domaine dans lequel on peut observer de nombreuses dépendances. Il me semble que le problème se pose plus qu’ailleurs car la sexualité tient une place particulière dans la société et dans les comportements humains. D’une part, elle est liée au plaisir et on connaît le risque de dépendance lié à des produits tels que alcool, tabac ou drogue. Mais d’autre part, elle est très présente dans le discours social qui la valorise, propose des normes, pousse aux performances, banalise et justifie toutes les perversions. Ainsi, la sexualité n’est plus seulement une source physiologique de plaisir avec le risque inhérent de dépendance, mais un moyen de réalisation et d’accomplissement de soi que chacun peut légitimement rechercher.
Avant de parler de délivrance, il faut déjà savoir de quoi on parle et connaître la nature de la dépendance. Cette dépendance peut se situer à plusieurs niveaux et une approche seulement spirituelle est simpliste et le plus souvent inefficace.
La dépendance sexuelle, ou addiction sexuelle, pour employer un terme plus moderne, se caractérise par la perte de contrôle de la sexualité et la poursuite du comportement pathologique lié à l’acte sexuel malgré la connaissance de ses conséquences négatives. À ma connaissance, la dépendance sexuelle n’est pas encore référencée par le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) mais cela ne saurait tarder tant le problème est répandu aujourd’hui.
En sortir est une démarche souvent longue et compliquée, et le risque de rechute est très grand à court terme, à moyen terme ou même à long terme.
J’essaierai d’abord de passer en revue différentes formes de comportements sexuels, donc de dépendances possibles, puis de réfléchir sur un certain nombre de causes.
J’essaierai ensuite de proposer quelques éléments susceptibles d’aider les personnes concernées.
1) DESCRIPTION, DIVERSES FORMES DE DÉPENDANCES
Tous les comportements sexuels, qu’ils soient qualifiés de normaux, et encore faudrait-il définir les limites de la normalité, de pathologiques ou de pervers peuvent conduire à une dépendance, depuis la simple exacerbation de la sexualité conjugale jusqu’aux pratiques les plus perverses.
Je vous propose d’abord, pour clarifier nos idées, d’en énumérer un certain nombre.
Je précise que j’ai rencontré aussi bon nombre de ces dérives chez des chrétiens. Il n’est donc pas inutile d’en parler, même si cela peut vous choquer. Les personnes concernées sont souvent des chrétiens réellement nés de nouveau, mais qui pour toutes sortes de raisons, sont encore incapables de maîtriser leurs pulsions et vivent ce que décrit Romains 7 : 14-25.
En outre, la sexualité restant un sujet tabou pour beaucoup de chrétiens, si problème il y a, il est généralement vécu dans le secret, la culpabilité et la solitude la plus profonde. Tout se passe comme s’il y avait deux vies parallèles sans aucun lien, la vie ordinaire, avec ses dimensions sociale, sentimentale, professionnelle, spirituelle, et la vie sexuelle. Pour beaucoup de gens, la sexualité est un monde à part qui ne regarde personne, et pas même Dieu. Toute difficulté dans ce domaine est dévalorisante et inavouable.
Toute tentative de classification est arbitraire car les problèmes sont complexes à la fois dans leurs manifestations et dans leurs causes. Il est fréquent qu’il y ait des interférences et que des problèmes se surajoutent.
On peut parler de dérives sexuelles, certains disent perversions sexuelles, quand l’orgasme est obtenu par un changement d’objet, de but par rapport à une «relation sexuelle dite normale», de zone de fixation de l’intérêt érotique.
– Objet : partenaire, ou même objet réel (ex : enfant, animal, poupée, godemiché) ou fantasmé.
– But : en fait, moyen, procédé d’obtention de l’orgasme.
– Zone : lieu dont l’excitation est indispensable (ex : anus, seins, n’importe quelle autre partie du corps érotisée et qui devient source d’excitation).
Heureusement, je ne suis pas l’auteur de cette définition, et j’échappe ainsi à vos réactions sur le terme de «relation sexuelle normale». Pour ma part, je considère comme relation sexuelle normale le coït entre un homme et une femme adultes et librement consentants. J’y ajoute le cadre donné par Dieu : le mariage.
LES DÉVIATIONS D’OBJET
Dans les déviations d’objet, l’individu a besoin d’un type particulier de partenaire sexuel pour pouvoir arriver à satisfaire ses pulsions sexuelles.
