Lors de la dernière Pastorale Réseau FEF IdF le 20 juin 2011, le pasteur Pascal Keller est intervenu pour parler des conflits dans l’Église et plus précisément de la façon de les accueillir et de les traverser.
Vous trouverez ci-dessous une synthèse de son exposé. Pascal Keller a travaillé au service de médiation du centre mennonite de Bruxelles.
Merci à Monique Dupas Chauny et Nina Muteba pour leur travail de rédaction et de synthèse.

Qu’est ce qu’un conflit ?

Étymologiquement, le substantif latin conflictus signifie affrontement, heurt, choc. Un conflit est un heurt qui résulte de la confrontation entre des forces, des parties opposées. Dans cet exposé, je parlerai du conflit non pas comme un simple désaccord, mais comme un désaccord qui crée des tensions et des oppositions. Nous y associons des mots négatifs qui désignent des difficultés, un malaise et parfois même une véritable souffrance. Nous sommes marqués par les expériences que nous avons vécues ou subies, conflits réglés par la violence ou par le silence. Et ces expériences négatives du conflit font que nous ne souhaitons pas les vivre dans l’Église.

Peut-on vivre sans conflit ?

Le conflit est une réalité universelle que nous trouvons au sein de toute communauté. Dans notre travail de médiation, le conflit n’est pas vu comme une réalité nécessairement mauvaise. C’est une réalité sociale normale et souvent l’expression de la différence ou bien d’autres choses encore.

Il peut surgir comme l’indice d’une situation difficile, bloquée, injuste, malsaine, c’est d’ailleurs le cas dans l’Écriture. Parfois le conflit peut être positif, s’il est bien abordé : il fera avancer au sein d’une relation, dans la manière d’être ensemble à l’Église, ou encore au sein du couple ou de la famille.

Le conflit peut aussi être destructeur lorsqu’il est nié, refoulé et que l’on fait comme si tout allait bien. Dans ce cas il se renforce et ressurgit sous des formes plus virulentes.

Que dit le nouveau testament des conflits ?

Penser qu’une Église qui se veut fidèle à Dieu ne doit pas vivre de conflits n’est pas une juste façon de voir les choses ; pourtant beaucoup de chrétien véhiculent cette pensée. Que nous disent les Écritures à ce sujet ? Le Nouveau Testament condamne-t-il le fait d’être en conflit ?

Jésus connaît le cœur de l’homme et prendra le temps d’apporter un enseignement concernant la gestion des conflits lorsqu’ils apparaissent au sein des relations et au sein de l’Église. Nous le trouvons en particulier dans Matthieu 18 : 15-18 : Si ton frère a péché contre toi, va, reprends le seul à seul. S’il t’écoute tu as gagné ton frère. Mais s’il ne t’écoute pas, va , prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire se règle sur la déclaration de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’église et s’il refuse aussi d’écouter l’église, qu’il soit à tes yeux comme un païen et un péager. Je vous dis en vérité que tout ce que vous aurez lié sur la terre, sera lié dans le ciel; et tout ce que vous aurez délié sur la terre, sera délié dans le ciel.

Jésus ne condamne pas la présence d’un conflit, il donne un enseignement extrêmement clair sur la manière dont il faut agir dans ces situations.

Matthieu 5 : 23-24 : Si donc tu présentes ton offrande à l’autel, et que tu te souviens que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l’autel, et va d’abord te réconcilier avec ton frère; puis, viens présenter ton offrande. ici non plus Jésus ne condamne pas la possibilité de mésentente entre frères mais nous montre qu’il faut rechercher prioritairement la réconciliation.

La priorité de Jésus dans ces deux textes est le rétablissement de la communion. Prenons un cas de conflit décrit en Actes 15. Il y a de grandes divergences doctrinales opposant l’enseignement des apôtres et celui de chrétiens d’origine juive qui imposent certaines pratiques de la loi de Moïse. Le conflit est d’une telle ampleur qu’un concile est organisé à Jérusalem avec les apôtres, des anciens et les chrétiens d’origine juive.

Sans réaction, la solution aurait pu être «l’Association des églises de chrétiens d’origine juive» et puis «l’union des églises et des communautés d’origine païenne». Aller à Jérusalem pour rejoindre plusieurs apôtres et trouver des solutions ensemble pour préserver l’unité de l’Église était la meilleure des choses à faire.

Ce conflit a été réglé sur la base de l’enseignement de Jésus en Matthieu 18 et le but était de préserver l’unité du corps de Christ

Désamorcer le conflit

Désamorcer ou traverser ?

