La seconde convention nationale du CNEF s’est déroulée les 22 et 23 janvier à Cergy (95), quelques jours après les attentats de Charlie Hebdo. Le thème abordé durant la rencontre (choisi en septembre 2013) tombait à point nommé «Liberté, Égalité, Laïcité». Nous publions ici l’intervention d’Étienne Lhermenault qui a conclu ces 2 jours de congrès.
«Jugez-en vous-mêmes : est-il juste devant Dieu de vous obéir, plutôt qu’à Dieu ? Quant à nous, nous ne pouvons pas garder le silence sur ce que nous avons vu et entendu» (Ac 4.19). Telle fut la réponse de Pierre et Jean aux membres du Sanhédrin qui tentaient de les réduire au silence. Leur attitude devrait nous inspirer dans la France laïque, et parfois intolérante, que nous habitons. Laissez-moi vous en convaincre par trois commentaires, en rapport avec l’actualité, ainsi que trois défis pour nos Églises et pour nos œuvres.
Trois commentaires sur l’actualité
Aussi souhaitables qu’elles soient pour la vie en société, la laïcité et la liberté d’expression n’ont une valeur que relative et ne sauraient devenir des absolus sans asservir durement ceux qui les invoquent.
1. La laïcité n’est pas une religion
Comme la démocratie, la laïcité est le pire des régimes à l’exception de tous les autres pour paraphraser Winston Churchill. Ne nous y trompons pas, il s’agit d’un modus vivendi raisonnable entre État et religions favorable à la liberté de conscience et d’expression, pas d’une formule magique qu’il suffirait de prononcer pour résoudre tous les problèmes de la société. Or, à quoi assistons-nous ? À une véritable incantation de la part des élus et d’une partie de la société civile : «Laïcité ! Laïcité ! Célébrons ton nom dans nos écoles, invoquons ta protection dans nos assemblées parlementaires, nos conseils régionaux et nos conseils départementaux, étendons ton pouvoir dans les rues de nos villes et les couloirs de nos entreprises, sacrifions certains acquis de la liberté de culte à ton avènement et la paix reviendra !» Outre que les positions et dispositions prises en son nom s’éloignent des textes de lois qui la définissent, elles consacrent une dérive inquiétante, la laïcité devient une religion de substitution pour une société qui a cru pouvoir se passer de Dieu et se prosterne sans discernement devant une idole sans visage et, oserais-je l’affirmer, sans consistance.
2. Liberté d’expression ou liberté d’agression
Quant à la liberté d’expression si souvent invoquée ces derniers jours par nos gouvernants et nos médias, osons le dire sans détour, ce n’est pas celle que nous défendons.
D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’une réelle liberté permettant à tous de dire ce qu’ils pensent et croient en conscience.
Ce qui est défendu par l’opinion publique et ceux qui l’influencent, c’est le droit à se laisser porter par les émotions et à s’enfermer dans une rhétorique où la pensée unique le dispute à la bêtise. Qui nous fera croire que la sagesse est tout entière du côté des athées et des agnostiques et la folie, l’exclusivité des religions et de leurs adhérents ? Que je sache, les régimes officiellement athées du XXe et du XXIe siècles n’ont, en sang versé pour défendre leurs idées, pas grand chose à envier aux islamistes ! Ce qui n’excuse certes pas ces derniers, mais ne donne guère de crédit à bon nombre de ceux qui veulent donner des leçons de tolérance aux religions. Mais revenons à la question de la liberté d’expression qui n’est pas celle que nous défendons. Ceux qui la soutiennent bec et ongle sont aussi ceux qui désapprouvent, et parfois font pression, pour interdire les opinions qui leur déplaisent. Celui qui ose émettre des doutes sur l’enseignement du Coran est un islamophobe infréquentable. Celui qui, au nom de sa foi, ne veut pas céder devant le diktat social qui oblige à considérer l’homosexualité et l’hétérosexualité comme équivalentes, est un homophobe irrécupérable. Quant à celui qui oserait mettre en cause les vertus émancipatrices de caricatures vulgaires et infamantes, il est à mettre au rang des sacrilèges… quand bien même ceux qui l’accusent se défendent de toute allégeance à une quelconque religion !
