Le précédent numéro d’InfoFEF relatait in extenso la première intervention de Jacques Buchhold, doyen de la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine lors des Assises de la FEF des 5 et 6 février 2010. Voici sa deuxième intervention portant toujours sur les défis et enjeux du monde évangélique contemporain mais apportant ici des suggestions très opérationnelles dans le contexte très proche de nos Églises.

Quels sont les « défis et enjeux du monde évangélique contemporains » ? Pour répondre à cette question, nous avons entrepris une lecture contextualisée – prophétique ? – d’un texte bien connu de l’apôtre Paul : Éphésiens 4 : 1-16. Comme nous l’avons relevé dans notre première étude, ce passage ne vise pas avant tout l’Église locale, mais l’Église dans sa globalité ; il peut donc être légitimement utilisé pour réfléchir à l’ensemble du monde évangélique contemporain. Nous avons constaté qu’aux yeux de Paul, l’enjeu prioritaire pour l’Église est celui de son unité. Celle-ci est un don de l’Esprit et se doit d’être conservée (v. 3) au moyen d’une pratique « digne de l’appel qui nous a été adressé » (v. 1-3) et du maintien des vérités constitutives de la vraie unité chrétienne, fondement de la pleine communion ecclésiale (v. 4-6).

Cependant, l’unité n’est pas seulement une réalité à conserver et à sauvegarder, c’est aussi une unité qu’il nous faut rechercher. Car, comme le souligne l’apôtre, le but est que nous parvenions « tous ensemble à l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes, à un stade où se manifeste toute la plénitude qui nous vient du Christ » (v. 13). C’est en effet « de cette manière, [que] nous ne serons plus de petits enfants ballottés comme des barques par les vagues et emportés çà et là par le vent de toutes sortes d’enseignements, à la merci d’hommes habiles à entraîner les autres dans l’erreur » (v. 14).

Une telle démarche d’unité est un combat auquel le monde évangélique contemporain n’a pas le droit de se soustraire.

Le combat pour l’unité

L’exemple de l’apôtre Paul

L’apôtre Paul emploie la métaphore du combat à plusieurs reprises pour parler de certains aspects de la vie chrétienne1 comme de son ministère2 ou de celui de ses collaborateurs3. En Colossiens 2 : 1-3, ce combat concerne tout particulièrement l’unité des croyants :

Je tiens, en effet, à ce que vous sachiez combien rude est le combat que je livre pour vous et pour les frères qui sont à Laodicée, comme pour tous ceux qui ne m’ont jamais vu personnellement. Je combats pour eux afin qu’ils soient encouragés et que, unis par l’amour, ils accèdent ensemble, en toute sa richesse, à la certitude que donne la compréhension du secret de Dieu, à la pleine connaissance de ce secret, c’est-à-dire du Christ. En lui se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance (Bible du Semeur).

On sait, en effet, combien rude a été le combat de l’apôtre Paul pour l’unité de l’Église. Bien sûr, ce combat a souvent consisté en une lutte contre les hérésiarques :