Ces dérives sont souvent «justifiées» (considérées comme légitimes) en cas de célibat ou d’insatisfaction dans la vie conjugale par la notion d’un appétit sexuel présenté comme un besoin vital au même titre que l’alimentation ou le sommeil. Ce n’est évidemment pas exact. On peut vivre, certes avec plus ou moins de difficultés selon les personnes, sans satisfactions sexuelles, mais on ne peut pas vivre sans manger ni dormir.
Auto-érotisme (fréquent mais normalement transitoire à l’adolescence). C’est la dépendance la plus fréquente parce qu’elle peut exister seule, ou accompagner les autres dépendances, s’en nourrir ou les alimenter. Elle est pratiquée le plus souvent dans le secret. Elle est cependant un motif assez fréquent de consultation pour des patients chrétiens hommes qui vivent de plus en plus mal cette dépendance très souvent associée à la pornographie, ou encore à la demande de leur conjointe qui ne supporte plus cette situation. Les stimulations visuelles excitent le désir qui trouve son apaisement dans la masturbation. Mais le plaisir obtenu est recherché à nouveau dans une véritable dépendance double, masturbation et pornographie. Certains hommes ne parviennent pas à passer de la masturbation à la relation conjugale qui ne leur procure pas les mêmes sensations ni autant de plaisir.
Pour les femmes, la masturbation est plus rare. Elle est surtout pratiquée par des femmes qui ont déjà connu des expériences sexuelles ou une vie conjugale et se retrouvent seules.
Multipartenariat. Le changement de partenaires ou leur multiplication est un besoin prégnant pour certaines personnes. Il trouve souvent son origine dès l’adolescence dans une volonté de domination et de réalisation personnelle au travers de nombreuses conquêtes. Plus tard, il peut trouver son accomplissement dans l’échangisme. Le vrai partenariat multiple est rare chez les chrétiens. Mais on trouve assez souvent l’adultère avec une ou plusieurs liaisons successives ou simultanées, avec toutes sortes de justifications, notamment la frustration affective ou sexuelle.
Homosexualité. Relativement fréquente à cause de la pression sociale qui la banalise et la légitime. Mais parfois une éducation chrétienne trop stricte peut aussi faire partie des causes. Dans ce cas, la sexualité est souvent encore un sujet tabou, et les gens de l’autre sexe sont présentés comme le danger suprême, risque de perversion et d’immoralité. Un préadolescent ou adolescent élevé ainsi est souvent timide. Il ne se sent bien qu’avec ses pairs, n’y voit aucun danger, et il est désarmé devant une tentation homosexuelle. Il est particulièrement fragile s’il rencontre quelqu’un qui profite de sa timidité alors que s’éveille sa propre curiosité par rapport à la sexualité et qu’il découvre de nouvelles sensations. Dans une telle éducation, il y a fréquemment une absence de dialogue qui conduit le jeune à se replier sur luimême. Ce jeune est très seul et fragile devant les pulsions de l’adolescence. (Pour illustrer ce que je viens de dire, j’ai rencontré plusieurs cas de patients qui ont eu une première expérience homosexuelle en étant séduit lors de grands rassemblements évangéliques de jeunes).
Pédophilie masculine ou féminine, hétéro ou homosexuelle. Enfants impubères ou adolescents. Plusieurs cas de chrétiens, parfois responsables dans l’Église. L’addict est excité par la sexualité impliquant des enfants. Qu’il s’agisse de visionner du matériel pornographique pédophile, de parler de sexualité à des enfants, de les soumettre à du matériel érotique ou pornographique ou de les exploiter sexuellement. Il est fréquent que l’intérêt pour les enfants soit d’abord affectif avant de devenir érotique.
Autres paraphilies : zoophilie, nécrophilie, gérontophilie.
LES DÉVIATIONS DE BUT
Dans les déviations de but, on constate des conditions particulières, sexuelles et/ou psychologiques, nécessaires à l’obtention de l’orgasme.
Sadisme (souffrance de l’autre) ou masochisme (souffrance du sujet) : l’addict puise son excitation et son plaisir dans la douleur, infligée ou reçue. Les liens, baillons, menottes, fouets, pinces et autres objets sont souvent utilisés pour accroître la peur et l’excitation. L’addict peut se mettre lui-même en situation dangereuse pour satisfaire ses pulsions.