Ensuite parce qu’en plus de ne pas être une réelle liberté, ce n’est pas non plus une liberté d’expression, mais bien plutôt d’agression qui est prônée. Il est vrai qu’elle est seulement verbale et picturale, mais la violence qu’elle contient est telle qu’il n’y a pas de doute, c’est d’agression qu’il s’agit. Comme l’a si bien écrit Éric Denimal dans son billet « Je suis meurtri » :
La grossièreté des caricaturistes, l’insolence des femens et les parodies des amuseurs publics ne sont pas des preuves de liberté d’expression mais l’expression insidieuse d’une dictature irrespectueuse des opinions1.
J’ajoute que cette liberté d’expression n’est pas, comme on pourrait s’y attendre, celle d’affirmer et de débattre, encore moins d’accueillir et de comprendre, mais d’insulter et de salir, de mépriser et de trahir. Ce ne sont certes, face aux kalachnikov, que des crayons qui sont employés, mais qui ne sait que les mots peuvent allumer un feu, lui aussi, meurtrier ?
3. Laïcité et liberté d’expression, des valeurs précieuses mais secondes
À ces remarques sur l’usage contestable qui est fait de la laïcité et de la liberté d’expression, il convient d’ajouter que, même bien comprises et défendues, elles resteront toujours pour nous des valeurs secondes. En citoyens respectueux et constructifs de la République, nous défendons avec ardeur une certaine conception du vivre ensemble qui passe par une laïcité bien comprise et une liberté d’expression respectueuse des opinions d’autrui. Mais en disciples de Jésus-Christ, nous nous attachons plus encore à l’ordre d’aller par le monde et de faire de toutes les nations des disciples. Et nous n’avons nullement l’intention de sacrifier sur l’autel de la pensée unique nos convictions. Pour le dire autrement, si d’aventure l’opinion ou les élus tentaient de restreindre notre liberté de parole et de culte ou faisaient pression pour que nous mettions l’Évangile sous le boisseau, nous continuerions, je l’espère sans faiblir, à témoigner publiquement de notre foi, à inviter ceux que nous croisons et côtoyons, y compris les musulmans, à se tourner vers Christ et à implanter de nouvelles Églises. Le courage de Pierre et des autres apôtres devant la plus haute juridiction religieuse de leur pays, le Sanhédrin ou Grand Conseil, nous servira d’exemple. Alors qu’elle leur ordonnait pour une deuxième fois de se taire, ils n’ont pas hésité à répondre «Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes» (Ac 5.29).
Trois défis à relever
Ce qui me préoccupe, c’est qu’avant même d’avoir commencé le combat, nous avons, dans certains domaines, déjà déposé les armes. Nous avons si bien intégré les diktats outranciers de certains lobbys qu’ils n’ont même pas à demander notre silence, nous le leur accordons d’avance. Permettez-moi de citer trois de ces domaines où nous avons à recouvrer notre liberté de parole.
1. Un témoignage résolu
Que n’a-t-on dit sur le «prosélytisme» des protestants évangéliques avec leur manie de témoigner de leur foi, d’aller sur les places publiques et d’inviter les personnes à se convertir au Christ, y compris les pratiquants d’autres religions ? Prosélytisme, un mot commode pour disqualifier le militant religieux en le soupçonnant des pratiques les plus viles : harcèlement, manipulation, fanatisme. C’est tout juste si, dans un souci d’équilibre qui n’est qu’apparent, on ne renvoie pas dos à dos l’islamisme et l’évangélisme comme expression d’un même extrémisme religieux. Excusez du peu ! Ne nous laissons pas impressionner par ces jugements fallacieux et malintentionnés. Et ne nous empressons pas de satisfaire aux critères souvent mal définis de ce que serait le «prosélytisme». Nous n’avons pas à nous excuser de témoigner de notre foi, y compris sur la place publique, ni à renoncer à appeler nos contemporains à la conversion, qu’ils soient bouddhistes, juifs, musulmans ou athées. Comme l’a si bien rappelé Nancy Lefèvre, c’est là un droit garanti par les lois françaises et européennes. Et quant à ceux qui nous reprochent de vouloir conquérir le monde, rappelons leur que c’est avec l’épée de l’Esprit qu’est la Parole de Dieu, non avec les armes de la séduction ou de la destruction. Disciples d’un Maître qui a donné sa vie pour notre salut, nous n’avons nul besoin de prendre la vie d’autrui pour garantir notre paradis. Au contraire, nous donnons la nôtre pour que se répande cette Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
2. Des choix de vie assumés et enseignés
Le fossé grandissant entre nos choix de vie en matière de sexualité, de mariage, d’éducation, d’approche de la mort (!)… et ceux d’une majorité de nos contemporains, peu à peu consacrés par la loi française, rend notre situation inconfortable. Par crainte d’être mal jugés, une partie des membres et sympathisants de nos communautés se fait conciliante dans le discours et parfois arrangeante dans les faits. Et par crainte d’être jugés tout court, les pasteurs et anciens se font muets sur ces sujets. L’attitude des uns encourageant celle des autres. Il y a là un double danger, celui de l’infidélité au Seigneur et à sa Parole pour tous et celui du refus d’accompagner et de soutenir les brebis désorientées pour les bergers. En effet, si nous voulons que nos Églises restent fidèlement attachées au Maître et solidement ancrées dans l’Écriture, il nous faut oser aborder les questions éthiques avec courage, finesse et sensibilité… au risque malgré tout de choquer. Car même si nous voulons aborder ces sujets avec tact et accueillir de façon bienveillante les personnes qui pensent et vivent selon d’autres principes que ceux que nous avons adoptés, il n’est guère de manière plaisante de parler du péché.