les judaïsants, par exemple, dans l’épître aux Galates et dans Philippiens, ou les spiritualistes dont l’espérance n’était pas la résurrection du corps mais l’entrée dans la vie ultime lors de la mort dans les épîtres aux Corinthiens et à Timothée (1 Cor. 15 : 12 ; 2 Tim. 2 : 18). Mais ce combat de l’apôtre contre l’erreur n’a été que la face négative d’un combat plus positif et beaucoup plus glorieux : son combat persévérant pour la belle unité de l’Église, constituée du reste fidèle d’Israël et des païens convertis à Jésus-Christ. Dès sa première lettre – l’épître aux Galates – Paul rappelle qu’il s’était entretenu à Jérusalem, avec Jacques, Pierre et Jean, de l’Évangile qu’il proclame car il ne voulait pas que tout son travail passé et futur soit compromis (Gal. 2 : 2). Quelque temps plus tard, il s’oppose ouvertement à Pierre qui trahit l’Évangile en brisant la communion avec les chrétiens non circoncis d’origine païenne de l’Église d’Antioche de Syrie (Gal. 2 : 11-21). En 1 Corinthiens 8 à 10, dans son enseignement sur la manducation des viandes sacrifiées aux idoles, l’apôtre donne sa pratique en exemple, lui qui se fait Juif avec les Juifs et non-Juifs avec les non-Juifs « afin de gagner le plus de gens possibles à Jésus-Christ » (1 Cor. 9 : 19). Romains 14.1 à 15.13 est un vibrant plaidoyer en faveur de l’accueil réciproque entre judéo et pagano-chrétiens. Et que dire d’Éphésiens 2 : 1-10 qui décrit la nouvelle humanité en Christ, dans laquelle Juifs et non-Juifs sont réconciliés les uns avec les autres, et les deux avec Dieu, par la mort de Jésus à la croix ?

Mais relevons encore un enseignement tiré de la pratique du combat paulinien pour l’unité. Il suffit de faire un rapide survol de ses épîtres pour se convaincre que les Églises auxquelles l’apôtre écrit étaient marquées par une grande diversité. L’atmosphère spiritualiste de l’Église de Corinthe se distingue nettement de celle, plus « juive », de l’Église de Philippes, et les relations que Paul entretient avec l’une et l’autre Église sont très différentes : conflictuelles avec la première, amicales avec la seconde. L’Église de Thessalonique semble gagnée par la fièvre eschatologique au point que certains croyants s’y livrent à une vie désordonnée et refusent de travailler (2 Thes. 3 : 7-12) ; n’est-ce pas, en effet, pour cela que les questions du sort des chrétiens décédés et du jour de la venue du Christ occupent une place si importante dans les deux lettres que l’apôtre adresse à cette communauté (1 Thes. 4 : 13-5.6 ; 2 Thes. 2 : 1-12) ? La lettre aux Éphésiens témoigne encore d’une autre atmosphère spirituelle avec son insistance sur les puissances et les autorités célestes agissant dans les coulisses de l’histoire des hommes (Ép 1 : 20-21 ; 2 : 2 ; 3 : 10 ; 6 : 12). Et pourtant, qui nierait que ces Églises si diverses étaient en pleine communion ecclésiale et que l’apôtre n’a cessé de combattre pour maintenir cette unité ?

Comment ne nous engagerions-nous donc pas dans le même combat pour l’unité de l’Église dans sa diversité évangélique en notre temps ?

La reconnaissance de la pleine communion ecclésiale

L’enjeu pour le monde évangélique contemporain que signale le combat paulinien est la suivant. L’étude d’Éphésiens 4 : 1-16 nous a montré que l’unité de l’Esprit que nous sommes appelés à conserver est liée à certaines vérités constitutives de cette unité. Mais si tel est le cas, à quel titre pourrions-nous refuser la communion ecclésiale aux communautés chrétiennes qui confessent ces vérités ? Certes, certaines questions déontologiques liées à la pratique de ceux qui confessent ces vérités peuvent entamer la communion : la médisance, les manifestations de concurrence, les condamnations intempestives, les détournements de membres, l’esprit sectaire, les désordres manifestes, etc. Mais suffit-il que l’expression de la spiritualité soit un peu trop « chaude » ou trop traditionnelle pour que la communion ecclésiale soit brisée ? Ou que l’on donne plus ou moins de responsabilités pastorales aux femmes ? Ou que l’on soit plutôt créationniste évolutionniste ou plutôt créationniste fixiste ? Ou que l’on ait plus ou moins de contacts avec certains membres de l’Église catholique ?