Domination : l’addict cherche à imposer le sexe – réellement ou en paroles – à d’autres personnes en situation vulnérable. Il peut s’agir de commentaires sexuels appuyés à des moments inappropriés ou d’attouchements déguisés. L’addict utilise aisément une position de pouvoir pour parvenir à ses fins.
Fétichisme (ex: sous-vêtements féminins, caoutchouc) : le noyau d’excitation de l’addict n’est pas une personne entière mais un objet sexuel (une partie du corps, un sextoy, un animal, etc.).
Fantasmes spécifiques (ex: images, corde) : l’addiction est centrée sur la création de scénarios élaborés. L’addict imagine les moindres détails de l’acte sexuel et de ce qui précède, sans d’ailleurs forcément tenter de passer à l’acte. Ces fantasmes envahissent la vie de l’addict au point de lui faire perdre toute envie de connexion émotionnelle avec sa/son partenaire.
Voyeurisme : l’addict est excité par le pouvoir de surprendre d’autres personnes nues ou engagées dans des actes sexuels. Le risque d’être découvert participe à l’excitation.
Exhibitionnisme : l’addict est excité en s’exposant nu au regard d’autrui. Choquer et surprendre contribuent à accroitre l’excitation.
Travestissement
Viol
Pratiques spécifiques : sodomie passive ou active, masturbation obsessionnelle,
Agressivité sexuelle : ce qui intéresse l’addict, c’est la conquête, première phase de la relation sexuelle, celle qui nécessite de séduire, de vaincre les réticences éventuelles de l’autre pour le posséder sexuellement.
Le sexe inconnu : l’addict est excité par une relation sexuelle brève, immédiate avec un(e) inconnu(e) sans se préoccuper des risques.
Le cybersexe : l’addict utilise les ressources d’internet pour visionner du matériel pornographique, échanger sexuellement (avec ou sans passage à l’acte) avec d’autres personnes ou s’inventer une identité sexuelle. La sensation d’anonymat, de sécurité, d’impunité facilite l’excitation et le comportement compulsif envahissant.
Prostitution, vénalité : l’addict recherche une relation sexuelle dans laquelle il contrôle tout (choix du/des/ de la partenaire, choix des pratiques sexuelles) par l’argent. L’addict s’excite en vendant sa participation sexuelle à des photos ou vidéos pornographiques, en se prostituant, en échangeant ses faveurs sexuelles contre des cadeaux ou de la drogue.
Toutes les combinaisons sont possibles entre les diverses déviations d’objet ou de but. Toute expérience réalisée, ne serait-ce qu’une fois, si elle a procuré plus de plaisir que des expériences précédentes, peut donner envie de la renouveler et devenir une dépendance. En outre, la pornographie représente dans des rubriques spécialisées toutes les perversions existantes, qui sont ainsi légitimées.
2) MÉCANISMES EN JEU, CAUSES.
Le plaisir joue un rôle déterminant dans l’origine des dépendances sexuelles, mais il ne s’agit pas toujours du plaisir au sens strictement sexuel. Je commencerai donc par quelques réflexions générales sur le plaisir.
1) Le plaisir procuré par le fonctionnement sexuel est à considérer au sens le plus large. Il n’est pas seulement une satisfaction physique ou physiologique, mais également psychologique, narcissique. Il en résulte des comportements de recherche et de répétition.
Dans la perspective chrétienne, une récupération par l’Ennemi comme moyen privilégié de tentation. De la culpabilité. Notion de péché (renforcée dans la culture chrétienne mais qui ne lui est pas propre). Mais cette culpabilité peut être refusée délibérément dans une affirmation volontaire de liberté et d’indépendance, ou encore être inexistante dans les comportements pervers. Il me semble qu’il peut y avoir dans ce cas une dimension spirituelle : le refus d’une conviction de péché produite par le Saint-Esprit (Jean 16.8), aboutit à la perversion (Romains 1 :24-28).
2) Toute source de plaisir peut créer une addiction si elle vient en même temps combler un besoin psychologique. J’y reviendrai.
3) On constate un certain parallélisme entre des sensations de plaisir pourtant déclenchées de manière différentes : orgasme, extase, émotions, «nirvana», etc. Cette propriété, avec la suivante, pourra être utile dans certains processus thérapeutiques en permettant de substituer à un comportement sexuel déviant une autre source de plaisir.