3. Une action sociale faite ouvertement au nom du Christ
Si je suis bien informé, nos Églises et nos œuvres s’investissent dans quantités d’actions à caractère social en faveur des plus défavorisés et n’hésitent pas à aller dans les quartiers difficiles pour accompagner des familles, prodiguer du soutien scolaire aux enfants, visiter des personnes seules. Elles le font par amour chrétien, sans esprit de récupération, mais sont souvent sommées, par les collectivités ou les élus qui sont allés les chercher ou louent leur dévouement, de ne pas ajouter la parole aux actes. Et elles ont si bien intégré ce diktat qu’elles s’empressent de dire qu’elles ne font aucun prosélytisme à ceux qui n’en demandaient pas tant ! Cessons d’être aussi frileux et courons le risque d’un témoignage sobre mais clair dans le cadre de nos actions sociales. Après tout, ceux qui font pression pour que nous restions silencieux ne se privent pas d’annoncer la bonne parole qui de sa conscience sociale aiguisée, qui de sa gestion éclairée des deniers publics, qui de la pertinence des choix de son parti politique, tout cela, vous l’avez compris, pour des questions électorales. Et nous devrions, nous, éviter de dire pourquoi nous agissons alors qu’il y a en jeu bien plus que des bulletins électoraux, des vies qui se perdent pour l’éternité ? Ce que les autorités ne mesurent pas, c’est que nos actions ne sont pas motivées d’abord par un idéal humaniste, mais par une foi vivante. Si elles empêchent son expression, nos œuvres s’étioleront et nos bénévoles se démobiliseront. Et pourquoi ne pas faire valoir qu’à l’heure où certains groupes extrémistes s’infiltrent dans les quartiers sensibles sous couvert d’actions sociales et en font des filières de recrutement pour le djihad, la présence et l’action de croyants déterminés mais paisibles est plus que jamais nécessaire pour donner du sens à des vies brisées et des cités sans âme ?
Devant ce triple défi d’un témoignage résolu, de choix de vie assumés et enseignés et d’actions sociales faites ouvertement au nom du Christ, nous n’avons pas besoin de plus de détermination, mais du secours de l’Esprit-Saint. Filles et fils de la grâce de Dieu, nous savons que tout commence au pied de la croix. Si, dans ces domaines, nous nous sommes attiédis ou relâchés, repentons-nous et demandons au Seigneur qu’il ravive notre premier amour. Et si nous sommes restés fidèles, demandons-lui la grâce de la persévérance. Et dans l’un et l’autre cas, demandons au Seigneur la grâce de l’humilité pour ne pas nous transformer, dans un monde en proie à la folie et à la mort, en imbuvables donneurs de leçons. À Dieu plutôt qu’aux hommes notre obéissance, telle doit être notre devise, mais il faut immédiatement ajouter non pour nous désolidariser de l’humanité, mais pour l’aimer en lui annonçant le salut.
ÉTIENNE LHERMENAULT
NOTES
1 Le CPDH vous propose : Je suis meurtri ! email envoyé le 15 janvier 2015.