Disons les choses clairement en les appliquant à l’un des choix que les Églises du Réseau FEF sont appelées à faire ces jours-ci : peut-on légitimement refuser d’adhérer au CNEF sous prétexte que les uns sont charismatiques, les autres pentecôtistes ou les autres encore membres de la Fédération Protestante de France ? Que les choses ne soient pas simples, tout le monde en convient ; certains enseignements secondaires nous distinguent entre évangéliques, de même que certaines formes de spiritualité ou certains choix stratégiques. Mais l’unité à conserver est un combat à mener nous rappelle l’apôtre, et rien ne serait plus indigne « de l’appel qui nous a été adressé » que de battre en retraite et de refuser de nous engager dans ce combat avec l’humilité, l’amabilité, la patience et le soutien réciproque que suscite l’amour chrétien (Ép 4 : 1-2).

L’enseignement de l’apôtre en Éphésiens 4 : 1-16 et l’exemple de son combat pour la pleine communion des Églises de son temps doivent cependant nous conduire un pas plus loin : nous, Églises du Réseau FEF, nous ne devrons jamais nous contenter de l’unité à conserver car, souligne l’apôtre, « l’unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu » est à acquérir (v. 13) !

Grandir vers celui qui est la tête

Il faut en convenir, la métaphore de l’Église employée par Paul en Éphésiens 4 : 1-16 est quelque peu étrange car c’est celle d’un corps appelé à grandir vers sa tête (le Christ) en parvenant à une unité dans la vérité et l’amour de plus en plus grande (v. 15) ! Mais elle est explicite : notre croissance vers le Christ est liée à notre « unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu ». L’enjeu pour le monde évangélique contemporain et, en particulier, pour le Réseau FEF est de taille ! La fondation du CNEF, entre autres, est déterminante dans cette croissance. Deux exigences très concrètes en découlent.

La première exigence, me semble-t-il, est celle d’une connaissance mutuelle plus grande. En effet, il est étonnant de constater combien l’ignorance est profonde entre les croyants du Réseau FEF et ceux des Assemblées de Dieu ou des cercles charismatiques. Et l’ignorance mutuelle est source de méfiance. Ainsi, lors d’un culte dans une Église ADD où je me trouvais, j’ai pu constater que le pasteur ne savait pratiquement rien de l’Institut Biblique de Nogent-sur-Marne et de la Faculté Libre de Théologie Évangélique de Vaux-sur-Seine, et les confondait allègrement. Moi-même, lors d’une pastorale des Églises charismatiques à Grenoble à laquelle Pierre Truschel m’avait invité, j’ai noté que sur les quatre cents participants présents, je n’en connaissais pas les trois quarts ! Et ce qui est vrai de manière générale se confirme au niveau local. Que savons-nous, par exemple, du programme d’évangélisation ou de formation de l’Église ADD ou charismatique de notre commune ?

La seconde exigence est celle d’une recherche active d’une plus grande « unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu ». Éphésiens 4.13-15 nous interdit le statu quo dans ce domaine ! Il nous faut grandir vers la Tête. Une telle démarche devrait, bien entendu, être vécue entre les Églises du Réseau FEF, et nous savons que nous ne sommes pas encore tous parvenus à des convictions communes sur nombre de points « mineurs » de la foi et à une pratique parfaite de l’amour entre nous. Le texte sur l’« Identité du Réseau FEF » est certes une belle expression d’une unité qui va au-delà de l’unité de l’Esprit qui est à conserver. Mais il nous reste du chemin à faire pour parvenir à des convictions de plus en plus communes, avec les pratiques qui en découlent, sur, par exemple, les questions eschatologiques ou les ministères dans l’Église.

Mais la création du CNEF nous met face à notre responsabilité d’une recherche active d’une plus grande « unité dans la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu » avec les Églises qui n’appartiennent pas au Réseau FEF, en particulier avec les Églises ADD et charismatiques qui composent deux pôles du CNEF. L’exigence biblique de croissance vers la Tête nous invite à engager avec elles aussi une réflexion sur les points mineurs de divergence dans la foi. La distance n’est peut-être pas aussi grande qu’on le pense souvent. Donnons quelques exemples du combat théologique à mener pour l’unité.