Comment pouvons-nous être, en tant que pasteurs, acteurs dans le désamorçage des conflits que nous rencontrons dans notre ministère ou dans les communautés que nous servons ?

Choisir l’expression «traverser les conflits», au lieu de «désamorcer», serait préférable. Quand il y a un conflit, si l’on comprend correctement ce que Jésus enseigne à ses disciples, l’important est de l’affronter et d’en sortir différent.

Voici quelques points qui me paraissent absolument essentiels pour cela.

• Connaître son rapport au conflit

Nous ne réagissons pas de la même manière les uns et les autres face au conflit.

Si, par exemple, je suis naturellement stressé dès qu’il y a un conflit et que l’émotion me saisit, il sera très compliqué pour moi d’intervenir d’une manière positive et d’être utile dans le conflit. Mon objectif ne sera pas de traiter les raisons profonde du conflit, mais de les rationaliser pour qu’il se règle rapidement afin de réduire la tension nerveuse et l’émotion.

• Comprendre et analyser les situations de conflit.

Il faut repérer quels sont les enjeux et ce qui se passe en terme de dynamique de groupe : le conflit peut être lié à des comportements familiaux, ou à l’histoire de l’Église. Prenons l’exemple des fils de Zébédée, qui demandent au Seigneur les meilleures places dans son Royaume. Il est intéressant d’observer la réaction des autres disciples : ils sont indignés, se sentent mis de côté, dévalorisés. Pourquoi eux et pourquoi pas moi ? Il est important de tenir compte des émotions et de les nommer, car si elles sont ignorées, elles peuvent court-circuiter tout le reste et bloquer la discussion.

Avoir un regard sur la personne, sur ses fragilités, ses intérêts et ses besoins, c’est analyser la situation : prendre conscience que chaque situation est unique. Souvent j’entends des gens me dire : «Oui, ce conflit-là, c’est exactement ce qui s’était passé il y a trois ans entre deux autres personnes, etc.» Moi même je tombe dans cette erreur, mais dès lors que notre analyse entre dans le filtre des expériences vécues, elle est faussée. C’est une des difficultés avec lesquelles je me bats tout le temps et je m’efforce d’avoir une écoute neuve pour chaque situation.

• Communiquer avec ceux qui sont dans le conflit, sur trois niveaux : les émotions, les faits et la représentation qu’on se fait des faits.

A partir d’un fait commun entre différentes personnes, les représentations des uns et des autres peuvent différer. Nous pouvons également nous faire une mauvaise représentation des faits par rapport à la réalité, et comme nous sommes des pécheurs, ces représentations sont rarement positives ! L’avez-vous remarqué ?

Il faut écouter les représentations des personnes concernées sans porter de jugement. C’est une véritable difficulté, mais nous sommes plus efficaces lorsque nous ne jugeons pas les personnes qui sont en conflit.

Dans l’Église où je suis pasteur depuis quelques mois, un frère ancien depuis plusieurs années n’a pas vu son mandat être renouvelé pour être dans le conseil. Ce fut une grande blessure pour lui. Il me fit part de sa difficulté à travailler avec certaines personnes de l’Église qui, elles, se trouvaient dans le conseil. Je lui répondis qu’il ne s’agissait pas de mon expérience mais de la sienne et que je la respectais. Pour ma part, je n’avais pas de problème avec ces personnes et je n’ai pas voulu alimenter sa vision des choses. Au bout de trois mois, il a décidé de changer d’Église. Je ne pouvais pas discuter sa représentation des faits, même si les autres à côté me disaient que cette vision était complètement fausse.

Il est important d’accueillir la représentation des faits des gens et de ne pas arriver trop vite avec un jugement, parce qu’il vous met à l’écart et coupe la communion. Nous pouvons dédramatiser, d’une façon réelle et honnête, sans rationalisation, mais par une réflexion commune à voix haute sur ce qui s’est passé.

Et puis nous visons à faire rentrer la personne dans un dialogue, un dialogue renouvelé, selon la procédure de Matthieu 18.

Enfin l’objectif, et je conclus là-dessus, est de gagner le frère et de retrouver la communion. C’est notre travail d’accompagnateur : nous devons être celui qui accueille, qui chemine avec l’autre, non pas en lui donnant raison automatiquement, mais en le prenant au sérieux dans ce qu’il dit, en creusant avec lui, en lui montrant que sa représentation n’est pas nécessairement la seule possible, et tout cela dans une reconnaissance pleine et entière de la personne qui est là avec son conflit, ses difficultés et parfois avec ses côtés surprenants. 

PASCAL KELLER