4) Il existe des interactions entre les différentes formes de plaisir, quelles qu’en soient les sources, sexuelles ou psychologiques (ex: émotionnelles, religieuses). En conséquence, on peut constater des phénomènes de compensation, d’apaisement, ou encore de surexcitation suivant les personnes et les circonstances. Suivant le cas, cette propriété pourra amener un renforcement de l’addiction ou, au contraire, aider à la dépasser.
5) Quel qu’en soit le mode de déclenchement, l’organisme tend habituellement à reproduire des expériences de plaisir : effet drogue (envie, besoin, accoutumance, dépendance, manque). Cela explique la répétition de certains comportements nocifs et la dépendance.
6) La dépendance sexuelle peut résulter d’une satisfaction soit directement sexuelle, soit psychologique, avec un déclenchement sexuel réel ou symbolique.
LES CAUSES DE DÉPENDANCE SEXUELLE
D’une part, les causes sont toujours dans la rencontre, l’articulation entre le psychologique et le sexuel. D’autre part, elles font partie de l’histoire du sujet.
Évidemment, le rapport personnel au plaisir joue un rôle primordial. Il est naturel de vouloir reproduire toute expérience satisfaisante, d’autant plus que le plaisir a été intense.
Traditionnellement, dans l’origine d’une addiction à un produit (tel que alcool, tabac, drogue, médicaments psychotropes), on évoque la rencontre entre un terrain favorable et ce produit. Pour une majorité de gens, cette rencontre n’a jamais lieu. En ce qui concerne la sexualité, le problème me semble différent car la rencontre est inévitable. La société, par un discours omniprésent sur la sexualité, fait de chacun un terrain favorable possible et chaque être humain est doté d’un appareil génital, a un fonctionnement hormonal, ressent dans son corps des sensations.
La découverte du plaisir se fait de plus en plus tôt. Autrefois, elle se faisait seul vers la puberté par le ressenti de nouvelles sensations corporelles. Aujourd’hui, elle se fait le plus souvent par une initiation, soit directe lors de jeux ou de relations sexuelles, soit par des conseils entendus ou la pornographie, d’où de nouvelles addictions comme le cybersexe.
Le plaisir sexuel découvert entraîne la recherche de nouvelles expériences gratifiantes. Quand ces nouvelles expériences ne sont pas associées à d’autres satisfactions psychologiques qui les complètent et les tempèrent, elles peuvent devenir de moins en moins satisfaisantes et entraîner une escalade permanente dans la recherche.
Des comportements addictifs ont toujours existé, mais les addictions les plus fréquentes ont évolué selon le contexte et le marché. Dans l’éducation, les valeurs de maîtrise, d’effort, de mérite ont reculé devant celles d’épanouissement, de droit au plaisir, de liberté individuelle. La société de consommation, hyper médiatisée, a renforcé cette mutation des valeurs et a créé de nouvelles addictions.
Ainsi se développe une véritable idolâtrie du plaisir. Même au sein du couple, le plaisir n’est plus un don de Dieu mais il est souvent recherché pour lui-même. Le sexe n’est plus un moyen de communication dans le couple, une bénédiction de Dieu, mais un but en lui-même. La sexualité est élevée comme moteur principal de la vie, au détriment des sentiments et de la dimension spirituelle.
La banalisation du sexe et de la pornographie ont fait tomber des barrières morales, justifient la liberté de vivre selon ses pulsions dès lors qu’elles ne portent atteinte à personne. La pornographie est la vitrine sociale du sexe. Par le changement de regard qu’elle induit dans la société, elle intervient dans l’origine de dépendances sexuelles même chez des gens qui ne la regardent pas.
Je m’arrête un peu plus longuement sur la pornographie car c’est actuellement, en matière de dépendance, le motif de consultation le plus fréquent.
Le rôle particulier de la pornographie
Le sexe est la condition du développement et de la survie d’un peuple, d’où son contrôle social dans toutes les cultures. Tous les peuples ont utilisé des images pour encourager l’activité sexuelle procréatrice indispensable. Mais le sexe étant aussi source de plaisir, garder le souvenir de moments agréables ou pouvoir les provoquer s’est imposé.