« Baptisé par l’Esprit »

La Confession de foi du Réseau FEF affirme, dans son sixième article, ce qui suit :

Uni à Christ et ainsi placé au bénéfice de sa mort et de sa résurrection, le pécheur reçoit le pardon de Dieu pour ses fautes, obtient les mêmes droits que s’il avait obéi à la Loi de Dieu, et bénéficie de la faveur divine ; il est baptisé dans l’Esprit qui le régénère et il reçoit la vie éternelle.

Cet article lie avec raison, nous semble-t-il, le baptême par l’Esprit à la régénération, ce qui s’oppose à la doctrine pentecôtiste du baptême de l’Esprit. Le dialogue est-il pour autant impossible, l’opposition étant irrémédiable ? Plusieurs données doivent être relevées qui poussent à adopter une position plus nuancée.

La question qui se pose, en effet, est la suivante : tout en étant concomitants, baptême par l’Esprit et régénération renvoient-ils pour autant à la même réalité comme le jugent nombre d’évangéliques ? L’Écriture ne semble pas les identifier. En effet, alors que la nouvelle naissance a été expérimentée par les croyants de tous les temps et, en particulier, par ceux de l’ancienne alliance (cf. Jean 3 : 3 : « Si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu »), le baptême par l’Esprit renvoie, avant tout, à un événement historique, ponctuel, qui a inauguré la nouvelle alliance : la Pentecôte de l’an 30 (ou 33). Car c’est à ce moment-là que s’est accomplie la parole de Jean-Baptiste (Matt. 3 : 11 // Marc 1 : 8 ; Luc 3 : 16 ; voir Jean 1 : 33), que Jésus luimême rappelle en Actes 1 : 4-5 : Or, un jour qu’il prenait un repas avec eux, [Jésus] leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que son Père leur accorde le don qu’il leur avait promis. « C’est le don que je vous ai annoncé, leur dit-il. Car Jean a baptisé dans l’eau, mais vous, c’est dans le Saint-Esprit que vous serez baptisés dans peu de jours » (Actes 1 : 4-5).

Ainsi, le baptême par l’Esprit n’est pas la nouvelle naissance, mais l’œuvre de l’Esprit par laquelle l’Église, formée à la Pentecôte du reste croyant d’Israël, a été fondée (Actes 2 : 14-21). À ce noyau de l’Église, ont été joints par la suite, par le truchement de Pierre, l’ouvreur du Royaume (cf. Matt. 16 : 17-19), les croyants de Samarie (Actes 8 : 14-17) puis Corneille et sa famille, prémices des croyants d’origine païenne (Actes 10 : 44-46). Ainsi, le baptême par l’Esprit s’est comme accompli en trois Pentecôtes successives et complémentaires (cf. Actes 11 : 15-17) qui ont unies les croyants Juifs, Samaritains et païens (cf. Actes 1 : 8) en un seul et unique peuple de Dieu : l’Église. C’est ce fait qui explique que pour les apôtres et les croyants d’Actes 2, 8 et 10, nouvelle naissance et baptême par l’Esprit ont été disjoints. Mais depuis lors, toute personne qui naît de l’Esprit est en même temps baptisée par lui pour être intégrée au corps de Christ. C’est ainsi que le seul texte du Nouveau Testament qui ne lie pas le baptême de l’Esprit à la triple Pentecôte historique du livre des Actes en parle comme d’une Pentecôte personnelle par laquelle le croyant est uni à l’Église :

En effet, nous avons tous été baptisés par un seul et même Esprit pour former un seul corps, que nous soyons Juifs ou non-Juifs, esclaves ou hommes libres. C’est de ce seul et même Esprit que nous avons tous reçu à boire (1 Cor. 12 : 13).

On comprendra qu’une telle distinction théologique entre la nouvelle naissance et le baptême par l’Esprit devrait aider au dialogue entre les Églises membres du Réseau FEF et celles des mouvements pentecôtistes et charismatiques. Car cette compréhension du baptême par l’Esprit les rapproche en le liant à l’action de Dieu et aux manifestations de l’Esprit dans l’Église et par elle. Les divergences demeurent, certes, concernant la concomitance de la nouvelle naissance et du baptême par l’Esprit, et la place de certains « charismes » dans l’action de l’Esprit.

Les plénitudes de l’Esprit

Une deuxième piste de recherche d’une plus grande unité dans la foi et la connaissance de Jésus-Christ entre les Églises du Réseau FEF et celles des pôles ADD et charismatique du CNEF concerne la compréhension de la plénitude de l’Esprit. Car, comme le montre Henri Blocher dans un bel article publié en 1971 dans la revue Ichthus, le Nouveau Testament semble bien parler de deux types de plénitude de l’Esprit4.

Le thème de la « plénitude de l’Esprit » n’apparaît dans le Nouveau Testament que dans les écrits de Luc avec la seule exception d’Éphésiens 5.18. En fait, celle-ci n’en est peut-être pas une car on sait que Luc était auprès de Paul lorsque celui-ci a rédigé sa lettre… (cf. Col. 4 : 4). Or, Luc parle de cette plénitude au moyen de deux verbes grecs différents, qui tous deux signifient « remplir » : pimplèmi et plèroô (avec l’adjectif plèrès). On constate ainsi que sur les huit emplois de pimplèmi pour désigner la plénitude de l’Esprit, six5 sont liés à l’émission d’une parole qui est parole de Dieu, qu’il s’agisse d’oracle prophétique (Élisabeth, Zacharie, Paul), de glossolalie (à la Pentecôte), de prédication ou de témoignage (Pierre et les chrétiens de Jérusalem). Le don semble ainsi concerner la capacité de parler, dans des circonstances données. Les deux autres emplois du verbe concernent non l’émission d’une parole donnée mais la plénitude de l’Esprit liée à un ministère de la Parole, pour Jean-Baptiste et Paul6.

Luc utilise la racine plèr– pour désigner la plénitude de l’Esprit dans des contextes très différents de ceux de pimplèmi, qui suggèrent la permanence. Jésus, « rempli d’Esprit Saint » est conduit par l’Esprit au désert (Luc 4 : 1). Les Sept choisis pour seconder les Douze doivent être « remplis d’Esprit et de sagesse » (Actes 6 : 3). Étienne, l’un d’entre eux, se signale comme un homme « rempli de foi et d’Esprit Saint » (6 : 5 ; 7 : 55). Barnabas, de même, est « un homme… rempli d’Esprit Saint et de foi » (11 : 24). Les nouveaux convertis d’Antioche de Pisidie étaient remplis de joie et de l’Esprit Saint (13 : 52). Paul, enfin, exhorte ses destinataires par ces mots : « Soyez remplis par l’Esprit » (Éph. 5 : 18). Ces passages renvoient tous au caractère chrétien.

Ainsi, l’Écriture nous présente deux types de plénitude de l’Esprit :

l’une, plus soudaine, « qui est afflux d’énergie spirituelle au service de la Parole », proclamée avec puissance et assurance ; l’autre, plus permanente, « qui est une imprégnation, une saturation du caractère chrétien par la présence du Saint-Esprit »7. L’intérêt de la prise en compte de cet enseignement biblique pour le dialogue entre évangéliques du Réseau FEF et ceux des mouvements pentecôtistes et charismatiques est évident.

Faire face à la réalité

Mentionnons encore un autre élément qui devrait intervenir dans la recherche de l’unité de la foi et de la connaissance de Jésus-Christ : la prise en compte de la réalité. Car l’action de Dieu ne consiste pas en beaux discours, en incantations ou en décibels accompagnant nos prières, mais elle se constate dans la réalité. Par exemple, je suis assez convaincu que Dieu opère, au sein de l’Église, autant de guérisons dans les cercles évangéliques classiques que dans les milieux pentecôtistes ou charismatiques. Un vrai dialogue, dans ce domaine comme dans tout autre, se doit d’être vrai.