Je ne ferai pas ici une étude historique de la pornographie, mais il semble qu’elle existe depuis des temps très anciens. Les peintures rupestres préhistoriques, comme les objets d’art que nous ont laissés beaucoup de cultures antiques ou plus récentes mais restées primitives, représentent souvent des attributs sexuels : vulves, phallus humains ou animaux, statuettes particulièrement suggestives (la seule représentation humaine de la grotte de Lascaux est un homme en érection). De même, de nombreuses fresques ornant les murs de Pompéi, détruites en l’an 79 de notre ère, montrent des scènes sexuelles.
Pourquoi le développement si grand aujourd’hui de la pornographie qui est en elle- même une dépendance et alimente beaucoup de dépendances sexuelles ?
Il me semble qu’il y a d’abord une cause spirituelle. On connaît l’importance de la vision dans les processus de séduction (cf. Ève vit…, La tentation de Jésus, la convoitise des yeux dans 1 Jean 2.16 ou Matthieu 5.28). Or, la pornographie est la mise en image de la tentation sexuelle. L’ennemi, le prince de ce monde, utilise la pornographie comme un moyen de séduire et d’éloigner de Dieu.
Une autre cause me semble être la banalisation en même temps de l’image du corps nu et de l’affichage de la sexualité, même s’il n’y a pas toujours un lien direct (ex : corps plus ou moins dénudés dans la publicité pour produits alimentaires ou cosmétiques, symboles sexuels dans des publicités de voitures ou de produits d’équipement). C’est également vrai dans les films, téléfilms. Même sans qu’il y ait de pornographie, il y a très souvent des images de nudité ou de scènes sexuelles. Inconsciemment, le spectateur fait le lien entre ces images et les intègre dans son fonctionnement mental. Ainsi, représenter les organes génitaux et l’acte sexuel devient normal.
Une autre cause est l’exploitation commerciale qui en est faite. Dans notre société dominé par la consommation, la pornographie est une source de profit pour un grand nombre de gens, soit directement, soit comme ‘produit d’appel’ pour d’autres sources de profit (ex : vidéothèques, sites de rencontres). Une autre cause est la multiplication des supports qui a entraîné une inversion du sens de la démarche. Il est devenu très facile d’avoir accès à la pornographie sans qu’il soit nécessaire de faire un effort pour la rechercher. Il est même possible de recevoir des images pornographiques sans le vouloir et c’est souvent pour s’en protéger qu’il faut faire une démarche (ex : Internet). C’est particulièrement vrai pour les adolescents qui peuvent ainsi satisfaire leur curiosité naturelle et se donner l’illusion d’accéder ainsi au monde des adultes (80 % des garçons entre 14 et 18 ans et 45 % des filles du même âge déclarent avoir vu au moins une fois un film X durant l’année passée ; enquête citée par le CSA le 24/11/2004).
Enfin, la qualité des images véhiculées par toutes sortes de médias me semble jouer un rôle. Autrefois, et jusqu’au développement récent des moyens de communication, de diffusion et de stockage de l’image, la pornographie nécessitait une élaboration mentale, un travail d’imagination, soit en partant d’une image suggestive, soit après l’invention de l’imprimerie en partant d’un texte. L’image actuelle peut-être mémorisée, enregistrée telle quelle dans le cerveau et revenir à tout moment sans aucun effort pour provoquer ou accompagner toute excitation sexuelle.
En même temps, elle alimente des fantasmes qui accompagnent les relations sexuelles ou la masturbation solitaire. Donc, elle provoque ou contribue à procurer du plaisir au sens physiologique.
Enfin, il y a aussi très souvent du plaisir, même inconscient, par le seul fait de transgresser un interdit ou d’agir en secret, de vivre et de maîtriser une situation à risque, ou encore, pour des adolescents, d’accéder au monde réservé des adultes.
La pornographie, par la puissance évocatrice et émotionnelle de l’image produit une excitation sexuelle, qui est déjà en elle-même gratifiante dans une société qui fait de la sexualité une idole et valorise la sensualité, la virilité des hommes. L’apparence inoffensive des images pornographiques n’est qu’une illusion. Elles produisent une excitation sexuelle qui, elle, n’est plus virtuelle mais réelle et va avoir des conséquences sur le comportement. Soit directement par la vision de l’image, soit par les passages à l’acte induits, la pornographie produit du plaisir. Il s’ensuit alors une véritable dépendance dans un cycle permanent de recherche d’images, excitation, plaisir sexuel, nouvelle recherche d’images, etc.