Les Églises du Réseau FEF n’ont pas le choix : l’Écriture les exhorte à s’engager dans le combat pour l’unité de la foi que nous sommes appelés à construire. L’exemple des relations entre les Églises des différents pôles du CNEF nous a permis d’en illustrer certains aspects. Mais revenons à notre lecture d’Éphésiens 4 et relevons quelle stratégie Dieu veut que nous appliquions pour faire face aux défis et aux enjeux du monde évangélique contemporain.

La stratégie divine

L’enseignement apostolique est explicite : la stratégie fondamentale du Christ pour affronter les défis et les enjeux du monde évangélique contemporain, ce sont les hommes et les femmes qu’il donne à son Église :

C’est lui [Jésus] qui a fait don de certains comme apôtres, d’autres comme prophètes, d’autres comme évangélistes, et d’autres encore comme pasteurs et enseignants. Il a fait don de ces hommes pour que ceux qui appartiennent à Dieu soient rendus aptes à accomplir leur service en vue de la construction du corps du Christ (Ép 4 : 11-12).

L’enseignement de l’apôtre est clair et il l’a lui-même mis en pratique. Car ses lettres contiennent des listes impressionnantes de personnes avec lesquelles Paul a combattu pour l’Évangile.

On est frappé, en effet, par le nombre de personnes que l’apôtre appelle « collaborateurs » dans ses épîtres. Certes, il n’est pas étonnant que Paul se serve de ce mot pour désigner les membres réguliers de son équipe apostolique : Timothée (Rom. 16 : 21 ; 2 Cor. 1 : 19, 24 ; 1 Thes. 3.2), Silas (2 Cor. 1 : 19, 24) et Tite (2 Cor. 8 : 23). Mais à ceux-ci, il faut ajouter Priscille et Aquilas (Rom. 16 : 3), Urbain (Rom. 16 : 9), Apollos (1 Cor. 3 : 9), Épaphrodite (Phil. 2 : 25), Évodie et Syntyche, deux chrétiennes de Philippes, ainsi que Clément (Phil. 4 : 3), Aristarque de Thessalonique (cf. Actes 19 : 29 ; 20 : 4), Marc, cousin de Barnabas, et Jésus Justus (Col. 4 : 10-11 ; Philémon 24), Philémon (Philémon 1), Démas, Luc (Philémon 24).

Mais à cette liste des « collaborateurs » de Paul, il faut ajouter d’autres personnes que l’apôtre ne désigne pas explicitement par ce mot : Tychique, originaire de la province d’Asie, « le frère bien-aimé, le serviteur digne de foi et le co-esclave dans le Seigneur » (Col. 4 : 7 ; cf. Ép 6 : 21), et les autres compagnons de Paul mentionnés en Actes 20 : 4 :

Gaïus de Derbe (cf. Actes 19 : 29), Sopatros de Bérée, Secundus de Thessalonique. Il faudrait encore citer Sosthène, co-auteur de la première lettre aux Corinthiens (1 Cor. 1 : 1), et Stéphanas de Corinthe (1 Cor. 16 : 14-15), Artémas et le juriste Zénas, (Tite 3 : 12-13), et Éraste, le trésorier de la ville de Corinthe (Actes 19 : 22 ; Rom. 16 : 23 ; 2 Tim. 4 : 20), et d’autres encore (cf., p. ex., Rom. 16).

Sommes-nous convaincus que la stratégie de Dieu pour notre monde évangélique contemporain, ce sont des hommes et des femmes qu’il veut donner à son Église ? Mettons-nous le « paquet » pour donner à l’Église un encadrement de qualité en assurant sa formation ? Car ce sont ces individus qui constituent les articulations du corps qu’est l’Église et qui assurent sa cohésion : C’est de lui [du Christ] que le corps tout entier tire sa croissance pour s’affermir dans l’amour, sa cohésion et sa forte unité lui venant de toutes les articulations dont il est pourvu, pour assurer l’activité attribuée à chacune de ses parties (Ép 4 : 16).

Le fonctionnement

Relevons un dernier enseignement d’Éphésiens 4.1-16 qui touche aux défis et aux enjeux du monde évangélique contemporain. Celui-ci concerne notre conception du fonctionnement de l’Église, corps du Christ.

Le raisonnement est souvent le suivant : étant donné que tout croyant a reçu un charisme, pour que le corps du Christ remplisse bien sa fonction, il faut que chacun y trouve sa place. Affichons donc un tableau des tâches à accomplir au fond de l’église et demandons à tous les membres d’inscrire leur nom dans la case qui correspond au service qui lui permettra d’exprimer son charisme. C’est ainsi que le polytechnicien pourra répondre à sa vocation de nettoyeur du temple ou de la salle de culte, ou l’institutrice exercer son don de cuisinière pour les agapes de la communauté.

Il est certain que ces tâches doivent être accomplies dans l’Église et tout chrétien doit apprendre la joie de l’humble service. Cependant, l’erreur est de penser que l’essentiel du ministère des chrétiens doit s’exercer dans l’Église rassemblée, car leur service s’accomplit essentiellement, me semble-t-il, dans l’Église dispersée au sein de la société. N’est-ce pas la logique d’Éphésiens 4 : 11-12 ? Car ce sont les personnes données par le Christ à l’Église qui sont appelées à œuvrer dans l’Église rassemblée pour que les autres croyants « soient rendus aptes à accomplir leur service en vue de la construction du corps du Christ » (v. 12). L’image du corps suggère d’ailleurs une telle interprétation. Car le corps n’est pas là pour s’admirer dans une glace, ni la main pour gratter le ventre, ni les pieds pour être croisés ! Le corps doit fonctionner, marcher, agir, courir, soutenir, dans la société qui l’entoure ! Les croyants se doivent de vivre chrétiennement dans l’environnement qui est le leur.

Deux mots résument cet enjeu : le service et le témoignage. Le service d’autrui par amour pour Jésus-Christ, le témoignage par amour pour le prochain. C’est ainsi que, soutenus par les articulations de l’Église, au moyen de l’enseignement dispensé, les évangéliques pourront faire face aux enjeux du monde contemporain. Car celui-ci a un besoin plus que pressant de l’Évangile de Jésus-Christ, seul nom par lequel un homme peut être sauvé. 

Jacques Buchhold,
Professeur de Nouveau Testament,
Doyen de la Faculté Libre de Théologie Évangélique (Vaux-sur-Seine)


NOTES

1 Rom. 15 : 30 ; Phil. 1 : 27, 30. Cf. aussi le thème de la lutte : Ép 6 : 12.

2 1 Cor. 9 : 7 ; 15 : 32 ; 2 Cor. 10 : 3-4 ; Phil. 1 : 30 ; Col. 1 : 29 ; 2 : 1 ; 1 Thes. 2 : 2 ; 2 Tim. 4 : 7. Pour la lutte, voir 1 Cor. 9 : 25 ; 1 Tim. 4 : 10.

3 Phil. 4 : 3 ; Col. 4 : 12 ; 1 Tim. 1 : 18 ; 6 : 12 ; 2 Tim. 2 : 4-5.

4 Henri Blocher, « La plénitude du Saint-Esprit », Ichthus 17, 1971, p. 21-24.

5 Luc 1 : 41, 67 ; Actes 2 : 42 ; 4 : 8, 31 ; 13 : 9.

6 Luc 1 : 15 ; Actes 9 : 17.

7 Henri Blocher, op. cit., p. 23.