Cette dépendance est pratiquement systématique car, comme avec la drogue, la plupart des personnes qui essaient ne le font pas par simple curiosité intellectuelle mais à cause d’une certaine fragilité psychologique préexistante.
COMMENT EN SORTIR ?
La sexualité est au carrefour de la physiologie et de la psychologie, de la volonté consciente et de pulsions inconscientes, du désir sincère de sanctification et des tentations de la vieille nature charnelle, etc.
Je crois profondément à de véritables délivrances par la grâce de Dieu, mais j’ai souvent constaté l’échec de démarches spirituelles pourtant sincères. Des jugements et des exhortations à la pureté, à l’abstinence, à une vie équilibrée, sont le plus souvent totalement inefficaces et inadaptés, parce que celui qui les entend n’est pas en état de les recevoir, d’autant moins que celui qui les donne n’a jamais exactement le même vécu.
Il est vain de vouloir lutter contre le comportement ‘problème’ sans travailler sur ses causes. Si les causes ne sont pas analysées et modifiées, le comportement ‘problème’ ne peut être résolu. Sauf de très rares exceptions miraculeuses, attendre passivement d’une démarche spirituelle seule une délivrance sans un travail psychologique parallèle, aboutit à l’échec.
Les situations de rechutes et de double langage sont alors habituelles. Souvent la démarche spirituelle est en fait une fuite, l’attente passive d’une intervention miraculeuse de Dieu qui dispense la personne de tout travail personnel et de toute responsabilité devant son problème : «J’ai prié, les anciens m’ont imposé les mains et cela n’a rien changé» … «Le Seigneur m’avait délivré, mais ça n’a pas tenu».
Une approche seulement spirituelle, en termes de péché, de foi, de prière, peut même aboutir à un effet contraire : j’ai vu des gens se détourner délibérément d’un Dieu impuissant à les délivrer malgré leur désir sincère.
J’ai souvent constaté une sorte de dédoublement de la personnalité : une vie conjugale, ecclésiale, sociale, irréprochable, appréciée de tous, et une vie sexuelle secrète anarchique, pervertie ; une sorte de Mister Hyde et Docteur Jekyll. Faute de pouvoir dominer leurs pulsions, ces personnes s’étaient résignées à vivre avec, tout en donnant le change socialement.
QUELLE AIDE APPORTER ?
Pour l’instant, en tant que pasteurs ou anciens, voici quelques conseils :
1) Attention à ne pas jouer à l’apprenti sorcier. Il s’agit de ce qu’il y a de plus intime, difficile à livrer à un tiers, quand ce n’est pas totalement impossible dans certaines cultures. Il faut à la fois une solide formation générale à la relation d’aide et un approfondissement spécifique sur les problèmes de sexualité.
2) Demander à Dieu du discernement. Savoir être attentif. Proposer de l’aide avec tact et discrétion. Compte tenu du contexte social, demander, ou même simplement accepter de l’aide dans ce domaine est vécu comme un échec et une humiliation suprême. Aussi, il n’y a pratiquement jamais de demande d’aide spontanée, mais à chaque fois à la suite de problèmes graves ou sous la pression de tiers. La meilleure aide consiste parfois à renvoyer une personne vers quelqu’un d’autre plus compétent ou mieux placé pour intervenir. On ne peut être à la fois le thérapeute et le pasteur car les deux relations se parasitent l’une l’autre et les messages sont brouillés.
3) Toujours distinguer la dépendance et la personne qui en est victime. C’est le plus souvent un état de fait et non un choix volontaire. Même quand la personne ne souffre pas de son problème, ou affirme avoir choisi d’être ce qu’elle est, toute son histoire fait qu’elle ne peut pas être autrement.
4) S’efforcer de comprendre une problématique toujours complexe. Ne pas juger, et surtout pas en fonction de ses propres valeurs ou réactions personnelles.
5) Avoir une maturité suffisante. Maîtriser ses propres réactions de rejet, de dégoût, d’horreur.
6) Permettre à la personne concernée de parler dans une relation de confiance. Attention, il ne s’agit pas d’une confession qui libère de la culpabilité et, de fait, ouvrirait la voie à de nouveaux dérèglements, mais d’un véritable dialogue qui permet à la personne de réfléchir à son problème et de trouver des moyens d’évoluer. Pour éviter des interférences avec d’autres problèmes, il est préférable d’avoir un interlocuteur qui ne traite que ce sujet et respecte un secret absolu (médecin, sexologue, psychologue, voire un autre pasteur).
7) Dans le cas où la dépendance entraîne des comportements réprimés par la loi, il est nécessaire de rappeler la loi, même sans en être le représentant. Le fait de pouvoir tout entendre, de ne pas juger, ne doit pas être perçu comme une autorisation de la perversion.
ET POUR LES PERSONNES CONCERNÉES :
1) Reconnaître son état : tout commence par l’indispensable prise de conscience d’une véritable dépendance qui doit être suivie de la ferme décision d’en sortir. Sortir d’une dépendance est une démarche active qui nécessite une mobilisation de la volonté. Prier, demander à Dieu une délivrance est inutile s’il n’y a pas en même temps cette volonté réelle de tout mettre en œuvre pour y parvenir.
2) Analyser les mécanismes de la tentation et apprendre à les contrôler :
Le rôle des organes des sens.
Le contexte émotionnel.
Le fonctionnement du corps.
3) Repérer les facteurs déclenchant ou favorisant les rechutes, les moments et les situations les plus dangereuses afin de pouvoir les éviter systématiquement (solitude, abstinence prolongée, certaines fréquentations, relâchement dans la vie spirituelle, etc.). Je donnerai plus loin une série de conseils spécifiques sur la pornographie.
4) Fixer des échéances et s’y tenir scrupuleusement.
5) Mobiliser pleinement sa volonté.
6) Se laisser conduire par le Saint-Esprit et ne pas l’étouffer.
7) Être accompagné par quelqu’un qui pourra être le témoin des engagements, des luttes et des progrès. Suivant le cas et la profondeur de la dépendance, cela pourra aller d’un ami sûr à un professionnel de la relation d’aide ou un spécialiste.
8) Pour des personnes mariées, avoir une vie conjugale satisfaisante, sur le plan relationnel et sexuel.
9) Avoir des investissements lui permettant de sublimer ses pulsions sexuelles vers d’autres sources de plaisir.
CONSEILS SUPPLÉMENTAIRES SPÉCIFIQUES POUR LUTTER CONTRE LA PORNOGRAPHIE
1) Décider d’arrêter totalement le recours à la pornographie et de ne pas renouveler les images déjà enregistrées dans la mémoire. Si certaines personnes, par habitude, ont encore besoin provisoirement de telles images pour leur vie sexuelle conjugale, n’utiliser que des images anciennes déjà mémorisées. Il est utile de prendre également conscience qu’il s’agit en fait toujours des mêmes images malgré une prétendue nouveauté. Il faut développer le sentiment de saturation, d’être blasé par ces images.
2) Détruire ou effacer tous les supports pornographiques possédés (K7, DVD, livres, photos, disques durs d’ordinateurs, clés USB, etc.).
3) Supprimer dans l’environnement les moyens d’accès à la pornographie : les lieux propices, les relations avec certaines personnes.
4) Supprimer les abonnements à Canal+ ou aux chaînes payantes présentant de la pornographie. Retirer des chaînes préréglées des téléviseurs certaines chaînes gratuites au contenu érotique ou pornographique.
5) Sur les ordinateurs, utiliser les verrous informatiques de protection des enfants. Faire mettre le mot de passe par une personne de confiance. Il existe même des «mouchards» qui avertissent un tiers en cas de tentative de connexion.
6) Mettre l’ordinateur dans un lieu «public», permettant constamment un contrôle inopiné de la famille, des collègues.
Ne jamais rester seul.
7) Prendre et signer des engagements du même type que les alcooliques anonymes ou la Croix Bleue. Il ne s’agit pas d’arrêter un temps pour recommencer ensuite, mais de se prouver qu’il est possible de se passer de la pornographie. À la fin de la période d’engagement, il faut le renouveler de manière à accumuler ainsi des victoires successives.

CONCLUSION
Il est d’autant plus difficile de sortir de dépendances sexuelles que la tentation est omniprésente et que la sexualité reste un sujet tabou pour beaucoup de chrétiens.
Pourtant, c’est Dieu qui a donné la sexualité pour le couple. Il est possible de bien vivre sa sexualité avec sa bénédiction. Dieu est là, dans les chambres à coucher, approuvant la sexualité conjugale.
Il veut être là aussi auprès d’un de ses enfants qui est tombé dans l’esclavage, mais Il n’intervient pas de force. Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres. (Jean 8:36).
ROGER EYKERMAN